Profil de la croissance au Sénégal
Gaye Daffe
Janvier 2005
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Profil de la croissance au Sénégal1
Par :
Gaye Daffé
A l’indépendance, le Sénégal a hérité d’infrastructures (de transport,
administratives, scolaires, sanitaires, etc.) et d’un niveau d’industrialisation très en
avance sur les autres pays d’Afrique francophone. Il a ensuite toujours joui d’une
importante assistance étrangère et d’une plus grande stabilité politique. Cependant, ces
conditions propices au développement n’ont pas été suivies de performances
économiques correspondantes. L'évolution tendancielle de l’économie sénégalaise a, au
contraire, été plus marquée par la stagnation que par la croissance
La dévaluation du franc CFA de 1994 a certes permis une reprise de la croissance
qui, depuis, ne s’est jamais démentie. Mais cette relance s’avère non seulement trop
faible pour permettre une diminution sensible de la pauvreté, mais son impact est très
inégal d’un secteur à un autre et d’une catégorie de population à une autre.
Ce papier retrace, à grands traits, le profil de la croissance au Sénégal en mettant
l’accent sur un certain nombre de caractéristiques de l’économie et sur les obstacles à
surmonter pour rendre durable l’impact de la croissance.
Caractéristiques de la croissance
Dans l’ensemble, le profil de la croissance de l’économie sénégalaise se caractérise par
un faible taux de progression du PIB, une hypertrophie des activités tertiaires et
informelles, un bas niveau des taux d’épargne et d’investissement et une forte incidence
de la pauvreté et des inégalités.
Des taux de croissance historiquement faibles et instables
Du début des années 60 au milieu des années 90, la croissance du PIB est marquée par
d’amples fluctuations (graphique 1). Passé de 2,2% par an dans la période 1960-69 à 3 %
en 1970-79, son taux est tombé à 1,8% en 1980-84 avant de remonter à 2,2% en 1985-93
(tableau 1).
1 Cette contribution s’inspire pour l’essentiel des analyses développées dans l’ouvrage collectif dirigé par
Abdoulaye Diagne et Gaye Daffé : « Le Sénégal en quête d’une croissance durable ». CREA-Karthala,
2002.
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Jusqu’au milieu des années 70, le dynamisme de l’économie sénégalaise reposait à la
fois sur une agriculture (essentiellement arachidière) prospère et sur un tissu industriel
relativement dense. Poumon de l’économie, la production arachidière rythmait l’essentiel
de l’activité économique en insufflant son dynamisme à de nombreuses branches des
secteurs secondaire et tertiaire. Le poids de l’agriculture était d’autant plus important que
la croissance globale de l’économie était largement tributaire de la production agricole,
son rythme suivant de près les fluctuations de celle-ci (figure 1).
Mais à partir de la fin des années 70, la part du secteur primaire dans le PIB n’a cessé
de se contracter. Reflétant le déclin continu de la production agricole, elle passe de près
de 25% pendant les deux premières décennies suivant l’indépendance à moins de 20% à
partir des années 80. Quant à l’agriculture proprement dite, sa contribution au PIB chute
de 16,9% dans la période 1960-69 à seulement 10% en 1994-2000 (tableau 1).
Concernant la production industrielle, son taux de croissance tombe d’une moyenne de
5%-6% par an dans les années 60 et 70 à un peu plus de 1% entre 1980 et 1985 avant de
devenir négative dans la période 1985-91. Toutes ces fluctuations eurent pour
conséquence une baisse, légère mais constante, du revenu par tête sur toute la période
considérée.
Depuis la dévaluation du franc CFA en 1994, l’expansion économique apparaît
plus soutenue et un peu plus vigoureuse que par le passé, avec un taux de croissance du
PIB de l’ordre de 5% par an en moyenne. Pour la première fois dans l’histoire
économique du Sénégal indépendant, le taux de croissance du revenu par tête a ainsi pu
se maintenir à plus de 2% par an en moyenne pendant une dizaine d’années successives.
Mais une telle performance ne permet pas de compenser le recul observé dans le passé.
On comprend pourquoi, malgré la baisse de la proportion de pauvres observée
entre 1994/95 et 2001/02 (de 61,4% à 48,5% pour les ménages et de 67,9% à 57,1% dans
la population)2, l’incidence de la pauvreté reste forte, particulièrement en milieu rural où
l’on compte deux ménages pauvres sur trois. Les inégalités de revenus s’inscrivent quant à
elles dans une tendance à la hausse, l’indice de Gini des dépenses de consommation
2 Les indices de pauvreté et d’inégalité de 1994/95 et de 2001/02 ont été calculés sur la base des données
des enquêtes réalisées pendant les mêmes années par la Direction de la prévision et de la statistique
(DPS). Il s’agit en l’occurrence des Enquêtes sénégalaises auprès des ménages (dites ESAM1 et ESAM
II).
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passant de 32,6 en 1994-95 à 34,2 en 2001-2002. A ces indicateurs, il faut ajouter le
faible rythme de développement du capital humain (éducation, santé, etc.) et les
déficiences dans la qualité des services sociaux de base.
Une faible contribution des exportations à la croissance
Dans l’ensemble, les performances du Sénégal en matière d’exportation sont restées non
seulement modestes mais fortement déclinantes du point de vue à la fois de l’évolution de
ses parts dans les exportations mondiales et en comparaison avec celles de la moyenne
des pays d’Afrique Sub-saharienne (figure 2). De 0,16% en 1960, la part du Sénégal dans
les exportations mondiales a inexorablement chuté à 0,02% en 2000.
Il en va de même de la contribution des exportations au PIB, car, contrairement
aux attentes, la contribution des exportations à la reprise de la croissance qui a suivi la
dévaluation du franc CFA a été faible. Sur la période 1994-2000, les exportations
sénégalaises ont représenté 30,5% du PIB, contre 24,8% dans la période 1985-93, soit
une augmentation de 5,7 points de pourcentage seulement (tableau 1). Mais même cette
augmentation est davantage liée à l’effet mécanique de la dévaluation qu’à des gains de
compétitivité, comme en atteste l’accroissement exceptionnel de 25% des exportations
intervenu en 1995, c’est-à-dire un an après le changement de parité du franc CFA. On
observe que ce ratio est même inférieur à ceux des périodes 1970-79 (32,3%) et 1980-84
(31,8%) (tableau 1).
La raison d’une telle situation est la faible diversification des exportations. Celles-
ci se trouvent concentrées sur des produits dont la demande est en déclin sur le marché
mondial. En effet, alors que plus des deux cinquièmes de la capacité d’exportation de
l’économie continuent de reposer sur les produits de la pêche (29,5% des exportations
dans la période 1994-99) et sur l’acide phosphorique et les engrais (12,2%), la quasi-
totalité des biens intermédiaires (29% des importations) et une bonne partie des denrées
alimentaires (24,4%) et des biens d’équipement (14,4%) demeurent de provenance
étrangère. On note que les exportations manufacturières ne représentent pas plus que le
quart du volume total des exportations.
L’insuffisance de l’épargne domestique
Le bas niveau de l’épargne et de l’investissement est l’une des causes majeures de la
faiblesse de la croissance de l’économie sénégalaise. Avec un taux annuel moyen
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fluctuant entre –3,5% et 7,8% sur toute la période 1960-93, l’épargne domestique,
publique et privée, est nettement en deçà des besoins d’investissement que requiert une
croissance forte et durable. A un bas niveau de productivité s’est ainsi combiné un faible
taux d’accumulation du capital. Après avoir augmenté de 7,1% dans les années 1960 à
14,6% dans les années 1970, le taux d’investissement stagna autour de 12% jusqu’au
milieu des années 1990. Dans la période 1997-2000 où l’épargne a le moins fluctué et
atteint son niveau record, son taux (13,6% du PIB) est inférieur de presque 6 points au
taux d’investissement (19,4%).
L’écart entre le taux d’investissement et le taux d’épargne, ainsi que les fortes
fluctuations de ce dernier, met en évidence l’indépendance entre l’une et l’autre variables.
Il explique également le recours constant aux ressources extérieures pour financer
l’investissement. Le défi majeur pour le Sénégal consiste désormais à perpétuer la relance
des investissements qu’on observe depuis le milieu des années 90. Essentiellement due au
regain de l’investissement public qui a résulté de la maîtrise des dépenses publiques
courantes et au déferlement des investissements financés par les transferts de émigrés
(dans l’immobilier essentiellement), cette relance doit bénéficier à d’autres secteurs que
le bâtiment, le commerce et les services. L’afflux des investissements directs étrangers
suscité par les privatisations en cours doit se confirmer par une plus grande régularité.
Fragilité des équilibres macro-économiques et de la croissance retrouvée
Les résultats des réformes entreprises avant et après la dévaluation du franc CFA ont
contribué à résorber les déséquilibres macro-économiques et à promouvoir
l’investissement tant public qu’en provenance de l’exrieur. Mais, en raison des
contraintes structurelles liées à la productivité du travail, à la dégradation des
infrastructures, à la faible qualité de l’offre de services publics et au bas niveau de
développement du capital humain, ces résultats tardent à profiter à l’emploi, à la
productivité et à la compétitivité de l’économie.
Une croissance encore hésitante et mal répartie
Comme nous l’avons déjà noté, la croissance économique amorcée à la suite de la
dévaluation du franc CFA a permis d’enregistrer la plus longue hausse du PIB par tête
depuis la fin des années 60. De –0,4% par an dans la période 1985-93, son taux de
croissance est passé à plus de 2 % entre 1994 et 2003 (tableaux 1 et 2). Mais, ces bonnes
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