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RA/N°8
Sociologie-philosophie Anthropologie
Entre nous et Dieu lhomme de bien : le junzi et le législateur chez Confucius et
chez Aristote
Belko Ouologuem, Candidat au Ph.D en Philosophie chinoise à lUniversité de Fudan,
Chine.
Résumé : Sil y a des mobiles aux réflexions éthico-politiques de Confucius et
dAristote, ce sont bien les troubles et bouleversements sociopolitiques. Face à ces
situations danomies sociales, ils ont exprimé la nécessité dun recours à lhomme de
bien. Il aura essentiellement pour tâche dune part la formation morale des gens,
fondement nécessaire de toute politique digne de ce nom, et dautre part
létablissement dune société harmonieuse. Autrement dit, toute action politique doit
être fondée sur des valeurs morales, puisque la qualité essentielle de lhomme de bien
est sa sainteté morale et son excellence en matière de projet et dorganisation
politiques. Sil y a une convergence de vue quant au recours à lhomme de bien,
cependant les points de vue de nos deux philosophes divergent quant aux moyens
déducation des citoyens par lhomme de bien mais aussi par rapport à la possibilité
pour chacun de devenir ou non un homme de bien. Et cest de que nous partirons
pour situer à grands traits les caractéristiques de lhomme de bien et les rôles qui lui
sont dévolus dans les modèles éthico politiques des deux philosophes ; nous tenterons
de dégager les difficultés inhérentes à leurs conceptions dhomme de bien et de
proposer un type mieux adapté aux exigences de nos sociétés contemporaines, type
dhomme de bien instruit par ceux de nos deux penseurs. Enfin, nous tenterons de
dégager et dévaluer la pertinence de la solution du rapport entre morale et politique
dans la pensée des deux auteurs.
Mots clés :Aristote, Confusius, homme de bien,jungi, philosophie
Abstract : If there are motives in the éthico-political reflections of Confucius and
Aristote, they are indeed confusions and socio-political turnovers. In front of these
situations of social anomies, they expressed the necessity of an appeal to the man of
property. He will have essentially for task on one hand the moral training of people,
necessary foundation worthy of the name of any politics(policy), and on the other hand
the establishment of a harmonious company(society). In other words, any political
action must be based on moral values, because the essential quality of the man of
property is its moral holiness and its excellence in project and in political
organizations. If there is a convergence of view as for the appeal to the man of
property, however the points of view of our two philosophers diverge as for the
educational means of the citizens by the man of property but also with regard to the
possibility for each to become or not a man of property. And it is from there that we
shall leave to place in broad outline the characteristics of the man of property and the
roles which are devolved to him in the ethical and political models of both
philosophers; we shall try to kick away the difficulties inherent to their conceptions of
man of property and to propose a type better adapted to the requirements of our
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contemporary societies, type of man of property educates by those of our two thinkers.
Finally, we shall try to loosen and to estimate the relevance of the solution of the
relationship between moral and political thought of both authors.
Keywords : Aristote, Confusius, homme de bien,jungi, philosophie
Introduction
Rien ne semble lier, à première vue, Stagire en Grèce au royaume de Lu en Chine.
Cependant, ils ont offert à lhumanité deux illustres personnages qui ont marqué
lhistoire de la pensée en général et, en particulier, celle de la philosophie, de la
politique et de la morale. Il sagit en loccurrence dAristote, appelé communément le
stagirite et de Kongfuzi(孔夫子=maître kong) , connu en occident sous le nom de
Confucius. Si nos deux illustres penseurs ont vécu sous des systèmes sociaux,
politiques et économiques différents, les mobiles de leurs réflexions éthico politiques
sont les mêmes : à savoir les troubles et bouleversements sociopolitiques et, donc, la
nécessité détablir une société harmonieuse plus satisfaisante.
1. La notion dhomme de bien chez Confucius et chez Aristote
Le junzi (君子) traduit en français par homme de bien ou par gentilhomme ou
encore par homme de qualité ou honnête homme, existait déjà dans les classiques
chinois comme le guoyu () et le zuozhuan (). Il avait une connotation sociale.
Il désignait précisément lhomme qui disposait dune abondance matérielle mais aussi
celui qui détenait le pouvoir politique. Et le contraire du junzi était le xiaoren (小人)
ou lhomme de peu qui indiquait le commun des mortels. Confucius va opérer un
changement radical en attribuant à la notion de junzi une connotation
fondamentalement morale.
Pour Confucius, le junzi cest celui qui, de par la culture de la vertu morale, a atteint
une qualité morale excellente. Le Maître dit :
« Lhonnête homme se base sur la justice, agit selon les rites, sexprime avec modestie
et conclut de bonne foi. Ainsi fait lhonnête homme » (Entretiens de Confucius,
traduction, introduction et notes de Pierre Ryckmans, Gallimard, 1987, XV.18) et
dajouter :
« Lhonnête homme cherche la vérité, il ne cherche pas un gagne-pain. Labourez, et
vous ne mangerez pas nécessairement à votre faim. Etudiez, et vous ferez peut-être
carrière. Lhonnête homme se soucie de la vérité, il ne se soucie pas de la pauvreté »(
Ibid XV.32).
Dès lors, apparaît clairement le changement révolutionnaire intervenu dans la notion
de junzi. Le junzi devient lincarnation des vertus cardinales de la morale confucéenne
comme le ren ou lhumanité, le sens élede la justice et des rites, la modestie et la
vérité ; et non plus dun quelconque vulgaire détenteur dun pouvoir politique et /ou
économique. Après cette chirurgie sémantique intervenue au niveau du junzi, son
contraire aussi subit, naturellement, la même opération. Le xiaoren ou homme de peu
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ou encore homme vulgaire, ne signifie plus le pauvre ou le commun des mortels mais
plutôt celui qui ne se soucie que de la quête effrénée et sans vergogne de lintérêt
matériel et du profit personnel. Le Maître dit à ce propos :
« Lhonnête homme fait fond sur les ressources de son cœur, lhomme vulgaire fait
fond sur celles de sa terre. Lhonnête homme nattend que la justice, lhomme vulgaire
attend des faveurs »(Ibid IV.11). et le Maître de renchérir :
« Lhonnête homme envisage les choses du point de vue de la justice, lhomme
vulgaire du point de vue de son intérêt »(Ibid IV.16).
Il ressort clairement que, est junzi celui qui, par lexcellence de sa vertu morale, agit
justement, modestement, bref, humainement.
Sommes-nous naturellement aptes à atteindre lexcellence de la vertu morale du
junzi et comment y parvenir ?
Pour Confucius comme pour ses continuateurs que ce soit la tendance de
Mencius(孟子) qui soutient que la nature humaine est bonne, ou celle de Xunzi
(荀子)qui défend la thèse contraire , en chaque être humain existe naturellement
les capacités de cultiver et datteindre lexcellence morale de lhomme de bien. A la
question :
« La vertu suprême est-elle inaccessible ? Je Désire la vertu suprême et la vertu est
là »(Ibid IV.16) et le Maître de corroborer :
« De par leur nature, les hommes sont proches les uns des autres, ce sont leurs
coutumes qui les différencient »(Traduction par lauteur de larticle, nétant pas
satisfait des autres traductions).
Autrement dit, les hommes disposent tous des mêmes potentialités innées pour devenir
junzi, mais la différence entre eux vient de leurs coutumes et de leurs désirs. Il apparaît
clairement que, si nous disposons naturellement des potentialités pour devenir homme
de bien, cependant nous ne sommes pas homme de bien par nature. Cela revient à dire
que, cest seulement à la suite dun long processus de formation que nous pourrions
parvenir à lexcellence morale du junzi. Le Maître, dans un passage magistral, se sert
de sa propre expérience pour démontrer la nécessité des études dans la formation et le
perfectionnement moral de soi. Il dit :
« A quinze ans, je mappliquais à létude. À trente ans mon opinion était faite. À
quarante ans, jai surmonté mes incertitudes. À cinquante ans, jai découvert la volonté
du ciel. À soixante ans, nul propos ne pouvait me troubler. Maintenant, à soixante-dix
ans, je peux suivre tous les élans de mon cœur sans jamais sortir du droit chemin »(Les
Entretiens de Confucius, traduction, introduction et notes de Pierre Ryckmans,
Gallimard, 1987, II.4).
Dans une de ses conversations avec son disciple Zilu, Confucius est plus que
catégorique sur la nécessité des études. Il dit :
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« Zilu, as-tu entendu parler des six qualités et de leurs perversions ? » Lautre
répondit : « Non». « Assieds-toi, je vais texpliquer. Le culte du bien sans le goût de
létude tourne à la bêtise. Le culte de lintelligence sans le goût de létude tourne à la
frivolité. Le culte de la parole donnée sans le goût de létude tourne au banditisme. Le
culte de la franchise sans le goût de létude tourne à la brutalité. Le culte de lhéroïsme
sans le goût de létude tourne à la rébellion. Le culte de la force sans le goût de létude
tourne à lanarchie »(Ibid XVII, 8).
Il est évident que, quiconque voudrait parvenir à létat idéal de lhomme de bien doit
acquérir les connaissances nécessaires. Cependant, lacquisition de connaissances nest
pas une fin en soi, le but est plutôt lattitude morale qui en résulte. Cette vision est
partagée par toute lécole confucianiste, école pour laquelle connaissance et action
sont intrinsèquement liées et connaître et ne pas agir est synonyme de méconnaissance.
La question qui vient à lesprit naturellement est de savoir : quel est le contenu des
études dont parle tant Confucius ? Il sagit des six classiques qui constituent les six
canons du confucianisme et qui sont : Le livre des poèmes, le livre des rites, le livre
des mutations, les annales historiques et les Printemps et Automnes.
Si les six classiques ci-dessus indiqués sont tous importants pour la formation de
lhomme de bien, il est impératif de signaler que létude, la maîtrise et la pratique des
rites sont une condition sine qua non pour le junzi, puisque le respect des rites est
lexpression externe de la perfection interne de ce dernier. Cette prédominance des
rites est constatable par lomniprésence de ces derniers dans les écrits du Maître. Elle
sexplique aussi par le fait que la morale confucéenne est fondamentalement relation
entre les hommes. Et ce cercle relationnel se trouve explicitement défini par les cinq
relations considérées comme fondamentales par Confucius lui même les confucéens:
entre époux et épouses, entre parents et enfants, entre frères aînés et cadets, entre
princes et sujets, et enfin entre amis. Toutes ces relations sont définies par les rites et
cest seulement dans le cadre défini par les rites quelles sont normales et morales. Les
rites sont, sans conteste, le régulateur principal voire principiel de toutes les relations
humaines et morales possibles. Un jour, Confucius se reposait chez lui en compagnie
de ses disciples Zizhang, Zigong et Ziyou, tout en bavardant avec eux ; puis ils
commencèrent à parler des rites. Zigong se leva et demanda :
« Quest-ce que les rites ? » Confucius lui répond : « Le respect sans rites est
grossier. », « Le courage sans rites est brutal. », « La modestie sans rites est
flatteuse. », « Cest se conduire comme il faut. » . Il renchérit pour dire
que : « Gouverner sans rites, cest comme si un aveugle marchait tout seul sans aide et
ne savait aller. Cest comme si lon cherchait quelque chose dans les ténèbres et
lon ne trouvait rien sans lumière. Sans rites, on ne sait pas comment se conduire, on
ne sait pas comment regarder ni écouter, on ignore comment traiter les gens. » Pour
conclure Confucius dit : « Le rite, cest la raison. Lhonnête homme nagit pas sans
raison pour éviter le désordre, il nagit pas sans modération pour éviter lexcès »(Zhou
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Chun Cail(
周春才
), traduction de Gong Jie Shi(
宫结实
), Le Livre des rites illustré,
Beijing, Les livres du Dauphin, 2006, P150, 151, 152, 153, 154, et 155).
Il en résulte que, si nous avons naturellement les potentialités datteindre la perfection
morale de lhomme de bien, il nen demeure pas moins que létude des classiques est
un passage oblipour parvenir à cet état idéal. Létude des six classiques est certes
importante mais celle des rites est prépondérante, car ce sont les rites qui constituent
les fondements principiels de toutes les relations personnelles, familiales, sociales
voire étatiques. Par ailleurs, létude des classiques na pas pour but une simple culture
intellectuelle, mais plutôt lexcellence morale, gage de toute conduite ou attitude
appropriée. Cependant, cette conception de Confucius selon laquelle nous avons tous
naturellement les potentialités datteindre la perfection morale de lhomme de bien ou
de devenir homme de bien nest pas sans poser problème. Car Confucius ne nous dit
pas comment et pourquoi le xiaoren (小人) ou homme de peu est devenu ainsi, mais
décrit plutôt les attitudes de celui qui est déjà homme de peu. Aussi, les rites sont non
seulement les fondements principiels de toutes les relations personnelles, familiales et
sociales, mais aussi seul gage de tout perfectionnement moral, cependant face à la
corruption morale et des rites devenus de plus en plus problématiques, quel est le
recours ultime du commun des mortels pour actualiser ses potentialités naturelles de
devenir homme de bien ? Ce sont quelques interrogations sur lesquelles Confucius
nous laisse perplexes.
Quant au stagirite, le législateur ou nomothète est le personnage emblématique qui se
dégage de ses traités éthiques et politiques. Cette posture emblématique du nomothète
est inhérente aux vues éthiques et politiques dAristote. Pour lui, léthique a un but
pratique le souverain bien , cest le bonheur de lêtre humain. Le bonheur dépend
de la vertu, laquelle est produite par une bonne éducation. Or, il ny a de bonne
éducation que sous de bonnes lois, lesquelles dépendent à leur tour dune bonne
constitution qui est l’œuvre du gislateur. Daprès ce qui précède, le législateur doit
être un homme vertueux, étant donné que la vertu est une condition nécessaire du
bonheur. Il faut préciser quen ce qui nous concerne ici, il sagit de la vertu éthique,
puisque le terme arétè traduit par vertu ou excellence, est défini par Aristote
comme ce qui permet à chaque chose daccomplir sa fonction propre. Vue sous cet
angle, la vertu est coextensible aussi aux instruments et aux animaux, mais la vertu
éthique dont il sagit ici est exclusivement humaine. En effet, Aristote définit la vertu
en ces termes :
« La vertu de lhomme doit aussi être létat qui fait de lui un homme bon et qui lui
permet de bien remplir son office propre »(Aristote, Éthique à Nicomaque, Traduction,
présentation, notes et biographie de Richard Bodéüs, Flammarion, 2004, II, 1,
1106a23-24).
Aristote part du principe que la nature ne fait rien en vain et que chaque chose a une
fonction à remplir, et la fonction de chaque chose cest daccomplir sa propre nature.
Donc, la fonction de lhomme est de devenir bon et heureux, et le facteur qui le permet
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