1 MALVOYANCE AMBLYOPIE L'amblyopie peut être définie comme "une diminution, uni ou bilatérale, de certaines aptitudes visuelles, principalement de la discrimination des formes". 1 Classification et origine Selon le classement de l'Organisation mondiale de la santé la malvoyance (ou basse vision) est une déficience ou l'acuité visuelle du meilleur œil après correction est supérieure à 1/50 et inférieure à 3/10. En France est considéré comme aveugle toute personne dont la vision avec compensation ne dépasse pas 1/10 et amblyope celui dont la vision est inférieure à 4/10. Il convient de préciser que d'autres critères que l'acuité jouent un rôle important dans la déficience visuelle. Ce sont par exemple le champ visuel, la sensibilité lumineuse et la sensibilité chromatique. Les amblyopies peuvent être classées en fonction de leur cause. Cette classification soustend également le pronostic de récupération: aléatoire pour l'amblyopie organique et d'autant meilleur que le sujet est jeune et l'amblyopie détectée à son début pour une amblyopie fonctionnelle 1.1 Amblyopie organique La baisse d'acuité visuelle est due à une cause organique. Elle peut être unilatérale ou plus généralement bilatérale.. On peut distinguer: · les amblyopies congénitales en général bilatérales et souvent sévères · les amblyopies acquises souvent métaboliques dues à l’ingestion de substances toxiques (méthanol, traitement prolongé à la quinine ….) ou dans les pays en voie de développement à des malnutritions (manque de vitamine A). Elles peuvent aussi être consécutives à un accident ou une maladie touchant l’un des constituants de l’œil (glaucome, rétinite pigmentaire, DMLA…) 1.2 Amblyopie fonctionnelle ou ex-anopsia Elle est définie comme une baisse d'acuité visuelle, le plus souvent unilatérale, sans lésion apparente qui puisse expliquer cette diminution. C'est le résultat d'une faille dans le développement fonctionnel du système visuel. Cette amblyopie fonctionnelle est considérée comme profonde si l'acuité de l’œil atteint compensé est inférieure ou égale à 1/10, moyenne lorsqu'elle est comprise entre 2 et 5/10 et légère si elle est de l'ordre de 6 à 7/10. On peut différencier deux causes principales: · la plus fréquente est due à un défaut de réfraction o amblyopie anisométropique plus fréquente si les deux yeux sont hypéropes, l’œil le moins hypérope va seul développer sa fonctionnalité. Cette amblyopie est unilatérale. o amblyopie méridionale : un fort astigmatisme n’a pas été détecté et compensé suffisamment tôt. Quand on le compense, on constate que l’acuité obtenue reste faible. Cette amblyopie est en général bilatérale. o amblyopie isométropique : Elle est bilatérale chez des enfants dont une forte amétropie n’a pas été compensée assez tôt. Après compensation l’acuité reste faible mais progresse ensuite régulièrement · le strabisme : dans le cas d’un strabisme unilatéral et constant, l’œil dévié va devenir amblyope. Le problème du strabisme étant vaste et fort complexe, nous ne traiterons ©Paul JEAN 2 à la fin du chapitre que le cas du strabisme accommodatif où le rôle de conseil de l’opticien est important. 2 Compensations pour les malvoyants Dans les malvoyants, il faut distinguer : · les malvoyants jeunes pour lesquels l’opticien fournira l’équipement optique prescrit mais qui sont en général pris en charge par une structure comprenant ophtalmologues, orthoptistes, rééducation fonctionnelle … · les malvoyants âgés dont le nombre est actuellement en augmentation compte tenu du vieillissement de la population. Ces derniers recherchent un moyen pour continuer à pouvoir lire, regarder les photos de leurs petits enfants, voir la télévision. Nous ne traiterons que les cas rencontrés couramment en magasin d’optique. 2.1 Malvoyance due à une altération du sens lumineux On utilise des filtres colorés qui sont généralement incorporés aux verres correcteurs et montés dans des montures de lunettes comportant des coques latérales pour éviter le flux lumineux incident latéral. Citons à titre indicatif les quatre principaux types de filtres utilisés: - UV 400 nm (couleur rose) pour atténuer la diffusion dans le cas de troubles de transparence; - UV 450 nm (couleur jaune orange) améliore la perception des contrastes et neutralise les radiations bleues dans le cas des DMLA; - UV 550 nm (couleur brun rouge) dans le cas des rétinopathies pigmentaires; - UV 650 nm (couleur rouge sombre) pour les achromates présentant une forte photophobie. 2.2 Atteinte de la rétine centrale C'est le cas le plus fréquent et pratiquement celui pour lequel l'opticien s'intéressant à la basse vision pourra proposer des aides efficaces. Cette dégénérescence de la rétine centrale peut se traduire par une diminution de la densité des récepteurs fonctionnels dans la zone maculaire ou par des scotomes centraux (perte totale de fonctionnalité de la macula). Dans ce dernier cas, après une période d'apprentissage, une zone pseudo maculaire peut se développer. Elle se crée en général au voisinage du scotome central dans la région encore active de la rétine qui présente la meilleure acuité. Compte tenu de la variation rapide de l'acuité en fonction de l'excentricité du point de la rétine concerné, l'acuité sera faible. La demande de compensation est plus importante pour la vision de près ou la vision intermédiaire (télévision). En effet la lecture d'un journal nécessite une acuité de 6 à 7/10 alors qu'une personne ayant une acuité de 2/10 conserve une autonomie de déplacement. · Principe de la compensation Le pouvoir de discrimination dépend de la densité des photorécepteurs fonctionnels contenus dans la rétine centrale ou dans la zone pseudo maculaire. Si la densité des éléments sensoriels diminue, la perception des détails va être altérée. Pour maintenir la discrimination, il faut agrandir l'image rétinienne de façon à ce qu'un nombre suffisant d'éléments sensoriels encore fonctionnels soient stimulés. Le moyen le plus simple d'agrandir l'image rétinienne d'un objet est de le rapprocher de l'œil. Pour un sujet jeune ayant un fort pouvoir accommodatif ce rapprochement pourra s'avérer suffisant en VP. Un sujet âgé devra disposer d'une aide visuelle. Dans l'exemple suivant, on a représenté l'image rétinienne d'un mot équivalent au P5 à 40cm sur l'aire maculaire (a). Sa dimension est inférieure à celle de la fovéa. ©Paul JEAN 3 Dans le cas d'une destruction partielle de cette aire maculaire (b), la lecture de ce mot n'est plus possible. L'image rétinienne obtenue à l'aide d'un système optique de grossissement 3 (c) permet de stimuler plus d'éléments fonctionnels (On remarquera que l'image rétinienne aurait eu la même taille en plaçant l'objet à 13,3 cm). · L'opportunité d'une aide visuelle au près: Les tests de lecture pour la vision de près permettent de constater rapidement si une aide visuelle grossissante peut apporter ou non une amélioration de la lecture. Le test de lecture est placé à 25 cm et si le client est âgé on place devant ses yeux une addition de + 4 d. La capacité de lecture est contrôlée en monoculaire. Si le sujet ne reconnaît que des caractères isolés, l'adaptation d'une aide visuelle grossissante n'est pas recommandée. Si le sujet peut lire en enchaînant un texte du test, en comparant la taille des caractères lus avec celle des caractères d'un journal on aura une idée du grossissement qui sera vraisemblablement nécessaire. Il est aussi important de voir si le sujet est motivé. C’est le problème délicat pour l’opticien qui s’intéresse à la basse vision. On ne peut redonner à la personne la vision qu’il avait avant sa maladie et souvent il est déçu par l’augmentation de la vision qu’on peut lui procurer et il renonce (souvent aussi compte tenu du prix de l’équipement). o Les différentes compensations optiques Les aides visuelles disponibles sur le marché ont été mises au point pour répondre à un but bien défini. Il pourra se révéler nécessaire de prescrire plusieurs aides en fonction des besoins du patient. D'une manière schématique, la loupe et les systèmes microscopiques servent pour une lecture rapide et de durée limitée, les systèmes téléloupes et télescopiques pour des lectures prolongées et pour regarder la télévision et les lunettes d'approche pour les activités hors de la maison ou à l'école pour reconnaître des objets éloignés. N’oublions pas que plus nous souhaiterons un grossissement important plus le champ de vision sera réduit ce qui pose de graves problèmes pour la lecture. § Les loupes C'est en général le premier instrument optique que les malvoyants vont utiliser pour améliorer leur vision de près. Leur grossissement utile est relativement faible, compris entre 1,5 et 2,5. Elles ne permettront la lecture que pour des malvoyants ayant une acuité restante supérieure à 0,2. Plusieurs modèles sont disponibles: les loupes à main, les loupes à pont ou sur pied, les loupes à poser et les loupes éclairantes. § Systèmes myopisants Plus la distance d'observation est réduite, plus la taille de l'image rétinienne est grande. Cet effet est utilisé par les forts myopes qui retirent leurs lunettes et regardent de très près quand ils ont besoin d'une acuité importante. En plaçant de fortes additions convexes devant l’œil, le ©Paul JEAN 4 sujet pourra lire à une distance rapprochée. Dans la pratique, ces systèmes se présentent sous forme de verres lenticulaires unifocaux ou sous forme de verres bifocaux. La distance d'observation est inversement proportionnelle à celle du système (pour un grossissement 5, le texte est placé à environ 6 cm de l’œil). Pour les personnes âgées n’ayant plus d’accommodation, le grossissement que l’on peut espérer est faible. § Systèmes télescopiques de Galilée Le système télescopique dits de Galilée est constitué d'un objectif de puissance positive et d'un oculaire de puissance négative. Il fournit une image droite. Ces systèmes sont utilisés en monoculaire. En général, ils peuvent être utilisés pour la vision à distance et pour la vision de près en rapportant une bonnette additionnelle sur l'objectif. Exemples de système télescopique de Galilée Il existe une très grande variété de systèmes sur le marché. Chaque type possède des caractéristiques spécifiques de grossissement, de champ, de distance de travail, de luminosité. § Téléloupes de Kepler Ces systèmes s'apparentent au principe optique de la jumelle de campagne. Ils se composent d'un objectif et d'un oculaire convergent avec, dans l'intervalle optique, un système de prismes redresseurs. Avec ce principe, on peut réaliser des grossissements importants tout en conservant une bonne qualité d'image sur tout le champ et surtout une distance de lecture plus confortable. Par exemple, pour un grossissement de ´5, le texte devra être à 6 cm de l’œil avec un système microscopique, 13 cm avec un système télescopique et 24,5 cm avec une téléloupe. Étant donné l'éloignement de la distance de lecture, il est possible de concevoir des téléloupes binoculaires à fort grossissement. La plupart peuvent être utilisées en vision de loin pour de rapides observations. o Aides électroniques L'autre solution qui s'est considérablement développée en raison des progrès techniques, consiste à utiliser un circuit fermé de télévision pour agrandir le texte que l'on veut lire. Le texte est déplacé sous une caméra à mise au point automatique. L'image se forme sur le téléviseur que le sujet regarde dans les conditions habituelles. Un boîtier électronique permet de régler le grossissement dans une plage importante et pour les plus perfectionnés un traitement de l'image (modification du contraste, de la couleur de fond...). A grossissement identique, le champ est plus important que pour les systèmes optiques. Par contre, ils ne permettent pas d'effectuer des travaux manuels, leur utilisation reste réservée à la lecture et à l'écriture. Il faut de plus un apprentissage pour que le sujet apprenne à déplacer le texte sous la caméra tout en fixant l'écran sur lequel il lit. ©Paul JEAN 5 3 Cas particulier du strabisme convergent accommodatif Nous traitons ce cas car l’opticien, en plus de fournir l’équipement, aura un rôle de conseil auprès de la famille de l’enfant pour renforcer les préconisations de l’ophtalmologue et aussi souvent de l’orthoptiste. 3.1 Type et évolution Le strabisme convergent accommodatif est dû à des troubles de la régulation de la synergie accommodation convergence avec comme facteur déclenchant une hypermétropie variant suivant les cas de 2 à 5 dioptries. Cette ésotropie apparaît souvent vers l’âge de deux ans mais elle peut se produire plus tôt ou un peu plus tard. Parfois elle n’est détectée que vers l’âge scolaire. Il est normal que le début soit assez tardif puisque la fonction accommodative n’est vraiment développée chez l’enfant que vers cet âge de 2, 3 ans. Il existe des facteurs d’accélération : une vision de près sollicitée trop tôt chez l’enfant, une légère anisométropie ou une acuité relativement faible pouvant être due à un astigmatisme se superposant à l’hypermétropie. Au départ, ce strabisme n’existe qu’en vision de près ce qui explique qu’il est, dans de nombreux cas, détecté avec retard. Ces strabismes sont très souvent monoculaires et une amblyopie relative de l'œil dévié est un fait banal dès que la déviation existe à l’état plus ou moins constant. 3.2 Principe du traitement Le traitement va dépendre du stade d’évolution. Si la déviation est détectée à son tout premier stade alors qu’elle n’est pas permanente, l’élimination du facteur accommodatif par port de la compensation amène la guérison. Si on ne détecte le strabisme que lorsqu’il s’installe de façon permanente, en plus du port de la compensation, il sera nécessaire de lutter contre le début de suppression par un traitement orthoptique. Si les parents ont attendu trop longtemps avant de consulter, le port des lunettes sera toujours prescrit mais il faudra lutter contre l’amblyopie de l'œil dévié qui s’est installée. Un traitement orthoptique sera toujours nécessaire pour consolider la vision binoculaire si elle est retrouvée. Parfois un traitement chirurgical sera nécessaire. 3.3 Compensations optiques Les sujets étant jeunes et leur amplitude d’accommodation très grande, la mesure de la réfraction sera faite sous cyclopégique par l’ophtalmologiste. La majorité des auteurs sont maintenant pour une compensation égale à la correction totale pour l’hypéropie aussi bien que pour l’astigmatisme s’il existe. Pour une anisométropie c’est plus difficile et chaque cas est particulier. Mais dans tous les cas, les lunettes prescrites doivent être portées constamment. Une compensation pour la vision de près peut être prescrite suivant le cas considéré. 3.4 Traitements optiques · L’occlusion totale Si la déviation n’a pas été repérée suffisamment tôt, l’amblyopie de l'œil dévié a déjà pu s’établir. Il faut donc lutter contre cette suppression en obligeant cet œil à « travailler ». Le meilleur moyen reste l’occlusion totale de l'œil directeur. Cette occlusion ne doit être interrompue sous aucun prétexte pendant la durée prescrite. Elle est en général réalisée avec un pansement occlusif et est souvent mal supportée au début par l’enfant puisqu’il ne dispose plus que de son « mauvais œil ». Il est donc indispensable de s’assurer de la collaboration des parents afin qu’ils ne tolèrent aucun retrait des lunettes et de l’occlusion. La durée de cette occlusion ©Paul JEAN 6 totale est variable et dépend beaucoup de l’avancement de l’amblyopie. La surveillance par l’ophtalmologiste permet de déterminer le temps optimal. · Occlusion partielle Elle peut être intermittente. Dans ce cas, on bouche un œil totalement mais pendant quelques heures par jour. Elle est souvent prescrite lorsque la vision de l'œil strabique est suffisamment améliorée. o Elle peut être continue mais partielle. o L’ophtalmologiste peut prescrire un Ryser, film plastique dépoli plus ou moins opaque que l’on colle sur le verre. Il réduit l’acuité de l'œil devant lequel il est placé d’une quantité déterminée. Il est placé devant le meilleur œil pour diminuer son acuité lorsque l'œil dévié a déjà bien récupéré après une occlusion totale. Les deux yeux ont avec ce dispositif des acuités de même niveau. o L’autre grande méthode consiste en la prescription de secteurs. Elle semble moins utilisée maintenant. Ces secteurs opaques obligent les deux yeux à travailler chacun dans une direction du regard. Par exemple avec des secteurs nasaux, l'œil droit verra à droite et l'œil gauche à gauche. Leur emploi ne peut se faire que si l’amblyopie a presque disparu sinon l’enfant tournera la tête. C'est d'ailleurs un moyen simple pour les parents de pouvoir suivre la vision de leur enfant. Il faut les prévenir que dès qu'ils constateront que leur enfant tourne la tête pour voir du côté de l'œil qui a été amblyope, il faut vite retourner consulter l'ophtalmologiste car l'amblyopie se réinstalle. La forme des secteurs peut varier suivant la pénalisation recherchée du bon œil. Suivant l'âge et le type de problème, l'ophtalmologue prescrira les différents types de pénalisations en général après une occlusion totale. Ces pénalisations nécessitent une surveillance rigoureuse et sont en général accompagnées par un traitement orthoptique. 3.5 Le traitement orthoptique Il est un complément aux autres traitements. Il vise à consolider la vision binoculaire et la fusion en augmentant l’élasticité du réflexe accommodation convergence et en traitant les troubles sensoriels s’il y a lieu. Le traitement se fait souvent d’abord au synoptophore, il est complété par des exercices qui peuvent être faits à la maison. Comme tout traitement orthoptique, il nécessite une bonne coopération de l’enfant et de sa famille. ©Paul JEAN