Frédérique Leichter-Flack, Le laboratoire des cas de

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EXTRAITS DE PRESSE
Frédérique Leichter-Flack, Le laboratoire des cas de
conscience
Presse écrite
Le JDD, 12 mai 2013
Frédérique Leichter-Flack : « Un écrivain a le droit de tout explorer »
La chercheuse de 39 ans vient de recevoir le prix Émile Perreau-Saussine. La littérature aide
à répondre à la question : qu'est-il juste de faire ?
Itv de Marie-Laure Delorme
Le Point, 4 avril 2013
Le prix de l'intelligence
Chaque année, en mémoire d'un jeune professeur de philosophie politique prématurément
disparu, le prix Emile-Perreau-Saussine honore le travail d'un chercheur en sciences
humaines de moins de 40 ans. Cette année, Frédérique Leichter-Flack remporte ce « prix de
l'intelligence » face à Jean-Baptiste Jeangène Vilmer (« La guerre au nom de l'humanité. Tuer
ou laisser mourir », PUF).
La lauréate 2013 sera couronnée le 17 avril à 18 heures à la mairie du Ier arrondissement de
Paris. Il faut lire son «Laboratoire des cas de conscience » (Alma), qui puise dans la littérature,
de Melville à Camus, de Gogol à Kafka, tous les outils pour penser la complexité de notre
monde, de la justice sociale à la bioéthique, du droit humanitaire à l'éthique militaire •
Christophe Ono-dit-Biot
Esprit, décembre 2012
Tout se passe comme si le monde littéraire apportait, comme il l'a déjà fait dans son
histoire, un crédit particulier au savoir charrié par la fiction. Et la philosophie n'est pas en
reste : Frédérique Leichter-Flack a publié un Laboratoire des cas de conscience dans lequel elle
propose la médiation de fictions littéraires comme outil opératoire sur les questions
d'éthique. Grâce à Bartleby, à la Colonie pénitentiaire, à des exemples tirés des œuvres de
Dostoïevski, Hugo ou Camus, elle travaille des questions de morale touchant aussi bien à
des domaines de droit international qu'à celui de la justice. Ce faisant, Frédérique LeichterFlack s'inscrit dans la droite ligne des travaux de Martha Nussbaum : dès son prologue, elle
se réfère à l'imagination narrative qui, selon l'expression de la philosophe américaine
qu'elle reprend à son compte, fait « de l'enseignement des humanités un irremplaçable
moyen de former des citoyens actifs et engagés dans les affaires publiques ».
Cette approche conjointe par l'évolution de l'art lui-même, par les concepts mis en œuvre
par la philosophie récente et les sciences cognitives incline à penser que les émotions
esthétiques proposent une ouverture sur le monde nécessaire à l'éducation d'un citoyen.
Carole Desbarats
Madame Figaro, 27 juillet 2012
UNE PLAGE PHILO. Cette jeune philosophe part du principe que tout ce qui touche à
l'éthique a été traité en littérature. Elle revisite alors les grands textes littéraires, de Hugo à
Dostoïevski, pour répondre à d'importantes questions sociétales. C'est un hommage à la
littérature doublée d'une édifiante réflexion.
Bernard Babkine, Olivia Mauriac, Isabelle Potel, et Minh Iran Muy
Bibliobs-Nouvel Obs, 17 juillet 2012
Bons tuyaux #5 - Onfray s'éprend de Mme Socrate
La philosophie occidentale se goinfre de concepts, d'idées, de néologismes au point que les
penseurs institutionnels subversifs se retrouvent avec les penseurs institutionnels tout court
pour définir la philosophie comme l'art de créer des concepts. Or, il existe une autre
tradition, celle de la philosophie existentielle descendant en droite ligne de la philosophie
antique : elle invite moins à penser, conceptualiser, théoriser, discuter, qu'à mener une vie
philosophique. Et puis, en marge, il existe une façon de faire, plutôt dominante chez les
Anglo-Saxons, qui part d'un cas très concret pour mener une réflexion étourdissante à
l'issue de laquelle il ne subsiste plus aucune certitude, sinon celle qu'on a vraiment pensée.
Je songe aux travaux intéressants de Stéphane Ferret ou de Ruwen Ogien. C'est dans cette
lignée que Frédérique Leichter-Flack inscrit sa réflexion.
Dans « le Laboratoire des cas de conscience », elle utilise le roman pour, excusez du peu,
penser la justice, le jugement, la condamnation, l'innocence, la responsabilité, la culpabilité,
la valeur d'une vie, le fait de mourir pour des idées, la prise d'otages, la question du sacrifice
ou du martyre, la non-ingérence, etc. Pour mobiliser une casuistique, elle convoque Hugo
et Dostoïevski, Kafka et Camus, Melville et Gogol, mais aussi, autres grands romans, le
Talmud et la Bible... Elle recourt également au fait divers : un chanteur célèbre qui frappe
sa compagne et la tue, des jeunes filles qui mettent le feu à une boîte aux lettres pour se
venger d'une ancienne copine et qui embrasent l'immeuble, un adolescent boxeur qui
frappe une jeune fille qui harcelait sa jeune sœur et la tue, etc.
L'analyse est simple, claire, mais profonde. La construction de la démonstration s'inspire
plus de la nouvelle ou du roman policier que de la dialectique classique ou de la
phénoménologie allemande. Le livre refermé, on a l'impression d'avoir assisté à un discours
de Socrate sur l'agora. L'auteur inquiète, fait sourire, conduit son lecteur, sans en avoir
l'air, là où elle veut – et l'on se dit que la philosophie française gagnerait à creuser ce sillon
prometteur.
Michel Onfray
Le Nouvel Observateur, 28 juin 2012
Michel Onfray s’éprend de Mme Socrate
La philosophie occidentale se goinfre de concepts, d’idées, de néologismes au point que les
penseurs institutionnels subversifs se retrouvent avec les penseurs institutionnels tout court
pour définir la philosophie comme l’art de créer des concepts. Or, il existe une autre
tradition, celle de la philosophie existentielle descendant en droite ligne de la philosophie
antique : elle invite moins à penser, conceptualiser, théoriser, discuter, qu’à mener une vie
philosophique. Et puis, en marge, il existe une façon de faire, plutôt dominante chez les
Anglo-Saxons, qui part d’un cas très concret pour mener une réflexion étourdissante à
l’issue de laquelle il ne subsiste plus aucune certitude, sinon celle qu’on a vraiment pensée.
Je songe aux travaux intéressants de Stéphane Ferret ou de Ruwen Ogien. C’est dans cette
lignée que Frédérique Leichter-Flack inscrit sa réflexion. Dans « le Laboratoire des cas de
conscience », elle utilise le roman pour, excusez du peu, penser la justice, le jugement, la
condamnation, l'innocence, la responsabilité, la culpabilité, la valeur d’une vie, le fait de
mourir pour des idées, la prise d’otages, la question du sacrifice ou du martyre, la noningérence, etc. Pour mobiliser une casuistique, elle convoque Hugo et Dostoïevski, Kafka et
Camus, Melville et Gogol, mais aussi, autres grands romans, le Talmud et la Bible…Elle
recourt également au fait divers : un chanteur célèbre qui frappe sa compagne et la tue, des
jeunes filles qui mettent le feu à une boîte aux lettres pour se venger d’une ancienne copine
et qui embrasent l’immeuble, un adolescent boxeur qui frappe une jeune fille qui harcelait
sa jeune sœur et la tue, etc. L’analyse est simple, claire, mais profonde. La construction de
la démonstration s’inspire plus de la nouvelle ou du roman policier que de la dialectique
classique ou de la phénoménologie allemande. Le livre refermé, on a l’impression d’avoir
assisté à un discours de Socrate sur l’agora. L’auteur inquiète, fait sourire, conduit son
lecteur, sans en avoir l’air, là où elle veut – et l’on se dit que la philosophie française
gagnerait à creuser ce sillon prometteur.
Michel Onfray
Le Huffington post, 13 juin 2012
Qu’est-il juste de faire ?
S'il vous arrive de vous interroger sur des sujets aussi actuels que la responsabilité d'un
employeur dans le suicide d'un salarié, la peine qui devrait être infligée à l'auteur d'un coup
ayant eu des conséquences désastreuses, le fait de savoir à qui appartient l'enfant qu'une
mère porteuse refuse de remettre au couple géniteur ou encore sur la légitimité de la torture
dans le contexte du terrorisme, le dilemme de la prise d'otages pour un état démocratique,
s'il est juste de mourir pour ses idées, ou plus personnellement, sur votre propension, votre
passivité ou vos limites à aider un prochain en détresse ou en fin de vie, vous devez lire de
toute urgence Le Laboratoire des cas de conscience de Frédérique Leichter- Flack.
Non, il ne s'agit pas d'un pavé universitaire difficile à consommer. C'est même exactement
le contraire. Pour répondre à la question parfois lancinante "qu'est-il juste de faire ?" quand
il faut juger, choisir, décider d'intervenir ou pas, Frédérique Leichter-Flack part d'une
situation réelle illustrée par un fait divers ou un événement récent ou pose un problème de
société comme celui de la solidarité ou de la désobéissance civile ou militaire. Puis, et c'est
ce qui fait le sel de l'affaire, elle puise dans une grande œuvre de fiction littéraire des outils
pour y réfléchir. "La fiction littéraire" écrit-elle "porte en elle une formidable réserve de
sens que le raisonnement théorique ne peut combler. Elle apprend à faire avec l'émotion, à
ne pas croire qu'en matière de justice les idées peuvent suffire. Elle empêche d'en rester à
des réponses trop tranchées, oblige sans cesse à déplacer le regard, invite l'inquiétude et le
doute à la table du décideur." Bref, tout ce qu'on aime…
Mais si la littérature a tous les pouvoirs, l'auteur ne met pas toutes les fictions sur le même
plan.
Si elle a choisi Kafka, Gogol, Camus, Melville, Dostoïevski ou Hugo, sans oublier la Bible,
c'est pour desserrer l'emprise du mal en "scrutant l'interface en perpétuel mouvement du
juste et de l'injuste" alors que d'autres œuvres, comme Le choix de Sophie de William
Styron ne sont, à ses yeux, que fascination sidérante pour le mal. Mais c'est aussi la lecture
qu'elle en fait, en perpétuel mouvement cette fois entre la fiction et la réalité d'aujourd'hui
qui fait surgir des arguments auxquels on n'avait pas pensé, outre qu'elle donne envie de
lire les textes qu'on ne connaît pas ou de relire d'un autre œil ceux qu'on a déjà lus.
Billy Budd d'Herman Melville, La Métamorphose, La Colonie pénitentiaire et Le Château de
Kafka, Le Manteau de Nicolas Gogol ou Les Misérables de Victor Hugo, Le Prisonnier de
l'israélien Yizhar, L'Hôte de Camus en passant par l'Antigone de Sophocle, le Talmud et
dans la Bible, le jugement de Salomon ou la parabole du bon Samaritain, mettent en récit
une série d'inquiétudes et d'incertitudes au cœur de nos débats de société. Sans dire où est le
bien et le mal, la littérature est un laboratoire des cas de conscience quand elle propose des
dilemmes de fiction. Encore faut-il, et c'est là que l'auteur intervient "en comprendre la
signification, en démêler les différents fils, en apprivoiser le tragique afin d'être capable de
repérer dans les rencontres de l'existence, ce qui demande intervention, exige un choix ou
engage une responsabilité". Frédérique Leichter-Flack y excelle et nous rend plus
intelligent, ce dont il serait dommage de vous priver.
Caroline Eliacheff
Etudes, mai 2012
La littérature offre au moraliste nombre de cas de conscience suggestifs et peut constituer
ainsi un véritable laboratoire de réflexion et de pondération où un jugement moral trouve
exemples et situations originales. Ces références littéraires bien choisies rejoignent d'ailleurs
étonnamment nombre de problèmes que nous nous posons aujourd'hui et parmi les plus
graves : limites de la solidarité avec la souffrance, justification de l'obéissance aux ordres de
la part d'un exécutant, ingérence ou protection des populations, torture et valeur d'une vie,
ampleur de la responsabilité. Ce livre présente de tels cas trouvés aussi bien dans la Bible
(jugement de Salomon ou le Samaritain) que chez Dostoïevski, Hugo, Gogol, Camus ou
Melville. Repris et actualisés, ces cas offrent donc un bon appui pour la réflexion. On reste
malgré tout frappé, soit par un certain flou concernant les positions suggérées, soit par des
jugements étranges, comme celui qui accuse la malheureuse Antigone de « fanatisme
mortifère ». Mais l'appui sur la littérature, souvent trop négligée par les moralistes, les
philosophes et les théologiens, est un rappel opportun en faveur d'une source de sagesse
tout à fait féconde et pertinente.
Paul Valadier
Pages des Libraires, « Entretien avec Mona Ozouf », mai 2012
« P. : Est-ce l'enseignement, paradoxal, des livres, qui explique qu'aujourd'hui de plus en
plus, la philosophie se tourne, ou plutôt tourne ses appareillages conceptuels, vers la
littérature ?
M. O. : On observe en effet un retour vers la littérature et le récent ouvrage Le Laboratoire
des cas de conscience de Frédérique Leichter-Flack est à cet égard extrêmement intéressant.
C'est qu'il y a de l'indécidable dans la littérature, ou plutôt la littérature nous met face à
l'indécidable. Les grands livres sont peut-être ceux qui approfondissent le secret et le
mystère sans jamais les éclaircir, et c'est à mon avis, la grande différence entre le livre
d'histoire et le roman. L'historien peut très bien aussi partir d'une énigme, mais il va
chercher à la réduire. Son effort est la réduction de la part d'ombre, tandis que le romancier
tourne autour de l'énigme et, quand bien même il lui trouve des solutions, il peut aussi
compliquer encore un peu plus le problème. »
Les Inrockuptibles, 18 avril 2012
Généalogie de la morale
Autant que dans les traités d'éthique, les grandes questions morales traversent l’histoire
littéraire, analyse la philosophe Frédérique Leichter-Flack, qui fait du roman un laboratoire
de nos dilemmes réels.
Cadrant les enjeux et les termes des dilemmes qui se posent dans chaque situation de nos
vies hésitantes, la philosophie morale impose sans cesse sa grammaire sans qu'on en maîtrise
forcément les règles. À défaut d’aider à la prise de décision univoque, elle éclaire parfois le
sens de nos actes. Depuis Aristote ou Kant, ses principes nous poursuivent jusque dans nos
choix les plus délicats. Qu’est-il juste de faire – en situation ?
Cette question clé, éternellement revisitée par des générations de penseurs, traverse la
réflexion roborative de Frédérique Leichter-Flack dans son premier essai, Le Laboratoire des
cas de conscience.
En empruntant la voie de la littérature sur la route de ses diagnostics éthiques, elle
considère que « le détour par la fiction est, en réalité, un formidable raccourci ». Partant de ce
constat, partagé par beaucoup, selon lequel la fiction porte en elle « une formidable réserve
de sens que le raisonnement théorique ne peut combler », Frédérique Leichter-Flack mobilise
les ressources de l’histoire littéraire, afin de mieux saisir, à leur aune, certaines des grandes
questions éthiques de notre époque. A-t-on le droit de sacrifier une vie pour en sauver
cent ? Jusqu’où doit-on donner de soi pour aider quelqu'un qui ne nous est rien ? Certaines
vies sont-elles plus précieuses que d'autres ?...
Ces « dilemmes du réel » trouvent des échos saisissants dans les grandes œuvres de fiction
qui, comme le soulignait la philosophe Martha Nussbaum, forment une « école de la
réflexion morale ».
De Sophocle à Camus, de Melville à Gogol, de Dostoïevski à Kafka, des enjeux de justice
sociale aux nouveaux modèles familiaux et sociétaux, de la bioéthique aux relations
internationales, Frédérique Leichter-Flack se prête à ce jeu d allers-retours entre les traces
des romans et les fêlures du monde contemporain.
Plus qu'un effet miroir, elle perçoit dans sa circulation des affinités entre les aspirations
éthiques contemporaines et leur traduction prophétique par des écrivains dont l’imaginaire
porte une vision acérée du tragique. « Refuge de la complexité du monde, la littérature est le
lieu des questions ouvertes qui résistent à toutes les réponses provisoires que chaque époque
formule pour elle-même », avance l’auteur. Kafka, à travers sa nouvelle "Dans la colonie
pénitentiaire", éclaire le mystère de l’inertie des spectateurs complices du mal, assistant au
désastre, restant à leur place. Melville, lui, nous aide avec son Bartleby à analyser les enjeux
de l'impasse de la pitié : que faire de ces indésirables que la folie même rend indéfendables,
de ces inadaptés que leur détresse même condamne au rebut ?
Multipliant ainsi l’étude des cas de conscience – mauvaise ou malheureuse – qui traversent
l'histoire de la littérature, Frédérique Leichter-Flack fait de la matière romanesque le lieu
fondateur de l’évaluation de nos normes morales éternellement imparfaites.
Jean-Marie Durand
La Quinzaine littéraire, 15 mars 2012
Peu de gens représentent, en France, le courant Droit et Littérature si répandu aux ÉtatsUnis sous le signe LL (pour Law and Literature). Le livre de Frédérique Leichter-Flack est
pourtant, en français, l'une des plus subtiles contributions à ce champ de réflexion pour
lequel des situations ou des cas évoqués par la littérature permettent d'éclairer, sans
nécessairement les trancher, certains problèmes posés à la théorie de la justice.
Le « laboratoire des cas de conscience », c'est donc la littérature comprise comme le lieu où
se déploient des conflits, des dilemmes intérieurs, des alternatives difficiles, voire
impossibles.
Les lire, les analyser, les comprendre, c'est pouvoir avancer dans le traitement de questions
épineuses où la morale vient rencontrer la justice. Comment aider jusqu'au bout quelqu'un
qui ne nous est rien et qui, en outre, ne veut pas de notre aide, comme le Bartleby chez
Melville ?
Qui est responsable de la mort d'Akaki Akakiévitch, le personnage du Manteau de Gogol ?
Il n'y a pas de réponse définitive à ces questions mais c'est la capacité de la littérature à
prendre en charge la part émotive et imaginative des situations et des êtres qui nous permet
avec elle d'envisager une justice qui soit la plus juste possible. Ainsi, dans la lignée des
travaux de Michael Sandel et de Martha Nussbaum, Frédérique Leichter-Flack fait de la
littérature une « école de la réflexion morale ». « A-t-on le droit de sacrifier une vie pour en
sauver cent ? Est-on vraiment coupable quand on a cédé à la provocation ? Jusqu'où doit-on
donner de soi pour aider quelqu'un qui ne nous est rien ? Qui doit vivre quand tout le
monde ne peut pas vivre ? » : ces questions sont celles qui sont soulevées par le livre, nouant
étroitement l'éthique, le politique et le juridique. Chaque chapitre part d'une situation
repérée ou vécue récemment dans la vie collective et trouve résonance ou matière à
réflexion dans un épisode de la littérature. Billy Budd illustre le problème de la culpabilité
d'un homme qui en tue un autre sans avoir eu la volonté de le tuer. Quelle part peut-on
accorder aux circonstances atténuantes dans un tel crime ?
La nouvelle de Melville innocente Billy mais, en le faisant, elle ouvre un espace trouble,
intermédiaire, qui n'est ni celui de la condamnation d'un innocent ni celui de
l'innocentement d'un coupable. Un autre exemple parmi les très nombreux cas
passionnants présentés dans le livre : dans le cas où l'on sait qu'une bombe a été posée dans
un lieu public et qu'on vient d'arrêter un homme qui sait où elle se trouve, est-il permis
d'employer tous les moyens à disposition – y compris la torture – pour le faire parler et
sauver ainsi des centaines de vies ? Quelle relation entretenons-nous avec l'exception ? Le
fameux argument de Raskolnikov, dans Crime et Châtiment, « une mort contre cent vies »,
est d'autant plus problématique qu'il s'applique au détriment d'une innocente. Mais
l'argumentation qu'il donne nous permet a contrario de comprendre que certains
problèmes éthiques, sans trouver nécessairement de résolution, nous obligent à réfléchir à la
caution morale que nous accordons ou non à la justice. Une grande part de notre
responsabilité citoyenne y est engagée. Comme l'écrit Frédérique Leichter-Flack : « la
réflexion éthique – dès lors qu'elle revendique son application possible aux défis toujours
émergents de la réalité en progrès – a besoin des exercices de simulation. Elle ne peut se
passer du recours à la fiction, non seulement pour anticiper des situations inédites, mais
aussi pour vérifier que l'écart entre ce qui se décide entre experts sur la base de grands
principes et les perceptions qu'en a le grand public ne se creuse pas trop, et s'assurer ainsi
que l'éthique et le sentiment de la justice coïncident encore ».
Les dilemmes intérieurs, les cas de conscience sont justement tels de ne pouvoir être
entièrement réglés ou dépassés. Mais ces fictions permettent de maintenir le débat vivant.
Ce qui n'est pas rien puisqu'il s'agit ni plus ni moins de desserrer l'emprise du mal. « Et si
elles peuvent transmettre aussi, chemin faisant, malaise, vertige ou inquiétude, ce sont
encore des moyens de traquer l'injustice partout où elle cherche à se réfugier. »
Bonne connaisseuse du Talmud à qui elle emprunte l'analyse de certains exemples, l'auteure
de ce livre, écrit de façon extrêmement fluide et qui se lit avec un intérêt qui ne faiblit
jamais, offre une contribution importante à la réflexion sur la puissance possible de la
littérature dans le domaine du droit, en faisant avancer sur le chemin du sentiment, de
l'émotion et de la compassion – en ce sens, elle se rapproche aussi de l'éthique du Care,
américaine elle aussi et introduite en France par Sandra Laugier et Patricia Paperman. C'est
justement parce qu'elle ne produit pas de jugement définitif ou tout fait que la littérature
est une école de la nuance.
L'important est moins de résoudre les dilemmes, surtout lorsqu'ils sont de fiction, « que
d'en comprendre la signification, d'en démêler les différents fils, d'en apprivoiser le
tragique – afin d'être capable de repérer, dans les rencontres de l'existence, ce qui demande
intervention, exige un choix ou engage une responsabilité ».
Tiphaine Samoyault
Le Monde des livres, 9 mars 2012
L'argument dit de « la bombe à retardement » (justifiant le recours à la torture par une
menace terroriste), celui de la provocation (par lequel on excuse une agression par une
offense préalable valant circonstances atténuantes) ou encore l'existence de protocoles de
priorisation (au nom desquels certaines vies sont plus précieuses que d'autres - le personnel
de sante par exemple, en raison de son utilité sociale évidente). II y a la autant de cas d'école
que Frédérique Leichter-Flack choisit d'explorer, s’inspirant de la philosophe américaine
Martha Nussbaum.
Car la fiction offre des modèles de « raisonnement moral ancrés dans un contexte spécifique,
mais pertinent au-delà de lui » le révolutionnaire Gauvain exécutera-t-il le chef des Vendéens
qui a sauvé des flammes les trois enfants que son armée retenait en otage, au risque d'être
fait prisonnier ? Quatre vingt treize, de Victor Hugo (1874), confère une force émotionnelle
à la question de savoir combien vaut une vie. Ce débat, Les Justes, de Camus (1949), II faut
sauver le soldat Ryan, de Spielberg (1998), le répercutent en un dialogue captivant. Et Primo
Levi le clôt in fine, considérant que se la poser laisse entendre, dans le cas de
l'extermination, que les disparus ne méritaient pas de vivre.
J.-L.J.
Libération, 16 février 2012
Quand l'homme n'a pas le choix, il n'a pas de liberté. Mais lorsqu'il a le choix, il se sent
crucifié, car il sait que ce pour quoi il opte tuera dans l'œuf toutes les autres possibilités, qui
jamais ne s'actualiseront. Le fardeau est encore plus lourd lorsque les cornes de l'alternative
s'équivalent, et que la nécessité de trancher sacrifie les valeurs auxquelles on tient le plus.
Voilà le « cas de conscience ». Celui-ci est douloureux, parce qu'il fait éprouver la difficulté
et l'inéluctabilité de la question : « Qu'est-il juste de faire ? »
Les théoriciens de la morale la complexifient à loisir, en inventant des casse-tête, du genre :
« Cinq personnes sont sur une barque qui coulerait si elle n'était délestée ; qui doit-on jeter
à l'eau ? » Excitantes pour l'esprit, ces fictions théoriques s'éloignent cependant de la vie
réelle, dans laquelle le cas de conscience est toujours « en situation », lié à l'histoire d'une
personne, à ses penchants, ses affects, ses peurs, ses scrupules…
« Imagination ». Mais, entre la généralité que cherche la théorie et le particularisme auquel
se borne une vie quelconque, il y a… la littérature, dont les « héros » portent un sens qui va
au-delà d'eux-mêmes, et dont les « questions ouvertes » résistent « à toutes les réponses
provisoires que chaque époque, chaque société formule pour elle-même ».
C'est donc à la littérature qu'en appelle Frédérique Leichter Flack pour explorer le
Laboratoire des cas de conscience, car, à ses yeux, comme à ceux de la philosophe américaine
Martha Nussbaum dont elle s'inspire, l' « imagination narrative » est une véritable « école de
la réflexion morale ». Aussi établit-elle un « jeu d'allers-retours » entre les problèmes éthiques,
politiques ou juridiques du monde contemporain et des pages de la Bible ou du Talmud, de
Sophocle, Kafka, Hugo, Camus, Gogol, Melville ou Dostoïevski, lesquelles, à propos
d'épineux cas de conscience, obligent à « déplacer le regard », en « invitant l'inquiétude et le
doute à la table du décideur ». Le résultat est saisissant.
À propos de la solidarité est-ce un devoir ? Relève-t-elle de la seule fraternité humaine ou
doit-elle être « imposée », institutionnalisée, etc. est par exemple citée la parabole du bon
Samaritain.
L’aide que celui-ci prodigue à l'homme attaqué par des bandits, laissé moribond sur une
route, y reçoit une valeur d'exemplarité (« Va, et fais comme lui »), mais n'est pas dite devoir
relever d'une obligation, car on ne doit rien (vraiment ?) à ceux auxquels on n'a pas nui. Les
deux voyageurs qui sont passés à côté du blessé sans rien faire, sont ils dès lors moralement
coupables (aujourd'hui, ils seraient passibles d'une sanction pénale pour non-assistance à
personne en danger) ? Mais Leichter-Flack complique les choses en se référant à la nouvelle
de Melville, Bartleby le scribe. Qu'est-il juste que fasse cet avocat pour son employé
Bartleby, un « blessé de la vie », sans famille, ni amis ni domicile, une « épave au milieu de
l'Atlantique », qui, à toute consigne de travail oppose un « I would prefer not to », qui
n'accepte aucune assistance et qui se laisse mourir en prison, laissant dans la conscience de
son patron, prêt à tout pour le secourir, le poison de la culpabilité ? Est-ce « bien » d'aider
un prochain qui ne peut ni ne veut être aidé ?
Ame humaine. Le suicide consécutif à un harcèlement professionnel, la responsabilité d'un
mal provoqué inintentionnellement, la prise d'otage, l' « appartenance » juridique et morale
d'un enfant conçu par FIV pour un couple stérile et finalement revendiqué par la mère
porteuse, le droit de non-ingérence, l’« humanité » d'un homme dans le coma depuis vingt
ans… Sur toutes ces questions et d'autres, Frédérique Leichter-Flack décrit la « position »
prise par la justice ou certaines théories morales, puis ajoute les « variations » littéraires, qui
laissent voir l'extrême difficulté à « faire le bien », même avec de bonnes intentions. C'est
que la littérature ne prescrit rien, ne dit pas où sont le bien et le mal, ne garantit pas la
victoire quand elle tente de « desserrer Tétau du mal », et, surtout, sait les mille chemins,
tortueux, retors, ambigus, vertigineux, qui parcourent l'âme humaine et la font avancer à
tâtons sur les frontières troubles du juste et de l'injuste. « Qui, dans l'arc-en-ciel, peut
marquer l'endroit où finit le violet et où commence l'orange ? » écrivait Melville. Et
Frédérique Leichter-Flack de conclure : « C'est un tel nuancier, fait d'empathie et
d'attention, de sensibilité et d'imagination, que la lecture des grandes œuvres offre à la
conduite des affaires humaines [...]A chacun d'affronter ensuite les dilemmes du réel. »
Robert Maggiori
La vie des idées, 9 février 2012
L’ouvrage de Frédérique Leichter-Flack, Le Laboratoire des cas de conscience, s’ouvre sur
un cas examiné dans le Talmud de Babylone. Deux hommes marchent dans le désert, dont
un seul a une gourde. S’il garde toute l’eau pour lui, il aura assez de forces pour rejoindre
un lieu habité, mais son compagnon mourra ; s’il partage l’eau, les deux mourront. Sur la
conduite à tenir, les avis des rabbins divergent. Quant aux raisons de cette divergence, il est
permis de s’interroger : tient-elle à une différence dans la hiérarchie des principes éthiques,
ou à une différence dans la manière qu’a chacun de se représenter concrètement la scène, à
partir des très maigres éléments fournis ? Car, comme le relève F. Leichter-Flack, pour
émettre un avis sensé sur un pareil dilemme « il manque l’essentiel, c’est-à-dire les détails.
[…] Comment peut-on décider de ce qu’il est juste de faire quand il nous manque autant
d’informations pour asseoir notre arbitrage ? » (p. 11). Il en va souvent ainsi des cas de
conscience examinés par les traditions, ici talmudique, ailleurs philosophique : on ne peut
s’empêcher de penser que notre indécision, face aux situations qu’elles nous proposent,
tient d’abord à leur caractère artificiel, squelettique, « sous-déterminé ». Dans la réalité, tant
d’autres éléments interviendraient, dont certains feraient pencher la balance dans un sens
ou dans un autre.
Les dilemmes éthiques ne sont pas, pour autant, une pure invention de maîtres de sagesse,
de philosophes, de dialecticiens. Lorsque le réel nous confronte à de tels dilemmes, où
trouver les ressources propres à éclairer notre jugement ? Selon Simone Weil, adopter la
position juste ne résulte pas de l’application de principes, aussi raffinés et sophistiqués
soient-ils, mais de l’attention portée à une situation. « D’une manière générale, les erreurs
les plus graves, celles qui faussent toute la pensée, qui perdent l’âme, qui la mettent hors du
vrai et du bien, sont indiscernables. Car elles ont pour cause le fait que certaines choses
échappent à l’attention [1] ». Voilà pourquoi les réflexions éthiques théoriques, aveugles
qu’elles sont à la matière même du réel, se révèlent, en pratique, d’un maigre secours. D’un
autre côté, il ne suffit pas d’ouvrir les yeux pour voir : pour pénétrer véritablement une
situation il est utile, voire indispensable, de pouvoir la comparer à d’autres. Or notre
expérience concrète est limitée : il est donc bon qu’elle se double d’une expérience
fictionnelle. Non seulement cette dernière est à même d’aiguiser nos facultés d’attention,
mais encore, en s’offrant à la réflexion commune, elle permet la confrontation des points de
vue et l’élaboration d’une sagesse partagée. D’où, entre l’abstraction de la théorie et l’idiotie
des faits, la place éminente de la littérature. Pour F. Leichter-Flack, la littérature contribue
« à l’élaboration d’un modèle de raisonnement moral ancré dans un contexte spécifique,
mais pertinent au-delà de lui » (p. 13-14). La fiction littéraire, ajoute-t-elle, « porte en elle
une formidable réserve de sens que le raisonnement théorique ne peut combler. Elle
apprend à faire avec l’émotion, à ne pas croire qu’en matière de justice les idées peuvent
suffire » (p. 15). « Refuge de la complexité du monde, la littérature est le lieu des questions
ouvertes qui résistent à toutes les réponses provisoires que chaque époque, chaque société
formule pour elle-même. » À ce titre, l’essai de F. Leichter-Flack se présente, dans les
termes mêmes de l’auteur, « comme une nouvelle tentative de remettre les ressources de la
littérature à la disposition du temps présent » (p. 16). La démarche adoptée consiste à partir
de questions, situations ou faits divers de l’actualité
récente, et à se référer à une ou plusieurs œuvres littéraires — nouvelles ou romans — à
même d’en éclairer les enjeux. En un sens, l’actualité vient raviver l’intérêt porté à la
littérature et, en sens inverse, la littérature est à même d’améliorer notre intelligence du
présent. L’ouvrage n’a rien de systématique : pas de champ de réflexion clairement délimité
au départ, pas d’œuvre étudiée pour elle-même et dans la multiplicité de ses aspects, mais un
va-et-vient entre interrogations contemporaines et lectures de fictions romanesques. Une
telle démarche a ses qualités, elle a aussi ses limites. On peut cependant estimer que les
limites sont ici accordées au propos : en n’examinant pas « à fond » une question ou une
œuvre, en se contentant d’entrer dans une œuvre par une question, et de jeter en retour une
certaine lumière sur cette question par l’œuvre considérée, l’essai de F. Leichter-Flack ne
cesse de solliciter son lecteur, de l’inciter à relire les romans évoqués, de le faire penser à
d’autres textes pour approfondir la question, et cette place laissée à la participation est
finalement beaucoup plus propice au développement d’une réflexion éthique que ne le
serait un exposé impeccablement structuré et minutieusement balisé.
Plutôt que de dresser un catalogue des questions et des œuvres examinées, mieux vaut
donner quelques exemples. Un des auteurs sollicités par F. Leichter-Flack est Victor Hugo
qui, porté par son génie littéraire, a énormément écrit. Dans ce flot puissant où l’on trouve
de tout, quelques moments sont sélectionnés, particulièrement bien choisis. Ainsi, dans
Quatre vingt treize, l’épisode de la tour en flamme, quand le cri de la mère arrête le
marquis de Lantenac dans sa fuite, le fait rebrousser chemin pour sauver trois enfants au
prix de sa capture par les révolutionnaires. « Le geste de Lantenac n’est pas précédé par une
délibération ; il semble déclenché par la pression du contexte » (p. 93). Le moment éthique
relève non d’une décision du sujet autonome, comme chez Kant, mais d’un jaillissement de
la compassion, comme chez Schopenhauer. Cependant, F. Leichter-Flack souligne que
« chez Hugo, l’émotion sert à sauver la vie des enfants, mais elle s’en tient là, ne prétend
nullement enseigner que la vie de quelques enfants vaut toujours plus que toutes les causes
politiques » (p. 94-95). Cet arbitrage, les républicains de juin 1832, dans Les Misérables, ne
peuvent l’éviter. Quand l’échec de l’insurrection devient certain, ceux qui tiennent la
barricade sont prêts à mourir jusqu’au dernier.
F. Leichter-Flack établit un parallèle opportun avec Antigone. Mue au départ par le
sentiment que des honneurs funèbres devaient être rendus à son frère Polynice, Antigone,
au fur et à mesure que la lutte avec Créon s’exacerbe et devient désespérée, est envahie par
une sorte de fanatisme mortifère : « tout semble se passer comme si la mort ne lui coûtait
plus » (p. 119). Or, rien n’est plus suspect que de tels martyrs. Sur la barricade, il faut le
discours de Combeferre pour tempérer l’ivresse qui fait crier « Vive la mort » : il rappelle
aux hommes présents qu’ils ne se doivent pas seulement à la cause qu’ils défendent, mais
aussi aux êtres pour lesquels il vaut de défendre cette cause. « Ce qui donne ou ôte valeur
éthique et légitimité morale à un martyre ne tient pas seulement à la cause qu’il défend, à
l’idée du Bien au nom duquel le sacrifice a lieu.
[…] Le courage n’est pas de ne pas craindre de mourir pour ses idées, mais de chérir la vie
que l’on sacrifie au moment même où l’on y renonce pour lui conserver son sens et sa
valeur » (p. 124).
Un autre auteur largement évoqué est Melville, pour Billy Budd et Bartleby. Avec Bartleby,
F. Leichter-Flack entend explorer la question des limites qu’il convient, ou non, d’accepter
à la solidarité. Le bon Samaritain, une fois qu’il a secouru le blessé et payé l’aubergiste,
poursuit son chemin. Mais qu’en est-il, si la personne qu’on a aidée continue de réclamer
des soins, dont on ne voit pas le terme ? Jusqu’où est-on tenu d’assister son prochain ? La
question est d’importance — elle est même considérable. Qu’il nous soit permis de penser,
cependant, que Bartleby n’est pas l’œuvre la mieux choisie pour l’explorer. Une personne à
assister, c’est ainsi que le narrateur-employeur voit Bartleby. Mais l’un des aspects les plus
dramatiques de la nouvelle tient, précisément, à l’incapacité du narrateur et du système
qu’il incarne (rappelons qu’il est avoué à Wall Street) à adopter sur Bartleby un autre point
de vue. Beaucoup plus convaincante est l’évocation, sur un sujet apparenté, de La
Métamorphose de Kafka. Il est revigorant de lire, sous la plume de F. Leichter-Flack, que
« Kafka peut aujourd’hui servir à autre chose qu’à prédire l’avenir totalitaire dont nous
sommes les héritiers » (p. 189). De fait, quitte à faire de Kafka un prophète, il l’est bien
moins, dans cette nouvelle, du totalitarisme, que des situations auxquelles de plus en plus de
familles sont à l’heure actuelle confrontées : des êtres gravement malades ou extrêmement
diminués ont aujourd’hui, du fait des moyens grandissants de la médecine, une vie bien plus
longue que par le passé, et pareille situation ne va pas sans peser sur l’existence de leurs
proches. « Par son ambivalence, la nouvelle de Kafka donne à éprouver, en situation, et
dans leur réversibilité même, tous les arguments pro et contra que l’on trouve aujourd’hui
mobilisés sur la question de l’euthanasie et des décisions d’interruption de la vie » (p. 210).
La Métamorphose n’apporte pas de réponse — ni ne nous demande, du reste, dans le cas
particulier qu’elle nous présente, de trancher. Pour F. Leichter- Flack, l’essentiel est
ailleurs : « L’important est moins de savoir résoudre ces dilemmes de fiction, que d’en
comprendre la signification, d’en démêler les différents fils, d’en apprivoiser le tragique —
afin d’être capable de repérer, dans les rencontres de l’existence, ce qui demande
intervention, exige un choix, ou engage une responsabilité. La littérature ne dit pas où est le
bien et où est le mal, mais apprend à regarder de plus près ce que l’on prend souvent trop
vite pour l’un ou pour l’autre » (p. 216).
Olivier Rey
Figaro Magazine, 4 février 2012
L’éthique en procès. Quand Salomon propose à deux femmes revendiquant l’une et l’autre
la maternité d’un bébé, de couper le corps en deux pour que chacune ait sa part, il ne peut
être sûr que celle qui refusera cet acte barbare soit la mère. Salomon se borne à dire le droit.
L’enfant ira à celle qui a prouvé sa capacité d’être mère en sauvant sa vie. Cette
interprétation originale de la Bible, proposée par une brillante universitaire, nous intéresse
parce que l’auteur puise dans la littérature et dans les mythes l’analyse de ces problèmes
éthiques, voire, en l’occurrence, bioéthiques, qui sont devenus omniprésents dans notre
société. Ces cas de conscience, nous les imaginons liés au progrès de la science et des
techniques. Et comme nous sommes de plus en plus inquiets devant les avancées et les
limites de ces savoirs, nous encadrons de plus en plus étroitement leurs procédures et leurs
solutions dans des normes. Or si par malheur la loi française, qui pour l’instant s’y refuse,
venait à légaliser la gestation pour autrui, un Salomon actuel aurait au moins autant de mal
que l’ancien à départager la mère biologique et la mère porteuse dans un procès. L’éthique
comporte nécessairement une part d’incertitude et de conflit, voire d’ombre, que ses
praticiens contemporains, recrutés le plus souvent dans les milieux scientifiques, ont de plus
en plus de difficulté à prendre en compte.
Alain-Gérard Slama
Livres Hebdo, 3 février 2012
La force de la littérature. La littérature comme Laboratoire des cas de conscience de
l'éthique d'aujourd'hui ? C'est le pari que fait Frédérique Leichter-Flack dans une
investigation pointue. Gregor Samsa a eu une drôle de surprise : il s'est réveillé un beau
matin transforme en cafard géant. Passé le désarroi légitime face à cette découverte, il s’y est
habitué à peu près – mieux, en tout cas, que sa famille, avec laquelle il ne peut plus
communiquer et qui ne sait que faire de cet énorme insecte. Elle le rejette et le condamne in
fine à mourir dans l'abandon le plus complet. La métamorphose, allégorie de l'épuration
raciale ? Trop facile, répond Frédérique Leichter-Flack. La littérature n’affirme pas, ne
dénonce pas. En revanche, elle pose de façon très humaine des problèmes que l'éthique ne
peut formuler qu’en termes théoriques. Et c'est pourquoi celle-ci « ne peut se passer du
recours à la fiction, non seulement pour anticiper des situations médites, mais aussi pour […]
s’assurer que I éthique et le sentiment de justice coïncident encore. » La littérature devient donc
le champ d'expérimentation idéal de ce sentiment de justice. La métamorphose, pour
l’auteure, pose ainsi de manière détournée le problème de l'euthanasie, et avec lui celui du
lien familial et ce dont il en advient face à la souffrance, à la perte de dignité humaine. Ce
pourrait être tiré par les cheveux si la chercheuse et enseignante mettait la question dans la
bouche de Kafka lui-même. Mais l’écueil est évité : il s agit de réfléchir sur les situations que
propose la narration romanesque. Ainsi une nouvelle de Melville lui permet d’approfondir
la question des circonstances atténuantes, et Le manteau de Gogol devient la vitrine de la
misère sociale et de la culpabilité générale qu'elle suggère sans pour autant qu'on puisse
désigner un coupable. Rdskolmkov et Jean Valjean discutent de la légitimité de faire un mal
pour un bien, tandis que Les justes de Camus font face aux héros de Quatre vingt treize sur la
question de la prise d’otages – ou apparaît aussi le soldat Ryan de Spielberg. L'ingérence
politique et la question des civils en temps de guerre convoquent La colonie pénitentiaire et
« Le prisonnier », une nouvelle d'Yizhar écrite a la fin de la première guerre d'Israël, en
1948. Parfois percutantes, parfois sinueuses, les réflexions de l'auteure puisent dans la
complexité des consciences de papier de quoi explorer des questions cruciales. Le lecteur,
stimulé est seulement un peu frustré de ne pas accéder aux œuvres dont il est question – car
le mécanisme s’inverse : l’éthique souligne aussi la force de la littérature.
Fanny Taillandier
Internet
L’Express.fr, 15 avril 2013
Le prix de philosophie politique à Frédérique Leichter-Flack
Le Laboratoire des cas de conscience a reçu le prix Emile Perreau-Saussine, qui récompense
depuis trois ans un chercheur en sciences humaines, sciences politiques, histoire des idées,
droit public ou économie.
Frédérique Leichter-Flack recevra mercredi le prix de Philosophie politique Emile PerreauSaussine pour son premier livre Le Laboratoire des cas de conscience (Alma). Ce prix a été
créé en 2011 en hommage à Emile Perreau-Saussine (1972-2010), un professeur de
philosophie politique de Cambrige (Grande-Bretagne), qui s'attachait à décloisonner les
sujets de sciences humaines, de sciences politiques, d'histoire des idées, de droit public ou
d'économie. Le prix récompense depuis trois ans un chercheur de moins de 40 ans issu de
l'un de ces univers.
La lauréate 2013, Frédérique Leichter-Flack, est normalienne et agrégée de lettres. Elle est
maître de conférences à Paris Ouest-Nanterre et Sciences Po Paris, où elle enseigne la
littérature, l'éthique et l'histoire des idées. Son livre pose la question du droit de sacrifier
une vie pour en sauver plusieurs autres. De la justice sociale aux enjeux de la bioéthique ou
du droit international, le débat moral s'invite sur tous les terrains. Mais la théorie ne peut
pas tout: scrupule, souvenir, doute peuvent brouiller la réflexion. Parce qu'elle prend en
charge les émotions et l'imagination, la littérature offre de nouvelles ressources pour nous
aider à répondre à la question récurrente: qu'est-il juste de faire? Frédérique Leichter-Flack
propose de réfléchir, avec Kafka, Gogol, Camus, Melville, Dostoïevski ou Hugo, à ces
questions primordiales
Vidéo: http://www.dailymotion.com/video/xxh6nm_rencontre-avec-frederiqueleichterflack-1_creation
Libération.fr, 1er avril 2013
« Face au malheur de la crise, on cherche des boucs émissaires »
Par Bruno Meyerfeld, étudiant en master de journalisme à Sciences Po Paris
Frédérique Leichter-Flack est maître de conférences à Sciences Po Paris et à l’Université
Paris Ouest Nanterre. Normalienne, agrégée de lettres modernes, docteur en littérature
comparée, elle estime que la crise économique a entraîné des phénomènes de « régression
collective puérile ».
Elle enseigne à Sciences Po Paris un cours intitulé « Le Problème du mal ». Elle est l’auteure
du livre Le Laboratoire des cas de conscience (Alma éditeur, 2012), qui interroge les relations
entre le mal et l’éthique.
Qu'est-ce que le malheur ?
Définir le malheur est très facile pour le commun des mortels. Le malheur, c’est ce qui fait
souffrir les êtres humains, et c’est globalement la même chose sous toutes les latitudes : la
maladie, l’échec, le deuil, la douleur… Tous ces événements de l’existence sont communs à
tous les êtres humains, avec un facteur culturel très limité.
Quelles sont les grandes figures du mal dans l’histoire ?
Avant le XXème siècle, le mal était représenté par des personnages surhumains,
monstrueux, animés par des passions mauvaises et destructrices, comme le pouvoir,
l’ambition ou la cupidité.
Cette vision du mal monstrueux, on la retrouve chez Shakespeare, avec la figure de Richard
III. C’est l’un des plus grand méchant de la littérature, assassinant à tour de bras tous ceux
qui se trouvent autour de lui, coupables ou innocents. Un vers fameux, prononcé dès le
premier acte par Richard III, donne la couleur : « I’m determined to prove a villain » (« Je
suis déterminé à être un scélérat ») ! C’est la personne malveillante en toute conscience, le
monstre assumé.
On a seulement commencé à se défaire de cette conception du mal au XXe siècle, avec la
« banalité du mal », mise en avant par Hannah Arendt pour penser la destruction nazie et le
mal génocidaire. Pour elle, il existe un mal non dirigé par des passions mauvaises, et qui est
au contraire le fait d’hommes ordinaires, loin du monstre shakespearien.
Quelles sont les grandes figures du mal dans la crise économique ? Le grand patron, le chef
d’entreprise, le capitaliste, le trader ?
Aujourd’hui, on a tendance à revenir à la première conception du mal, celle d’avant
Hannah Arendt. À de grands malheurs, on cherche des boucs émissaires monstrueux, avec
la figure du grand patron prédateur ou du trader irresponsable. C’est pour moi le symbole
d’une régression collective puérile. On entre dans un phénomène de « boucémissairisation », alors qu’en réalité le mal de la crise est systémique. Pour illustrer ce
phénomène, on peut se référer au Château de Kafka. Dans un passage, K. arrive dans un
village où il a été convoqué pour travailler comme géomètre. Mais à son arrivée, on lui fait
comprendre qu’en fait on n’a pas besoin de lui. Effaré, K. demande une entrevue avec le
maire du village. Celui-ci lui explique que, certes, il a été convoqué, mais que c’était en fait
une erreur, qu’on n’a pas besoin de géomètre au village. Il lui dit, surtout, qu’il ne doit pas
le prendre cette décision personnellement, que ce n’est dirigé pas contre lui.
Mais K. est si désespéré à cause de tous les sacrifices qu’il a dû faire pour venir au village,
qu’il ne peut accepter le point de vue administratif et économique. Les logiques globales et
personnelles sont incompatibles. Il a besoin d’attribuer le mal qui lui arrive à quelqu’un et
de le personnifier.
C’est ce qu’il se passe aujourd’hui en France ? Oui. On n’arrive pas à voir que le mal relève
de logiques complexes. La notion même de « responsabilité » n’est sans doute pas pertinente
pour expliquer la crise. Tout cela est simpliste, et ne nous permet pas de lutter efficacement
contre le mal. La lutte contre le mal ne doit pas se figer dans des caricatures personnifiées,
mais rester mobile, flexible. Comme le conseillait Paul Ricœur, il faut une bonne fois pour
toute cesser de chercher une origine au malheur, pour revenir à une dimension pratique :
comment lutter efficacement contre le mal ?
L’entreprise est-elle un lieu de malheur aujourd’hui ?
Il est indéniable que l’entreprise est aujourd’hui un lieu de malaise, de mal-être. Mais une
fois qu’on a dit cela, il faut rester très prudent. Dans un suicide de salarié par exemple, il est
très difficile de déterminer la part liée à l’environnement social, et celle relative à la fragilité
d’un individu.
Dans Le Manteau de Gogol, par exemple, on a l’histoire d’un employé, misérable, laid,
stupide, qui n’a rien pour lui. Un jour, il lui arrive un malheur dérisoire pour le monde,
mais gigantesque pour sa personne : son manteau tout neuf, acquis grâce à des mois de
sacrifices, est volé le jour de son inauguration. L’employé finit par en mourir. Mais de quoi
meurt-il exactement ? De pauvreté ? Des railleries de ses collègues ? De l’indifférence de son
environnement à son malheur ? L’explication ne doit pas être tenue d’une main trop
lourde.
Mais n’y a-t-il pas de bonnes raisons de faire le mal ?
Cette question est celle de la philosophie utilitariste : jusqu’à quel point suis-je capable de
faire le mal au présent pour un bien futur. Ce débat s’est posé dans la lutte contre le
terrorisme et la polémique sur la torture. Beaucoup d’intellectuels pensent que tout
raisonnement qui vise le Bien futur avec un grand « B » est déjà suspect de basculer dans
une logique de Terreur. C’est le cas de l’écrivain soviétique Vassili Grossman, qui faisait
remarquer que même Hitler voulait le bien. Pour lui, à partir du moment où l’on s’autorise
à casser tous les œufs qu’on a besoin de casser pour faire notre omelette, on est compromis.
Dans le cas de la crise, c’est différent. Avec l’austérité, on n’est pas encore dans une logique
de malheur. Pour la majorité des gens, elle est encore suffisamment investie de sens. Mais à
terme, si le fardeau devait être injustement réparti, l’austérité pourrait être vécue comme un
mal, c’est-à-dire un événement injuste, non mérité et excessif. Elle pourrait ne plus être
acceptée.
Peut-on supprimer le malheur ?
Ce débat est celui de l’essence même du politique, et des ambitions qu’il peut se fixer.
Celui-ci doit-il seulement supprimer les obstacles économiques et sociaux empêchant
chaque individu d’accéder au bonheur, ou doit-il aller plus loin et offrir un bonheur
collectif à chacun ? Dans son célèbre discours à l’Assemblée Nationale en juillet 1849,
Victor Hugo affirme qu’il y aura toujours des malheureux, mais que l’on peut cependant
« détruire la misère ». Il rappelle une idée simple : certes on peut garantir l’égalité des
chances, et assurer l’accès aux biens fondamentaux, comme la santé ou l’éducation.
Mais on ne garantira jamais que la jeune femme dont vous êtes amoureux ne décide de vous
quitter. Pour Hugo, on est toujours à la merci d’un chagrin d’amour. Le bonheur ne peut
être le fruit d’un dispositif collectif, et il y aura toujours dans celui-ci une part d’aléa, de
chance, de destin.
Nonfiction.fr, 24 février 2012
Brouiller les frontières entre le juste et l’injuste. Le reproche fait à l’éthique quant à sa
trop grande abstraction n’a rien de nouveau. Déjà, Benjamin Constant dans Traité des
réactions politiques, interrogeait la validité universelle de l’impératif catégorique
d’Emmanuel Kant – « Agis seulement d'après la maxime grâce à laquelle tu peux vouloir en
même temps qu'elle devienne une loi universelle » – principe unique au fondement de sa
morale. En plaçant ce dernier en situation, il mit en évidence l’existence d’exceptions à la
règle. Certes, il serait juste de ne jamais mentir, mais si notre mensonge a le pouvoir de
sauver la vie d’un ami, ne se justifie-t-il pas ? Alors que cette controverse fait jouer, pour les
opposer, l’universel au cas particulier, Frédérique Leichter-Flack entend ouvrir une
troisième voie. Le laboratoire des cas de conscience n’est pas un manuel de morale. Il ne
s’agit pas non plus de détruire les grandes lois éthiques en les confrontant à des situations
limites. L’interrogation " comment agir justement ", restera ouverte car l’auteure entend
seulement mettre en évidence, grâce à la littérature, la difficulté de toute prise de décision.
Le juste, en effet, advient rarement sous la forme d’une évidence et le choix est toujours
plus difficile que ce qu’il peut sembler au premier abord. C’est là que le détour par la
littérature se justifie, elle « qui apprend à regarder de plus près ce que l’on prend souvent
trop vite pour [le bien] ou pour [le mal] ». Le laboratoire des cas de conscience brouille les
frontières, les remplace par un nuancier, « scrute [surtout] l’interface en perpétuel
mouvement du juste et de l’injuste. »
Segmenté en trois parties : Juger. L’injustice en appel ; Choisir. Les dilemmes de
l’engagement et Intervenir. La responsabilité de protéger, l’expérience de Frédérique
Leichter Flack s’apparente à une galerie d’exemples empruntés aux grands classiques de la
littérature. Pas de progression dans la réflexion, car un seul principe préside à l’étude des cas
(de conscience), de Billy Budd à La métamorphose, en passant par Les justes : la
complexification d’un problème qui aurait pu paraître simple et la déconstruction des
apparences. Quelques uns de nos héros y laisseront d’ailleurs quelques plumes, au premier
rang desquels Antigone, prête à mourir pour offrir à son frère une sépulture. Ne finit-elle
pas, dans son désir obsessionnel de se sacrifier pour enterrer Polynice, par entretenir des
désirs mortifères ? Ne souhaite-t-elle pas davantage se hisser en exemple et conquérir la
gloire que remplir son devoir familial et religieux ? Son choix, entre vivre et inhumer son
frère malgré l’interdit est-il vraiment déchirant si elle n’accorde aucune valeur à sa propre
existence ? Et n’entraîne-t-elle pas, pire, toute sa famille avec elle vers la tombe ? S’attaquant
chacun à un problème moral – l’assassinat politique se justifie-t-il s’il permet de sauver des
milliers de vie ? ; doit-on porter assistance à son prochain si cela met en danger notre vie ? –
les chapitres reproduisent une construction identique. Les dilemmes sont introduits par des
références, volontairement épurées, au monde contemporain, puis explicités à travers
l’étude resserrée d’une ou de plusieurs situations similaires dépeintes dans la littérature. Les
chapitres centrés autour d’un exemple unique sont les plus réussis, on pense ainsi à la
finesse de l’analyse du jugement de Salomon dans le chapitre Arbitrer à droits égaux, la
preuve par l’épreuve.
Si on regrette des choix plus maladroits et moins bien exploités, tel que celui trouvé dans Le
Manteau de Gogol, on déplore surtout le relatif contournement d’une question qui se profile
pourtant intelligemment dans tout le livre, celle du rôle joué par l’émotion dans la prise de
décision. Cette dernière apparaît dès le premier exemple, celui de Billy Budd, à travers la
difficulté des juges à condamner Billy, » ce beau et sympathique jeune homme que tout le
monde aime à bord du navire, ce garçon dont l’âme est aussi pure que celle de Claggart
[l’homme qu’il a tué] était noire. » Elle ressurgit dans l’étude des Frères Karamazov Partie
II, chapitre 2, Valeur d’une vie, valeurs de la vie, p 92 : " l’émotion suscitée par l’innocence
et la vulnérabilité déséquilibre la balance ". Néanmoins, elle n’est explicitement formulée
qu’à la fin de l’ouvrage : " c’est aussi avec nos émotions, et pas seulement avec notre raison
morale, que l’on décide en situation "(p210). La question de l’émotion est pourtant cruciale
dans cet ouvrage, dans la mesure où elle cristallise l’intérêt, mais également les limites de la
méthode de Frédérique Leichter-Flack.
Prendre le parti de la fiction littéraire, c’est convier le lecteur à comprendre les conflits
moraux en s’identifiant aux personnages et en partageant leurs états d’âme. En invitant la
littérature dans la réflexion éthique, l’auteure réintègre donc la dimension passionnelle du
choix et donne un poids de réel à des dilemmes qui, présentés de manière plus abstraites,
n’éveilleraient pas notre attention. Mais si l’émotion est une donnée indéniable de toute
prise de décision, celui qui cherche à agir justement ne doit pas moins s’en méfier.
N’oublions pas que, en utilisant une narration à la première personne du singulier, Camus
nous invite à nous identifier à L’étranger et parvient par là à nous faire douter de sa
culpabilité. Si elle nous aide à comprendre la complexité des choix moraux, la littérature
peut aussi fausser nos jugements.
Jean Ainhoa
Radio
« La Grande Table » de Caroline Broué, France Culture, 14 mai 2012
Le Laboratoire des cas de conscience a fait l'objet d'une "conversation", chroniquée par
Ruwen Ogien et Marc Weitzman.
« Pas la peine de crier », France Culture, 11 mai 2012
http://www.franceculture.fr/player/reecouter?play=4438371
La réserve de sens
La littérature s’accommode bien mal d’un message univoque, elle se garde de fournir sur un
plateau l’image du mal afin qu’on le reconnaisse, l’image du bien afin qu’on le chérisse.
Mais elle offre, dans les détours de fictions, la possibilité d’élaborer un modèle de
raisonnement, d’anticiper sur les cas de conscience face auxquels le réel ne se lasse pas de
nous placer.
Elle permet de vérifier sans trop de danger, notre engagement, et l’écart qui peut exister
entre l’éthique, le théorique, et le sentiment de justice, plus réel. À la faveur de nombreux
exemples piochés du Talmud, à Kafka en passant par Melville et Dostoïevski, la proposition
est celle-ci : questionner l’exemple, autant que l’exemplarité, et mettre à l’épreuve de
questionnements philosophiques touchant le très large domaine de nos existences, les
personnages de fiction à travers les situations inventées par les auteurs. Juger, choisir,
intervenir sont les trois grands chapitres du livre.
Marie Richeux
« Répliques » d’Alain Finkielkraut, France Culture, 28 avril 2012
http://www.franceculture.fr/player/export-reecouter?content=4409629
« Ouvert la nuit », chronique de Stéphane Bou, France Inter, 18 avril
2012
Animée par Tania de Montaigne et chroniquée par Stéphane Bou
http://www.franceinter.fr/player/reecouter?play=334649)
« Questions d’éthique » de Monique Canto Sperber, France Culture,
12 avril 2012
« Version Originale » de Patrick Léon Emile, Aligre FM, 24 mars 2012
Tchat sur le site « Libération.fr », 16 février 2012
« Dis-moi qui tu cites, je te dirai qui tu es » d’Ilana Cicurel, RCJ, 12
février 2012
« Du Grain à moudre » d’Hervé Gardette et Julie Gacon, France Culture,
31 janvier 2012
Internet
France culture, Morale et littérature 19 juillet 2012
Première diffusion le 28 avril 2012
Morale et Littérature
Thème(s) : Idées| Philosophie| Littérature Française| Morale et littérature
Document(s)
Le laboratoire des cas de conscience
Frédérique Leichter-Flack
Alma éditeur, 2012
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