antique : elle invite moins à penser, conceptualiser, théoriser, discuter, qu'à mener une vie
philosophique. Et puis, en marge, il existe une façon de faire, plutôt dominante chez les
Anglo-Saxons, qui part d'un cas très concret pour mener une réflexion étourdissante à
l'issue de laquelle il ne subsiste plus aucune certitude, sinon celle qu'on a vraiment pensée.
Je songe aux travaux intéressants de Stéphane Ferret ou de Ruwen Ogien. C'est dans cette
lignée que Frédérique Leichter-Flack inscrit sa réflexion.
Dans « le Laboratoire des cas de conscience », elle utilise le roman pour, excusez du peu,
penser la justice, le jugement, la condamnation, l'innocence, la responsabilité, la culpabilité,
la valeur d'une vie, le fait de mourir pour des idées, la prise d'otages, la question du sacrifice
ou du martyre, la non-ingérence, etc. Pour mobiliser une casuistique, elle convoque Hugo
et Dostoïevski, Kafka et Camus, Melville et Gogol, mais aussi, autres grands romans, le
Talmud et la Bible... Elle recourt également au fait divers : un chanteur célèbre qui frappe
sa compagne et la tue, des jeunes filles qui mettent le feu à une boîte aux lettres pour se
venger d'une ancienne copine et qui embrasent l'immeuble, un adolescent boxeur qui
frappe une jeune fille qui harcelait sa jeune sœur et la tue, etc.
L'analyse est simple, claire, mais profonde. La construction de la démonstration s'inspire
plus de la nouvelle ou du roman policier que de la dialectique classique ou de la
phénoménologie allemande. Le livre refermé, on a l'impression d'avoir assisté à un discours
de Socrate sur l'agora. L'auteur inquiète, fait sourire, conduit son lecteur, sans en avoir
l'air, là où elle veut – et l'on se dit que la philosophie française gagnerait à creuser ce sillon
prometteur.
Michel Onfray
Le Nouvel Observateur, 28 juin 2012
Michel Onfray s’éprend de Mme Socrate
La philosophie occidentale se goinfre de concepts, d’idées, de néologismes au point que les
penseurs institutionnels subversifs se retrouvent avec les penseurs institutionnels tout court
pour définir la philosophie comme l’art de créer des concepts. Or, il existe une autre
tradition, celle de la philosophie existentielle descendant en droite ligne de la philosophie
antique : elle invite moins à penser, conceptualiser, théoriser, discuter, qu’à mener une vie
philosophique. Et puis, en marge, il existe une façon de faire, plutôt dominante chez les