performance sociale des entreprises et dispositifs de mesure

PERFORMANCE SOCIALE DES ENTREPRISES ET
DISPOSITIFS DE MESURE : UN PANORAMA
THEORIQUE
Wafa CHAKROUN
ERFI - CML
Universités de Montpellier I et de
Sousse
(Tunisie)
Azzedine TOUNÉS
Savoie Technolac
Groupe ESC Chambéry Savoie,
(France)
RESUME
L’intérêt croissant pour la performance d’entreprise conduit, depuis quelques
années, à s’interroger sur le contenu de ce concept et les modalités de sa mesure.
La remise en cause de la logique financière de la performance implique la prise
en compte de préoccupations sociales, politiques et environnementales. C’est
dans ce contexte particulier qu’à émergé le concept de performance sociale des
entreprises avec les problématiques afférentes à sa mesure.
Cet article a pour but de montrer l’émergence de la performance sociale et
d’expliquer le changement de paradigme pour la mesurer. Il a aussi pour objectif
de décrire les cadres théoriques susceptibles de contenir la performance sociale.
L’un des principaux apports de cette recherche est la mise en œuvre d’une
synthèse combinant les différentes théories utilisées pour analyser la PSE, les
objets d’étude de chacune de ces dernières et leurs champs d’application par type
de parties prenantes.
La dernière finalité de ce travail est d’examiner différents dispositifs de
mesure de la performance sociale ; cet exercice renseigne que ceux-ci sont de
plus en plus sophistiqués et exhaustifs, mais présentent des limites ; celles-ci sont
inhérentes à la nature des variables mesurées et aux protocoles adaptés. Les
perspectives de cette recherche s’orientent vers une étude de la performance
sociale d’entreprise comme une pratique dans le champ des innovations
organisationnelles.
MOTS CLES : indicateurs sociaux, performance sociale, systèmes de mesure,
responsabilité sociale d’entreprise, théorie des parties prenantes.
INTRODUCTION
La performance était réduite à sa dimension financière. Elle consistait à
réaliser la rentabilité souhaitée par les actionnaires et préserver la pérennité de
l’entreprise. En effet, la théorie néoclassique postule que les marchés sont
parfaitement concurrentiels et que les dirigeants gèrent conformément aux
intérêts des actionnaires. Toutefois, les modèles financiers de mesure de la
performance ont été critiqués au début des années 80 ; la responsabilité de
l’entreprise centrée sur les droits des actionnaires se cantonnait dans un cadre
limitatif (Saint-Pierre et al, 2005). Il s’agit d’une conception basée sur une vue
externe (celles des actionnaires) ignorant les autres partenaires. La responsabilité
de l’entreprise s’étendant aux champs social et environnemental, concilie ces
derniers avec des objectifs économiques tout en intégrant les attentes des
différentes parties prenantes (Commission des Communautés Européennes,
2001) ; il s’agit de la performance globale au sein de laquelle l’entreprise doit
assumer un ensemble de responsabilités au-delà de ses obligations gales et
économiques.
Cette notion de performance globale signe une vision plus juste allant au-
delà de l’hyper compétitivité économique des entreprises (le Commissariat
Général au Plan, 1993). Il convient pour qualifier ce concept, d'intégrer les coûts
sociétaux et environnementaux engendrés en termes de chômage, de
déqualification, de pathologies liées au stress, de pollutions… Cette performance
globale des entreprises est ainsi définie "comme l’agrégation des performances
économiques, sociales et environnementales" (Baret, 2006). Sa mesure contraint
à un renouvellement des systèmes d’évaluation.
Ainsi, les chercheurs en responsabilité sociale d’entreprise (notée RSE dans
la suite du texte) s’intéressent de plus en plus à des problématiques afférentes à
l’appréciation de la performance sociale d’entreprise (notée PSE dans la suite du
texte). En s’inscrivant dans les travaux de Caroll (1979), Wartick et cochran
(1985), celle-ci apparaît dans les années 1990 comme un concept central en
éthique des affaires. La PSE formalise l’idée selon laquelle l’entreprise assume
une responsabilité multidimensionnelle englobant le social, l’écologique, le
politique et l’économique ; elle se focalise notamment sur l’évaluation des
ressources humaines car celles-ci sont source de création de valeur et d’avantage
concurrentiel.
Cette communication contient deux parties. La première décrit le changement
de paradigme dans l’évaluation de la PSE (1) ; elle analyse la genèse théorique
(1.2) et les cadres susceptibles de contenir celle-ci (1.2). La deuxième partie
révèle les principaux outils de mesure de la PSE (2) ; elle renseigne sur la
sophistication de ces outils (2.1) ainsi que les limites relevées (2.2). Pour mieux
expliquer l’engagement dans des processus de mesure, nous concluons par la
nécessité de conjuguer la théorie des parties prenantes avec la théorie
entrepreneuriale. En prolongement de cette investigation, il semble opportun de
réfléchir les conditions de renouvellement des systèmes de mesure de la
performance pour transformer les comportements des individus.
1. LE RENOUVELLEMENT DE LA MESURE DE PERFORMANCE : DU
PARADIGME ACTIONNARIAL A L’APPROCHE PARTENARIALE
La vision néo-classique de la performance réduit la mesure de la valeur créée
à la seule dimension actionnariale. En 1970, Friedman déclare que la
responsabilité sociale d’une entreprise est d’augmenter le profit. Selon ce
postulat, la mesure de la valeur (actionnariale) appropriée par les actionnaires
s’identifie à celle de la valeur créée par l’entreprise. La propriété de cette
dernière se définit par la détention des droits décisionnels résiduels et
l’appropriation des gains résiduels ; ces droits se répartissent entre les différentes
parties prenantes impliquées dans la prise de décision ou la subissant. Les
actionnaires ne détiennent qu’une part minime des droits décisionnels. D’une
part, la plupart des décisions résiduelles sont l’apanage des dirigeants. D’autre
part, la notion de gain résiduel fait référence à toutes les variations d’utilité non
anticipées provoquées par les actions de l’entreprise et affectant l’ensemble des
parties prenantes. La création de valeur ne saurait donc se mesurer à l’aune de la
richesse des seuls actionnaires, même dans le cas où leurs intérêts convergent
avec ceux des parties prenantes. La mesure de la valeur créée, et par conséquent
les modalités d'évaluation de la performance, doit s’élargir pour prendre en
compte l’intérêt de l’ensemble des parties prenantes.
La performance sociale traduit ainsi la capacité de l’entreprise à gérer sa
responsabilité sociale dans une démarche partenariale ; outre les intérêts des
actionnaires, sont pris en considération ceux des parties prenantes. L’entreprise
redécouvre la nécessité d’une meilleure gestion de sa responsabilité sociale par
une prise en compte plus explicite de ces dernières dans sa stratégie (Déjean et
Gond, 2004). Cette responsabilité "n’est pas une mode, c’est un véritable
changement de paradigme car elle comporte une nouvelle manière de penser
l’entreprise, sa légitimité et sa relation aux autres composantes de la société".
1.1. LES FONDEMENTS DE LA PERFORMANCE SOCIALE
Depuis 1970, le concept de PSE a connu une évolution spectaculaire avec
l’élargissement du champ de la RSE et l’évaluation des actions mises en œuvre.
C’est à Caroll (1979) que l’on doit l’introduction des problématiques de PSE au
sein de la RSE. Elle définit la PSE comme une configuration organisationnelle
de principes de responsabilité, de domaines sociaux et de philosophies apportant
des solutions aux problèmes engendrés par ces domaines.
En adaptant le modèle de Caroll, Wartick et Cochran (1985) déclarent que la
PSE est l'interaction sous-jacente entre les principes de responsabilité sociétale,
le processus de réceptivité sociétale et les politiques mises en oeuvre pour faire
face aux problèmes sociaux. Wood (1991) et Swanson (1995) s’inscrivent dans
cette même lignée ; ils mettent l’accent sur les principes hiérarchisés de la PSE
qui se déclinent au niveau institutionnel, organisationnel et managérial. Plus
récemment, Husted (2000) met l’accent sur la logique de la contingence pour
expliquer la dynamique organisationnelle incarnée par la PSE ; des combinaisons
de facteurs humains, organisationnels, techniques et financiers qui sont efficaces
dans un contexte donné, ne le sont pas forcément dans d’autres. La PSE est
conçue comme une fonction d’interaction entre des problèmes sociaux, d’un côté
et la stratégie de réponse à ces problèmes, d’un autre côté.
Pour avoir une vue synthétique de ces différentes approches théoriques de la
PSE, nous présentons le travail de Gond et Mullenbach (2004, p. 94) reprenant
les définitions les plus pertinentes de la PSE ainsi que les dimensions retenues
pour chacune d’elle (tableau 1).
Au vue de cette synthèse, nous pouvons ainsi circonscrire le concept de PSE
selon une triple typologie intégrant les parties prenantes : les principes d'action,
les processus de gestion et les réponses mises en place. Une fois analysé, il
demeure à étudier les principales théories mobilisées susceptibles d’expliquer la
PSE. Celles-ci facilitent, in fine, l’élaboration d’indicateurs de mesure de ce
concept.
Auteurs Définitions Dimensions
Caroll
(1979)
L’articulation et
l’interaction entre :
- différentes
catégories de
responsabilités
sociales ;
- des problèmes
spécifiques liés à ces
responsabilités ;
- des philosophies de
réponses à ces
problèmes.
Responsabilité sociale
Niveaux : économiques, légal, éthique,
discrétionnaire.
Philosophies de réponse
Posture : réactive, défensive,
d’accommodation, proactive.
Domaines sociaux où se posent des
problèmes
Exemple : consumérisme,
l’environnement, la discrimination, la
sécurité des produits, la sécurité du
travail, l’actionnariat.
Wartick
et
Cochran
(1985)
L’interaction sous-
jacente entre les
principes de
responsabilité sociale,
le processus de
sensibilité sociale et
les politiques mises
en œuvre pour faire
face aux problèmes
sociaux.
Responsabilité sociale
Niveaux : économiques, légal, éthique,
discrétionnaire.
Sensibilité sociale
Posture : réactive, défensive,
d’accommodation, proactive.
Management des problèmes sociaux
Démarche : identification, analyse,
réponses.
Wood
(1991)
Une configuration
organisationnelle de
principe de
responsabilité sociale,
de processus de
sensibilité sociale et
de programme, de
politiques et de
résultats observables
qui sont liés aux
relations sociales de
l’entreprise.
Principe de responsabilité sociale
Niveaux : institutionnel, organisationnel
et individuel.
Processus de sensibilité sociale
Intègre : l’évaluation et l’analyse de
l’environnement, la gestion des parties
prenantes et la gestion des problèmes
sociaux.
Résultats du comportement social de
l’entreprise
Regroupe : les impacts sociétaux, les
programmes sociétaux et les politiques
sociétales.
Clarkson
(1995)
Capacité à gérer et à
satisfaire les
différentes parties
prenantes de
l’entreprise.
Le modèle identifie des problèmes
spécifiques pour chacune des
principales catégories de stakeholders
qu’il distingue : employé,
propriétaires/actionnaires,
consommateurs, fournisseurs,
stakeholders publics, concurrents.
Tableau 1- Synthèse des principaux modèles théoriques (Gond et Mullenbach,
2004, p. 94)
1.2. A LA RECHERCHE D’UN CADRE THEORIQUE : DE LA
COMPLEMENTARITE A LA PREDOMINANCE DE LA THEORIE DES
PARTIES PRENANTES
De nombreuses théories peuvent servir à l’étude de la PSE. Les principales
approches mobilisées sont d'origine diverses, à savoir la philosophie, la
sociologie des organisations, l’économie et la stratégie. Capron et Quairel-
Lanoizelée (2004) opposent deux paradigmes ; le premier regroupe les approches
classiques et libérales (Friedman, 1971) nous retrouvons la théorie des parties
prenantes (Freeman, 1984) et la théorie de dépendance envers les ressources
(Pfeffer et Salancik, 1978). Le second renferme les théories sociologiques néo-
institutionnelles et la théorie de l’identité sociale.
Les différentes théories mobilisées pour l’analyse de la PSE sont plutôt
complémentaires qu’exclusives. Tout dépend de l’objet d’étude et de la stratégie
organisationnelle en matière de RSE. Si l’on souhaite expliquer la motivation et
l’implication du personnel de l’entreprise comme indicateurs de PSE, la théorie
de l’identité sociale est plus appropriée. Toutefois, celle-ci se centre sur un seul
acteur : le personnel de l’entreprise ou les individus ayant un attrait pour celle-ci.
La théorie néo-institutionnelle semble être adéquate pour expliquer la prise
en compte des acteurs sociaux externes (Etat, grand public, médias…) comme
facteurs clés dans la mise en place d’une stratégie de PSE. Toutefois, le courant
néo-institutionnaliste est déterministe ; il met l’accent sur l’adoption de pratiques
institutionnalisées par la société et reconnues comme des "normes de
comportement". Ces dernières postulent que les entreprises ne peuvent exercer
leur activité indépendamment du contexte sociétal et de ses valeurs qui
influencent leurs modes managériaux (Meyer et Rowan, 1977).
La théorie de la dépendance envers les ressources apporte également des
éclairages pour l’étude de la PSE. Elle repose sur des fondements différents de la
précédente ; il n’est, en effet, plus question ici de symbole, de code et de norme,
mais de dimensions fortement relationnelles pour la mise en place de stratégie de
PSE. Cependant, comme l’approche néo-institutionnaliste, elle est déterministe
pour expliquer les comportements des dirigeants en matière de PSE. Pour Pfeffer
et Salancik (1978), pères fondateurs de cette théorie, les entreprises évoluent
dans un environnement au sein duquel elles ont l’obligation de se procurer un
certain nombre de ressources pour garantir leur survie. Ces catégories externes
contrôlent donc l’accès aux ressources, en fonction de critères qui leur sont
propres.
Pour les approches néo institutionnaliste ou de dépendance envers les
ressources, les perceptions et les attentes des parties prenantes externes ne sont
pas sans impact sur le personnel de l’entreprise. On ne peut dissocier
l’engagement et l’identification de ce dernier de l’image que se font ces parties
prenantes de cette dernière. L’association de chacune de ces théories avec celle
de l’identité sociale est donc intéressante.
Afin d’opérer une analyse approfondie de la PSE et une explication
contingente des déterminants sociaux l’influençant, la TPP est l’approche la plus
mobilisée. Selon Freeman (1984), la TPP désigne tout groupe ou tout individu
qui peut affecter ou lui-même être affecté par la alisation des objectifs d’une
organisation.
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