4A l’écoute des animaux
congénères, et ceux avec les humains
se limitaient aux ordres pour entrer et
sortir. Il n’avait eu, depuis qu’il avait
quitté sa mère à l’âge de six mois,
aucun lien social, aucune tendresse.
Dans la nature les léopards sont certes
des solitaires et les mâles se battent
violemment en cas d’intrusion sur
leur territoire par un rival, mais ils ont
des contacts tendres avec leur mère
et ensuite avec les femelles lors du
rut. Ils apprennent aussi à éviter les
combats par des menaces. Ce léopard
ne connaissait pas ces rites et je me
mettais à douter de pouvoir garder ce
félin. Peut-être qu’après quelques mois
se calmerait-il ? Le soir, alors que je
distribuais la nourriture, je pus le voir
sortir de son abri, me menacer puis
retourner se cacher derrière la paroi
pour exploser contre la porte, alors
que je déposais sa nourriture après
avoir fermé la porte coulissante. Le
mardi matin je fus sur place avant le
lever du jour pour essayer d’encore
l’observer sans être vu. En arrivant,
je fus surpris par le silence qui régnait
: les coqs n’avaient pas entamé leurs
chants tonitruants pour saluer le
lever rougeoyant du soleil, les pigeons
et tourterelles ne roucoulaient pas
encore... bref il me semblait que
l’atmosphère était lourde, un peu
comme la nuit en Afrique lorsque le
léopard se met en chasse. Un silence
pesant règne jusqu’au moment où les
singes, plus spécialement les babouins,
repèrent le prédateur et se mettent à
aboyer sauvagement pour se prévenir
les uns les autres, aboiements qui
s’éloignent et se rapprochent en
fonction des déplacements de leur
ennemi.
Dans son parc j’aperçus le léopard qui
déambulait, arrosant de son urine
les troncs des arbres, la clôture… il
s’arrêtait par moment pour humer,
regardait le haut de son parc comme
pour repérer une partie défaillante,
puis se remettait en marche, les
muscles tendus, imposant par sa
taille. Feulant, il inspectait les autres
parcs d’où les occupants avaient
disparu dans leurs abris. Même la
vieille femelle puma avait regagné sa
niche. Soudain dans un bond il sauta
contre le grillage du côté des servals.
L’un d’eux avait eu l’outrecuidance
de bouger ! Ensuite il bondit dans un
saut aérien sur le tronc comme pour
pouvoir s’élancer sur le serval, et il
s’élança pour s’accrocher au grillage,
tout en haut, à trois mètres du sol. Le
serval erayé disparut et le léopard
sauta à nouveau sur le sol, vériant
qu’aucun de ses voisins ne remuait.
Enn il dut me sentir, car il se gea
et feula dans ma direction. Il se tapit
alors derrière le muret et ne bougea
plus. Repéré, je décidai de m’avancer
un peu; le léopard explosa de son
muret pour atterrir trois mètres plus
loin contre le grillage, recula et revint
à la charge à trois reprises. Maintenant
il avait aussi pris possession de son
parc extérieur et ne tolérait plus
aucune présence autour de lui. Chaque
mouvement de ses voisins, chaque
passage dans le couloir provoquait
une attaque. Décidément, ce léopard
représentait un danger réel, et nos
installations, notre organisation ne
nous permettaient pas de prendre
le risque de garder ce félin. Il devait
partir le plus vite possible. Peut-être
après six mois aurait-t-il pu se calmer,
mais durant ce laps de temps il aurait
fait courir trop de dangers tant aux
humains qu’aux animaux, et aurait
perturbé les autres félins.
D’abord je téléphonai au zoo, dont
le nouveau gérant, comprenant la
situation, accepta de reprendre ce
léopard. Puis j’avertis le transporteur,
qui, conscient du danger, vint au
Parc le jour même. En n d’après-
midi il était là et à 18h00 nous nous
préparions à endormir le léopard pour
le charger dans sa caisse de transport,
la même que celle du premier voyage,
toujours aussi lourde (160 à 180
kilos avec le léopard) ! Comme cette
fois nous n’étions que deux, nous
déposâmes la caisse sur un chariot à
roulettes laissé au bas de l’escalier du
couloir menant au parc du léopard.
Nous pensions pouvoir endormir et
charger le félin rapidement. A 21h00
le léopard n’était pas encore dans sa
caisse! En eet, dès que le léopard
nous aperçut, il se réfugia dans son
abri, prenant soin de se cacher contre
la paroi. Ayant aussi repéré le fusil
servant à lui envoyer la échette avec
le narcotique, il prit soin de rester
caché. Le viser depuis la porte d’entrée
de son box devenait très dicile, voire
impossible. Nous plaçâmes une grille
contre la petite porte coulissante,
an de pouvoir ouvrir celle-ci tout
en empêchant le fauve de sortir ou
de nous attraper avec ses gries
redoutables. Une autre grille fut aussi
placée contre une petite ouverture
de 10 centimètres de diamètre,
pour empêcher le léopard de sortir
une patte et de nous attraper. Ainsi
nous pouvions viser par trois angles
diérents. Sentant qu’il ne pouvait pas
échapper à nos regards, le félin passa à
l’attaque, se jetant violemment contre
les diérentes ouvertures suivant
où nous nous tenions. Son attaque
terminée, il partait, intelligemment,
se tapir hors d’atteinte du fusil
hypodermique. A une reprise, il arriva
tellement violemment dans la grille
de la porte coulissante xée dans la
paroi avec des vis, que celles-ci furent
arrachées et que nous pûmes de
justesse retenir la grille.
Après la deuxième piqûre, il ne
s’était pas encore endormi, en raison
de l’excitation et de la poussée
d’adrénaline. Enn après un troisième
tir il nous sembla qu’il s’était assoupi.
Prudemment, avant d’entrer dans
l’abri, nous glissâmes un long manche
en bois à travers la grille pour le tâter
et ainsi vérier s’il avait encore des
réactions. Il me semblait bien que ses
paupières remuaient un peu et que
son regard nous xait, mais le félin ne
bougeait pas, se laissait aller... quand
tout à coup, après que nous ayons
encore une dernière fois soulevé un
peu sa tête avec le bâton, il attrapa
celui-ci avec une rapidité foudroyante.
Il ne le lâcha que lorsqu’il fût réduit en
miette, pour s’élancer avec violence
dans notre direction et il réussit à
attraper le canon du fusil qui dépassait
de la grille. Le canon abîmé, le fusil
devenait inutilisable. Heureusement
que nous ne nous étions pas aventurés
trop vite dans son antre, car nous
aurions aussi été abîmés ! Par chance
le transporteur avait une sarbacane
grâce à laquelle nous pouvions encore
tenter de lui faire une piqûre, la
dernière, car nous risquions d’atteindre
une dose mortelle. Il commençait à
faire sombre, et la visibilité devenait
mauvaise dans son abri. Je réussis
à glisser une lampe au plafond, et
par chance elle éclaira juste la cuisse
du félin qui, tout de même un peu
endormi, s’était recouché. La échette
atteignit son but, et après dix minutes
le félin semblait, cette fois-ci, bien
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