À lécoute des animaux
«Tout animal vivant doit rester libre, mais l’homme est responsable
de tout animal qu’il a apprivoisé ou qui a perdu la possibilité de vivre libre.»
Parc d’accueil Pierre Challandes
33, rte de Valavran 1293 Bellevue, GE - CH
Tél : +41 (0)22 774 38 08
Fax : +41 (0)22 774 30 70 - CCP : 12-5328-7
www.parc-challandes.ch
no 491
aoùt / septembre / octobre 06
Directeur - Rédacteur en chef : Pierre Challandes
Illustrations : Anouk Tank (sauf si précisé) Photos : Pierre Challandes (sauf si précisé)
Mise en page : Anouk Tank
Impression : Imprimerie Malibu Print
Journal ociel de l’Association du Parc d’accueil Pierre Challandes
Centre international de protection des animaux
Photo : la panthère Manoir (photo P. Latin)
un léopard… Chez nous le terme
panthère a été utilisé pour désigner le
léopard. En fait, selon le docteur Paul
Schauenberg, le terme serait tiré de
la sous-famille à laquelle se rattache
le léopard. C’est la sous-famille des
panthérinés qui se compose du
léopard, du jaguar, du lion, du tigre
et de l’once ( panthère des neiges).
Les quatres autres sous-familles sont
celle des félinés, la plus nombreuse,
comprenant une trentaine de
représentants dont les chats, le serval,
le puma, l’ocelot... Le lynx, comme le
caracal, se rattache à la sous-famille
des lyncinés. Celle des acinonynchinés
ne comprenant que le guépard. La
panthère nébuleuse est l’unique
représentant de la sous-famille des
néofélinés. Ces cinq sous-familles
composent la famille des félidés.
Léopard ou panthère ? Panthère
tachetée, panthère noire…Beaucoup
de personnes se demandent s’il s’agit
du même animal. En fait l’origine
des mots est imprécise, et le même
animal est nommé panthère ou
léopard suivant les régions d’Afrique
ou d’Asie dans lesquelles vit ce félin. Le
mot « pard » désigne dans beaucoup
de pays un grand félin, que cela soit
un puma, un jaguar, un guépard,
Léopard ou panthère
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2A l’écoute des animaux
nourriture qui s’y trouve. Plus les
aliments sont abondants, plus le
territoire est restreint. Pourquoi se
compliquer l’existence en parcourant
des kilomètres si le garde-manger
est à portée de gries ? Ainsi dans
certaines réserves africaines, on
peut quasiment garantir la photo du
léopard aux touristes en sédentarisant
le félin avec de la nourriture apportée
régulièrement. Ce n’est qu’en période
d’accouplement que mâle et femelle
vivent et chassent ensemble. Oh !
pas très longtemps, la lune de miel ne
dure guère plus de quinze jours et le
couple se sépare. A la femelle revient
la charge d’élever sa progéniture.
Comme pour les chatons domestiques,
les petits naissent aveugles et sourds,
sans défense. Ils sont mis au monde
dans une cavité repérée par la femelle
durant ses cent jours de grossesse.
Dès l’âge de deux mois les petits
commencent de manger de la viande
et sont bientôt sevrés. Bien que
très attachés les uns aux autres, ils
manifèstent leur esprit d’indépendance
lorsque la mère leur apporte une proie.
Il n’est pas question de partager avec
ses frères et sœurs. Chacun soue,
crache, gronde, et le plus « féroce »
mangera en premier. A l’âge de six
mois, les jeunes ne dorment plus
ensemble, mais en dehors des repas
continuent de manifester beaucoup de
tendresse entre eux et vis-à-vis de leur
mère. Par contre leur père ne participe
pas du tout à l’éducation des petits; il
aurait même tendance à les trouver
« chou à croquer ! » Jusqu’à l’âge de
15 à 18 mois les « petits » restent avec
leur mère qui leur enseigne l’art de la
chasse. Ensuite la famille se détache
progressivement, et chacun a trouvé
son indépendance lorsque la femelle
retombe en chaleur. En nourrissant
un jeune léopard au biberon, il restera
très attaché à son maître jusqu’à l’âge
de 15-24 mois, période où il prend son
indépendance. Ensuite, il faudra être
prudent à son évolution car même
tendre par moment, le léopard peut
avoir des réactions violentes, même
vis-à-vis de son éleveur.
Dans le dernier journal, je vous
annonçais la venue de cinq félins en
provenance du zoo Hasel à Rüfenach
dans le canton d’Argovie. Ce zoo
changeant de gérance au début du
mois de juillet, le nouveau directeur
ne voulait pas garder les félins qui
n’étaient pas installés de façon
adéquate. En juin je fus averti que
la femelle lynx qui faisait partie du
lot avait dû être endormie en raison
de son grand âge (20 ans). D’ailleurs
elle aurait mal supporté le voyage
et le changement d’environnement.
Il restait donc trois femelles pumas
âgées de 7, 12 et 18 ans, et un léopard
mâle de couleur noire, âgé de 10 ans.
C’est le mardi matin, 4 juillet que je
reçus le téléphone du transporteur
m’annonçant la venue des animaux
pour la soirée. Je vériai donc une
dernière fois leurs enclos respectifs.
Le treillis de l’enclos du léopard fût
renforcé du côté passage des visiteurs,
car les léopards peuvent parfois avoir
des réactions violentes. Les deux lynx
qui occupaient les deux parcs du bas
avaient déjà été déménagés dans le
parc adjacent à celui du vieux lynx
an de laisser un double parc aux trois
pumas qui vivaient ensembles. Tout
était donc prêt, j’attendais le coup
de téléphone m’informant de l’heure
d’arrivée des félins, car en raison de
la chaleur, ils devaient voyager en
soirée. Le coup de téléphone que je
reçus ne m’annonça pas la venue des
animaux, mais une panne du véhicule
de transport, heureusement survenue
avant le chargement. Le transport
était donc remis au jeudi ou vendredi.
Il eut lieu le vendredi, et je ne fus
informé qu’à 20h00 que les animaux
venaient d’être chargés. Ils arrivèrent
au Parc vers 24h00. La nuit était noire.
Dès l’arrivée du transport, mes chiens
toujours curieux vinrent accueillir les
arrivants. La porte du van fut baissée
après avoir prudemment vérié
qu’aucun des occupants des caisses
de transport ne s’en était échappé !
Alors que les sangles qui tenaient les
caisses étaient retirées, de terriants
rugissements retentirent dans la
nuit, émis de la caisse du léopard. ll
remuait aussi dans tous les sens. Les
chiens interloqués pendant quelques
secondes par ces rugissements,
regagnèrent sur la pointe des pattes le
bâtiment où je les enfermai. Les caisses
des pumas, quoique lourdes, furent
facilement transportées par les deux
solides gaillards qui accompagnaient
le chaueur, lui-même expert dans
le transport d’animaux sauvages. Les
caisses des pumas furent ouvertes
Le léopard est un des plus beaux
représentants de toute cette famille.
Par la souplesse de ses mouvements
et la beauté de sa fourrure, il
séduit et eraye chacun. Animal
mystérieux, au sujet duquel légendes
et faits véridiques se mêlent. Il a
longtemps terrié les populations
qui partageaient son territoire.
Se déplaçant silencieusement,
furtivement, comme un chat,
omniprésent mais toujours invisible,
il sait se glisser jusque dans les
villages, la nuit, pour y attraper une
proie, sans jamais être vu. Seules les
traces laissées signalent au matin son
passage. J’avais appris il y a quelques
années que plusieurs léopards vivaient,
invisibles, dans les faubourgs de
Nairobi, chassant la nuit les chats et
chiens errants mais ne touchant pas au
bétail ni aux humains.
Les léopards sont de tous les félins
ceux occupant la plus vaste aire de
distribution. De félins spécialement
arboricoles, l’espèce s’est adaptée à
un éventail d’habitats des plus divers,
allant des savanes aux forêts, des bords
de mer aux montagnes, des régions
humides aux plus arides. Il sait aussi se
contenter de la nourriture rencontrée,
allant de petits rongeurs aux gazelles
et antilopes, en passant par les proies
mortes volées à d’autres prédateurs.
Actuellement, les léopards peuplent
encore toute l’Afrique et l’Asie. De
rares populations de sous espèces
peuvent encore être rencontrées dans
certaines régions comme le nord de
la Chine, les îles de Sumatra, Java
et Bali et au Sri Lanka. La fourrure
des léopards est de couleur de fond
variable, allant du beige très clair au
noir, passant par toutes les nuances
de fauve, mais elle est ornée de taches
noires disposées en forme de rosettes.
La coloration dépend beaucoup des
régions ou vit l’animal, plus clair dans
les régions désertiques, plus colorée
dans les forêts équatoriales. La
coloration noire est un mélanisme que
l’on peut retrouver chez le jaguar et
chez d’autres félins. Suivant l’éclairage,
on peut remarquer les taches.
Dans la nature le léopard est un
prédateur solitaire; mâle et femelle
établissent un territoire dont ils
ne s’éloignent guère et dont la
supercie est en fonction de la
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A l’écoute des animaux
contre la porte coulissante qui
séparent l’abri de l’enclos extérieur.
Une fois les pumas à l’intérieur de
l’abri la porte coulissante fut refermée,
et le caisses de transport retirées. Le
seul problème de nuit était d’être sûr
que ces dames étaient bien sorties
de leur caisse respective, ce qu’elles
faisaient sans bruit ! Après nous en
être assurés avec une lampe de poche,
nous entreprîmes le déménagement
de celle de la panthère qui était lourde
car - heureusement - construite très
solidement. Elle avait déjà servi à
transporter un ours, et de ce fait elle
était aussi plus large. Par chance, elle
passait juste par les portails, laissant
quelques centimètres de chaque
côté. Ce qui ne facilitait guère le
transport, car il fallait impérativement
ne pas se placer devant la caisse où
se trouvait la grille, de peur que le
félin, s’il réussissait à passer une ou
deux phalanges, ne nous attrape
avec ses gries redoutables longues
de plusieurs centimètres. A chaque
passage de portails il fallait faire
toute une gymnastique pour pousser
la caisse, passer par-dessus et la
reprendre sur le côté. Nous étions
quatre, mais la caisse devait bien peser
entre 160 et 180 kilos. De plus son
occupant ne nous facilitait pas la tache
en sautant d’avant en arrière avec des
rugissements qui faisaient frémir les
animaux du parc.
Contrairement aux pumas, nous fûmes
tout de suite certains que le léopard
était sorti de sa boîte par la violence
avec laquelle il se propulsa dans son
abri, dont la trappe fut rapidement
baissée. Pour la nuit je décidai de
laisser les animaux fermés dans leur
abri an de pouvoir surveiller de jour
leur sortie dans le parc. A 2h00 du
matin les transporteurs reprenaient
la route de Rüfenach,les chiens
refusèrent de sortir, encore intimidés
par les rugissements, et moi je dormis
sur place, inquiété par la virulence de
la panthère !
Le lendemain matin tout était calme,
les chiens sortirent sans problème, les
coqs annonçaient à tue-tête le lever
du jour, les pigeons roucoulaient….
Manoir était étendu sur son tronc
et les servals allongés sur leur niche
entamaient leur sieste matinale. Les
trois nouvelles femelles pumas étaient
couchées dans leur abri et elles avaient
mangé les trois poulets que j’avais
déposés avant leur arrivée. Mais elles
ne daignèrent pas sortir de leur abri,
inquiétées par les nouvelles odeurs,
les nouveaux sons et leur nouvel
environnement. En arrivant près du
box du léopard, je remarquai qu’il
avait aussi mangé son poulet, puis je
m’approchai un peu de la porte pour
l’apercevoir. Je ne vis rien si ce n’est
une masse sombre qui explosa contre
la porte, accompagnée d’un puissant
rugissement. Après avoir reculé d’un
pas, je m’approchai à nouveau de
la porte et la même masse sombre
se jeta dans celle-ci, puis disparut à
nouveau se cacher contre la paroi.
Ces deux attaques me rent craindre
que la porte ne cède, et avant d’ouvrir
la porte coulissante, j’allai chercher
de quoi renforcer non seulement les
deux portes de l’enclos et de l’abri
du parc de la panthère, mais aussi
certaines parties grillagées. La mise
en place des doubles portes devant
l’abri fut ponctuée par de fréquentes
attaques du félin. Le renforcement
terminé, j’ouvris la porte coulissante,
par laquelle la panthère sortit aussitôt,
me permettant de l’apercevoir une
fraction de seconde avant qu’elle ne
s’élance contre moi, heureusement
protégé par le grillage, puis disparaisse
à nouveau au fond de son abri. Elle
m’était apparue très belle, grande et
puissante, mais pas très rassurante.
En me retournant j’aperçus Manoir
quitter son parc sur la pointe des
pattes pour gagner le fond de son abri,
guère rassuré par ce rival.
Dans la matinée ce fut Bob, qui vient
chaque matin soigner ses canaris,
qui essaya de voir les nouveaux
animaux. Il s’approcha de la porte de
la panthère, se pencha pour essayer
de la distinguer à travers le double
grillage et le plexiglas. Il t un saut en
arrière, les cheveux hérissés lorsque
la masse sombre heurta la porte à
la hauteur de son visage avec un
rugissement erayant. A part cela, il
ne vit rien, le félin était retourné aussi
rapidement se tapir dans son coin.
Par prudence, et pour que le fauve
puisse prendre tranquillement contact
avec son environnement sans être
excité par des visites continuelles, je
fermai le couloir. Le reste du jour ainsi
que le dimanche je passai le moins
possible dans le couloir. Néanmoins
le dimanche il me sembla que le
léopard se calmait et je pus à plusieurs
reprises passer par le couloir sans qu’il
ne bouge. Il était toujours tapi dans
son abri, de même que Manoir qui
avait senti dans le nouvel arrivant
un rival dominant. Par contre les
trois femelles pumas déambulaient
tranquillement dans leur parc ou se
couchaient à l’ombre. Elles s’étaient
parfaitement adaptées à leur nouvel
environnement. De même leur voisine
la vieille femelle puma semblait aussi
s’habituer à ses voisines et ne semblait
pas trop dérangée par son autre voisin,
le terrible léopard !
Le lundi matin je me rendis sur la
pointe des pieds dans la première
volière pour essayer d’apercevoir le
fauve. Il était là, en train de déambuler
en feulant, les muscles tendus,
s’arrêtant de cours instants pour
humer : il avait dû sentir ma présence.
C’était un splendide animal grand et
puissant. Soudain il me repéra et, dans
un immense bond, se lança dans ma
direction et prenant appui contre le
grillage, il rebondit à trois mètres, t
demi-tour, se lança une nouvelle fois
dans ma direction, puis disparut dans
son abri... Heureusement le grillage
stoppa son attaque, mais l’impact
contre le treillis était violent et à
chaque attaque j’étais content qu’il
résiste bien. A part ces attaques il ne
semblait pas trop perturbé et avait
bien ni son repas, contrairement à
Manoir toujours invisible et silencieux,
et qui apparaissait, en comparaison
du nouveau venu, doux comme un
agneau ! Cependant à son arrivé
Manoir avait aussi été menaçant, et
il fait encore preuve d’une agressivité
certaine; mais qui n’est pas à comparer
avec celle du nouveau venu ! En
informant son ancien propriétaire
des soucis que me posait son félin,
j’appris qu’il n’était pas facile chez
eux, et lorsqu’il était dans son box
intérieur se montrait agressif. Il sautait
aussi contre les barreaux lorsque les
soigneurs pénétraient dans le local.
Par contre, dans son parc extérieur il
était relativement calme; cependant il
ne pouvait voir d’autres animaux et le
public était assez éloigné.
Arrivé dans ce parc à l’âge de 7 mois, il
n’avait jamais eu de contact avec des
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4A l’écoute des animaux
congénères, et ceux avec les humains
se limitaient aux ordres pour entrer et
sortir. Il n’avait eu, depuis qu’il avait
quitté sa mère à l’âge de six mois,
aucun lien social, aucune tendresse.
Dans la nature les léopards sont certes
des solitaires et les mâles se battent
violemment en cas d’intrusion sur
leur territoire par un rival, mais ils ont
des contacts tendres avec leur mère
et ensuite avec les femelles lors du
rut. Ils apprennent aussi à éviter les
combats par des menaces. Ce léopard
ne connaissait pas ces rites et je me
mettais à douter de pouvoir garder ce
félin. Peut-être qu’après quelques mois
se calmerait-il ? Le soir, alors que je
distribuais la nourriture, je pus le voir
sortir de son abri, me menacer puis
retourner se cacher derrière la paroi
pour exploser contre la porte, alors
que je déposais sa nourriture après
avoir fermé la porte coulissante. Le
mardi matin je fus sur place avant le
lever du jour pour essayer d’encore
l’observer sans être vu. En arrivant,
je fus surpris par le silence qui régnait
: les coqs n’avaient pas entamé leurs
chants tonitruants pour saluer le
lever rougeoyant du soleil, les pigeons
et tourterelles ne roucoulaient pas
encore... bref il me semblait que
l’atmosphère était lourde, un peu
comme la nuit en Afrique lorsque le
léopard se met en chasse. Un silence
pesant règne jusqu’au moment où les
singes, plus spécialement les babouins,
repèrent le prédateur et se mettent à
aboyer sauvagement pour se prévenir
les uns les autres, aboiements qui
s’éloignent et se rapprochent en
fonction des déplacements de leur
ennemi.
Dans son parc j’aperçus le léopard qui
déambulait, arrosant de son urine
les troncs des arbres, la clôture… il
s’arrêtait par moment pour humer,
regardait le haut de son parc comme
pour repérer une partie défaillante,
puis se remettait en marche, les
muscles tendus, imposant par sa
taille. Feulant, il inspectait les autres
parcs d’où les occupants avaient
disparu dans leurs abris. Même la
vieille femelle puma avait regagné sa
niche. Soudain dans un bond il sauta
contre le grillage du côté des servals.
L’un d’eux avait eu l’outrecuidance
de bouger ! Ensuite il bondit dans un
saut aérien sur le tronc comme pour
pouvoir s’élancer sur le serval, et il
s’élança pour s’accrocher au grillage,
tout en haut, à trois mètres du sol. Le
serval erayé disparut et le léopard
sauta à nouveau sur le sol, vériant
qu’aucun de ses voisins ne remuait.
Enn il dut me sentir, car il se gea
et feula dans ma direction. Il se tapit
alors derrière le muret et ne bougea
plus. Repéré, je décidai de m’avancer
un peu; le léopard explosa de son
muret pour atterrir trois mètres plus
loin contre le grillage, recula et revint
à la charge à trois reprises. Maintenant
il avait aussi pris possession de son
parc extérieur et ne tolérait plus
aucune présence autour de lui. Chaque
mouvement de ses voisins, chaque
passage dans le couloir provoquait
une attaque. Décidément, ce léopard
représentait un danger réel, et nos
installations, notre organisation ne
nous permettaient pas de prendre
le risque de garder ce félin. Il devait
partir le plus vite possible. Peut-être
après six mois aurait-t-il pu se calmer,
mais durant ce laps de temps il aurait
fait courir trop de dangers tant aux
humains qu’aux animaux, et aurait
perturbé les autres félins.
D’abord je téléphonai au zoo, dont
le nouveau gérant, comprenant la
situation, accepta de reprendre ce
léopard. Puis j’avertis le transporteur,
qui, conscient du danger, vint au
Parc le jour même. En n d’après-
midi il était là et à 18h00 nous nous
préparions à endormir le léopard pour
le charger dans sa caisse de transport,
la même que celle du premier voyage,
toujours aussi lourde (160 à 180
kilos avec le léopard) ! Comme cette
fois nous n’étions que deux, nous
déposâmes la caisse sur un chariot à
roulettes laissé au bas de l’escalier du
couloir menant au parc du léopard.
Nous pensions pouvoir endormir et
charger le félin rapidement. A 21h00
le léopard n’était pas encore dans sa
caisse! En eet, dès que le léopard
nous aperçut, il se réfugia dans son
abri, prenant soin de se cacher contre
la paroi. Ayant aussi repéré le fusil
servant à lui envoyer la échette avec
le narcotique, il prit soin de rester
caché. Le viser depuis la porte d’entrée
de son box devenait très dicile, voire
impossible. Nous plaçâmes une grille
contre la petite porte coulissante,
an de pouvoir ouvrir celle-ci tout
en empêchant le fauve de sortir ou
de nous attraper avec ses gries
redoutables. Une autre grille fut aussi
placée contre une petite ouverture
de 10 centimètres de diamètre,
pour empêcher le léopard de sortir
une patte et de nous attraper. Ainsi
nous pouvions viser par trois angles
diérents. Sentant qu’il ne pouvait pas
échapper à nos regards, le félin passa à
l’attaque, se jetant violemment contre
les diérentes ouvertures suivant
où nous nous tenions. Son attaque
terminée, il partait, intelligemment,
se tapir hors d’atteinte du fusil
hypodermique. A une reprise, il arriva
tellement violemment dans la grille
de la porte coulissante xée dans la
paroi avec des vis, que celles-ci furent
arrachées et que nous pûmes de
justesse retenir la grille.
Après la deuxième piqûre, il ne
s’était pas encore endormi, en raison
de l’excitation et de la poussée
d’adrénaline. Enn après un troisième
tir il nous sembla qu’il s’était assoupi.
Prudemment, avant d’entrer dans
l’abri, nous glissâmes un long manche
en bois à travers la grille pour le tâter
et ainsi vérier s’il avait encore des
réactions. Il me semblait bien que ses
paupières remuaient un peu et que
son regard nous xait, mais le félin ne
bougeait pas, se laissait aller... quand
tout à coup, après que nous ayons
encore une dernière fois soulevé un
peu sa tête avec le bâton, il attrapa
celui-ci avec une rapidité foudroyante.
Il ne le lâcha que lorsqu’il fût réduit en
miette, pour s’élancer avec violence
dans notre direction et il réussit à
attraper le canon du fusil qui dépassait
de la grille. Le canon abîmé, le fusil
devenait inutilisable. Heureusement
que nous ne nous étions pas aventurés
trop vite dans son antre, car nous
aurions aussi été abîmés ! Par chance
le transporteur avait une sarbacane
grâce à laquelle nous pouvions encore
tenter de lui faire une piqûre, la
dernière, car nous risquions d’atteindre
une dose mortelle. Il commençait à
faire sombre, et la visibilité devenait
mauvaise dans son abri. Je réussis
à glisser une lampe au plafond, et
par chance elle éclaira juste la cuisse
du félin qui, tout de même un peu
endormi, s’était recouché. La échette
atteignit son but, et après dix minutes
le félin semblait, cette fois-ci, bien
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A l’écoute des animaux
endormi. Nous le secouâmes à
plusieurs reprises, il ne bougea pas.
Alors, prenant notre courage à deux
mains, nous pénétrâmes dans le
petit local et, pour nous assurer que
le sommeil était profond, méants,
nous lui tirâmes la queue. Il ne bougea
pas. Nous l’installâmes alors dans une
couverture pour le porter jusqu’à sa
caisse de transport. Enn, à mon plus
grand soulagement, il quittait le parc
pour son ancien zoo. Il était 22h00 !
Les jours suivants, j’appris qu’il était
bien arrivé, à 4h00 du matin. Quoique
réveillé à son arrivée, il somnola
pendant 24 heures sous l’eet des
narcotiques. Mais dès qu’il récupéra
tous ses esprits, il retrouva aussi ses
anciennes habitudes et se comporta
comme si rien ne s’était passé. Pour
le moment il restera dans ce zoo
jusqu’à ce qu’il lui soit trouvé une
place adéquate, s’il cela est possible. Le
comportement de ce léopard n’avait
rien d’exceptionnel, c’était un mâle
puissant, dominant et intelligent.
Cependant sa haine de l’homme et la
violence de son agressivité en faisait
un animal terriblement dangereux
pour un parc n’ayant pas les structures
adéquates.
Après le départ du léopard, les
animaux ont repris leur rythme de vie
habituel et se sont remis à manger.
Les trois nouvelles femelles pumas se
sont très vite habituées à leur nouvel
environnement, ne montrant aucune
agressivité, même vis-à-vis de leur
voisine la vieille femelle puma qui
pendant quelques jours soua les
nouvelles venues. Quant à Manoir,
il ne mit le nez hors de son abri et se
remit à manger que deux jours après le
départ de son rival. Depuis lors, il est
plus calme et moins vindicatif !
Avant ces deux léopards, j’en avais
accueilli plusieurs à Vernier. Il y eu
un fort beau mâle tacheté nommé
Reza que son maître, un artiste de
cabaret ayant déménagé, ne pouvait
plus garder. Il fut installé dans un
grand parc des Volières de Vernier.
Cet animal était très attaché à son
maître et dès qu’il l’entendait arriver,
il l’appelait avec des rugissements
rauques. Puis venait se frotter contre
le grillage en émettant un espèce de
ronronnement profond. Pendant la
journée, si le temps était agréable, il
se prélassait au milieu de son parc,
se roulant sur le dos, complètement
détendu, ne prêtant aucune attention
à votre présence : il n’était attaché
qu’à son premier maître, comme le
sont la plupart des félins. Cependant
à l’instant où il percevait que votre
attention était détournée, en deux
bonds, il se trouvait derrière le grillage,
guère aimable ! Généralement les
visiteurs avaient un mouvement
de surprise, voire de frayeur. Alors
satisfait, il retournait se coucher dans
l’herbe. Reza est mort suite à des
problèmes rénaux, à l’âge de 15 ans,
ce qui est déjà un âge moyen pour
un félin. Tous les « chats », petits
ou grands ont à peu près la même
espérance de vie, soit de 15 à 20 ans.
En liberté l’espérance de vie d’un grand
fauve est d’environ 10 ans et, de 5-7
ans pour un petit félin. Le record de
vieillesse est détenu actuellement par
notre vieux lynx, âgé de 25 ans.
A Vernier, Prince, un autre léopard
noir, a atteint l’âge de 22 ans. Ce fauve
avait été placé chez nous à l’âge de 17
ans, lorsque son propriétaire avait dû
renoncer à son métier de dompteur.
Bien que très attaché à son maître, ce
léopard était plus docile et plus doux
que Reza. Non seulement il n’attaquait
pas les visiteurs ni les menaçait, mais,
après quelques mois, il me tolérait
et venait se faire caresser à travers
le grillage. A l’époque, j’hébergeais
déjà une femelle panthère de Chine
nommée Sybille. Je l’avais reçue du
zoo de Saint-Martin-La Plaine près
de Lyon. Agée de seulement un
mois, elle avait été rejetée par sa
mère. Sybille, très craintive, refusa le
biberon et voulut manger seule. Elle
me tolérait, refusant de venir se faire
caresser, mais elle me respectait, me
fuyant plutôt. Elle n’essaya jamais
de m’attaquer lorsque je me trouvais
dans son parc. Elle était très belle,
légèrement plus basse sur pattes que
les léopards communs. Sa fourrure,
aussi, était diérente : elle était plus
dense et les dessins noirs étaient
légèrement ocellés ; ils se détachaient
sur un fond fauve clair. En fait la
panthère de Chine, par son aspect, est
un peu la transition entre la panthère
des neige et la panthère commune.
Lorsque des visiteurs venaient la voir,
elle se réfugiait dans sa niche, et si je
m’approchais en me baissant pour la
faire sortir, elle sortait comme une
bombe de sa cachette, sautait par-
dessus mes épaules pour s’arrêter de
l’autre côté de son parc, dévisageant
les inconnus, ensuite elle retournait
se cacher. Cependant elle n’eut pas
une jeunesse solitaire, elle eut comme
Reza
Prince
diérence du pelage entre Sybille (en haut) et Reza (en bas)
journal 491.indd 5 30.03.12 12:04
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