Application de l’impédance électrique pour le contrôle microbiologique des vins embouteillés A N A LY S E MARTÍNEZ M.(1), TORRES M.(1), BOBET R.(1), CANTARERO X.(2), ÁLVAREZ J.-F. (2), RUBIRES X. (1) (1) Miguel Torres s.a., 08720 Vilafranca del Penedés, Barcelone, Espagne. [email protected] (2) Gomensoro Biotech c/Aguacate, 1528044 Madrid, Espagne. 34 L’intérêt actuel des systèmes de détection rapide de microorganismes dans l’industrie alimentaire est étroitement lié à son processus productif et à l’expédition du produit final. La microbiologie classique a basé ses progrès sur le développement de milieux de culture spécifiques et de preuves biochimiques permettant de distinguer différents microorganismes, de façon quantitative et qualitative. Malgré l’universalité de son utilisation, ces techniques présentent l’inconvénient du temps : il est nécessaire d’attendre de deux à trois jours pour obtenir des résultats fiables (par exemple, le comptage des colonies visibles) (11). Cet inconvénient provoque l’accumulation du stock de production au magasin dans l’attente du résultat du contrôle de qualité du produit final, ce qui entraîne une augmentation des coûts de celui-ci. Le besoin de réduire le temps de détection des microorganismes a entraîné le développement de nouvelles technologies permettant de garantir la qualité des produits alimentaires, avec les mêmes fiabilité, reproduction et répétitivité que les essais classiques. Ces nouvelles technologies fondent leur application sur la détection de microorganismes d’une manière indirecte. C’est ainsi que se sont développés des systèmes comme la bioluminescence et l’immunisation (1, 4), l’utilisation de la biologie moléculaire au moyen de sondes d’ADN (5, 6) ou de l’application de la P.C.R. et de l’impédance électrique (3) permettant toutes de réaliser un contrôle microbiologique correct. L’impédance électrique, déjà décrite en 1898 pour la détection de contaminations microbiennes (13) est un puissant outil microbiologique alliant les qualités de rapidité et de simplicité. Le nombre de publications consacrées à cette technique a notablement augmenté (14) à partir du milieu des années 1970, avec le développement de nouveaux équipements automatisés. Au sein des industries de l’alimentation, les applications potentielles de la technique ont stimulé les essais sur différentes matrices et avec différents micro-organismes. (12) Parmi les applications fondamentales dans l’industrie alimentaire, il faut remarquer le comptage des aérobies totales, validé actuellement dans la norme allemande DIN 10115 (avril 1999), les levures, les entérobactéries, les coliformes ; la confirmation de l’absence de pathogènes, comme la salmonelle, validée dans la norme DIN 10120 (février 2000), la listériose, le clostridium, les staphylocoques ; et finalement différentes applications comme le comptage de psicrophiles, de lactobacilles, les tests d’antibiotiques, etc. (12). Dans les protocoles d’absence de pathogènes, les méthodes évaluées sont valables pour tous les types de matrices, comme l’indiquent les normes DIN susmentionnées. Cependant, quand il s’agit du comptage de micro-organismes, il est important de contrôler et de valider l’essai pour chaque type de matrice alimentaire, étant donné que les matrices peuvent ralentir ou accélérer le taux de multiplication microbienne et donc, fausser les résultats finaux. Nous présentons dans le travail ci-dessous une nouvelle application de l’impédance électrique ayant pour objectif de détecter et de quantifier la présence de bactéries mésophiles aérobies et des levures pour garantir la qualité microbiologique des vins embouteillés. 1 Techniques expérimentales et matériel utilisé Souches, milieux de culture et conditions de travail. Les souches de levures utilisées dans l’étude actuelle sont d’origine commerciale : AWRI 350 (Saccharomyces cerevisiae) et Vitilevure TE (Saccharomyces bayanus). Les bactéries aérobies proviennent des isolations propres réalisées chez Miguel Torres, s.a. Les levures ainsi que les bactéries se conservent en milieu Agar Sabouraud à 30ºC. Quantification classique La quantification des bactéries et des levures selon la méthode classique se réalise grâce au nombre plus probable (NPP) et au banc de dilutions d’une suspension de bactéries ou levures. Les dilutions se réalisent en utilisant le tampon Ringer. Quantification par impédance électrique La quantification des bactéries aérobies et des levures se fait au moyen de l’analyse de la variation de l’impédance électrique du milieu de culture (impédance directe) ou d’une solution de KOH 0,2 % (impédance indirecte). Les milieux de culture utilisés pour les essais de l’impédance électrique sont : le BiMedia 001A (Sy-Lab) pour le comptage des aérobies totales et le BiMedia 501B (Sy-Lab) pour le comptage des levures. Pour immobiliser les micro-organismes, les échantillons se filtrent dans les filtres de nitrocellulose Millipore HAWGO2500 de 0,45 µm. La température d’incubation des échantillons dans l’impédanciomètre est de 30ºC. L’impédanciomètre utilisé est le modèle -Trac 4200 de Sy-Lab (Autriche) fourni par Gomensoro s.a. Impédance directe : le filtre est introduit dans la cellule de mesure qui contient un milieu de culture spécifique pour le développement des bactéries aérobies. Dans le cas de la mesure de l’impédance électrique directe, le milieu de culture et les micro-organismes sont en contact direct avec les électrodes de mesure (voir figure 1A). A B Figure 1- Cellules de l’impédance directe (A) et indirecte (B) Impédance indirecte : le filtre est introduit dans une cellule récipient, qui contient le milieu de culture pour le développement des levures. Cette cellule est introduite ouverte afin de permettre la libération du CO2, fruit de l’activité métabolique des levures à l’intérieur de la cellule qui contient une solution de KOH à 0,2 % en contact direct avec les électrodes de mesure. Dans le cas de l’impédance indirecte, les levures retenues par le filtre ne sont pas en contact direct avec les électrodes de mesure de l’impédance électrique (voir figure 1B). Revue Française d’Œnologie - mars/avril 2004 - N° 205 2 du milieu et donc une baisse de la résistance totale de celui-ci. Dans ce cas, M initial est maximal et coïncide au début de la prise de mesures avec la valeur de M’. Résultats 2.1- Quantification des levures par impédance électrique. Impédance indirecte Les courbes obtenues dans la quantification des levures par impédance électrique indirecte sont montrées dans la figure 2. La valeur de M’ décroît avec le temps ce qui implique que la différence par rapport à M initial augmente jusqu’à la valeur maximale quand M’ est égal à zéro. M% M% Temps (heure) Temps (heure) Figure 2- Courbes obtenues dans la quantification des levures par impédance électrique indirecte. Les ordonnées représentent le pourcentage de variation de l’impédance du milieu KOH (% M) et les abscisses, le temps écoulé en heures. Celles-ci représentent le pourcentage de variation de l’impédance électrique mesurée en continu par rapport à la mesure prise initialement (M=M(initial)-M’). La dissolution du CO2 produit par les levures dans la solution de KOH 0,2 % provoque un déplacement du déséquilibre de cette base forte jusqu’à la formation d’un sel (K2CO3), ce qui entraîne une diminution de la conductivité du milieu et donc une augmentation de l’impédance ou de la résistance totale du milieu. Les courbes obtenues ont une valeur négative puisque la mesure prise initialement (M initial) prend une valeur 0 après la stabilisation initiale et les valeurs de M’ sont toujours supérieures à M initial. Figure 4- Courbes obtenues dans la quantification de bactéries aérobies par impédance électrique directe. Les ordonnées représentent le pourcentage de variation de l’impédance du milieu de culture (% M) et les abscisses, le temps écoulé en heures. La figure 5 montre la relation entre les résultats de l’impédance électrique obtenus dans les différents essais et le nombre correspondant de micro-organismes viables obtenus selon une quantification classique. Le coefficient de corrélation des deux variables est de 0,98, pouvant garantir l´absence de bactéries aérobies en moins de 18 heures. 25 20 La figure 3 montre la relation entre les résultats de l’impédance électrique obtenus dans les différents essais et son nombre correspondant de micro-organismes viables obtenus grâce à une quantification classique. La corrélation des résultats a été de 0,97, pouvant confirmer l’absence de levures en 24 heures. y = -1,73x + 17,32 2 R = 0,98 15 10 Heures détection variation 5 % M 30 Heures détection variation 5 % M 25 5 y = -3,55x + 24,35 2 R = 0,97 20 0 15 0 2 4 6 log (cfu/volume) 8 10 10 Figure 5- Corrélation entre le temps nécessaire pour détecter 5 % de variation de la valeur de l’impédance électrique, mesurée par rapport au nombre de cellules viables obtenues par microbiologie classique. 5 0 0 2 4 log (cfu/volume) 6 8 Figure 3- Corrélation entre le temps nécessaire pour détecter 5 % de variation de l’impédance, mesurée par rapport au nombre de cellules viables obtenues par la microbiologie classique. 2.2- Quantification des bactéries aérobies par impédance électrique. Impédance directe Les courbes obtenues dans la quantification de bactéries aérobies par impédance électrique directe sont montrées dans la figure 4. Le pourcentage de variation de l’impédance électrique par rapport à la mesure prise initialement (M=M initial-M’) y est aussi représenté. Les courbes présentent un sens inverse aux antérieures parce qu’il s’agit d’un milieu de culture où l’action métabolique des bactéries induit une hausse de la conductivité 3 Commentaires L’impédance (Z) électrique est la mesure de la résistance totale dans un milieu conducteur. Elle a un rapport direct avec la conductivité (C) car elle est inversement proportionnelle à celle-ci. Cette valeur dépend de la fréquence (F) de travail du passage du courant électrique Z = R2 + 1 2 2 π . F .C L’impédance varie drastiquement en fonction de la température, mais on travaille dans le système à température constante (2). Revue Française d’Œnologie - mars/avril 2004 - N° 205 35 On peut parler de deux systèmes : impédance directe si les micro-organismes sont en contact direct avec les électrodes de mesures et impédance indirecte s’ils ne le sont pas. L’impédance électrique directe se base sur les molécules du milieu de culture : protéines, hydrates de carbone... qui sont électriquement neutres ou sont légèrement ionisés (9). Ces molécules se transforment sous l’action de micro-organismes présents dans le milieu de culture en de nombreuses molécules plus petites, ayant une charge et une mobilité électrique plus élevée, comme par exemple dans les aminoacides, lactates, etc. Ces modifications sont mesurables au moyen de deux électrodes submergées dans le milieu de culture (7, 8) (voir figure 6). Source électrique Milieu de culture _ + + + + + - + + - - Résistance Figure 6- Schéma du mouvement des charges dans un milieu de culture au passage du courant électrique entre deux pôles opposés L’impédance électrique indirecte se base sur la mesure de la diminution de la conductivité produite par la réaction du CO2, libérée par les levures et l’hydroxyde potassique pour former un sel (10). Le critère de qualité utilisé dans les caves Miguel Torres s.a. établit des valeurs inférieures à 10 cfu dans 100 mL pour les levures et inférieures à 30 cfu dans 100 mL pour les bactéries mésophiles aérobies. Avec ce système, on peut certifier l’absence de micro-organismes viables s’il n’y a pas de changements d’impédance après 24 heures (levures) ou 18 heures (bactéries mésophiles aérobies) de mesure. Autrement dit, on est en train de développer cette technique pour la détection des bactéries lactiques par mesure indirecte. Les premiers résultats montrent qu’on peut arriver à faire un comptage dans une période de deux jours au lieu de dix jours (méthode classique). On peut également souligner d’autres applications de la technique de l’impédance électrique qui promettent dans le secteur de l’élaboration des vins : le contrôle des points critiques, le contrôle des eaux de rinçage, le contrôle des fermentations et le contrôle de l’activité enzymatique microbienne. RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES (1) D’AOUST J.-Y., SEWELL A.M., 1986. Detection of Salmonellae by the Enzyme Immunoassay (EIA) Technique. J.Food.Sci 51 : 484-507. (2) DEAK T., BEUCHAT L.R., 1993. Comparison of condutimetric and traditional plating techniques for detecting yeast in fruit juice. J. Appl. Bacteriol. 75 : 546-550. (3) ELVIRA J., BUJAN J., URPÍ P., BRAGÓS R., 2002. Mesura en línia de biomassa viable mitjançant l’ús de l’espectroscòpia d’impedància elèctrica. ACE Revista d’Enologia 61 : 12-17. (4) EMSWEILER-ROSE B., GEHLE W.D., JOHNSTON R.W., OKRED A., MORAN A., BENNET B., 1984. An enzyme immunoassay technique for the detection of salmonellae in meat and poultry products. J.Food.Sci 49 : 1010-1020. (5) FITTS R., 1985. Development of DNA-DNA hybridization test for the presence of salmonellae in foods. Food Technol 39 : 95. (6) FLOWERS R.S., MONGOLA M.A., CURIALE M.S., GABIS D.A., SILLIKER J.H., 1987. 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Dans le cas particulier d’échantillons de vin, les résultats exposés dans le présent travail démontrent que la mesure de la production de CO2 par impédance électrique est une méthode optimale pour la détection et la quantification de levures, obtenant des coefficients de corrélation de 0,97 comparés à la microbiologie classique, en pouvant confirmer leur absence en moins de 24 heures. 36 Remerciements : Nous adressons nos plus vifs remerciements à Lluis Cañellas de Miguel Torres s.a. Le travail exposé dans cet article démontre qu’il est possible de quantifier la charge bactérienne aérobie dans le vin, avec un coefficient de corrélation de 0,98 comparé à la quantification par microbiologie classique, en pouvant confirmer l’absence de bactéries en moins de 18 heures. R É S U M É … De nos jours, les contrôles microbiologiques réalisés dans l’industrie alimentaire ont besoin de systèmes de détection de micro-organismes rapides, répétitifs, reproductibles et fiables. Ce travail applique la technologie de l’impédance électrique pour le contrôle microbiologique du vin au terme de son processus de production. Le système classique de quantification de la charge microbienne utilisé jusqu`à présent chez Bodegas Miguel Torres, s.a. a été remplacé par le système d’analyse de la variation de l’impédance électrique. De cette manière, le temps entre le résultat du contrôle de qualité du produit final et l’expédition du vin, a été réduit de même que celui du stockage des vins. Revue Française d’Œnologie - mars/avril 2004 - N° 205