La logistique, démarche(s) et organisations. Analyse des réalites

Georges FASSIO
Centre d’Etudes et de Recherche en Logistique - Université de Nantes
IUT de Saint-Nazaire
Alain DENIER
Responsable de l’unité de service Logistique - Ville
Etablissement Aérospatiale de Saint-Nazaire
Après avoir recensé les démarches ayant permis le développement de la démarche
logistique Aérospatiale-Aéronautique et identifié les champs de cette démarche,
nous étudions les réponses de l’Etablissement de Saint-Nazaire comme institution
entrepreneuriale capable de s’organiser logistiquement pour relever les défis que
sont la maîtrise des flux, des cycles et des délais, des coûts et la qualité, en associant
clients et fournisseurs à sa démarche. Nos analyses nous amènent à concevoir la
logistique comme une démarche et une organisation visant à ajouter de la valeur
aux produits.Elles nous conduisent aussi à nous interroger sur la pérennité de
l’organisation Logistique eu sein même de l’entreprise. Organisation au service des
organisations Production et Ventes, ces dernières peuvent être tentées de
s’approprier une démarche qui ne s’est pas dotée d’outils spécifiques.
La logistique est-ce une ou des démarches ?
Est-ce une ou des organisations ?
A un premier stade de développement, est-elle
nécessairement une ou des démarches pour
devenir ultérieurement, une ou des organisa-
tions sans pour autant cesser d’être une ou des
démarches ?
La logistique, peut-elle redevenir une dé-
marche alors qu’elle est devenue une organi-
sation officielle et concentrée, puis, ou une
organisation officielle distribuée (20) ?
L’exploitation de la littérature scientifique
nous aurait très probablement permis d’argu-
menter un point de vue. Il nous est apparu inté-
ressant d’étayer notre réflexion à partir du
développement de la fonction Logistique d’un
grand groupe industriel français, l’Aérospa-
tiale et plus particulièrement, de sa branche
Aéronautique, à travers l’expérience pilote
d’un établissement, celle de l’établissement
de Saint-Nazaire. Deux unités logistiques ont
été créées le 1er octobre 1994, l’établissement
coordonnant les activités de deux usines, sur
deux sites distants de quelques kilomètres.
Est-ce pour autant affirmer que la logistique
n’existait pas comme démarche structurée,
comme “une démarche organisationnelle”
(19) dans cet établissement, avant cette date
d’officialisation ? Non. Cependant, dans cet
établissement, les réalités logistiques ne sont
probablement plus aujourd’hui ce qu’elles
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La logistique, démarche(s) et organisations.
Analyse des réalites logistiques
de l’établissement rospatiale de saint-nazaire
et prospectives.
étaient avant leur institutionnalisation par
deux “unités de services” ? Cet article essaie
encore de répondre à une autre question. La
logistique y est-elle concentrée, répartie ou
distribuée, voire fragmentée ?
1 - Les origines
“aérospatiales-aérostructures”
de la logistique
Le groupe Aérospatiale est, en 1996, structuré
en fonction de ses activités en trois branches :
Espace & Défense, Aéronautique, Hélicoptè-
res et une division : Missiles. La branche Aé-
ronautique regroupe notamment le centre
opérationnel Aérostructures qui fédère les ac-
tivités des cinq sites industriels de Blagnac
(Toulouse), Méaulte, Nantes, Saint-Eloi (Tou-
louse) et Saint-Nazaire. En 1995, les activités
Avions qui regroupent toutes les activités des
centres opérationnels de la branche Aéronau-
tique, se sont quantifiées à 24,648 milliards de
francs (23,334 milliards en 1994) de chiffre
d’affaires. Est-ce pour autant satisfaisant ?
Dans l’industrie aéronautique civile, les suc-
cès d’hier ne garantissent pas les résultats
d’aujourd’hui, même s’ils n’hypothèquent
pas ceux de demain.
Ne pas hypothéquer demain, c’est relever le
défi d’aujourd’hui. Ce défi, c’est l’hyper-
compétition ; une hypercompétition qui se
joue dans l’industrie aéronautique civile sur
les prix, les cycles de personnalisation et la
gamme des produits.
Vouloir relever le défi du prix, c’est agir pour
réduire et maîtriser les coûts. Aussi, c’est
s’organiser différemment pour réduire et maî-
triser les cycles et l’acheminement des biens
d’un cycle à l’autre. Relever le défi des pro-
duits, c’est concevoir, fabriquer et assembler
des produits qui satisfont les exigences des
clients. Satisfaire les clients, ce n’est proba-
blement pas concevoir et développer des pro-
duits sans discerner les réelles attentes des
clients, les attentes des compagnies aériennes.
Dans l’aéronautique civile, il n’existe pas des
marchés. Seuls existent des clients. Cette réa-
lité a d’autant plus de mal à être acceptée
“dans les industries à forte dimension pro-
duit” comme l’aéronautique, l’électronique,
... (29). Relever le défi du prix mais aussi ceux
de la qualité, des cycles et délais, c’est pour un
établissement industriel muter vers une cul-
ture économique et sociale qui se matérialise
nécessairement par des objectifs de perfor-
mance exprimant une volonté de progresser
dans les dimensions qualité, cycles et coûts,
sans pour autant négliger la flexibilité pour
adapter l’offre rapidement à une demande
toujours plus différenciée, inconstante. Etre
flexible, c’est pour l’Aérospatiale-Aéro-
structures parvenir aux mêmes performances,
voire être meilleure que Boeing (élaborer un
avion en 6 ou 8 mois selon les types, réduire
les coûts de 25 % ; deux objectifs annoncés
par Bœing en 1993). C’est aussi en réduisant
les temps entre la commande ferme et la li-
vraison de l’appareil, réduire le nombre des
modifications que les clients ne manqueront
pas de demander.
Ainsi, comme toute entreprise, l’Aérospatiale
est confrontée à des problèmes d’adaptation à
son environnement. Il lui appartient d’agir
pour être plus performante demain qu’aujour-
d’hui. Agir suppose qu’elle développe ses res-
sources humaines pour que celles-ci soient
capables de s’adapter et d’évaluer les dimen-
sions de leurs performances.
Etre performant, c’est aujourd’hui selon les
théories économiques libérales, moins subir
en termes économiques (licenciements, pertes
financières, ...) les conséquences de cette
conjoncture qui perdure et qui a été baptisée
“crise”. Serge Dassault, PDG de Dassault
Aviation (1993), identifie les réalités sous- ja-
centes à ce terme dans le secteur de l’aéronau-
tique : “... la crise est en fait une inadaptation
des produits à la clientèle, ainsi qu’une mau-
vaise prévision des capacités de production
nécessaires et une gestion financière impru-
dente”.
Seule, la seconde réalité évoquée est du
champ d’action d’un établissement de pro-
duction. Il s’agit pour un établissement non
pas de réviser les prévisions d’activité en
fonction des commandes des clients, il existe
un Plan de Fabrication Echéancé (PFE) actua-
lisé et réactualisé en fonction des clauses des
négociations commerciales, mais d’adapter
l’outil de production aux réalités des ventes.
Autrement dit, la performance pour un éta-
blissement de production s’exprime moins en
termes d’efficacité qu’en termes d’efficience.
Pour un établissement industriel, il s’agit
moins dans une conjoncture difficile, de par-
venir à réaliser x quantités de produits que de
fabriquer ces produits au moindre coût, en
maîtrisant leur qualité, en respectant les délais
contractuellement négociés avec les clients.
La performance s’exprime par conséquent en
termes d’efficience, c’est-à-dire en niveaux de
consommation. Il s’agit de mettre en place au
juste niveau, les ressources indispensables
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(hommes, moyens matériels, intrants, ...) pour
réaliser les produits.
Produire seulement ce qui est vendu en
consommant au plus juste sans remettre en
cause les contraintes que sont la qualité et les
délais contractualisés, suppose de se doter
d’objectifs matérialisant des démarches d’ac-
compagnement et de s’organiser en consé-
quence.
2 - La logistique comme
démarche
2 - 1 - Les prémisses de la démarche
logistique : quelques démarches
d’accompagnement des personnels
A l’Aérospatiale-Aérostructures, la démarche
logistique s’articule sur la démarche indus-
trielle.
La démarche industrielle naît en 1988 après des
succès commerciaux. Il s’agit d’augmenter la
production d’avions en réduisant leurs coûts de
production ; l’unité de mesure étant alors
l’heure / kg. Pour y parvenir, le groupe doit se
recentrer sur ses métiers spécifiques, ceux d’un
avionneur. Alors que plusieurs établissements
exerçaient un même métier, il convient désor-
mais de spécialiser les établissements par
métier. Deux établissements ne pourront plus
exercer le même métier. Aussi, il convient non
seulement d’organiser la réalisation des diffé-
rents intrants d’un avion à partir de sites spécia-
lisés en les industrialisant mais d’organiser
l’assemblage du produit final en maillant les
échanges entre sites. Cette nouvelle organisa-
tion suppose encore de développer un système
d’information inter-sites comme de multiplier
les échanges physiques inter-sites. La démar-
che Juste A Temps (JAT) incite à la réalisation
des objectifs : réduire les coûts, les cycles, être
plus réactif.
A la démarche industrielle s’est greffée la dé-
marche Qualité. En 1990, l’Aérospatiale-Aéro-
structures vise à garantir le zéro défaut au
moindre coût alors que l’augmentation des ca-
dences exige la mise en place de processus in-
dustriels de série. Obtenir la qualité à moindre
coût comme réduire le coût de la non-qualité
supposent de s’organiser pour assurer la qualité.
Maîtriser les processus de production et admi-
nistratifs, faire en sorte que chaque acteur
prenne en considération lors de l’exécution les
exigences de qualité, sont les deux axes d’action
à partir desquels se concrétise la démarche.
Si les établissements doivent communiquer
afin de maîtriser et de réduire les cycles de fa-
brication, d’assemblage et d’acheminement
des biens tout en obtenant la qualité requise, il
appartient au centre Aérostructures d’harmo-
niser le système d’information des usines de la
branche Aéronautique ; celui-ci interagissant
avec les flux physiques.
Maîtriser les délais suppose très concrètement
de maîtriser non seulement l’échange
d’informations mais aussi l’échange physique
des différents intrants permettant en fin de
cycle, l’assemblage final des produits.
Maîtriser les flux révèle le besoin d’une dé-
marche qui garantit leur acheminement phy-
sique dans les délais et la qualité exigés.
Aussi, la démarche logistique se formalise.
Des procédures sont écrites. Il est demandé
aux différents acteurs de s’y conformer.
2-2-Leschamps de la démarche logistique
En créant en 1994 la fonction Logistique, la
branche Aéronautique précise : “... la fonction
logistique regroupe des activités relatives à
l’ordonnancement et à l’approvisionnement
(hors négociations financières) des matières,
semi-équipements, équipements, pièces et
sous-ensembles avions réalisés en interne dans
nos unités ou en externe par nos fournisseurs”.
Plus opérationnellement, la démarche logis-
tique Aérostructures identifie trois champs
d’action pour ses personnels.
Une logistique d’ordonnancement (approvi-
sionnement) dont la responsabilité est de con-
tribuer à la réduction des cycles de fabrication
en approvisionnant au plus juste (maîtriser les
niveaux de stocks) et juste à temps (réduire les
cycles) les unités opérationnelles, des élé-
ments dont elles ont besoin, à l’exception de
certains biens communs (par exemple, les
rivets) à plusieurs unités ou sites, tout en veil-
lant à réduire les coûts (administratifs, finan-
ciers, liés aux structures).
Une logistique d’acheminement (réduire les
temps entre les cycles, participer à un approvi-
sionnement de qualité) recouvre les opéra-
tions physiques que supposent le transport, le
dédouanement, la réception, le stockage, la
préparation, les expéditions, la distribution
aux postes de travail.
Une logistique contractuelle dont les princi-
paux champs sont : négocier les conditions
d’achat, rédiger les conventions générales lo-
gistiques (notamment, assurer la qualité des
transports, leur traçabilité), agir auprès des
fournisseurs afin de tendre les flux (réduire
leurs cycles d’approvisionnement, réduire
leurs niveaux des stocks amonts et minimiser
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leurs frais financiers) tout en s’assurant de la
qualité des produits acheminés vers les unités
opérationnelles de fabrication pour éviter les
contrôles “qualité” lors de la réception.
Aussi, dans ses différents champs, il appar-
tient à la fonction logistique de réduire les
stocks, les en-cours en minimisant leurs temps
d’attente entre deux transformations (22) et
les cycles.
Réduire les cycles, c’est tendre et accélérer les
flux tant internes qu’externes à l’usine.
Réduire les cycles en interne, c’est rendre
moins nombreuses les interfaces entre proces-
sus de travail au sein d’une même unité
comme entre plusieurs unités. En d’autres ter-
mes, c’est simplifier les boucles d’achemi-
nement des biens physiques entre processus
de fabrication et de montage industriels pour
éviter toute rupture de charge, toute rupture de
responsabilité. C’est aussi faciliter la commu-
nication entre acteurs en développant un lan-
gage commun, direct ; en utilisant des outils
de communication compatibles entre eux.
C’est encore réduire la complexité des procé-
dures, “faire simple” (13).
Réduire les cycles en externe, c’est contrac-
tualiser avec les fournisseurs et sous-traitants,
avec tous les acteurs (transporteurs, doua-
nes,...). C’est aussi s’organiser pour amener
les fournisseurs et les sous-traitants à mieux
maîtriser leurs propres cycles d’ordonnan-
cement, de fabrication et d’acheminement ;
l’outil de progrès approprié étant un audit
régulier de leurs réalités logistiques. C’est en-
core mettre en place des “solutions logisti-
ques” adaptées aux exigences des clients avec
les autres établissements de la branche Aéro-
nautique, les partenaires (DASA, ...), les four-
nisseurs et sous-traitants (industriels et
transporteurs). C’est étendre “le sens de la
relation Client-Fournisseur” (13) en aval de sa
propre intervention afin d’assurer à ses pro-
pres acteurs de meilleures conditions d’appli-
cation de cette relation en interne.
Si les missions de la fonction Logistique,
sont : réduire les niveaux des stocks, les
en-cours (des temps de travail cumulés mais
non actifs, 22), les cycles et les délais d’ache-
minement des biens physiques, la fonction
Logistique ne s’est pas façonnée des outils
spécifiques pour mener à bien ses missions ; à
l’exception de quelques logiciels qui emprun-
tent cependant la logique d’optimisation de
l’outil mathématique. Aussi, aujourd’hui, cer-
tains responsables logistiques s’interrogent :
“la logistique, est-ce bien une démarche ?”
Une démarche, c’est “un ensemble de moyens
mis en œuvre pour atteindre un but” (41). Si la
logistique pour mener à bien ses missions,
emprunte maints outils à d’autres démarches,
il n’est cependant pas requis d’après la réfé-
rence citée ci-dessus qu’il appartient à une dé-
marche de façonner ses propres outils. Ce qui
nous semble déterminant pour identifier que
des pratiques, des actions constituent une dé-
marche, c’est que ces actions visent à “at-
teindre un but”. Or, la logistique poursuit bien
un but : écourter les cycles et les temps de non
travail entre les cycles du processus logisti-
co-industriel : gestion des commandes - or-
donnancement - achats - production -
livraison - client livré (29), éviter ses ruptures.
Agir pour que ces cycles puissent être écour-
tés et fiabilisés, plus spécifiquement en inter-
venant pour garantir les délais et la qualité des
acheminements intra et inter-organisationnels
des biens physiques, nous semble deux préoc-
cupations complémentaires qui attestent que
la logistique est bien une démarche. Une dé-
marche plutôt que des démarches car ce qui
nous semble déterminant une nouvelle fois
pour qualifier des pratiques diversifiées de
“démarche”, est la volonté d’atteindre des ob-
jectifs de même perspective ; en l’occurrence,
pour la logistique : mieux maîtriser le temps
dans le cadre d’une logique de coopération
plus vaste articulée sur la relation
client-fournisseur
3 - L’organisation logistique
3 - 1 - Champs logistiques et réalités orga-
nisationnelles de l’Etablissement de
Saint-Nazaire
S’il existe trois champs logistiques, il n’existe
qu’une unité de services logistiques par site ;
le site étant l’unité géographique reconnue par
la démarche industrielle. Or, chaque unité de
services logistiques par ses activités n’assure
pas la totalité des activités logistiques liées
aux activités d’un établissement industriel.
L’effectif de la fonction logistique regroupe
non seulement les effectifs des deux unités de
services logistiques de l’établissement de
Saint-Nazaire mais aussi d’autres personnes
détachées hiérarchiquement au sein des
différentes unités opérationnelles de l’établis-
sement ; ces personnes restant fonctionnelle-
ment attachées à l’un des deux responsables
des unités de services logistiques de l’établis-
sement. Un responsable en charge aussi des
achats généraux, dirige et coordonne toutes
les activités logistiques, y compris celles des
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deux responsables des unités logistiques.
Aussi, aujourd’hui, seuls deux niveaux d’en-
cadrement supérieur permettent à l’établis-
sement de fonctionner.
La logistique d’ordonnancement
Elle est déléguée par la présence de logisti-
ciens rattachés hiérarchiquement au respon-
sable des lignes de produits, au responsable de
l’unité opérationnelle. Il appartient notam-
ment à ces logisticiens de prendre les déci-
sions opérationnelles liées aux cycles,
manquants, stocks, en-cours, consommations
de l’unité opérationnelle. A ce titre, ils plani-
fient, pilotent et régulent les relations fournis-
seurs - unité opérationnelle de fabrication.
Ainsi, ils assurent la production les flux
d’approvisionnement en matières, pièces,
sous-ensembles, ... En amont, ils sont par
conséquent responsables de la gestion des be-
soins de l’unité et de l’acte de commande. En
aval, ils sont responsables de l’information et
de la mise à disposition des produits aux utili-
sateurs de l’unité à laquelle ils sont rattachés.
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