INTRODUCTION
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conservatoire au bord du goure, aux prises avec un mal agissant, l’URSS, dans
un combat aux colorations apocalyptiques. Défenseurs de la Chrétienté et de la
civilisation gréco-romaine qui a digéré et universalisé la Révélation christique, ces
conservateurs manichéens constituent le cœur de la New (radical) Right.
Pour les deux derniers groupes que nous venons de décrire, la référence
chrétienne est diérente des référents religieux traditionnels, utilisés dans la
mythologie des fondations de l’Amérique et servant de socle à sa religion civile.
Cesréférents traditionnels sont hérités à la fois de l’imaginaire puritain et du
déisme des Pères fondateurs 5. Or le Nouveau Monde providentiel des conservateurs
n’est pas chargé par Dieu de réussir là où l’Europe folle a succombé à ses erreurs et
à son péché – version puritaine. Il n’est pas non plus un monde neuf donné aux
hommes de bonne volonté pour bâtir une société politique régénérée – version
déiste. Non, l’Amérique est, pour ces conservateurs radicaux, le précieux déposi-
toire d’une civilisation inégalable et inégalée, la Chrétienté, portée par la vérité de
la Révélation. Les deux groupes conservateurs «chrétiens» reconstruisent littérale-
ment les fondements de l’exceptionnalisme américain. L’avènement de l’Amérique
est désormais le fruit d’une chaîne sainte et d’une rupture providentielle. Il est
l’accomplissement parfait quoique menacé d’un héritage inestimable. La démarche
introduit un profond retournement de la pensée et de l’imaginaire américains, qui
n’échappe pas à ses premiers commentateurs.
Les prétentions de départ du groupe des conservateurs traditionalistes dont
Russell Kirk est le représentant le plus célèbre, ont été jugées saugrenues et
surprenantes. George Nash, dans son étude pionnière sur le mouvement conser-
vateur, insiste sur le fait qu’elles étaient encore au début des années 1960 taxées
d’unamerican, de fumeuses, d’européennes, de dissidentes par rapport à la praxis
américaine 6. Elles ont suscité nombre de réactions 7. Arthur Schlesinger, grande
gure de la pensée libérale, a insisté sur l’inadéquation radicale du conservatisme
de Kirk, issu de la pensée de Burke, avec la société américaine «sans fondements
féodaux, ni aristocratie, [mais] dynamique, progressiste et commerçante 8».
Arthur Schlesinger n’a pas été le seul à dénier l’idée d’un possible conservatisme
américain et encore moins d’un conservatisme idoine. Il était facile de prouver
alors que toute la doxa politique des auteurs américains depuis le esiècle
se positionnait contre les régimes de chrétienté et le conservatisme européen,
«importation exotique», selon Schlesinger 9, pur produit de la dégénérescence
du Vieux Continent, contraire à la liberté, laquelle était à la source moderne du
5. Voir pour l’imaginaire puritain, l’importance des écrits et de la vie de John Winthrop, auteur du fameux texte
«A City upon A Hill» sermon prononcé en 1630, dans le Massachusetts: Francis J. B, John Winthrop,
America’s Forgotten Founding Fathers, Oxford University Press, 2005, 512 p. Pour le déisme des Pères fondateurs,
voir de Gary K, Revolutionary Spirit: e Enlightened Faith of Americas Founding Fathers, BlueBridge,
2010 (réédition), 224 p.
6. George N, «e Search for a Viable Heritage», e Conservative Intellectual Movement in America since
1945, ISI Books, 2007, (1re édition 1979, New York, Basic), p.287-339.
7. Gerald G. R, «Russell Kirk and the Critics», e Intercollegiate Review, printemps-été 1993, p.3-13.
8. Arthur S Jr, «e New Conservatism in America: A Liberal Comment», Conuence 2, 1953, p.53.
9. Arthur S Jr, «e New Conservatism: Politics of Nostalgia», Reporter, 16juin 1955, p.9-12.
« La droite catholique aux États-Unis », Blandine Chelini-Pont
ISBN 978-2-7535-2747-8 Presses universitaires de Rennes, 2013, www.pur-editions.fr