„Un solennel bouquet s`apprête“ : la Cantate Napoléon III au

« „Un solennel bouquet s’apprête“ : la Cantate Napoléon III au Théâtre
Impérial du Châtelet à l’occasion de la Saint-Napoléon de 1863 »
Le titre de cet article reprend le texte de la partie finale d’une cantate Napoléon III exécutée
au Théâtre Impérial du Châtelet le jour de la Saint-Napoléon en 18631. Tout au long de cette
présentation, cette cantate sera replacée dans le contexte de l’organisation administrative et de
la production musicale de l’institution du Théâtre Impérial du Châtelet. L’objectif est de
décrire le type de bouquet solennel qui s’apprêtait sur le plan musical pour la glorification du
pouvoir politique en la figure de l’Empereur au Second Empire, et les intentions qui
motivaient le compositeur et le parolier en choisissant une certaine sémantique musicale. Les
points de vue du compositeur et du parolier seront confrontés à celui du pouvoir politique.
La relation institutionnelle entre musique et pouvoir politique au Second Empire s’articule
d’un côté par la censure théâtrale exercée par le Ministère de l’Intérieur, et de l’autre par la
mise en place urbaine et architecturale d’espaces musicaux lors de l’haussmannisation. Ainsi
l’haussmannisation avait été l’occasion pour Napoléon III de rayer de la carte parisienne les
théâtres que la censure n’était pas capable de contrôler. D’autres furent reconstruits pour les
remplacer : c’est le cas du Théâtre Impérial du Châtelet et du Théâtre-Lyrique élevés juste à
côté du Palais de Justice et de l’Hôtel de Ville. D’après Napoléon III, en tant que partisan du
Saint-Simonisme, l’architecture moderne de ces nouvelles salles du Paris haussmannisé était
le garant de la conformité politique des entreprises théâtrales et de leur prospérité financière.
C’est pourquoi Napoléon III n’attribuait aucune subvention au Théâtre Impérial du Châtelet
destiné aux grands spectacles militaires devant faire « vibrer la fibre patriotique des
spectateurs »2.
Au travers de ces deux institutions principales, réglant la relation entre musique et pouvoir au
Second Empire, se répercute le pouvoir politique à la fois sur l’œuvre et sur son exécution.
Alors que la censure est liée directement à l’œuvre qu’elle contrôle sur la base de la
1 Manuscrit intitulé : Théâtre Impérial du Châtelet, Napoléon III. Cantata pour chœur et orchestre. Composé
pour la fête du 15 août 1863, paroles de M. H. Hostein, musique d’Adolphe de Groot, chanté par la Société
Chorale les Enfants de Lutèce, direction M. Gaubert. Archives Nationales, Censure Théâtrale, F18 976.
2 HAUSSMANN Baron Eugène, Mémoires (1893), Paris, Seuil, 2000, pp. 1106-1107.
1
conformité politique de son texte, les structures architecturales des théâtres impériaux
encadrent son exécution.
Au Second Empire, et la censure, et les théâtres impériaux font partie de la fête impériale3. Ce
terme décrit la représentation du pouvoir politique par Napoléon III. Après avoir rétabli
l’Empire, Napoléon III aspire à la démonstration de l’unité entre lui et son peuple qui vit sous
un régime entre démocratie (basée sur le suffrage universel) et monarchie.4 C’est dans
l’optique de créer un cadre typique pour son nouveau régime que Napoléon III établit la fête
de la Saint-Napoléon le 15 août 1852, jour de l’anniversaire de son oncle et idole Napoléon-
Bonaparte, et Fête de l’Assomption de la Vierge Marie.5
Le déroulement habituel de la Saint-Napoléon mélange religiosité et théâtralité. Les deux
servent la mise en scène de l’Empereur. Le jour de la Saint-Napoléon des Te Deums sont
chantés à l’église et des aumônes sont distribuées aux pauvres. Ensuite les festivités se
poursuivent par la remise de médailles, par l’organisation de revues militaires, de scènes
vivantes dans les rues, de spectacles gratuits dans les théâtres et des banquets. Le tout se
clôture par de grands feux d’artifice. Comme le mélange de religiosité et de théâtralité
programmé par Napoléon III doit se répercuter sur la figure de l’Empereur, des instructions
ministérielles se chargent de réitérer le thème du retour à l’ordre, à la paix et à la prospérité.
Elles tentent également, en 1860, de faire passer l’Empereur pour le dernier Croisé.6
3 Sur la censure théâtrale et la fête impériale voir: PASSION Luc, „Régime de l’exploitation théâtrale au XIXe
siècle“, Délégation à l’action artistique de la Ville de Paris / Bibliothèque de la Ville de Paris / Association de la
Régie Théâtrale, Les Théâtres de Paris, études réunies par Geneviève Latour et Florence Claval, Paris, DAAVP,
1991, S. 17-18.
4 Sur la fête impériale voir : TRUESDELL Matthew, Spectacular Politics. Louis-Napoleon Bonaparte and the
Fête Impériale 1849-1870, Oxford, Oxford University Press, 1997, 238 p.
5 Sur la Saint-Napoléon voir : HAZAREESINGH Sudhir, The Saint-Napoleon. Celebrations of Sovereignty in
nineteenth-century France, Cambridge, Harvard University Press, 2004, 307 p. et SANSON Rosemonde, « Le
15 août: Fête nationale du Second Empire », Les usages politiques des fêtes aux XIXe et XXe siècles, sous la
direction d’Alain Corbin, Noëlle Gérôme et Danielle Tartakowsky, Paris, Publications de la Sorbonne, 1994, p.
117-136. Une vue globale sur le répertoire musical de la Saint-Napoléon a été établie dans PISTONE Danièle,
« La Fête Impériale. Origine et Caractéristiques de ses répertoires musicaux dans le Paris de Napoléon III (1852-
1870) », La Musique et le rite sacré et profane, Volume I, Strasbourg, Association des Publications près les
Universités de Strasbourg, 1986, p. 132-137.
6 « Au fil des années les instructions ministérielles apportent quelques variantes aux motivations de la fête, c’est-
à-dire du "culte impérial" et l’Empereur jette de nouveaux atouts pour l’imposer. Dans les deux cas il s’agit
d’aviver l’enthousiasme, de cristalliser les représentations sociales, d’exalter la reconnaissance. Plusieurs
circulaires réitèrent le thème du retour à l’ordre à la paix et à la prospérité. La victoire en Crimée mais surtout le
retour de l’armée d’Italie après la paix de Villafranca en 1859 tournent au triomphe, au sens romain du terme, du
chef de cette armée, l’Impérator, et par delà sa personne, de la nation victorieuse. En 1860, les expéditions en
Extrême-Orient sont présentées sous la plume de certains préfets comme des guerres nécessaires pour la défense
de la religion chrétienne. Somme toute, Napoléon III tente de passer pour le dernier Croisé. » SANSON, op. cit.,
p. 120.
2
Quant aux théâtres impériaux participant à la fête en proposant des spectacles gratuits dont
l’exécution d’une cantate Napoléon III, on remarque que l’organisation des théâtres
populaires reprend souvent la structure des sociétés orphéoniques fondées afin de donner la
possibilité aux classes ouvrières d’apprendre le chant choral. Ainsi Hippolyte Hostein,
directeur du Théâtre Impérial du Châtelet, projette cette idée d’éducation des couches
populaires sur une école fixe de ballet qu’il va ouvrir aux danseurs des classes ouvrières7. Ce
concept fut approuvé par Napoléon III qui voulait faire de la nouvelle salle du Théâtre
Impérial du Châtelet un grand théâtre populaire dont la production musicale et théâtrale
intégrerait le peuple.
Les sociétés orphéoniques étaient également très sollicitées pour l’exécution de cantates à la
gloire de l’Empereur. Beaucoup d’entre elles étaient écrites pour une société particulière (par
exemple Berlioz, Le Temple Universel, 1860). A priori les compositeurs reliaient donc leurs
œuvres aux institutions impériales et en déterminaient l’exécution afin d’adapter leurs effets à
l’esthétique de la fête impériale.
En plus des cantates se conformant au genre de la cantate « dramatique » traditionnelle (dont
l’Hymne à Napoléon III de Rossini de 1868 sera la plus connue)8, la Reine Hortense, mère de
Louis-Napoléon Bonaparte avait établi que la forme de la chanson pouvait aussi être
employée pour glorifier l’Empereur. Par exemple, ses chants patriotiques Partant pour la
Syrie et La France – dédiés à Louis-Napoléon Bonaparte et composés au début des années
1850 – se caractérisent par une structure harmonique simple accompagnant une mélodie
dessinant des formes en arche régulières. Il en est de même pour la grande fantaisie Hymne à
la Gloire9, qui avait introduit la tradition de l’exécution de cantates Napoléon III à l’Opéra en
1854.10
7 Lettre d’Hostein au Ministre d’Etat du 14 Octobre 1858, AN F21 1143.
8 Voir : GREMPLER Martina, « Rossinis politisches Spätwerk : Die Hymne à Napoléon III und La corona
d’Italia“, Rossini in Paris, sous la direction de Bernd-Rudiger Kern et Reto Müller, Leipzig, Leipziger
Universitätsverlag, 2002, p. 181-198.
9 Cette cantate a été transcrite et publiée par Narcisse Bousquet, qui éditait aussi beaucoup de chansons
populaires et des pièces à grand spectacle représentées au Théâtre Impérial du Châtelet.
10 « Sous le nom d’hymne, d’ode ou de chant patriotique, puis sous son propre vocable, la cantate s’épanouit à
nouveau à l’époque révolutionnaire avec Fr. J. Gossec, E. Méhul, Cherubini et Lesueur. Devenue plus libre, elle
ne cessera d’évoluer. Non seulement elle ne conserve pas toujours ses caractères originels, mais elle subit les
fluctuations du langage musical. Œuvre de circonstance, elle se transforme au gré des compositeurs (chœur a
capella ; pièce pour un soliste ; scène lyrique avec soliste(s), chœurs chantés ou récités et orchestre, etc.) »
BOUQUET M. Th. / BLANKENBURG W. / VERCHALY A., « Cantate », Dictionnaire de la musique. Science
de la musique, sous la direction de Marc Honegger, volume I, Paris, Bordas, 1976, p. 144-145.
3
Le 15 août 1863, Hippolyte Hostein ouvre les portes de son théâtre pour une représentation
gratuite à l’occasion de la Saint-Napoléon. Au titre de théâtre impérial bâti au cours de
l’haussmannisation, Hostein participe à la fête de l’Empereur comme vont le faire aussi les
autres théâtres impériaux. Pour les citoyens parisiens, la Saint-Napoléon est l’occasion de
bénéficier d’un spectacle gratuit dans leur « théâtre populaire ». Déjà cinq heures avant le
début du spectacle, le public se presse devant le Théâtre Impérial du Châtelet pour être sûr de
pouvoir y entrer. On s’attend à un pot-pourri des scènes de féeries les plus populaires ; la
sensation est à l’origine de l’enthousiasme des spectateurs attendant l’ouverture du théâtre.
Dans le programme de la soirée, Hostein a inséré une cantate Napoléon III, dont le texte a été
écrit par lui-même et mis en musique par le chef d’orchestre du théâtre, Adolphe de Groot. La
cantate sera exécutée par l’une des plus anciennes sociétés orphéoniques de Paris : les Enfants
de Lutèce.11
La salle du Châtelet, inaugurée six mois auparavant est la plus vaste de Paris. Ses 2800 places
sont, le jour de la Saint-Napoléon, occupées, ce qui n’est pas toujours le cas. En effet, ce
« grand vaisseau », comme aime le décrire la presse, cause à son directeur des soucis
financiers. À plusieurs reprises, Hostein a introduit une demande de subvention auprès de
l’Empereur. Il avance les bonnes recettes recueillies après l’inauguration et argumente qu’« à
cette époque, le Directeur a donné la représentation non d’une pièce, mais d’un monument, il
a joué la salle. »12 Quelques mois plus tard (le 20 Janvier 1863), il appuie son besoin de
subvention en disant : « Sous le rapport des sentiments patriotiques et dynastiques, notre
Théâtre est le Théâtre de l’Empire et le Théâtre du Peuple ; en même temps c’est un opéra,
sous le rapport de la magnificence. »13 Magnificence scénographique, bien entendu, due à la
grande scène dont les dimensions précèdent celles du futur Opéra Garnier, et dont
l’équipement et la décoration coûtaient cher.
11 Voir aussi le programme des représentations gratuites lors de la Saint-Napoléon de 1866 : « La foule immense
qui s’est portée aux représentations gratuites données à l’occasion de la fête du 15 août, n’a pas eu à se plaindre
de la composition des spectacles qui ont été offert à son appréciation intelligente. Les meilleures pièces du
répertoire interprétées par d’excellents artistes, en formaient le programme. […] Selon l’usage, Mme Favart, à la
Comédie Française, est venue dire, dans un entracte, de fort belles strophes de M. Théodore de Banville,
intitulées la Fête de la France. Parmi les cantates qui ont été chantées pour la même circonstance, sur les autres
scènes de Paris, nous citerons l’A-propos patriotique du théâtre du Châtelet, paroles de M. Hostein, musique de
M. Chéri ; au Vaudeville, Salut César de M. Hugelmann, musique de M. de Groot ; aux Variétés, le Quinze août,
de M. Boverat, musique de M. Lindheim, sans compter celles du Gymnase, du Palais-Royal, de la Porte Saint-
Martin, de l’Ambigu, etc. Partout, l’effet a été grand et l’accueil enthousiaste. »
SAINT-YVES D.A.D., « Revue des Théâtres », Revue et Gazette musicale de Paris, 19 août 1866, 33e année, n°
33, p. 260-261.
12 Théâtre Impérial du Châtelet. Note relative à la demande d’une subvention. AN, F21 1143.
13 Hostein au Ministre d’Etat, 20 Janvier 1863. AN F21 1143.
4
Déjà cinq mois auparavant, Hostein et de Groot avaient essayé d’attirer l’attention de
l’Empereur par une cantate à l’occasion de l’anniversaire du Prince Impérial. Ils l’avaient
intitulée Les sept ans de son altesse le Prince Impérial14. « Gloire à Napoléon, le sauveur de
la France ! Gloire à Napoléon, du peuple l’espérance ! », chantait Georges Clément le 16
Mars 1863 au Théâtre Impérial du Châtelet dans un tempo di marcia. La musique composée
par Adolphe de Groot, commence par un refrain en si bémol majeur qui accompagne le texte
s’adressant à Napoléon. Ce refrain est suivi d’une strophe en fa majeur parlant au Prince
Impérial. L’accompagnement de cette deuxième partie se distingue du rythme pointé et
glorieusement marchant de la première partie par une régularité rythmique enfantine.
Cette dualité n’est pas seulement typique des chansons patriotiques de la Reine Hortense,
mais apparaît aussi dans la musique composée par Adolphe de Groot dans le cadre des grands
spectacles. La juxtaposition de parties complémentaires (tonalité de tonique et de dominante),
mais bien contrastées par d’autres éléments musicaux (rythme), le recours à des structures
harmoniques simples, à des formes circulaires et à des parties répétées constituent la marque
de fabrique de ce chef d’orchestre. Sa musique reflète auditivement les structures circulaires
et complémentaires des livrets, de la scénographie et de la chorégraphie. Le tout constitue une
esthétique très populaire.
En résumé, on peut dire qu’au Théâtre Impérial du Châtelet, la musique à grand spectacle et
celle dédiée à l’Empereur sont constituées par avec les mêmes éléments de la conception
esthétique du grand spectacle qui faisaient effet dans ce théâtre de masses populaires. C’est en
suivant cette même esthétique que la Reine Hortense avait composé ses chansons patriotiques
marquant la naissance de la glorification musicale de l’Empereur Napoléon III.
Nous sommes le 15 août 1863. La cantate « Napoléon III » va commencer. Le chœur entame
son chant par la phrase : « Oh qu’il est grand lorsqu’il s’avance portant l’épée avec la croix ».
Harmoniquement, la première phrase se présente sous la forme d’une cadence en mi mineur,
mais débute et se termine sur un unisono sur mi. En l’écoutant, l’auditeur a l’impression
d’entendre une tonalité archaïque évoquée par l’omission de la nature même de la tonique
mineure qui – au début et à la fin de cette cadence en mi mineur – se réduit à sa fondamentale.
14 Les Sept Ans de Son Altesse le Prince Impérial Napoléon, cantate chantée le 16 Mars 1863, au Théâtre
Impérial du Châtelet par Mr. Georges Clément, paroles de H. Hostein, musique de Ad. De Groot, Paris, Au
Ménestrel, 1863, 3 p.
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