capital social et performances economiques

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LAMETA Working Paper
2004-08
Capital social et performances économiques : une analyse basée sur le
fonctionnement d’une économie informelle
Joëlle Fopoussi∗
Résumé : L’économie informelle actuelle nous éloigne de plus en plus de la vision initiale d’Arthur
Lewis (1954), qui représentait la dualité comme une phase transitoire du processus de
developpement. Pour expliquer ce dualisme qui se perpétue trois courants d’analyse ont émergé :
les héritiers de la théorie neo-classique, les néo-marxistes et les théoriciens de l’économie du
développement. Du débat qui existe entre ces trois courants, nous retenons deux analyses extrêmes
sur l’expansion de l’économie informelle en Afrique subsaharienne. La première lie la vitalité de
l’économie informelle aux contraintes financières et réglementaires qui pèseraient sur l’activité
économique formelle. La seconde constate que la croissance extensive de l’économie informelle en
Afrique est le signe d’une dérive vers une simple économie de subsistance, dont la contribution à
l’activité économique se limite à assurer la survie des masses populaires. Tout en reconnaissant
cette dérive, nous proposons une autre vision du rôle de l’économie informelle dans le processus de
développement. La théorie de la croissance endogène donne de nouvelles perspectives à l’analyse
du dualisme économique. Elle nous permet de montrer que, l’économie informelle est le lieu où le
lien entre le capital social et la production des richesses est le plus concret et le plus évident.
Mots clé : capital social, économie informelle, croissance économique
Abstract : Arthur Lewis (1954) describes economic dualism as an intermediate phase of the
development process. Nowadays, the reality of informal economy in less developed countries is too
far from this conception. The dynamism of informal economy in subsaharian Africa can be explain
by many reasons. Two majors visions are opposed on this debate. On one hand, there are those who
think that the expansion of informal economy is a consequence of the weight of financial and
administratives constraints on the official economy. On the other hand, those who notice that
informal economy is growing while poverty is increasing. Although we agree with this observation,
we can not conclude that informal economy is another form of subsistence economy. The
endogeonous growth theory offer new perspectives to the analysis of economic dualism. The
informal economy is the framework where the link between social capital and economic
performances is much more tangible.
Keywords : social capital, informal economy, economic growth
∗
LAMETA-CNRS UMR 5474, Université Montpellier I, Faculté des sciences économiques, Espace Richter,
Avenue de la mer, CS 79 606, 34960 Montpellier cedex 2, joë[email protected]
INTRODUCTION
Le concept même du capital social a acquis de nos jours une place incontestée dans la
pensée économique. Cependant, l’idée d’admettre le capital social comme un bien
économique fait débat. Effet, le capital social est difficilement quantifiable, d’où l’absence
de statistiques détaillées à l’échelle nationale. Il est même difficile de dire ce qu’il convient
de mesurer comme facteurs déterminants du capital social, car les relations sociales et
engagements communautaires susceptibles d’être intégrées dans le capital social sont
multiples, variées et pour beaucoup intangibles. L’utilisation du terme même de capital
peut paraître contestable, car ce terme est plus courant lorsqu’il s’agit de biens tangibles,
durables ou périssables dont l’accumulation peut être estimée.
la notion de capital social intègre des formes d’organisation sociale. Elle se réfère
également à l’ensemble des connaissances et pratiques partagées eu sein de l’organisation.
A ce propos, les économistes ont depuis longtemps admis les différentes formes de savoir
comme des formes de capital. L’interprétation qui considère que les règles
communautaires comme des composantes du capital social, rend difficile l’élaboration
d’une approche empirique pertinente. Une telle approche est plus aisée si le capital social
est défini comme un aspect du capital humain.
Dans le domaine de l’économie du développement, les avis sont partagées sur les vertus ou
les défauts de ce que, dans une définition large, nous nommons par « institutions
informelles ». Si ces formes d’organisation sociale contribuent à la formation du capital
social, il faudrait alors s’interroger sur la nature même de cette productivité. L’existence
même de l’économie informelle pourrait empêcher l’émergence de structures socioéconomiques plus productives.
2
Dans une première définition, le capital social est une notion qui englobe « des
caractéristiques de l’organisation sociale tels le rapport de confiance, les normes, les
réseaux qui améliorent l’efficacité de la société en facilitant les actions coordonnées »1.
Cette définition mène à un amalgame entre le tangible et l’intangible. Le tangible regroupe
des éléments aussi variés que les coutumes traditionnelles et codes de conduite.
L’intangible représente des notions comme les relations interpersonnelles qu’on peut
formaliser. Certains auteurs se sont focalisés sur le rapport de confiance. D’autres ont porté
leur intérêt sur des aspects de l’organisation sociale comme les tontines, les coopératives
financières ou agricoles, qui font du capital social un actif. Cette approche implique qu’il
existe des formes productives et non productives de capital social2. Dans toutes ces
contributions littéraires, le champ d’analyse du capital social est une espace dont les limites
restent à définir, entre l’individu et l’Etat (la société). Il s’identifie globalement aux
activités de la société civile. Les mécanismes qui permettent la formation du capital social
s’observent le mieux dans certaines formes d’institutions informelles. Le terme
« institutions informelles » représente aussi bien des aspects de l’économie informelle ou
souterraine, certaines formes de sociétés criminelles que des structures de l’économie
solidaire ou populaire.
Pour ce qui est de l’économie informelle dans les pays en voie de développement, le poids
de l’organisation sociale se mesure au fait que, c’est elle qui fixe implicitement les
conditions d’accès à cette économie. La notion de confiance est le fondement du contrat
social entre les acteurs économiques de cette économie. Elle régit les relations marchandes
1
PUTNAM R.D., with R. LEONARDI and R.Y. NANETTI, 1993, Making democracy work : civic
traditions in modern Italy, Princeton University Press, Princeton, P. 167.
2
Partha DASGUPTA, Social capital and economic performance : analytics, Working Paper, Facuty of
Economics, University of Cambridge, Revised version, January 2002.
3
et non marchandes entre les agents économiques. Les réseaux structurent l’économie
informelle. Ils constituent la principale barrière à l’entrée de cette économie.
Les barrières les plus difficiles à franchir à l’entrée de l’économie informelle sont les
barrières non financières. Leur importance échappe souvent aux économistes, et est mis en
lumière par un travail anthropologique de longue haleine. La plus immédiate est
l’existence de castes, aussi bien en Afrique qu’en Inde. La caste est un des éléments d’un
enchevêtrement complexe de hiérarchies, elle joue un rôle de « barrière à l’entrée » non
écrite assez efficace. Des barrières fondées sur l’appartenance ethnique, en l’absence de
castes, peuvent être aussi efficaces que ces dernières pour assurer à une catégorie de la
population le monopole de l’exercice d’une activité économique. La religion joue
également un rôle important en matière de barrière l’entrée. Elle est généralement un
facteur associé à d’autres comme la communauté éthnico-geographique et/ou la
transmission d’un savoir-faire.
La difficulté à pénétrer dans un réseau représente un obstacle majeur à l’accès à certaines
activités informelles. Le réseau peut prendre des multiples formes ou les combiner :
•
Réseau de transmission de l’information sur la clientèle, les fournisseurs, les
concurrents, la police, etc.
•
Réseau d’autoprotection collective (milices armées).
•
Réseau commercial (groupements d’achat ou de vente).
•
Réseau d’organisation du marché (partage du marché, règlement des conflits).
Ces multiples réseaux imbriquées peuvent être constitués sur des bases elles-mêmes
diverses : communauté de caste ou de religion, communauté d’origine géographique,
communauté ethnique ou de parentèle. L’importance du réseau est lié au fait que l’emploi
informel est surtout un emploi non qualifié. Par conséquent, des critères d’embauche plus
objectifs comme le niveau d’étude ou de formation n’ont ici que peu d’utilité. Les réseaux
4
ou les relations personnelles sont une variable d’ajustement entre l’offre et la demande sur
le marché du travail en Afrique subsaharienne. A Bamako, « 55,7 % des salariés irréguliers
et 54,4 % des salariés sans protection sociale ont accédé à leur emploi actuel par le biais de
relations personnelles, alors que l’incidence de cette procédure n’est que de 16% pour les
salariés protégés »3.
La structure des réseaux est souvent peu apparente. Pourtant, l’appartenance à des réseaux
familiaux, amicaux, associatifs ou syndicaux, est une condition nécessaire pour exercer
certaines activités. L’apprentissage d’un ensemble de codes urbains, lié à l’appartenance
aux réseaux, constitue l’élément principal de la qualification de ces travailleurs. Il devient
alors difficile de distinguer les barrières de réseau des autres formes de barrières non
financières, en particulier de celles qui relève de l’appartenance ethnique ou de la
qualification. Dans certaines ethnies, l’appartenance à l’ethnie et au sein de celle-ci, à un
« tissu très dense d’alliances matrimoniales entrecroisées » (Morice, P.61) est la condition
pour accéder aux connaissances techniques qui elles-mêmes permettront de s’établir à son
propre compte4. Dans d’autres cas, les réseaux de relations apparaissent comme plus
importants que les connaissances techniques, dont les futurs micro-entrepreneurs peuvent
se dispenser. Le réseau peut être également le signe d’un autre type de qualification :
connaissance de l’administration, des sources de financement, etc.
L’analyse des réseaux souligne toute la complexité que pose la notion de capital social. En
effet, s’il est reconnu que les relations personnelles sont une variable d’ajustement sur le
marché du travail, encore faut-il que les bases de l’ajustement soit clairement définies ou
formalisées. L’appartenance au réseau suffit-elle pour que l’offre satisfasse à la demande,
3
EL HADJI SIDIBE B. et LACHAUD J.-P.,1993, Pauvreté et marché du travail au Mali : le cas de Bamako,
Institut international d’études sociales, OIT, Genève, Discussion papers n°52, P.92.
4
MORICE A., 1987, « Ceux qui travaillent gratuitement : un salaire confisqué », in AGIER M., COPANS J.
et MORICE A. (coord.), Classes ouvrières d’Afrique noire, Karthala, Paris, pp 45-76.
5
ou cette appartenance doit être combinée aux connaissances acquises dans le réseau. Cette
interrogation s’appuie sur le fait que pour certaines activités informelles, l’entrée sur le
marché du travail passe par une phase transitoire d’apprentissage. Le statut de microentrepreneur ou de travailleur autonome n’est effectif que lorsque l’apprenti s’est mis à son
propre compte.
Ainsi, l’existence des barrières à l’entrée conduit à poser la question de qualification d’une
façon différente de celle dont elle est posée dans les économies industrialisées. Pour ce qui
est des micro-entreprises de production et de réparation, réseaux et connaissances acquises
dans l’apprentissage jouent toujours conjointement, l’inscription dans les premiers étant
toujours la condition de l’acquisition des secondes. Toutefois, ces connaissances ne
garantissent pas la stabilité de l’emploi. Pour s’installer à son propre compte, l’apprenti
devra fidéliser sa clientèle et profiter de son appartenance au réseau pour franchir le pas5.
La qualification est définie à la fois par les connaissances techniques acquises et par ce
savoir-faire social qui permet de plus ou moins bien valoriser les réseaux.
Les expériences de valorisation par un diplôme des connaissances acquises dans
l’apprentissage touchent peu les apprentis des petites entreprises et supposent que
l’apprenti ait suivi un cursus scolaire minimal6. Le décalage entre diplôme et qualification
(au sens large) est donc nécessairement élevé. A l’inverse, les tentatives faites pour
favoriser l’accès des diplômés de l’enseignement supérieur à des positions de petits chefs
ont généralement mené à l’échec. D’abord parce que ces diplômés ne maîtrisent pas les
connaissances techniques, ensuite parce que leurs réseaux sont largement étrangers à
5
ANTOINE Ph., 1992, L’insertion urbaine : le cas de Dakar, IFAN-ORSTOM, Dakar, t.2., P.63.
6
BOURDIN Y., 1992, Analyse des modalités de la transition professionnelle en milieu urbain dans un pays
francophone : le Bénin, thèse de doctorat de sociologie, Université de Nancy-II.
6
l’activité à laquelle ils postulent. Dans les activités autres que celles de production ou de
réparation, la qualification est encore plus difficile à discerner de l’inscription dans les
réseaux. Monter un petit restaurant de rue à Douala requiert des réseaux permettant de
constituer une clientèle, de s’approvisionner et de s’accorder avec les concurrents, autant
qu’un savoir faire culinaire. Il en est de même pour les cireurs de chaussures, les motostaxis, les gardiens de voitures et les vendeurs de cigarette.
Le réseau est un facteur déterminant de l’entrée sur le marché du travail informel. La
nature des rapports sociaux entre les différents intervenants sur le marché du travail est lié
aux règles de fonctionnement du réseau. La confiance, la loyauté et la solidarité sont des
notions essentielles au contrat du travail, qui est rarement un contrat écrit. L’intérêt que
nous portons sur le marché du travail informel s’explique surtout par le fait, qu’il est un
cadre d’étude approprié pour analyser les rapports entre l’organisation sociale et la
production économique. L’objet d’étude qu’est le capital social, nous impose de statuer sur
la nature même du capital social dans ce cas de figure. S’agit-il d’une composante du
capital humain ou doit-on l’intégrer dans la productivité totale des facteurs dans
l’élaboration d’une fonction de croissance ?
L’explosion de l’économie informelle fait suite aux difficultés économiques persistantes
auxquelles font face les économies africaines. La ruée vers le marché du travail informel
résulte des déséquilibres du marché du travail formel. L’évolution de l’économie depuis la
décennie faste des années 70 se décrit en trois phases : expansion et consolidation –
saturation progressive de l’offre – hétérogénéité croissante. Si l’économie informelle a
toujours existé, son évolution actuelle suscite des inquiétudes. La multiplication d’activités
informelles est le double signe d’une croissance extensive de cette économie et d’une
précarité croissante dans les masses populaires. L’idée que l’économie informelle se
résume à une simple économie de subsistance fait du chemin ; d’autant plus que les
7
difficultés économiques sur le continent ne font que croître. Ce raisonnement accréditerait
l’idée d’une croissance anti-cyclique, qui signifierait que si le contexte économique
s’améliorait, la taille de l’économie va se réduire. L’impact de l’économie informelle et la
place prépondérante qu’elle occupe dans le système économique et même dans le tissu
socio-culturel laisse à penser que le dualisme ne peut plus être perçu comme une phase
transitoire ou conjoncturelle de la croissance dans les pays d’Afrique subsaharienne. Ces
mêmes raisons nous amène à proposer une nouvelle analyse du rôle de l’économie
informelle dans le processus de développement dans ces pays. L’idée que l’économie
informelle, par la place qu’y occupent les réseaux sociaux, est le meilleur champ d’analyse
de la formation du capital social doit être mieux développée. Elle doit être mieux
développée en montrant comment la structure et le fonctionnement de ces réseaux affecte
l’activité économique. Comment un tel impact se traduit sur la production des richesses ?
S’agit-il d’un effet positif ou négatif ? Peut-on parler de formes plus ou moins productives
du capital social.
8
1. Les contributions littéraires à l’analyse du capital social
Le capital social renvoie aux ressources qui découlent de la participation à des réseaux de
relations qui sont plus ou moins institutionnalisés. Son apport à la science économique se
mesure sous deux angles. Sur le plan théorique, il offre une perspective d’analyse
instrumentale qui met l’accent à la fois sur les bénéfices que les individus peuvent retirer
de la participation à des réseaux et sur la construction délibérée de réseaux dans le but
d’augmenter le capital réseau des individus. Dans une perspective d’application de la
théorie, il oblige à élargir les outils d’élaboration d’une politique économique, en incitant
les décideurs publics à chercher à résoudre les problèmes d’action collective par le recours
à de nouvelles formes d’instruments. Ces instruments peuvent tout aussi bien être
économiques que non économiques. Ils seraient potentiellement moins consommateurs en
ressources budgétaires et réglementaires.
1.1 La diversité des formes de capital social
Le capital social peut exister sous trois formes principales : la confiance, les normes et les
réseaux (Dasgupta et Serageldin, 2000 ; Putnam, 1993). En évoquant la problématique,
nous nous sommes intéressés à la typologie et au fonctionnement des réseaux. La revue de
littérature porte donc essentiellement sur les autres aspects du capital social que sont la
confiance et les normes de comportement. La répétition des interactions crée des
conditions favorables à l’instauration de la confiance. Dans les sociétés où le capital de
confiance est élevé, les individus réalisent des économies sur des dépenses, qu’ils devraient
envisager pour se protéger de toute exploitation (tromperie ou supercherie) lors des
transactions économiques (Knack et Keefer, 1997, p.1252). Les contrats écrits sont peu
9
nécessaires, ils peuvent même ne pas souscrire à l’obligation d’une clause spéciale pour
parer à tout éventuel imprévu. Dans de telles sociétés, les litiges devraient être peu
fréquents. Les individus dépensent peu en taxes, pots de vin, services privés de sécurité
pour se protéger des violations criminelles de leur droit de propriété
La confiance
Si les micro-entrepreneurs devaient consacrer beaucoup de temps à anticiper d’éventuels
« coups bas » de leurs concurrents, employés ou fournisseurs. Il leur reste peu de temps à
consacrer à l’élaboration de nouvelles gammes de produits, ou à la mise en place de
nouvelles méthodes de production, en un mot à l’innovation technologique. L’idée que la
notion de confiance soit au cœur de toute transaction économique n’est pas inédite. Arrow
(1972, P.357), note que toute transaction commerciale à plus ou moins long terme s'appuie
sur un minimum de confiance. Il ajoute qu’on peut sans se tromper faire un lien entre une
conjoncture économique défavorable et une crise de confiance des investisseurs lorsqu’il
s’agit de l’offre de biens et services, crise de confiance des ménages lorsqu’il s’agit de la
demande de biens et services. L’importance de la confiance a été rarement contestée. La
modélisation macro-économique a toujours traité cette notion comme une variable exogène
de la croissance économique ; une variable qui est liée à l’environnement socioéconomique. La confiance apparaît dans une telle représentation théorique comme, ce qui
incite les acteurs économiques à participer plus à la production de la richesse nationale et
aux échanges économiques.
La notion de confiance se prête à diverses interprétations. Elle est couramment utilisée
dans le contexte d’une personne qui nourrit des attentes sur les actes ou choix d’autres
personnes ; ces actes ou choix pouvant influer sur ses propres décisions. Cette personne
10
doit pouvoir agir sans avoir observé le comportement de ses partenaires. La « clause »
concernant la nécessité d’agir, hors du champ d’observation de ceux avec qui on est en
relation, est essentielle. La confiance suppose donc un partage des informations, entre ceux
qui fondent leur relation sur cette notion. La notion de confiance s’applique dans deux cas
de figures : les actions confidentielles et les informations cachées. Des concepts comme le
risque moral ou la sélection adverse ne sont pas si éloignés d’une telle classification.
Luhman (1988) parle de capital confiance. Par ce terme, il nomme le crédit moral que nous
accordons aux institutions, et qui est fondé sur leur capacité à fonctionner de manière
adéquate. Cet auteur marque une distinction entre la confiance et le capital confiance. Le
capital confiance peut varier selon les circonstances, alors qu’il est difficile d’influer sur
une perte de confiance. A titre d’exemple, l’absence de cohérence dans l’application d’une
politique économique mène à une érosion du capital confiance que les gouvernés accordent
à leurs gouvernants. Ces même gouvernés vont perdre confiance, et seront même amenés à
défier leurs gouvernants, s’ils apprennent que ces derniers sont corrompus.
Les normes de comportement
Elles se développent au fil du temps par des échanges et des interactions répétées. La
confiance en elle-même représente une norme de comportement. D’autres normes sont
répertoriées comme : la réalisation d’objectifs communs (communauté d’intérêt), les
sentiments partagés (affection mutuelle), les prédispositions sociales, le respect mutuel. La
communauté d’intérêt s’applique au cas où les obligations nés d’engagements
communautaires ne s’appuient pas sur des paramètres subjectif (ex : le lien sanguin). Dans
le cas d’un groupe de personnes qui ont des avantages à agir en commun. Le contrat social
qui lie les membres du groupe définit les droits et les obligations de chacun. Il s’agit ici de
11
partager les charges et bénéfices nés de l’exploitation d’une propriété commune.
L’existence même du contrat social (accord commun) ne doit pas éluder la question de la
durée du contrat social. La durée du contrat social dépend de la « stratégie d’équilibre »
(Dasgupta, 2002, P.10). Il s’agit ici de définir une stratégie qui aurait été celle de chaque
membre du groupe, s’il avait eu à prendre cette décision à la place d’un autre. On peut
élargir le concept de stratégie d’équilibre à celui d’un équilibre des opinions. Cet équilibre
est basé sur une hiérarchie faite d’opinions personnelles et de l’opinion générale du groupe.
Cette hiérarchie garantit la liberté d’expression aux différents membres du groupe.
Certaines transactions non quantifiables n’ont lieu et même n’existent que parce qu’elles
sont à la marge du rationnel. Dans un tel cas de figure, la transaction est basée sur les
sentiments que les membres du groupe ont les uns pour les autres. L’affection mutuelle
fonde un groupe social comme le ménage. Cette forme « d’organisation sociale » par
comparaison avec d’autres fait rarement face au risque moral ou à la sélection adverse.
Tout membre d’un groupe social fait confiance à la capacité des autres à respecter le
contrat social qui les lie, s’il est optimiste sur leurs prédispositions à être digne de
confiance. Les prédispositions sociales découlent du processus de socialisation ; ce sont
donc celles qui ont été acquises depuis le plus jeune âge. Il est important ici que les
individus se rencontrent dans des situations similaires qui ont tendance à se répéter. Les
engagements communautaires peuvent être honorés dans tout contexte et même sans
affection mutuelle entre les individus. Ils peuvent l’être dans le cas, où une des parties liées
par le contrat social n’est pas disposée à être sincère. Ce dernier cas représente les relations
interpersonnelles à long terme. Ainsi, le contrat social est fondé sur des facteurs endogènes
ou sur des facteurs exogènes.
Le contrat social est explicite lorsque l’accord commun est notifié dans un acte écrit ;
d’une décision prise par consentement mutuel, on peut passer à une décision imposée par
12
une personne externe. On parle alors d’un accord décidé par une tierce personne. Cette
tierce personne peut être l’autorité publique, notamment, lorsqu’il s’agit de définir des
règles de vie commune. Le respect ou le non respect des règles de vie commune est le
résultat d’une situation d’équilibre. Dasgupta (2002, P.14) relève plusieurs situations, qui
pour la plupart sont caractérisées par une soumissions partielle à ces règles de vie. Pour des
commodités méthodologiques, il restreint sa représentation théorique à deux situations
extrêmes d’équilibre : la non soumission et la soumission totale aux règles de vie commune
du groupe social. Le maintien de l’équilibre dépend des croyances auxquelles adhèrent les
différentes parties du groupe social. Le terme « croyances » est utilisé pour mettre l’accent
sur les fondements culturels des opinions personnelles au sein du groupe.
L’argumentaire culturel dans l’analyse économique n’a pas toujours été populaire auprès
des économistes. Il faut noter une récente évolution sur ce point. Depuis Max Weber,
l’analyse la plus ambitieuse qui fasse appel à la culture pour expliquer les différences en
performance économique entre des pays est celle de Landes (1998). Cet auteur s’interroge
sur la prospérité des Etats du nord de l’Europe pendant le 16e siècle. En comparant ces
Etats avec d’autres aux potentialités plus grandes, il montre que c’est le progrès
technologique et la rapidité de sa diffusion, qui a été la clé de leur succès. Pour analyser les
raisons de ce progrès technologique, Landes s’appuie sur l’évolution des croyances et des
comportements dans les régions étudiées pour expliquer les différences institutionnelles.
La triple dynamique croyances –comportements - différences institutionnelles permet de
comprendre pourquoi certains pays connaissent des période de croissance plus ou moins
longues, alors que d’autres souffrent d’atrophie. L’approche de Landes est historique et
narrative. D’autres analyses vont dans le même sens en se basant sur des évidences
statistiques. Putnam (1993), Knack et Keefer (1997) et La Porta et al. (1997) à partir des
13
données statistiques portant sur des pays de l’OCDE font le lien entre la culture civique et
la croissance économique7.
1.2 Des évidences empiriques
La discrimination sur le marché du travail
L’analyse économique montre comment peuvent persister certains stéréotypes culturels, et
ce même quand il n’existe aucune différence intrinsèque entre des groupes sociaux (Coate
et Loury, 1993). Imaginons que tout demandeur d’emploi doive investir sur lui-même pour
se qualifier à un certain type d’emploi. Les coûts d’investissement diffèrent selon les
demandeurs d’emploi. Ces coûts sont liés aux aptitudes intrinsèques à tout demandeur
d’emploi. Supposons que ces aptitudes sont d’ordre génétiques, en conséquence, il n’y a
pas de différences entre groupes sociaux. Les seules différences qui existent sont
individuelles. Les aptitudes naturelles ne peuvent être observées ni relevées par les
potentiels employeurs. Ainsi, un demandeur d’emploi qui investit pour améliorer ses
aptitudes naturelles, ne peut en tirer un quelconque bénéfice. Les futurs employeurs sont à
priori incapables de juger le potentiel de ce demandeur d’emploi avec une certitude
absolue.
Si, par contre, les potentiels employeurs ont des préjugés négatifs sur les aptitudes d’un
groupe social, ils peuvent utiliser des critères de sélection rigides pour assigner les
demandeurs d’emploi issus du groupe concerné à certains métiers. Ces métiers peuvent
être individuellement gratifiants tout en étant très difficiles. Cette discrimination va réduire
7
Par culture civique, il faut comprendre qu’il s’agit de tout ce qui se rapporte à des notions comme
l’engagement associatif, la confiance qu’accorde les individus aux institutions, et même dans une certaine
mesure la citoyenneté.
14
le rendement espéré de l’investissement consenti par tout demandeur d’emploi de ce
groupe social, afin de s’adapter à un métier plus gratifiant. Il y a un risque pour le groupe
social frappé par la discrimination, que ses demandeurs d’emploi qui investissent
quasiment à perte, n’engager plus de dépenses pour améliorer leurs compétences. A long
terme, le nombre de membres de ce groupes qui sont qualifiés pour certains types de
métiers va stagner ou même diminuer. On est dans un cercle vicieux où les préjugés
culturels ne sont pas démentis. En effet, il existe peu ou de moins en moins de membres du
groupe social aptes à exercer certains métiers. L’attitude discriminatoire des employeurs à
l’épreuve du temps est confortée.
En d’autres termes, il est possible que la perception qu’une tierce personne a des
différences entre les groupes sociaux soit confortée. Cette perception est confortée par les
réactions des membres du dit groupe aux pratiques discriminatoires de la tierce personne ;
des pratiques qui sont suscitées par la manière dont elle perçoit les membres de ce groupe.
Ce mécanisme explique la persistance des pratiques discriminatoires. Il fait le lien entre
des éléments culturels et le comportement des agents économiques sur le marché du
travail. La critique du capital social se caractérise aussi par des réticences à introduire la
culture dans l’économie. Ces réticences ne sont pas dénuées de fondement. La culture peut
également être argument facile pour expliquer ou théoriser toute fait économique, sans
s’interroger sur son caractère productif ou non productif.
Capital social et performances économiques ; ce que montrent les statistiques.
Les enquêtes de l’OCDE s’appuient sur un large échantillon de pays. L’étude de 1981
recense les réponses de milliers de personnes interrogées dans vingt et une économies de
15
marché. L’étude faite sur deux années (1990-1991) couvre vingt-huit économies. En tout,
vingt-neuf économies au moins font l’objet d’enquête sur le capital social. La sélection des
échantillons n’était pas totalement fortuite, les auteurs reconnaissent d’ailleurs qu’ils ont
fait des ajustements8.
Parmi les questions posées, les économistes ont surtout porté leur intérêt sur une question,
qui devait permettre d’apprécier les prédispositions individuelles sociales à faire confiance.
La dite question était formulée ainsi : « En général, pouvez-vous affirmer que la plupart
des gens vous inspire confiance, ou qu’il vous arrive d’être prudents envers ceux avec qui
vous êtes en transaction ? ». Le pourcentage de personnes interrogées dans chaque pays est
un potentiel indice de confiance. Une telle question donne de réelles indications sur la
perception générale des interrogés sur leur entourage. Elle est, en revanche, moins
instructive sur le climat général de confiance dans un pays. En effet, les personnes
interrogées parlent du capital confiance qu’ils accordent à leurs concitoyens. Les réponses
positives résument l’ensemble de ceux qui sont digne de confiance aux yeux des personnes
interrogées.
Knack et Keefer (1997) étendent ces travaux à une expérimentation inédite. Des milliers de
porte-monnaie sont délibérément abandonnés dans un échantillon de villes. Le pourcentage
de porte-monnaie « perdus » rendus à leurs propriétaires est un indicateur du capital
confiance pour chaque ville et par extension pour chaque pays. Il permet de suggérer que
les individus sont plus dignes de confiance ou l’indice de confiance TRUST est élevé. Un
second indice est élaboré pour les mêmes travaux. L’indice CIVIC permet d’évaluer la
force d’imprégnation des normes de coopération civique ou sociale dans une économie.
Cet indice est construit sur la base d’une moyenne des réponses à cinq questions posées.
8
KNACK S. and KEEFER P., 1997, « Does Social Capital Have Economic Payoff : A Cross Country
Investigation », Quarterly Journal of Economics, N°112, pp 1251-1288.
16
Ces questions portent sur l’attitude des personnes interrogées, lorsque ces dernières doivent
faire face à des situations qui font appel à leur civisme9. Dans les pays de l’OCDE, l’indice
CIVIC varie peu. On note une relation positive entre l’indice CIVIC et l’indice TRUST.
L’application des deux indices à un même pays donne des résultats similaires. Sur la base
des résultats obtenus au sein de l’OCDE un faible nombre de pays sous-développés sont
soumis aux mêmes travaux. L’étude Knack et Keefer s’applique également à un
échantillon de six pays sous-développés dont deux d’Afrique subsaharienne : l’Afrique du
sud et le Nigeria. Dans cet échantillon, l’indice de confiance TRUST varie beaucoup d’un
pays à l’autre.
Porta et al. (1997) reprennent le même indice. Leurs travaux sont plus précis sur le rapport
entre le capital social et les performances macro-économiques. Ils montre une faible
relation de 1970 à 1993 entre l’indice TRUST et le taux de croissance. Toutefois, la
pertinence de leur fonction de régression de la croissance a été critiquée. En effet,
l’échantillon auquel a été appliqué la fonction de régression, inclut à la fois des économies
planifiés à celles qui ne le sont pas. En excluant les pays socialistes, Knack et Keefer se
reportent à une période plus courte (1980-1992) avec des résultats assez probants. En
évaluant le revenu par habitant, le capital humain et prix relatif des biens d’investissement,
ils ont constaté qu’une augmentation de 10% de l’indice TRUST s’accompagne d’une
variation de 0,8% du taux de croissance. Lorsque les tests de ces auteurs sont étendus à des
périodes plus longues (1960-1992 et 1970-1992), le lien entre l’indice TRUST et le taux de
croissance est moins évident. La confiance est une variable moins importante que d’autres
variables qui ont incluses dans l’équation de croissance. Globalement, l’analyse de l’indice
TRUST pour les pays de l’OCDE donnent des résultats contrastés. Les résultats semblent
9
Il s’agit de situations diverses qui vont du respect du code de la route, de l’acquittement du ticket du bus ou
métro à la réprobation d’actes délictueux ou frauduleux, etc.
17
plus probants, lorsqu’il s’agit des pays les moins riches de l’OCDE ou des pays sousdéveloppés.
La porta et al. (1997) montre qu’il existe un lien positif entre l’indice TRUST et un certain
nombre d’éléments qui témoignent de la bonne gouvernance d’un pays10. Knack et keefer
montre que la confiance est une des variables explicatives de la part de l’investissement
dans le PIB. Il faut toutefois être prudents avec l’utilisation de tels résultats. En effet, la
confiance en elle-même dépend de certains aspects internes ou externes à l’activité
économique ; des aspects dont on en tient pas compte dans la formulation d’une fonction
de croissance. Ainsi, le faible niveau de confiance peut s’explique par la corruption ou par
le non respect de la loi, qui pour des raisons indépendantes les unes des autres, ont un
impact sur le taux de croissance. La confiance peut même être le résultat d’un certain
optimisme lié aux bonnes performances économiques d’un pays.
En s’intéressant à la notion de confiance comme une variable endogène des certains
indicateurs socio-économiques, La porta et al (1997, P.336) montrent que le confiance a un
effet positif sur la réussite scolaire. Ce lien n'est pas possible dans le sens opposé ; de la
réussite scolaire à la notion de confiance. Knack et Keefer (1997) relève une relation forte
entre l’indice TRUST et la moyenne d’années d’étude dans les pays de l’OCDE. Si la
notion de confiance peut être considérée comme une variable endogène de la formation
scolaire ou académique, alors s’ouvrent de nouvelles perspectives à la réflexion
économique sur le capital humain.
10
A titre d’exemple, on peut citer comme éléments d’appréciation de la bonne gouvernance : la qualité du
système judiciaire, la qualité des services publics, le respect des droits de l’homme, le respect de la liberté
d’entreprendre ou de la liberté d’expression, etc.
18
2. Capital social et développement économique : de l’analyse micro-économique des
comportements individuels à celle des performances macro-économiques.
Le capital social identifie des éléments inhérents à l’organisation sociale. Les réseaux
inter-personnels sont un de ces éléments. L’intérêt de l’analyse économique n’est pas
uniquement de constater l’existence de tels réseaux. Il s’agit ici d’apprécier l’impact de
leur fonctionnement sur l’activité économique. Cette thématique fait l’objet de nombreux
travaux de recherche économique en cours11.
2.1 Le capital social : une composante du capital humain
Sur le marché du travail et de l’emploi, les salaires et rémunération diverses des
travailleurs sont la contrepartie du travail effectué. Dans l’hypothèse ou les relations
personnelles assurent l’accès et parfois la pérennité de l’emploi. La rémunération du
travailleur peut aussi être considérée comme la contrepartie de la valeur de ses contacts12.
Dans une telle configuration, le capital social est une composante du capital humain, qui
lui-même est un facteur de production. Sur la base d’une simple modélisation de
l’ensemble des possibilités de production d’une économie. Considérons j comme l’indice
qui représente tout ménage au sein de cette économie : j = 1, 2, …
K est le stock de capital physique, Lj est le nombre d’heures de travail attribuées au
ménage j. Dans une économie de marché développée, K relève en grande partie de la
11
DASGUPTA P., 2002, Social capital and economic performance : analytics, Working Paper, Faculty of
Economics, University of Cambridge, Revised version, January.
12
BURT R.S, 1992, Structural Holes : The social structure of competition, Harvard University Press,
Cambridge Press.
19
propriété privée. Selon le poids de l’Etat dans l’économie, K peut être sous propriété
publique. Dans certains cas, K peut être sous propriété privée collective (coopérative).
Pour ce qui est de L, il faut relever que si dans toute économie du marché, le salaire est
indexé sur le travail individuel, dans les économies de subsistance le « travail familial » est
la forme le plus représentative des relations de travail. Les formes communautaires de
travail sont assez répandues dans certaines régions du monde.
Supposons que hj est le capital humain « détenu » par le ménage j. Le capital humain
représente l’investissement consenti pour l’éducation, la formation professionnelle et la
santé de tous ceux qui participent à l’offre familiale de travail. L’apport effectif en travail
du ménage et donc l’offre familiale de travail est hjLj ; hj peut être considéré comme le
capital humain primaire. Dans cette formulation initiale, nous n’insistons pas sur
l’organisation sociale dans laquelle se concrétise le comportement du ménage j. Par souci
de simplification, le capital physique est considéré comme le capital fixe produit (usines,
immeubles, machines, etc.). Le capital humain fait l’objet d’investissements croissants. La
conjonction du capital humain et du capital physique aboutit à Y, que nous pouvons
considérer comme la production nationale. Chacun des agrégats précédemment cités
nécessite pour sa formalisation d’évaluer les prix de ses différentes variables constituantes.
Les prix que l’on retient sont les prix du marché.
Nous nous appuyons ici sur le modèle simple d’une économie où Y représente la
production d’un bien unique. La capital humain total investi dans l’économie est :
H = Σ (hjLj)
(1)
La fonction de production F est croissante, son rythme de croissance dépend de H et K.
20
Y = AF (H, K)
(2)
A est la productivité totale des facteurs, A représente le progrès technologique. Dans une
économie de subsistance, nous pouvons supposer que A représente l’évolution d’un savoirfaire ou de la technique de fabrication du bien en question dans le temps. En supposant que
les différents facteurs de croissance sont constants, la production totale Y va croître si A
augmente. Bien évidemment une variation à la hausse des facteurs K, hj et Lj se traduira
aussi par une croissance de la production globale.
Si nous considérons le cas de figure d’une économie ou les comportements et engagements
communautaires sont prépondérants. Cette dernière hypothèse pourrait permettre une
meilleure allocation des ressources dans la production. Elle suscite de nouvelles
interrogations. Dans un contexte où les engagements communautaires priment sur les choix
individuels, est-ce que le rôle croissant des réseaux sociaux se concrétise par une variation
à la hausse de A, de H ou des deux ? Dans le cas d’une fonction de production de type
Cobb-Douglas, AF(K, H) = AKaHb où a, b > 0. Il est difficile de distinguer les variations
de A et H. Nous supposons que la fonction de production représentée dans ce modèle n’est
pas de type Cobb-Douglas.
Pour répondre aux interrogations précédemment évoquées, il faut s’intéresser à la nature
même des externalités générées par le réseau. Si ces externalités se confinent au réseau ou
à quelques groupes sociaux, alors l’impact du réseau se remarque surtout par une
amélioration du capital humain des ménages qui ont accru leurs engagements
communautaires. Si par contre, les externalités ont des répercussions sur l’ensemble de
l’économie, alors c’est A qui varie positivement.
Une variation positive de A entraîne une croissance de la production nationale. Elle traduit
également une augmentation de l’investissement en capital physique et humain. Précisons
21
ici que les retombées positives sur le capital sont également liées au niveau des dépenses
de santé. Cette formalisation peut paraître assez simpliste, elle n’est pas infondée ni
totalement irréaliste.
Putnam (1993) a montré sur la base de données statistiques relatives à vingt régions
administratives de l’Italie, que les traditions civiques permettent de mieux comprendre les
indicateurs économiques contemporains. Il a fait le constat d’une causalité entre le niveau
de l’emploi, des revenus au début du vingtième siècle et les relations sociales entre les
individus.
Narayan et Pritchett (1999) s’appuient sur des statistiques de la consommation des
ménages et les relations sociales dans cinquante villages de Tanzanie, pour montrer que les
ménages qui participent le plus aux structures communautaires des villages, ont un revenu
supérieur à ceux qui y participent moins. Ils en concluent qu’il existe une relation entre le
niveau des dépenses (consommation) des ménages et la taille de leur réseau social.
2.2 Le « capital réseau »
A la suite de l’analyse précédente, nous reprenons le schéma d’une économie où la
production se limite à un seul bien. Nous supposons qu’au sein de cette économie
coexistent deux groupes sociaux (réseaux). Un tel schéma peut s’appliquer à la production
de certains biens informels où la fabrication (savoir technique) et la commercialisation sont
totalement maîtrisés par un ou deux groupes sociaux (réseaux). Les deux réseaux qui
coexistent sont très cloisonnés, il n’existe donc aucun échange entre eux. Cette dernière
hypothèse est extrême et assez éloignée de la réalité. Cependant, on peut noter que dans
l’économie informelle en Afrique, la mobilité sur le marché du travail ou les rapport
d’échange sont surtout à court terme. Les coûts de transaction souvent élevés font que
22
paradoxalement, les échanges dépendent surtout de la proximité des intervenants
(géographique, ethnique ou filiale).
L’indice i représente le groupe social ou réseau i (= 1, 2) ; hi est le capital humain par
ménage dans chaque groupe ou réseau. Ce dernier représente à la fois les formes
traditionnelles du capital humain (éducation, formation et santé) et l’ensemble des
connaissances (savoir-faire) partagées au sein du réseau. Nous considérons que ces
connaissances constituent ce que nous nommons le capital réseau. La variable Li est le
nombre d’heures qu’en moyenne un ménage au sein de i consacre au travail ; Ni est la
population totale du réseau (taille du réseau) et Ki est le stock de capital physique. La
production totale du réseau Yi est :
Yi = Ai F (Ki, Ni hi Li)
(3)
Toute augmentation des relations entre les membres du réseau a un impact sur A, h ou sur
ces deux variables. Les relations sociales sont plus fréquentes et de meilleure qualité dans
le réseau 1. Par comparaison avec le réseau 2, nous avons A1>A2, ou h1>h2 ou les deux
inégalités, en postulant que les deux réseaux ont la même taille, que les stocks de capital
physique sont constants et que le nombre d’heures travaillées par ménage ne varie pas d’un
réseau à l’autre. La production du réseau 1 est supérieure à celle du réseau 2 (Y1>Y2). Une
augmentation des actions par coopération dans le réseau accroît la productivité totale des
facteurs Ai, le capital humain hi et le revenu par ménage Yi/N.
Les ménages des différents réseaux sociaux prélèvent une fraction constante Sk>0 de la
richesse nationale et l’investissement en accumulant du capital physique. L’épargne nous
ramène à la notion de confiance, qui est un des aspects du capital social. Les ménage
épargneront plus s’ils ont confiance au système de collecte de l’épargne. Le cloisonnement
23
des différents réseaux crée des distorsions. Les taux de rendement de l’investissement en
capital physique dans les deux réseaux sont inégaux. L’absence des liens entre les
différents marchés peut en être la cause. Si les actifs financiers destinés au financement du
capital physique pouvaient circuler du réseau 1 ou réseau 2, les gains espérés seraient
meilleurs.
CONCLUSION
Le cloisonnement est une hypothèse extrême. Toutefois, le choix d’une telle hypothèse
ouvre la voie à une approche critique du capital social. Le capital social, en l’occurrence ici
le capital réseau ne se traduit pas toujours par de meilleures performances macroéconomiques. Dans le contexte où la nécessité de préserver un savoir-faire, une technique
au sein du réseau exige que les échanges se limitent aux membres du réseau. Cette
situation peut induire des conséquences inverses à celles espérées. Tout investissement en
capital humain a des effets sur le capital physique. La quantité et la qualité des moyens de
production physique s’enrichissent du progrès technologique. Dans notre cas, l’innovation
technologique se concrétise par l’amélioration de la qualité du bien informel ou
l’élargissement de la gamme. Cette innovation dépend de la formation de la main-d’œuvre
(apprentissage) et des échanges entre les membres du réseau, mais également des échanges
entre les différentes réseaux. Plus les échanges sont étendus, plus la diffusion du progrès
technologique est large. Les gains espérés de l’investissement en capital physique, et
indirectement en capital humain sont plus grands. Le cloisonnement est un obstacle à la
mobilité des travailleurs entre les différents réseaux, ce qui n’est pas un problème en soi si
les marché du travail étaient constamment en équilibre. Si les tailles des deux réseaux ne
24
varient pas d’une période t à une période t+1, il est possible de d’admettre cette idée.
Toutefois, les barrières à l’entrée des différents réseaux dans une économie informelle sont
fondées sur critères très éloignés de l’impératif de réguler la démographie. La présence des
réseaux sociaux peut donc freiner la croissance des marchés et entraver le progrès
économique. Il faut donc distinguer le capital social productif du capital social non
productif.
25
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