IntroductIon générale

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Introduction générale
Bien que l’ordre canonique des mots en français moderne soit
sujet-verbe (SV) il existe aussi des phrases présentant l’ordre verbe-sujet
(VS), qu’on appelle couramment phrases à inversion du sujet ou à sujet
inversé, et qui peuvent être rangées sous deux rubriques. Ainsi peuvent
être distinguées des phrases incluant un pronom sujet postverbal, qui sont
des cas d’inversion pronominale (1a) ou d’inversion complexe (1b) et
des phrases incluant un sujet nominal postverbal (2), qu’on appelle des cas
d’inversion nominale. C’est à ces dernières qu’est consacré cet ouvrage :
(1) a. Est-il arrivé ?
b. Peut-être Jean est-il arrivé ?
(2) a. Quand venait Noël, il y avait des fêtes chez ses grands-parents à la
campagne. (Vian)
b. De la surface de cet océan morose émergent de surprenants îlots.
(Hébrard et Velle)
Les sujets nominaux postverbaux apparaissent dans un grand nombre
de contextes, tant dans des phrases simples et des principales, introduites ou non par un élément autre que le verbe (3), que dans différents types de subordonnées, comme les relatives, les clivées, les complétives,
les interrogatives indirectes et les subordonnées circonstancielles (4) :
(3) a. Et quel conseil avait donné le beau Gil ? (Sabatier)
b. Elle sonne. Arrive une infirmière : « Ah ! Mais madame, ce n’est pas
l’heure. » (Dolto)
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Quand passent les cigognes
c. Il resta un moment sans bouger, espérant que la nuit durerait toujours.
Ainsi doivent espérer les condamnés à mort. (Carrere)
d. En septembre apparaissent les grosses araignées. (Simon)
e. Dans la cour, régnait l’animation habituelle. (Brincourt)
(4) a. […] il comprit qu’il tenait le gibier que traquaient les policiers : la jeune
fille était en sueur. (Decoin)
b. Il sentait que pesaient sur lui deux yeux sévères, leur désapprobation muette. (Roy)
c. Il se décoiffa, s’assit au bord du lit sans que bouge le garçon… (Cluny)
d. Olivier savait qu’il baiserait la main de la tante Victoria et que les
ouvriers s’en amuseraient. Quand arriva la tante, cela se fit tout naturellement. (Sabatier)
Au vu de cette variété de contextes syntaxiques, la question se pose
de savoir si la position postverbale du sujet nominal a pour cause les
mêmes facteurs dans tous ces contextes, et quels sont les facteurs qui
favorisent la position postverbale du sujet nominal.
Le nombre élevé d’ouvrages consacrés à la distribution du sujet nominal postverbal révèle un vif intérêt pour ce thème. Néanmoins,
il reste un certain nombre de lacunes dans la littérature linguistique, qui
concernent la description de VS, la méthodologie utilisée dans l’analyse
de VS, et l’explication des facteurs qui régissent la distribution de VS.
Tout d’abord, tous les contextes d’apparition de VS n’ont pas été
étudiés de façon détaillée : si la distribution du sujet nominal postverbal
dans les interrogatives (3a) et les relatives (4a), ainsi que dans les phrases
simples et les principales commençant par un adverbe ou groupe prépositionnel de temps (3d) ou de lieu (3e) (des cas d’inversion locative) a
été bien étudiée, VS dans les phrases simples et les principales introduites
par un adverbe de manière (3c) et dans les contextes d’inversion absolue, où le verbe est le premier élément de la phrase (3b), n’a pas été décrit
de façon détaillée, de même que VS dans les complétives (4b) et dans
les subordonnées circonstancielles (4c-d). Il en résulte que les analyses
théoriques qui intègrent ces contextes sont souvent fondées sur des généralisations descriptives peu adéquates ou même incorrectes, que notre
analyse de corpus a permis de modifier ou d’écarter.
En ce qui concerne la méthodologie mise en œuvre dans l’analyse descriptive de VS, depuis les premières descriptions fournies par
Blinkenberg (1928) et Le Bidois (1952), il n’a paru aucune description
globale de la distribution des sujets nominaux postverbaux qui se fonde
sur une étude de corpus systématique. En effet, dans les analyses générativistes, les exemples fabriqués cités n’ont le plus souvent qu’une
fonction illustrative et ne rendent pas compte de toutes les contraintes
Introduction générale
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qui pèsent sur l’apparition de VS. En outre, les recherches récentes qui
se fondent sur une analyse de données attestées se limitent toutes à un
seul contexte ou à un ensemble restreint de contextes d’apparition de
VS, et il n’existe que peu de données chiffrées sur l’importance des
facteurs qui favorisent la position postverbale du sujet nominal. De surcroît, il est impossible de comparer les analyses de corpus individuelles,
parce qu’elles reposent souvent sur des notions et des critères d’analyse
différents. Cela vaut surtout pour les facteurs informationnels qui sont
utilisés dans les analyses de données attestées, parce que la structure de
l’information – qui, nous le soulignerons tout au long de cet ouvrage,
joue un rôle fondamental dans la distribution de VS – est un domaine
de la linguistique qui se caractérise par une grande confusion terminologique et conceptuelle.
Finalement, dans la littérature linguistique consacrée à ce sujet,
il y a aussi une lacune au niveau explicatif : alors qu’il est couramment
admis que la position postverbale du sujet résulte de contraintes syntaxiques et informationnelles, aucun ouvrage n’a tenté d’expliquer, depuis l’étude globale de Le Bidois (1952), la distribution de l’inversion
dans la totalité des contextes où elle peut apparaître, à partir d’éléments
syntaxiques et informationnels à la fois, et en expliquant l’interaction
entre la syntaxe et la structure de l’information.
Au vu de l’état actuel de la recherche linguistique sur VS,
le but de ce livre est double. D’abord, nous offrirons une typologie
descriptive de l’apparition de VS dans les phrases simples déclaratives (chapitre 2) et les subordonnées (chapitre 3). La description se
fera sur la base d’une analyse de données attestées et tiendra compte
de facteurs syntaxiques et informationnels clairement définis. Cette
méthodologie nous a permis de formuler de nouvelles généralisations
descriptives. Le deuxième but de cet ouvrage est d’expliquer ces nouvelles généralisations descriptives et de disséquer en détail l’influence
de la syntaxe et de la structure de l’information sur les contraintes qui
régissent la distribution de VS. Nous montrerons tout d’abord qu’il
existe deux constructions syntaxiques de VS en français, qui se caractérisent par une série de propriétés syntaxiques, sémantiques et informationnelles distinctes (chapitre 4). Nous proposerons ensuite que la
distribution de ces deux types de VS est le résultat d’un seul principe
informationnel sous-jacent, selon lequel la position postverbale du sujet nominal sert à indiquer que celui-ci n’est pas le topique de la phrase
(chapitre 5). Cette hypothèse explique les nouvelles généralisations
descriptives concernant la distribution de VS dans les phrases simples
et les phrases subordonnées.
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