Analyse du tropisme viral et de la réponse immunitaire innée

ANALYSE DU TROPISME VIRAL ET DE LA REPONSE IMMUNITAIRE INNEE MUCOSALE LORS
D’INFECTIONS EXPERIMENTALES DE CANARDS PAR DES VIRUS INFLUENZA FAIBLEMENT
PATHOGENES
Volmer R.
1
, Soubies S.
1
, Villemonte Christelle
1
, Grenier B.
1
, Guérin J.L
1,2
1
UMR 1225, INRA, Ecole nationale vétérinaire de Toulouse
2
Cliniques des Elevages Avicoles et Porcins, Ecole nationale vétérinaire de Toulouse
23, chemin des Capelles, BP 87614 – 31076 Toulouse Cedex 3
Résumé
Les virus Influenza aviaires faiblement pathogènes ont un tropisme préférentiel pour le tractus digestif des
canards. Des infections expérimentales ont révélé que le virus se multiplie préférentiellement dans les cellules
épithéliales du côlon. L’objectif de notre étude est de déterminer si une réponse immunitaire précoce est mise en
place au niveau intestinal. Grâce aux outils développés au laboratoire, permettant le dosage de transcrits des
principales cytokines de canard, nous pouvons analyser cette composante de la réponse immunitaire. Nous
apportons une attention particulière à la production et à la réponse cellulaire aux interférons de type I qui
constituent les principales cytokines antivirales. Par des techniques d’immunomarquage sur coupes histologiques,
nous souhaitons déterminer quelles cellules produisent de l’interféron et quelles cellules sont capables de
répondre à l’interféron en analysant l’expression de protéines antivirales. Ce travail original est susceptible de
fournir des réponses importantes pour la compréhension de l’interaction entre les virus Influenza et le canard,
leur réservoir naturel.
Introduction
Les virus Influenza de type A sont les agents
responsables d’infections animales et humaines. De
nombreux sous-types sont définis par la
combinaison de deux glycoprotéines de surface :
une des 16 hémagglutinines (H) et une des 9
neuraminidases (N). Chez la volaille, les virus
Influenza sont responsables d’infections de gravité
variable. On distingue les virus Influenza aviaires
faiblement pathogènes (IAFP) et les virus Influenza
aviaires hautement pathogènes (IAHP) qui diffèrent
au niveau de la séquence peptidique de
l’hémagglutinine (Horimoto et Kawaoka, 2005).
Les virus hautement pathogènes pour la volaille
appartiennent tous aux sous-types H5Nx ou H7Nx,
d’où l’intérêt particulier porté à ces derniers. Les
virus de sous-types H5Nx et H7Nx ne sont
cependant pas tous d'emblée des IAHP et il est
maintenant reconnu que les virus IAHP sont issus
de mutations de virus IAFP appartenant aux sous-
types H5 et H7. Les mutations de virus IAFP en
IHAP apparaissent de façon imprévisible au cours
de la circulation de virus IAFP H5Nx et H7Nx chez
la volaille, comme cela a été décrit lors des
épizooties en Pennsylvanie (1984-1985), au
Mexique (1994-1995) et en Italie (1999-2000)
(Horimoto et Kawaoka, 2005). Compte tenu de ces
risques, les infections à virus IAFP de sous-type H5
et H7 sont désormais prises en compte par les
réglementations zoosanitaires internationales,
communautaire (directive 2005-94) et nationale
(arrêté du 18 janvier 2008).
Certaines espèces de canards ont un rôle
épidémiologique central en tant que réservoirs de
virus Influenza aviaires (Munster et al., 2007). C’est
chez eux que l’on peut isoler la plus grande varié
de sous-types viraux. Ils contribuent également à
l’émergence et à la propagation des virus hautement
pathogènes (Keawcharoen et al., 2008). Chez le
canard, l’infection par les virus IAFP est
essentiellement digestive et les fientes peuvent
renfermer des quantités considérables de virus
(Kida, Yanagawa, et Matsuoka, 1980; Webster et
al., 1978). Le virus ainsi excrété peut contaminer
l’environnement et être transmis à d’autres
élevages. L’infection des canards est le plus souvent
asymptomatique, même si l’expression de signes
cliniques a été rapportée lors des épisodes récents
d’IAHP H5N1 asiatique (Pantin-Jackwood et
Swayne, 2007). Les infections expérimentales
réalisées chez le canard avec des virus IAFP ont
montré que l’excrétion virale a lieu pendant au
maximum dix à quinze jours après l’inoculation
(Kida, Yanagawa, et Matsuoka, 1980; Webster et
al., 1978). Le caractère transitoire de l’infection
indique qu’une réponse immunitaire est mise en
place. La nature et les effecteurs de la réponse
immunitaire antivirale sont très mal connus chez le
canard. En particulier, seule une réponse
sérologique de très faible intensité a été décrite.
Nous souhaitons analyser en détail la mise en place
de la réponse immunitaire au cours d’une infection
et nous avons pour cela mis au point des méthodes
d’analyse de la réponse immunitaire mucosale.
Nous présentons ici la mise au point de méthodes de
dosage des transcrits des principales cytokines de
canard par des tests de PCR quantitative. Des outils
permettant d’analyser la synthèse d’interférons
(IFN) de type I et la réponse à ces cytokines
antivirales ont également été développés. Les
premiers résultats ont été obtenus au cours
d’infections expérimentales de canards pékin (Anas
platyrhynchos) par une souche de virus IAFP
H5N2.
Matériel et Méthodes
Protocole d’infection expérimentale des canards
Vingt canards pékin provenant de l’élevage Orvia
(Saint-André-treize-Voies, France) ont été élevés
dans l’animalerie de l’Ecole vétérinaire de
Toulouse.
FIGURE 1 : Quantification de l'ARN viral présent
au niveau du colon des animaux infectés et sacrifiés
à j1, j3 et j6 post-infection et comparaison du titre
infectieux au niveau de différents organes
d'animaux sacrifiés à j3 post-infection
Le virus utilisé est un virus IAFP isolé par l’AFSSA
Ploufragan et fourni gracieusement par le Dr.
Véronique Jestin, souche
A/Duck/France/05056a/2005 (H5N2). Le virus
utilisé a été amplifié trois fois sur œufs embryonnés
de poulet. Les infections ont été réalisées sur les
animaux âgés de trois semaines par inoculation par
voie oropharyngée de 10
6
particules infectieuses par
animal. Les animaux des groupes « infectés » et
« contrôles » ont été maintenus dans des pièces
séparées et alimentés et abreuvés à volonté. Trois
animaux par groupe ont été sacrifiés à chaque temps
expérimental : 12h, 1 jour, 3 jours et 6 jours post-
infection. Les prélèvements destinés aux analyses
histologiques ont été fixés dans du formol 10%. Les
prélèvements destinés aux analyses des transcrits
d’ARN ont été placés dans une solution de TRIzol
(Invitrogen, Pays-Bas) et immédiatement congelés à
-80°C. Des tissus ont été également directement
congelés à -80°C pour mesurer la charge virale et le
niveau d’IFN de type I au niveau des tissus.
Histologie et immunomarquage sur coupes de
côlon
Après inclusion en paraffine, les tissus fixés au
formol ont été coupés à une épaisseur de m.
Toutes les lames d’histologie ont été codées de
façon à pouvoir être lues sans connaissance du
contexte expérimental. Les lames colorées à
l’hémalun-éosine ont été analysées en évaluant les
éventuelles lésions tissulaires et infiltrats
inflammatoires. La localisation du virus a été
révélée par un immunomarquage avec un anticorps
anti-nucléoprotéine virale (clone IA52, Argene,
France).
Analyse de l’expression des ARN viraux et des
ARNm des cytokines par RT-PCR quantitative
L’extraction des ARN tissulaires a été réalisée à
l’aide de TRIzol Reagent (Invitrogen, Pays-Bas) :
brièvement, les tissus ont été broyés et mis en
suspension dans 750 µL de TRIzol : les ARN totaux
ont ensuite été précipités suivant une méthode
classique. 5 µg d’ARN ont ensuite été purifiés à
l’aide du kit Nucleospin RNA II (Macherey Nagel,
Germany) afin d’éliminer l’ADN génomique
contaminant. L’étape de rétro-transcription (RT) a
été réalisée à l’aide du kit SuperScript II Reverse
Transcriptase (Invitrogen, Pays-Bas) : 100 ng
d’ARN ont été hybridés avec 300 ng d’amorces
composées d’hexamères aléatoires puis traités
suivant les recommandations du fabriquant. La
quantification des transcrits a éréalisée par PCR
quantitative en chimie SYBR Green (Biorad, Etats-
Unis) à l’aide d’un thermocycleur GeneAmp 5700
(Biorad, Etats-Unis).
FIGURE 2 : Immunomarquage de la nucléoprotéine
virale NP sur une coupe de colon d'un canard
sacrifié à j3 post-infection. Les cellules exprimant la
nucléoprotéine virale apparaissent en marron.
Les amorces spécifiques de chaque gène d’intérêt
ont été dessinées à l’aide du logiciel Primer 3
(Tableau 1) en se basant sur les séquences décrites
chez le canard pékin Anas platyrhynchos et
disponibles dans la base de données NCBI. La
détection du génome viral a été réalisée en utilisant
des amorces spécifiques du segment M (Spackman
et al., 2002). Chaque échantillon est traité en double
et la quantité d’ARN correspondant aux gènes
d’intérêt est normalisée par rapport au niveau
d’expression du gène de ménage GAPDH. Les
cytokines et chimiokines analysables et les amorces
utilisées pour la RT-PCR quantitative sont :
Interféron alpha, Interféron gamma, Interleukine 1
beta, TNFα, Interleukine 12 p40, Interleukine 18,
Interleukine 6, Interleukine 2, RANTES,
Interleukine 16.
Dosage biologique des IFN de type I
Afin de doser les niveaux tissulaires d’IFN de type I
nous avons adapté à l’espèce canard la méthode de
dosage basée sur l’inhibition des effets
cytopathiques provoqués par le virus de la stomatite
vésiculeuse (VSV) (Martinez-Sobrido et al., 2006).
En utilisant de l’IFN alpha de canard recombinant
produit au laboratoire, nous avons mis au point la
technique sur des fibroblastes primaires de canard.
En présence d’IFN de type I de canard, les
fibroblastes de canard sont protégés des effets
cytopathiques du VSV. Le niveau d’IFN de type I
est exprimé comme l’inverse de la dilution la plus
forte pour laquelle 50% des effets cytopathiques du
VSV sont inhibés. Nous employons désormais cette
technique pour mesurer le niveau d’IFN de type I
présent dans les tissus prélevés au cours des
infectons expérimentales de canards. Afin de
mesurer le niveau tissulaire d’IFN de type I, les
tissus prélevés sont broyés et mis en solution dans
du milieu de culture cellulaire. Des fibroblastes
primaires de canard sont ensuite mis en culture dans
des plaques à 96 puits en présence de dilutions
sériées de la solution à tester.
Résultats
Analyse de la charge et de la localisation virale
Les canards infectés par le virus H5N2 n’ont
présenté aucun symptôme, en accord avec les études
précédentes.
Afin de terminer la durée d’infection, nous avons
mesupar RT-PCR quantitative le niveau d’ARN
viral présent dans les échantillons de lon prélevés
aux différents temps post-infection, le côlon étant le
site de réplication privilégié des virus IAFP chez le
canard. Nos résultats indiquent que l’ARN viral est
détectable un jour post-infection et est maximal
trois jours post-infection (FIGURE 1). La charge
virale chute ensuite et le niveau d’ARN viral
détectable six jours post-infection est alors très
faible. Au pic d’infection, trois jours post-infection,
nous avons comparé le titre viral en particules
infectieuses au niveau de l’appareil respiratoire et
de l’appareil digestif. Nous résultats montrent que
le titre viral est maximal dans le contenu du côlon et
que, à ce point expérimental, le côlon a une charge
virale environ cinq fois supérieure à celle retrouvée
dans le poumon (FIGURE 1).
Des immunomarquages réalisés sur les coupes de
côlon montrent que le virus se multiplie
exclusivement dans les cellules épithéliales
différenciées du côlon. Au niveau des tissus
infectés, nous n’avons détecté aucune lésion
tissulaire, ni infiltrat inflammatoire visible par les
techniques classiques d’analyse histologique
(FIGURE 2).
FIGURE 3 : Comparaison des niveaux des transcrits
des gènes codant pour les cytokines TNFα et
l’IFNgamma (A) et pour la protéine antivirale Mx
(B) entre les animaux non infectés NI et les
animaux infectés et sacrifiés à j1, j3 et j6 post-
infection. Les données représentent la moyenne de
trois animaux par point.
Dosage des transcrits des cytokines de canards par
RT-PCR quantitative
La diminution de la charge virale au niveau du
côlon indique qu’une réponse immunitaire efficace
se met en place chez les canards infectés. Afin de
mieux comprendre quel type de réponse
immunitaire se met en place et avec quelle
cinétique, nous avons analysé les transcrits des
principales cytokines au niveau du côlon. Parmi
toutes les cytokines analysées, seuls le TNFα et
l’IFNgamma présentaient des niveaux d’expression
statistiquement différents entre les canards non
infectés et les canards infectés (FIGURE 3A).
L’augmentation du niveau des transcrits du TNFα à
jour 1 post-infection et de l’IFNgamma à jour 5
post-infection est cependant très modérée. Au cours
de l’infection, une réponse immunitaire est donc
mise en place, mais celle-ci est de très faible
intensité
Analyse de la réponse aux IFN de type I
De façon inattendue, nous n’avons observé aucune
augmentation de la transcription de l’IFN alpha au
niveau du côlon des canards infectés. Compte tenu
du rôle crucial des IFN de type I dans la réponse
antivirale initiale et dans la mise en place de la
réponse immunitaire adaptative, nous avons évalué
le niveau des transcrits du gène Mx. La
transcription du gène Mx est très fortement stimulée
par les IFN de type I. L’analyse de son niveau
d’expression constitue donc un outil très sensible
pour révéler la présence des IFN de type I au niveau
tissulaire. Nous observons une augmentation
statistiquement significative de l’expression du gène
Mx au niveau du côlon des animaux infectés
(FIGURE 3B). L’augmentation de la transcription
du gène Mx traduit la présence d’IFN de type I et la
mise en place d’une réponse immunitaire innée au
niveau des sites d’infection. Nous souhaitons
maintenant mettre en évidence la présence d’IFN de
type I au niveau des tissus par la méthode de dosage
biologique mise au point au laboratoire.
Discussion
L’infection des canards pékin par le virus IAFP
H5N2 ne se traduit par aucun symptôme et aucune
lésion histologique détectable. Dans notre étude,
l’antigène viral n’est détecté au niveau du côlon que
dans les cellules épithéliales différenciées qui se
trouvent au somment des villosités. Ces résultats
sont en contradiction avec les études précédentes
qui avaient identifié les cellules non différenciées
des cryptes intestinales comme cibles préférentielles
des virus IAFP (Ito et al., 2000; Kida, Yanagawa, et
Matsuoka, 1980). La divergence dans les résultats
pourrait être due à l’utilisation de virus IAFP de
sous-types différents et des expériences avec
d’autres sous-types viraux sont en cours au
laboratoire pour documenter nos observations.
Le développement de méthode de quantification des
transcrits des principales cytokines de canard nous a
permis d’analyser la mise en place de la réponse
immunitaire au niveau tissulaire. Au niveau de la
muqueuse du lon, nous n’observons qu’une faible
augmentation des transcrits codant pour le TNFα et
l’IFNgamma respectivement un jour et six jours
post-infection. L’augmentation de l’expression de
l’ARNm codant pour la protéine Mx témoigne
également de l’augmentation de la sécrétion d’IFN
de type I au niveau de la muqueuse du côlon. Une
réponse inflammatoire se met donc en place. Celle-
ci est de faible intensité, en témoigne l’absence
d’infiltrat massif de cellules immunitaires dans la
muqueuse du côlon.
Notre travail montre, qu’au cours de l’infection, une
réponse immunitaire innée se met rapidement en
place au niveau des cellules du tube digestif des
canards. Cette réponse immunitaire permet de
limiter l’extension tissulaire du virus, celui-ci n’est
en effet détectable que dans une très faible
proportion de cellules localisées au niveau de
l’épithélium différencié du côlon. La réponse
immunitaire pourrait ainsi être suffisamment
efficace pour prévenir des dégâts tissulaires induits
par le virus, et d’une intensité suffisamment faible
pour limiter les lésions provoquées par
l’inflammation.
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Remerciements
Ce programme de recherche a bénéficié du soutien
financier du CIFOG (Comité interprofessionnel des
Palmipèdes à Foie gras).
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