2 PRÉSENTATION Ce document est un résumé partiellement actualisé de la publication de la Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes (CEPALC) intitulée « Desarrollo productivo en economías abiertas » (Développement du secteur productif dans le contexte d’économies ouvertes),1 paru en 2004. Ce titre fait intervenir deux éléments que certains considèrent parfois comme diamétralement opposés. D’une part, le processus de mondialisation et sa conséquence inéluctable, à savoir la plus grande ouverture sur le monde des économies de l’Amérique latine et des Caraïbes, sont perçus comme un processus irréversible. D’autre part, les politiques productives sont considérées indispensables dans tout programme public visant à promouvoir le développement économique. La région se trouve actuellement au terme d’un processus de réformes qui a atteint son apogée dans la décennie 1990 et au seuil d’une nouvelle étape aux contours encore indistincts. En raison de l’incertitude qui règne quant à la direction que l’Amérique latine et les Caraïbes vont prendre dans l’immédiat, et sachant que celle-ci sera finalement déterminée par les actions conscientes des opérateurs sociaux, la CEPALC a donc souhaité dresser le bilan du chemin parcouru et présenter sa vision des mesures qui devraient nécessairement faire partie d’un agenda positif. L’Amérique latine et les Caraïbes constituent la région du monde en développement qui s’est le plus fermement engagée dans le processus d’internationalisation et de libéralisation économique axé sur le rôle prépondérant du secteur privé et condensé dans ce qui a été appelé le Consensus de Washington. Ce train de réformes misait sur le fait que l’équilibre budgétaire, la stabilité des prix et l’ouverture sur le monde allaient apporter aux sociétés un élan de croissance, un recul du chômage ainsi que des gains de productivité et une augmentation des salaires réels. Au terme de la période de réformes, le bilan s’avère mitigé puisqu’il comporte des aspects aussi bien positifs que négatifs; pour résumer l’évolution globale, l’image la plus synthétique possible de l’ensemble du processus est celle d’une trajectoire en forme de parabole composée d’une période d’essor immédiatement suivie d’une étape de crise, puis d’une phase finale de déclin. La résorption des déséquilibres budgétaires, ainsi que la maîtrise des processus chroniques d’hyperinflation qui sévissaient dans la région, ont été accompagnées de progrès manifestes en matière d’investissements en infrastructure, de modernisation de certains segments de l’appareil de production et de croissance des exportations. Au passif de ce bilan, il faut inscrire un taux de croissance faible et volatile, le démembrement de l’appareil de production, la progression du chômage et du travail informel, l’aggravation de la vulnérabilité extérieure et la détérioration des principaux rapports macro-économiques. La reprise d’un processus de croissance dynamique et stable passe d’abord par le fonctionnement d’une macroéconomie assainie qui préserve et consolide les progrès accomplis dans les années 90, soit un taux d’inflation réduit et un déficit budgétaire contrôlable. La politique macro-économique doit non seulement être en mesure de garantir la stabilité nominale; il faut également qu’elle parvienne à atténuer la volatilité réelle et ce, moyennant l’accroissement de l’épargne intérieure et l’approfondissement des marchés financiers afin de réduire la dépendance vis-à-vis de l’épargne extérieure. Il faut en outre appliquer des politiques budgétaires anticycliques qui impliquent la volonté d’épargner durant les phases d’expansion. 1 Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes (CEPALC), Desarrollo productivo en economías abiertas (LC/G.2234(SES.30/3)), Santiago du Chili, juin 2004. 3 Ce document se penche également sur la qualité de l’insertion sur les marchés extérieurs. En raison de la vocation exportatrice des pays de la région et des pratiques protectionnistes des pays développés, les débats se centrent aujourd’hui sur l’accès aux marchés. Néanmoins, l’accès aux marchés ne suffit pas à résoudre les problèmes institutionnels ni à engendrer le développement productif requis pour relancer la croissance. Il est indispensable de parvenir à un taux de croissance dynamique et soutenu des exportations et, dans le même temps, d’accroître leur effet d’entraînement sur la croissance économique; pour ce faire, il est particulièrement important de mettre en œuvre une stratégie de politiques publiques qui visent à améliorer le mode d’insertion extérieure de la région et à stimuler des gains de compétitivité et de productivité de l’appareil de production. L’État doit nécessairement prendre part à ce processus et appliquer des politiques actives de promotion des exportations qui permettent de tirer parti des externalités positives dans l’ensemble de l’appareil de production, de compenser les défaillances des marchés des capitaux au niveau du financement des exportations, de mettre à profit des économies d’échelle, de saisir les opportunités d’apprentissage, ainsi que de veiller à l’utilisation rationnelle des ressources naturelles et à l’exploitation des nouvelles technologies en matière d’environnement. Les mécanismes d’incitation devront tenir compte de la nécessité d’accorder la priorité à la promotion des exportations de nouveaux produits ou de nouveaux marchés, activités qui doivent être considérées comme de véritables innovations. Par ailleurs, il est indispensable que les politiques de promotion des exportations soient conçues comme des stratégies à moyen et à long terme, de façon à assurer la continuité des politiques, quels que soient les changements intervenus dans les équipes gouvernementales chargées de les mettre en œuvre. Comme signalé plus haut, l’un des héritages fâcheux des années 1990 a été l’hétérogénéité croissante de l’appareil de production, qui a entraîné une exclusion elle aussi croissante de certains agents économiques alors que d’autres s’acheminaient vers la modernisation productive. La structure productive des économies latino-américaines se caractérise actuellement par trois grandes catégories d’unités, en fonction de leur degré de formalisation et de leur taille. Le premier groupe est composé des grandes entreprises, dont beaucoup sont des transnationales, qui présentent généralement des niveaux de productivité proches de la frontière internationale mais qui ont très peu de liens avec l’économie locale et une faible capacité innovatrice. La deuxième catégorie correspond aux petites et moyennes entreprises du secteur formel qui ont généralement de grandes difficultés pour accéder à certains facteurs de production, en particulier au financement et aux services technologiques et qui, surtout, présentent une faible capacité d’articulation productive aussi bien entre elles qu’avec les entreprises appartenant à d’autres catégories. Le dernier groupe est constitué par les micro entreprises et les petites entreprises du secteur informel qui, en raison de leur structure et de leurs capacités, sont celles qui présentent la plus faible productivité relative et évoluent dans un contexte qui les prive de toute possibilité de développement et d’apprentissage; qui plus est, les travailleurs et les employeurs ne font l’objet d’aucune protection sociale contre les risques qu’ils encourent, y compris la perte d’emploi ou de revenu. Le développement du secteur productif de cette économie « à trois vitesses » exige l’adoption de politiques publiques actives qui contribuent à niveler le terrain de jeu et facilitent la mise en place d’une structure de soutiens et d’incitations articulée autour de trois grandes stratégies: d’inclusion, de modernisation et de densification. La stratégie d’inclusion aura pour but de faciliter le passage au secteur formel de l’économie du plus grand nombre possible de micros et petites entreprises du secteur informel. Les mesures à prendre dans le cadre de cette stratégie sont de grande envergure, tout en restant sélectives quant aux destinataires; elles doivent notamment prévoir la simplification des normes et des démarches, la réduction des charges fiscales, un accès plus large au crédit et à la formation. La stratégie de modernisation concerne les petites et moyennes 4 entreprises du secteur formel et est fondée sur un dosage de politiques horizontales et sélectives. Les premières sont destinées à améliorer l’accès à l’information, au crédit et à la technologie, tandis que les politiques sélectives s’appliquent à la formation d’associations de petites entreprises, en passant par le développement de fournisseurs ou de clients de grandes entreprises jusqu’à la consolidation de structures productives regroupées sur un seul territoire (clusters) ou articulées comme étapes d’une chaîne de valeur. La stratégie de densification vise les grandes entreprises et a essentiellement pour but d’intégrer de nouveaux savoirs au tissu productif d’un pays et de favoriser les innovations au sens large. Elle comporte des mesures destinées notamment à renforcer les liens locaux de la base exportatrice, à favoriser la coopération entre les secteurs public et privé dans le cadre du système d’innovation et à attirer un investissement étranger de meilleure qualité sur les plans productif et technologique. Un autre sujet abordé dans ce document est la déchirure du tissu social qui a été l’une des retombées les plus graves des expériences de politique qui ont caractérisé les années 1990. La conjugaison de deux tendances, à savoir la recrudescence du taux d’activité et le fléchissement du taux d’occupation, s’est traduite par une progression du chômage et du nombre de travailleurs du secteur informel. L’aggravation de l’hétérogénéité productive et des inégalités ainsi que la progression du travail informel et du chômage n’entraînent pas seulement des pertes statiques et dynamiques au niveau du produit et de la croissance; elles constituent aussi une menace latente pour la cohabitation démocratique et la communauté de vues et de propos qui doivent aller de pair avec les processus de changement historique nécessairement liés au développement économique. A la lumière de tous ces éléments, la CEPALC a proposé que soit conclu un pacte de cohésion sociale fondé sur l’adoption d’engagements réciproques de la part des secteurs sociaux et de l’État et sur lequel reposerait la construction d’une société inclusive dans la région. Un tel pacte devra respecter les fondements de la politique macro-économique et favoriser la création de nouveaux emplois, la protection sociale, ainsi que l’éducation et la formation. Il faut, finalement, garder à l’esprit que la région évolue dans un contexte international caractérisé par un processus de mondialisation d’un espace économique hiérarchisé au sein duquel seuls les pays les plus développés affichent une croissance convergente. Par ailleurs, de profondes asymétries subsistent en matière de création de technologies et de capacités propres à surmonter les obstacles qui freinent l’entrée à des secteurs plus porteurs; le développement des systèmes financiers nationaux varie selon les pays, de même que leur degré d’autonomie dans la formulation de politiques. Dans ce contexte, la principale contradiction de ce processus de mondialisation réside dans le fait que les problèmes d’ordre mondial se multiplient alors que leur traitement continue de relever essentiellement des initiatives de politique à l’échelon national. Le document met en lumière les effets de ce déséquilibre en matière de gouvernance internationale dans quatre domaines déterminés: les régimes macro-économiques et financiers, les négociations commerciales multilatérales, la mise en valeur durable de l’environnement et la migration internationale. 5 La CEPALC se propose, par cette analyse, de contribuer à la formation de connaissances dans la région ainsi qu’à la définition des options de politique économique disponibles, de façon à contribuer au débat sur le type d’architecture institutionnelle qui devrait encadrer le processus actuel de mondialisation. L’objectif ultime de cet effort intellectuel est l’édification de sociétés dans lesquelles l’intégration au reste du monde soit un moyen de consolider les identités nationales, la croissance du produit serve d’assise matérielle à l’accès à une structure plus équitable de la consommation et la démocratie soit la voie effective par laquelle les peuples puissent agir sur la destinée de leurs pays. José Luis Machinea Secrétaire exécutif 6 A. LA GLOBALISATION DE L’ÉCONOMIE MONDIALE Au fil de l’histoire, la vie économique des nations a tendu, sur le long terme, à une interdépendance croissante. Le processus d’internationalisation de l’économie mondiale n’est pas un phénomène nouveau et les historiens modernes distinguent au moins trois phases de mondialisation au cours des 130 dernières années. La majorité des analystes s’accorde à situer le début de la phase actuelle au début des années 1970 à la suite d’une série d’événements politiques, économiques et financiers pratiquement simultanés. 2 Dans cette troisième phase de mondialisation, et en particulier depuis le début des années 1990, les conditions étaient réunies pour que l’économie mondiale cesse d’être la somme des courants commerciaux et des mouvements de capitaux entre des économies nationales isolées, pour se transformer en un ensemble de réseaux mondiaux de marchés et de systèmes de production intégrés par delà les frontières nationales. Cette évolution a été marquée par deux facteurs qui méritent d’être mis en exergue. D’une part, la mondialisation n’a pas, d’un point de vue structurel, favorisé l’homogénéisation mais, bien au contraire, renforce les caractéristiques de l’économie mondiale en tant qu’espace hiérarchisé. L’évolution de l’économie mondiale au cours des 15 dernières années a été caractérisée par des marchés de plus en plus oligopolistiques, des asymétries technologiques plus profondes, une prédominance du secteur financier et une volatilité des marchés, ainsi qu’un manque de volonté pour progresser dans les négociations commerciales multilatérales. Par ailleurs, cette période se distingue également par une nette prééminence de l’économie des Etats-Unis dont la croissance a été nettement plus dynamique que celle de l’Europe et du Japon, alors que la Chine et l’Inde se sont transformées en véritables « moteurs » de la demande mondiale. Cette nouvelle donne mondiale est à la fois riche en opportunités et semée d’embûches pour les économies en développement. L’évolution de ce scénario pose également diverses interrogations. L’Europe et le Japon seront-ils capables de reprendre la voie de la croissance soutenue? L’économie des Etats-Unis réussira-t-elle à résorber ses déséquilibres macro-économiques sans provoquer de commotions dans l’ensemble de l’économie mondiale? La Chine et l’Inde parviendront-elles à maintenir leur taux de croissance de ces dernières décennies? De toute évidence, les réponses à plusieurs de ces interrogations sont interdépendantes. Les aspects les plus notables sont la résurgence des déficits jumeaux aux Etats-Unis et la relation particulière de ce pays avec la principale économie émergente, à savoir la Chine, ainsi que leurs conséquences sur les marchés mondiaux des devises; leur comportement ne manquera pas d’avoir une incidence sur l’évolution de l’économie mondiale. Il n’est pas facile de prendre position à l’égard de ces questions, en particulier pour les pays en développement. S’il est vrai que les effets se feront sentir dans toutes les économies nationales, ceux-ci seront probablement plus graves pour les régions relativement moins avancées en raison des marges plus étroites dont elles disposent en matière de politiques et de leur plus grande vulnérabilité extérieure. 2 José Antonio Ocampo et Juan Martín (eds.), Globalización y desarrollo, una reflexión desde América Latina y el Caribe, Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes (CEPALC)/Banque mondiale/Alfaomega, octobre 2003. 7 En Amérique latine et dans les Caraïbes, ces facteurs s’inscrivent dans le cadre d’un engagement résolu en faveur d’une plus grande insertion à l’économie mondiale grâce à l’intense ouverture commerciale et financière qui a caractérisé ces 15 dernières années. Aux traditionnels problèmes structurels de la région viennent s’en ajouter d’autres qui résultent d’une période de transition caractérisée par un bilan nuancée de bénéfices à long terme et de coûts immédiats. La tendance semble toutefois être sans équivoque. Par conséquent, les questions qui se posent concernent plutôt la façon de mieux s’insérer au reste du monde et les mesures à prendre pour tirer parti des opportunités et conjurer les menaces. La CEPALC a préparé, à cette fin, un programme prévoyant des mesures complémentaires aux échelons national, régional et international. 3 B. UNE PÉRIODE DE RÉFORMES EN AMÉRIQUE LATINE Dans les années 1990, les économies de l’Amérique latine et des Caraïbes ont connu un ensemble de réformes structurelles et d’expériences de politiques économiques. Les expériences de libéralisation économique avaient commencé dans le Cône Sud à la fin des années 1970; elles ont toutefois été interrompues au cours de la période qui a suivi la crise de l’endettement de 1982, pour ensuite se généraliser dans presque toute la région à partir de 1985. Les premières composantes de la réforme, et aussi celles qui ont connu une plus grande diffusion à l’échelon régional, ont été l’ouverture commerciale et la libéralisation des marchés financiers nationaux; à partir de 1991, on assista également à une libéralisation croissante des courants de capitaux avec l’extérieur et, dans certains pays, à des processus intenses de privatisation d’entreprises publiques. La principale composante du programme de réformes a sans nul doute été l’ouverture des économies de la région. Toutes les économies de la région présentent aujourd’hui un plus grand degré d’ouverture qu’au début des années 1980. En effet, au début de cette décennie, le taux moyen du tarif de la nation la plus favorisée de la région était supérieur à 100%, alors qu’il était tombé à 29% dans les années 90 et à moins de 10% en 2004. Malgré la réduction considérable du tarif nominal ainsi que la disparition pratiquement totale des restrictions quantitatives, la restriction effective imposée à l’entrée de marchandises étrangères a encore diminué. Dans le cas du Mexique, par exemple, le tarif actuel de la nation la plus favorisée oscille autour de 16%, alors que 90% environ des importations mexicaines entrent dans le pays à la faveur d’accords commerciaux et, partant, sont grevés d’un taux zéro; par conséquent, le tarif moyen effectif de l’économie mexicaine est nettement inférieur au tarif nominal. Ceci est également le cas dans la plupart des économies de l’Amérique latine et des Caraïbes, ce qui explique pourquoi le tarif moyen effectif de la région est de 5%. 3 Commission économique pour l’Amérique latine et des Caraïbes (CEPALC), Globalización y desarrollo (LC/G.2157(SES.29/3)), José Antonio Ocampo (coord.), Santiago du Chili, avril 2002. 8 Graphique 1 ÉVOLUTION DES RÉFORMES ÉCONOMIQUES EN AMÉRIQUE LATINE ET DANS LES CARAÏBES 1.00 0.90 0.80 0.70 0.60 0.50 0.40 0.30 0.20 0.10 0.00 1970 1972 1974 1976 1978 1980 1982 1984 1986 1988 1990 1992 1994 1996 1998 2000 Reformacomercial Réforme commerciale Reforma de la cuenta capitales Privatización Réforme du compte de capital Total Réforme financière Réforme fiscale Privatisation Source: Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes (CEPALC), sur la base de chiffres officiels. Graphique 2 AMÉRIQUE LATINE ET LES CARAÏBES: COEFFICIENTS D’OUVERTURE Moyenne pondérée 70 Moyenne simple Pa 60 Hn 50 2000-2003 Cr 40 Mx Moyenne simple Ni Sv Do 30 Pr Ec Ht 20 10 Pe Uy Ar Co Cl Moyenne pondérée Ve Gt Bo Br 0 0 10 20 301980-198340 50 60 70 Source: Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes (CEPALC), sur la base de chiffres officiels. 9 La libéralisation des échanges commerciaux, mesurée par le coefficient d’ouverture commerciale, a également été très significative, la moyenne régionale ayant plus que doublé, passant de 7,8% en 1980-1983 à 18,9% en 2000-2003. 4 Les exportations, ainsi que les importations de l’Amérique latine et des Caraïbes ont fait preuve d’un grand dynamisme: entre 1991 et 2004, le volume physique des exportations de la région s’est accru à un rythme sans précédent de 9,2% par an, pourcentage supérieur à la moyenne mondiale et dépassé uniquement par l’Asie. Il s’agit d’un chiffre particulièrement élevé tant du point de vue historique dans la région que par rapport au reste du monde. Les importations de la région ont augmenté à des taux encore plus élevés que ceux des exportations, ce qui a contribué à la réduction brutale et substantielle des tarifs douaniers, dans un contexte relativement généralisé d’appréciation des devises nationales. Par ailleurs, la libéralisation des marchés financiers intérieurs et l’ouverture croissante du compte de capitaux ont rendu les économies de la région plus sensibles aux aléas des marchés financiers internationaux. Durant la troisième phase de mondialisation, la situation macro-économique des pays de l’Amérique latine et des Caraïbes a été étroitement liée aux fluctuations des courants de capitaux. En effet, dans la deuxième moitié des années 1970 et au début des années 1980, les pays de la région ont reçu un volume considérable de crédits extérieurs. Ces ressources ont permis d’atteindre des taux élevés de croissance, mais au prix de graves déficits du compte courant de la balance des paiements et de structures de dépenses et de prix relatifs insoutenables qui ont débouché sur la crise de l’endettement en 1982. A partir de cette date et jusqu’en 1991, la région a dû effectuer un transfert net massif de ressources vers l’extérieur qui s’est traduit par une décennie perdue en termes de croissance économique. À partir de 1991 et jusqu’à nos jours, les pays ont pu accéder à nouveau aux courants internationaux de capitaux qui, bien que volatiles, ont engendré de brefs cycles de croissance, alternant avec des périodes de ralentissement, voire nettement récessives. La période comprise entre 1991 et 1994 a été caractérisée par une nouvelle vague de flux de capitaux suivie, à la fin de 1994 et jusqu’au milieu de l’année 1985, d’une forte contraction dont certains pays ont particulièrement souffert. Cette contraction a été suivie, à son tour, par une nouvelle phase d’abondance du financement extérieur en 1996 et 1997. Dans le quinquennat postérieur aux crises qui ont successivement frappé différentes régions du monde à partir de 1997, les marchés internationaux ont, une nouvelle fois, constitué une source d’instabilité pour la région. Malgré l’importance des cycles commerciaux et des termes de l’échange à l’échelon international, notamment au cours de ces deux dernières années, l’exposition à la volatilité et à la contagion associées aux nouvelles modalités de financement extérieur est devenue la principale cause de vulnérabilité externe des économies de la région. Cette vulnérabilité face aux soubresauts des marchés financiers internationaux obéit à trois grands facteurs, à savoir : l’incidence de l’ampleur du déficit du compte courant de la balance des paiements sur la viabilité; le degré de dépendance vis-à-vis de flux extrêmement volatiles tels que les lignes de crédit à court terme et les flux de portefeuille; et, finalement, la fermeté des systèmes financiers nationaux, en particulier leur capacité de résistance aux fortes variations des taux d’intérêt et des taux de change. 4 Le coefficient d’ouverture utilisé correspond à la demi-somme des exportations et des importations, divisée par le produit intérieur brut, le tout aux prix de 1995. 10 Graphique 3 TRANSFERT NET DES RESSOURCES ET CROISSANCE DU PIB 8 Pourcentages 6 4 2 0 -2 Taux de croissance du PIB Flux autonomes et compensatoires 2004 2003 2002 2001 2000 1999 1998 1997 1996 1995 1994 1993 1992 1991 1990 -4 TNR et envois de fonds Source: Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes (CEPALC), sur la base de chiffres officiels. Plusieurs aspects positifs du processus de réformes méritent d’être signalés: l’expansion et la diversification des exportations, l’arrivée de volumes sans précédent d’investissements étrangers directs, la reprise de la croissance économique, la maîtrise de l’inflation et le contrôle plus strict des déséquilibres budgétaires. Toutefois, les réformes économiques avaient donné à penser que, dans un contexte caractérisé par un rôle plus actif du secteur privé et une intervention minimale de l’État, une meilleure gestion macro-économique des variables nominales et une meilleure intégration des marchés au reste du monde, devaient conduire à un taux de croissance élevé et stable et, partant, à une diminution du chômage et à l’obtention de salaires réels favorisés par les bénéfices d’une compétitivité croissante. Pour différentes raisons, ces attentes ont été frustrées. Ces caractéristiques négatives peuvent être regroupées en plusieurs faits stylisés: une croissance économique faible et volatile, un niveau insuffisant d’investissements, de faibles gain s de productivité et une hétérogénéité structurelle accrue, ainsi qu’une progression du chômage, du travail informel et de la pauvreté. 1. Croissance économique faible et volatile À partir de 1991, le taux moyen annuel de croissance du PIB est resté modeste par rapport à l’expansion enregistrée dans la région durant les décennies antérieures, à l’exception de la décennie 1980. Durant la période 1991-2004, ce taux n’a été que de 2,5%, soit moins de la moitié du pourcentage enregistré durant la période 1950-1980 qui a été de 5,5%. Dans le même temps, la performance de l’Amérique latine et des Caraïbes durant la période 1991-2004 a été nettement moins satisfaisante que celle d’autres régions en développement, en particulier de l’Asie du Sud-Est qui a atteint un taux moyen de 6%. 11 Graphique 4 CROISSANCE ÉCONOMIQUE: 1959-2004 (Taux annuels, décennies mobiles) 9% 8% 7% 6% 5% 4% 3% 2% Amérique latine Pays industrialisés 1% Pays asiatiques en développement 2003 2001 1999 1997 1995 1993 1991 1989 1987 1985 1983 1981 1979 1977 1975 1973 1971 1969 1967 1965 1963 1961 1959 0% Source: Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes (CEPALC), sur la base de chiffres officiels. La croissance économique de la région n’a pas seulement été médiocre mais aussi très volatile. En effet, au cours de la période 1950-1981, l’écart type des taux annuels de croissance en Amérique latine et dans les Caraïbes par rapport aux taux moyens (1,70) était très proche de la valeur correspondante du PIB mondial (1,49); en revanche, entre 1981 et 2004, cet écart a plus que doublé (respectivement 2,17 et 1,05). Il faut noter que, durant la période 1991-2004, la volatilité a été inférieure à celle observée dans la décennie précédente mais, au cours de cette même période, la région a également doublé la valeur du PIB mondial (respectivement 1,93 et 0,87). 12 Graphique 5 VOLATILITÉ DE LA CROISSANCE: 1959-2004 (Coefficient de variation, décennies mobiles) 2.5 2.0 Amérique latine Pourcentages Pays industrialisés Pays asiatiques en développement 1.5 1.0 0.5 2003 2001 1999 1997 1995 1993 1991 1989 1987 1985 1983 1981 1979 1977 1975 1973 1971 1969 1967 1965 1963 1961 1959 0.0 Source: Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes (CEPALC), sur la base de chiffres officiels. 2. Épargne–investissement et productivité Les résultats modestes de l’Amérique latine en matière d’épargne et d’investissement contribuent à expliquer la faiblesse de la croissance économique. Dans les années 1970, les niveaux d’investissement par rapport au produit étaient de plus de 25%; ils sont ensuite tombés à moins de 15% en moyenne au cours des années 1980. Malgré un rebondissement de l’investissement entre 1991 et 1997, celui-ci n’a jamais retrouvé les niveaux antérieurs et, en 2004, ne dépassait pas 20% du produit. Graphique 6 INVESTISSEMENT ET ÉPARGNE INTÉRIEURE ET EXTÉRIEURE 24 Investissement brut 20 Pourcentages 16 Épargne nationale 12 8 4 Épargne intérieure 0 -4 1990 1992 1994 1996 1998 2000 2002 2004 Source: Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes (CEPALC), sur la base de chiffres officiels. 13 La relation entre l’investissement et la croissance s’est elle aussi dégradée, comme le démontre l’évolution du rapport incrémentiel entre le capital et le produit. Celui-ci est passé d’une moyenne simple de 3,8 au cours de la période 1950-1980 à 6,7 dans les années 1990. En d’autres termes, il faut de plus en plus de capital pour créer une unité de produit. Cette situation peut être attribuée au moins à trois facteurs. Le premier est la volatilité de la croissance en raison de laquelle une partie de la capacité installée reste oisive. Le deuxième facteur est l’importante destruction de capital qui a suivi la mise en œuvre des réformes économiques et le troisième est la forte intensité de capital des principales activités économiques menées dans le cadre du nouveau mode d’insertion internationale. La léthargie de la croissance économique est également attribuable aux faibles gains de productivité moyenne de l’économie. Dans le passé, la productivité totale des facteurs avait augmenté d’environ 2% par an durant la période 1950-1981. En revanche, elle n’a progressé que de 0,2% en moyenne annuelle durant la période comprise entre 1991 et 2004, après avoir diminué durant la décennie 1980 à raison de 1,4% par an. Plus récemment, des comportements très différenciés ont été observés avant et après 1997. En effet, durant la sous-période 1991-1997, la moyenne simple des taux annuels d’augmentation de la productivité (1,9%) a atteint une valeur similaire à celle de la période 1950-1980, ce qui n’est toutefois pas le cas en termes de moyennes pondérées (respectivement 1,1% et 2,1%). Le comportement des deux principales économies de la région (Brésil et Mexique) rend compte de ces différences. En revanche, durant la période 1997-2004, l’évolution a été nettement négative, ces deux moyennes annuelles ayant été de moins 1,1%. Ceci est la conséquence du recul notable affiché par tous les pays, en particulier dans ceux qui avaient enregistré les gains les plus importants de productivité au cours de la période 1991-1997 (Argentine, Chili, Pérou et la République bolivarienne du Venezuela). Cependant, cette évolution de la productivité moyenne dissimule, toutefois, dans chaque pays, de profondes différences entre les secteurs économiques, régions et types d’entreprises. Dans tous ces domaines, il est évident que l’hétérogénéité structurelle a considérablement augmenté au cours des 25 dernières années. En effet, un trop grand nombre d’agents économiques est resté en marge de la modernisation de la production, ce qui a entraîné de graves conséquences économiques et sociales. Ainsi, on peut actuellement distinguer, dans la structure productive des économies de la région, trois grands groupes d’unités de production, en fonction de leurs modalités d’insertion juridique et de leur taille. Un premier groupe correspond à celui des grandes entreprises, dont beaucoup sont transnationales et dont les niveaux de productivités sont proches de ceux de la frontière internationale, mais qui ont peu de liens avec l’économie locale et affichent souvent une faible capacité de création d’innovations. Le deuxième groupe comprend les petites et moyennes entreprises du secteur formel de l’économie qui ont généralement de grandes difficultés pour avoir accès à certains facteurs de production, en particulier au financement et aux services technologiques et qui, surtout, présentent une faible capacité d’articulation productive entre elles et avec d’autres catégories d’entreprises. Le dernier groupe est constitué par les micro entreprises et les petites entreprises du secteur informel qui, en raison de leur structure et de leurs capacités, sont celles qui présentent la plus faible productivité relative et évoluent dans un contexte qui les prive de toute possibilité de développement et d’apprentissage; qui plus est, les travailleurs et les employeurs ne font l’objet d’aucune protection sociale contre les risques qu’ils encourent, y compris la perte de l’emploi ou du revenu. 3. Hétérogénéité structurelle accrue Les années 1990 ont été caractérisées par de profondes transformations sur le plan structurel et de l’orientation des politiques publiques. Ces caractéristiques ont accentué l’incertitude; en effet, les processus de formation d’attentes, tels qu’ils se déroulaient dans le contexte préalable, n’étaient plus 14 applicables aux nouveaux modes de fonctionnement de l’économie. De nombreux agents économiques ont amorcé un processus d’apprentissage itératif qui favorise les comportements à la défensive et, partant, une certaine résistance vis-à-vis des actifs à long terme, ainsi que les conduites spéculatives. Les différents agents productifs des économies de la région ont affronté ces nouvelles règles du jeu dans des conditions inégales. À cet égard, le processus d’adaptation a été déterminé par certaines déficiences du marché et, en particulier, par des asymétries profondes en matière d’information. Ces phénomènes se sont traduits par de fortes différences sur le plan des connais sances et des pratiques d’articulation avec les marchés extérieurs, de l’accès au financement, en particulier à long terme, ainsi que du savoir technologique requis pour pouvoir être compétitif dans ce nouvel environnement. C’est pourquoi les réponses de l’appareil de production ont été très variables et l’hétérogénéité structurelle des économies de la région s’est accentuée, notamment par l’exclusion croissante des agents économiques du processus de modernisation productive. L’hétérogénéité structurelle se traduit notamment par le fait que la dynamique de la productivité répond à des modèles très distincts selon qu’il s’agisse du secteur formel ou informel de l’économie. La productivité moyenne du travail est le résultat d’une combinaison linéaire des productivités de chaque secteur. Dans le secteur informel, le rendement de la main-d’œuvre est décroissant en raison des contraintes existantes pour avoir accès aux autres facteurs de production; en revanche, le secteur formel profite de rendements d’échelle croissants grâce à l’incorporation du progrès technologique au matériel, à l’application de meilleures pratiques organisationnelles et à l’accumulation de capital humain. C’est pourquoi des processus de modernisation localisés se sont produits dans certains secteurs comme conséquence de la destruction des chaînes de valeur existante sans créer, dans le même temps, les liens qui auraient permis de reconstruire le tissu productif. Ceci a provoqué un effet qui, à première vue, peut paraître paradoxal, à savoir des hausses importantes de la productivité micro-économique qui n’ont été accompagnées d’aucun gain de la productivité moyenne. 4. Progression du chômage, du travail informel et de la pauvreté Sur le marché du travail, deux facteurs ont contribué à la progression du chômage. En premier lieu, un taux de croissance faible et instable qui s’inscrit dans le contexte d’un processus de réformes qui a entraîné une baisse de la demande de travail par unité de produit. Deux de ces réformes méritent d’être signalées: i) la célérité du processus d’ouverture qui a exacerbé la nécessité d’acquérir des technologies à forte intensité de capital et une main-d’œuvre qualifiée, processus qui a été renforcé par un changement des prix relatifs résultant de l’ouverture et de l’appréciation du taux de change et s’est traduit par une augmentation du coût relatif de la main -d’œuvre, et ii) la privatisation d’entreprises publiques qui, dans la plupart des cas, a provoqué une forte réduction de leurs effectifs. Le deuxième élément qui a contribué à ce phénomène a été une dynamique de l’offre du travail qui n’obéit pas seulement aux facteurs démographiques mais aussi à divers changements économiques, sociaux et culturels, en raison desquels les familles doivent désormais comprendre deux ou plusieurs travailleurs rémunérés pour compenser la précarité des revenus familiaux, ce qui explique la participation accrue des femmes à l’offre de travail. 15 Graphique 7 TAUX D’EMPLOI ET DE CHÔMAGE, 1990-2004 12 54 10.6 10.5 10.0 9.9 10 10.7 10.0 9.8 53 53 9 52 8.5 52 8 7.2 51 Taux d’emploi (pourcentages) Taux de chômage (pourcentages) 54 11 7 51 6 50 1990 1995 1998 1999 2000 Tasa de desempleo 2001 2002 2003 2004 Tasa de empleo Source: Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes (CEPALC), sur la base de chiffres officiels. En outre, la progression du chômage est généralement accompagnée, dans la région, d’une augmentation du travail informel devenu une solution de rechange pour les chômeurs. Plus de 63% des membres actifs de 40% des familles les plus pauvres de la région travaillent dans le secteur informel et consacrent la totalité de leurs revenus du travail à la subsistance. A la suite de la profonde restructuration de l’appareil de production résultant des réformes mises en œuvre dans les années 1990, sur laquelle viennent se greffer les courants migratoires et de l’exode rural observés dans certains pays, ceux qui étaient privés des ressources et des conditions requises pour tirer parti des possibilités et surmonter les obstacles imposés par le nouvel ordre économique se sont tournés vers le secteur informel urbain. C’est ainsi que, dans les années 1990, sept nouveaux emplois sur 10 ont été créés dans ce secteur. Graphique 8 AUGMENTATION DU TRAVAIL INFORMEL, 1980, 1990 et 2000 50% 40% 30% 43% 20% 46% 47% 1995 2003 30% 10% 0% 1980 1990 Source: Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes (CEPALC), sur la base de chiffres officiels. 16 L’évolution du marché du travail a eu pour corollaire l’aggravation de l’inégalité de la répartition des revenus et une progression de la pauvreté et de l’indigence dans pratiquement tous les pays de la région, à de rares exceptions près. C’est pourquoi, la région de l’Amérique latine et des Caraïbes est actuellement celle qui présente les inégalités les plus profondes au monde en matière de répartition des revenus. Ceux-ci sont essentiellement concentrés dans les couches les mieux nanties; la classe moyenne se réduit et s’appauvrit de plus en plus; 42% des ménages de la région se trouvent en dessous du seuil de pauvreté et ne font l’objet d’aucune protection sociale de base. Ce pourcentage équivaut à plus de 220 millions de personnes, dont 96 millions vivent dans l’extrême pauvreté ou l’indigence. C. LES COMPLEXITÉS DU PROCESSUS DE DÉVELOPPEMENT Les attentes ayant été frustrées par le cours des événements, trois grandes options de politique au moins se présentent: persister et maintenir le cap des années 1990 (moyennant des «réformes de deuxième génération», de «troisième génération», et ainsi de suite); tenter de faire marche arrière et reprendre un modèle de développement semi-fermé similaire à la stratégie de substitution des importations des années 50 et 60; ou finalement, relever le défi de mettre en place un ensemble d’institutions et de politiques qui permettraient aux pays d’Amérique latine et des Caraïbes de développer le secteur productif dans un contexte d’économies ouvertes. En premier lieu, la seule idée d’une succession de réformes implique le concept d’une voie linéaire et universelle de développement qui comprendrait des vagues successives de modifications similaires à celles prévues dans le «Consensus de Washington» ou ses variantes postérieures, à laquelle toutes les économies moins avancées seraient censées adhérer. En réalité, il n’existe pas de modèle unique de gestion macro-économique ni une seule modalité d’intégration à l’économie internationale ou un même dosage des efforts publics et privés. En outre, même si certaines réformes se sont avérées positives dans certains pays, il n’est pas souhaitable de reproduire des «recettes» de réformes comme celles menées à bien dans les années 1990. Qui plus est, certaines de ces réformes ont, en raison de leur contenu ou de la façon dont elles ont été appliquées, été à la source de nombreux problèmes actuels, raison pour laquelle la CEPALC a, à un moment donné de ce processus, appelé à «réformer la réforme».5 En ce qui concerne la deuxième option, l’histoire a démontré qu’il est vain, à longue échéance, de nier l’existence de certains processus aussi vastes et dynamiques que ceux engendrés par l’actuelle phase de mondialisation. Il semble impossible de faire marche arrière dans le domaine de l’ ouverture du compte des opérations courantes; d’autre part, les répercussions de la dynamique de la phase finale de la stratégie d’industrialisation fondée sur la substitution des importations ont conduit à une profonde remise en cause du concept d’État producteur. À cet égard, la CEPALC a, tout au long de son histoire, affiché une attitude critique dans l’examen de l’évolution socio-économique de la région et a proposé diverses formules susceptibles d’en assurer le développement conformément aux intérêts des pays de l’Amérique latine et des Caraïbes, sans toutefois s’abstraire des tendances de l’économie mondiale propres à chaque moment historique. Dans ce même ordre d’idées, il ne s’agit pas ici de tenter d’appliquer des stratégies qui aillent à contre-courant des 5 Ricardo Ffrench-Davis, Macroeconomía, comercio y finanzas para reformar las reformas en América Latina, Santiago du Chili, McGraw-Hill Interamericana, 1999; Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes (CEPALC), Equidad, desarrollo y ciudadanía (LC/G.2071/Rev.1-P), Santiago du Chili, 2000. Publication des Nations Unies, Nº de vente: S.00.II.G.81. 17 tendances historiques mais, au contraire, de favoriser le développement d’une mondialisation plus solide et équitable et une meilleure insertion à ce processus. 1. Croissance économique et transformation structurelle La croissance économique est associée à l’accumulation de ressources (main-d’œuvre, capital physique, capital humain, ressources naturelles) et leur plein emploi de la façon la plus efficace possible. Reprenant une formule traditionnelle, on peut affirmer que le développement économique est bien plus qu’un simple changement d’échelle de l’activité productive. Il a comme cheville ouvrière la transformation structurelle, à savoir le changement de la composition sectorielle de l’économie, processus caractérisé par la diversification des activités, la plus grande division du travail, la complexité croissante des matériels utilisés et une modification du degré de qualification et des types de compétences exigés à ceux qui composent la force de travail. 6 Le développement économique peut être mieux appréhendé s’il est conçu comme un processus d’innovatio n qui, tirant parti d’une offre élastique de facteurs, c’est-à-dire étant capable de réagir aux incitations, modifie la structure économique et favorise la création d’une série de complémentarités (liens) entre l’offre et la demande qui se diffusent dans tout le tissu économique et favorisent la rétroactivité. Selon la description schumpétérienne des activités novatrices, ces dernières concernent autant la production de nouveaux biens et services que la mise au point de nouvelles méthodes de production, l’ouverture de nouveaux marchés, l’accès à de nouvelles sources de matières premières et la création de nouveaux modes organisationnels. Dans les pays industrialisés, l’innovation est surtout motivée par la quête de rentes technologiques, alors que dans les pays moins développés, l’innovation se limite généralement à l’incorporation de branches productives, de biens ou de processus qui ont déjà atteint un certain degré de maturité dans les économies plus avancées. Toutefois, une partie importante des connaissances techniques ne peut être transférée par la simple acquisition des techniques (know how) ou par l’achat des biens d’équipement dans lesquels cellesci sont incorporées: il s’agit d’un savoir tacite, qui ne peut être codifié ni totalement communiqué. Même pour maîtriser une technologie mûre, déjà mise au point sous d’autres latitudes, il faut consentir des investissements en connaissances et en organisation; pour parvenir à une gestion optimale des nouveaux équipements et des nouvelles installations, il est indispensable d’acquérir une base de connaissances aussi bien formelles qu’empiriques permettant à l’entreprise qui a adopté ces techniques de réduire sa courbe de dépenses à mesure qu’elle bénéficie d’économies croissantes d’apprentissage. La construction de complémentarités consiste à mettre en place un réseau de fournisseurs de biens et de services, de filières de commercialisation, ainsi que des organisations qui disséminent l’information et prêtent des services de coordination, autant d’activ ités que la seule action des marchés ne peut générer de façon optimale. Les complémentarités ont une incidence à la fois sur l’offre et la demande. Les effets exercés sur l’offre se transmettent par le biais d’externalités positives, à savoir la réalisation d’économies d’échelle (baisse du coût moyen résultant de la demande de nouvelles activités aux fournisseurs), des 6 Si, à cette caractéristique déterminante de la modification du profil de la structure de l’appareil de production, s’ajoute le fait que l’introduction de nouvelles activités et modalités de production se produit en dents de scie, les interprétations de la croissance inspirée de l’analyse des conditions de « niveau stable» (steady state) de modèles unisectoriels (abstraction légitime et pertinente pour l’étude d’une série de sujets) ignorent certains aspects fondamentaux du processus de développement économique. 18 économies d’agglomération (réduction des coûts de transaction) et des économies de spécialisation (mise au point d’intrants spécifiques); pour ce qui est de la demande, les effets portent sur la quantité et l’ampleur des liens et, en fonction des filtrages du flux circulaire de la rente, s’exercent sur l’ensemble des multiplicateurs keynésiens. Finalement, pour que s’enclenche le processus de changement structurel moyennant l’expansion des activités les plus porteuses et à plus forte productivité, il faut que les branches productives pertinentes aient accès aux facteurs de production. Si ceux-ci sont rationnés ou immobiles, le changement structurel sera impossible. L’élasticité requise des facteurs peut être garantie par: l’existence préalable de ressources oisives ou sous-utilisées; la mobilité régionale ou internationale des facteurs; le progrès technique qui met fin aux restrictions de l’offre (l’augmentation de la productivité de la terre ou l’emploi de technologie à forte intensité de capital en cas de demande pléthorique de travail) et la redistribution du revenu vers les bénéfices des entreprises de manière à financer l’accumulation du capital. 7 2. Interactions sectorielles et dynamiques des agrégats macro -économiques Les principaux éléments qui permettent la transmission du changement structurel micro-économique et sectoriel à la dynamique des agrégats macro-économiques sont les effets exercés par les liens sur la demande, par leur influence sur les multiplicateurs de l’économie, le rapport entre l’innovation et l’investissement et la façon dont la croissance des secteurs innovateurs ainsi que la densité et la richesse des liens déterminent l’efficacité dans l’utilisation des ressources. Ces facteurs génèrent un rapport de causalité circulaire entre la dynamique structurelle et l’évolution des variables macro-économiques. D’une part, la croissance économique exerce une incidence positive sur l’augmentation de la productivité moyenne dans les économies dynamiques d’échelle (apprentissage par l’expérience et innovations adaptatives), les économies d’agglomération et de spécialisation, et l’absorption de ressources restées oisives ou employées dans des activités à faible productivité. D’autre part, les gains de productivité engendrent une expansion du niveau d’activité grâce à leur influence positive sur l’offre globale, les nouveaux créneaux d’investissement résultant du progrès technique et la mitigation d’éventuelles restrictions extérieures dérivées de la compétitivité accrue de l’économie. Cette schématisation permet de mieux comprendre certains des mécanismes observés dans le passé récent. L’exemple suivant illustre un premier type de mouvement qui a caractérisé certaines économies de l’Amérique du Sud: une entreprise multinationale rachète une entreprise nationale équipée de biens d’équipement et organisée selon des processus de travail très éloignés de la frontière des meilleures pratiques internationales. L’investissement étranger permet d’équiper l’entreprise de matériel de dernière génération et de modifier la disposition des installations (layout), ce qui se traduit par des gains importants de productivité et une production de biens ou de services similaires à ceux des pays les plus avancés. D’autre part, la filiale de la société multinationale remplace une partie des intrants provenant de ses fournisseurs nationaux, qui sont probablement des petites et moyennes entreprises, par 7 Pour une description du processus de développement économique en tant que fruit de l’interaction entre l’innovation et les complémentarités et l’élasticité de l’offre des facteurs de production, voir José Antonio Ocampo, “The quest for dynamic efficiency: structural dynamics and economic growth in developing countries”, Beyond Reforms: Structural Dynamics and Macroeconomic Vulnerability, Palo Alto, Californie, Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes (CEPALC)/Stanford University Press/Banque mondiale, 2005. 19 des intrants importés; elle suspend la réalisation des activités d’ingénierie et de recherche et développement, ou les réduit à leur plus simple expression, celles-ci étant réalisées dans la maison mère; finalement, la main-d’œuvre déplacée est réaffectée à des activités informelles à faible productivité ou tout simplement mise au chômage. Cette modalité de transformation structurelle implique une forte hausse de la productivité à l’échelon micro-économique, conjuguée à un faible degré d’innovation et de production de savoirs, à une destruction partielle des liens préexistants et à l’érosion des actifs incorporels représentés par les compétences de la main-d’œuvre qui tombe dans le sous-emploi. Ce processus se traduit par un taux de croissance très faible de la productivité globale et une hétérogénéité structurelle accrue de l’économie. Un autre modèle de transformation structurelle, plus particulièrement illustré par l’économie mexicaine et de certains pays d’Amérique centrale et des Caraïbes, présente certaines caractéristiques spéculaires par rapport aux cas décrits dans le paragraphe ci-dessus. Il s’agit de la diffusion de technologies simples, à forte intensité de main-d’œuvre, dans des usines d’assemblage dont la majeure partie de la production est écoulée sur le marché des Etats-Unis. Les gains de productivité au niveau de l’entreprise sont faibles mais, en l’occurrence, la mobilisation de ressources sous-utilisées jusque-là est importante car elle a de fortes répercussions sur la productivité globale de l’économie. D. DÉVELOPPEMENT PRODUCTIF AU SEIN D’ÉCONOMIES OUVERTES La promotion du développement des secteurs productifs au sein d’économies ouvertes passe par l’adoption de mesures de politiques publiques dans divers domaines. Cette section sera consacrée à l’examen des initiatives politiques les plus fréquentes dans la région ainsi qu’à l’analyse du consensus actuel en matière de bonnes pratiques basées sur des mesures limitées mais stratégiques. Le premier groupe de mesures est composé des politiques de promotion des exportations, à savoir qui visent à faciliter l’accès aux marchés extérieurs, à développer de nouvelles exportations et de nouveaux marchés, à promouvoir l’exportation de biens à plus grande valeur ajoutée et à relever les défis et saisir les opportunités qu’offre la présence de la Chine. Le deuxième groupe correspond aux politiques macroéconomiques et à la consolidation du processus d’épargne et d’investissement. Un troisième et dernier groupe est celui des politiques destinées à renforcer la structure de production, notamment en termes de promotion de l’innovation technologique, de développement de l’infrastructure et de la mise en valeur durable du capital naturel. 1. Politiques de promotion des exportations La dynamique des exportations de ces 15 dernières années, ainsi que certains secteurs et technologies sur lesquelles se sont concentrés les investissements étrangers directs, ont contribué, avec les autres déterminants macro-économiques, à configurer trois profils d’exportation bien différenciés dans la région. Le premier profil, observé au Mexique et dans certains pays d’Amérique centrale et des Caraïbes, se caractérise par l’insertion en réseaux verticaux des échanges de biens secondaires qui font partie de systèmes internationaux de production intégrée et destinés, en grande majorité, au marché des Etats-Unis. Le deuxième profil, qui s’applique surtout à certains pays sud-américains, consiste à exporter des biens homogènes produits sur la base de l’exploitation des ressources naturelles; les pays qui répondent à ce modèle se caractérisent également par une plus grande pondération du commerce intrarégional et un plus 20 grand nombre de marchés cibles. Le troisième profil correspond à l’exportation de services, essentiellement touristiques, mais aussi financiers et de transport, typiques de certains pays des Caraïbes et du Panama. La performance des pays au cours de la période de 1991-2004 rend compte d’un rapport étroit entre les taux de croissance des exportations et du PIB; en effet, les pays qui ont connu la plus forte croissance sont également ceux qui ont obtenu les meilleurs résultats dans le développement de leurs exportations, aussi bien dans les pays dont les modes de spécialisation sont fondés sur les ressources naturelles que dans ceux qui sont dotés de structures plus diversifiées. Cette vocation exportatrice des pays de la région et les pratiques protectionnistes des pays développés ont fait ressortir l’importance de l’accès au marché. En effet, les gouvernements d’Amérique latine et des Caraïbes ont souscrit un grand nombre d’accords préférentiels, de type bilatéral et plurilatéral au sein et hors de la région. Cette stratégie répond fondamentalement à l’idée selon laquelle la libéralisation unilatérale n’est pas suffisante pour garantir l’ouverture des marchés où les produits sont écoulés. Dans le contexte d’une économie qui s’engage simultanément dans un processus de mondialisation et de régionalisation, les pays explorent différentes stratégies d’insertion pour créer des débouchés plus vastes et plus sûrs pour la vente de leurs produits sur les marchés importateurs. En 1991, il n’existait pratiquement que des accords préférentiels multilatéraux associés aux quatre unions douanières imparfaites alors en vigueur dans la région, qui représentaient environ 6% des exportations. Le reste des exportations des pays de la région était écoulé en marge des accords préférentiels. Cette situation a progressivement changé au cours des années 1990 et les calculs indiquent qu’en 2004, 61,2% des exportations régionales correspondaient à des accords préférentiels de différents types: bilatéraux, intrarégionaux (1,2%) et extrarégionaux (3,1%), ainsi que bilatéraux intrarégionaux (10,2%) et extrarégionaux (46,7%). Les cas les plus illustratifs sont celui du Mexique, dont plus de 95% des exportations s’inscrit dans le cadre d’accords multilatéraux extrarégionaux; celui des pays d’Amérique centrale où, après l’approbation du traité de libre-échange entre l’Amérique centrale et les Etats-Unis, presque trois quarts des exportations seront effectués dans le cadre d’accords plurilatéraux intrarégionaux et extrarégionaux, et celui du Chili, dont plus de 70% des exportations se fait sous le couvert d’accords préférentiels. Pour garantir un meilleur accès aux marchés, les pays de la région doivent mener une politique active de promotion des exportations afin de lutter contre le biais anti-exportations qui subsiste dans la structure tarifaire, tirer parti des externalités positives de l’activité exportatrice, compenser les déficiences des marchés de capitaux sur le plan du financement des exportations et savoir exploiter les économies d’échelle ainsi que les possibilités d’apprentissage associées à cette activité. En l’absence de politiques actives dans ce domaine, les exportations auront tendance à se concentrer dans quelques grandes entreprises ainsi que dans certains produits dont la demande est moins dynamique et qui présentent une plus grande vulnérabilité sur les marchés mondiaux. Il n’existe aujourd’hui aucun paradigme qui puisse être appliqué à l’échelle universelle et suivi par les différents pays pour acquérir une compétitivité internationale et consolider leur présence sur les marchés extérieurs; il est toutefois possible de tracer des principes directeurs quant à la manière d’élaborer une stratégie efficace d’intégration à l’économie internationale. Il est important, en premier lieu, de donner des signaux clairs sur les besoins d’investissement et d’innovation requis pour pouvoir développer et améliorer la capacité exportatrice, ainsi que sur la nécessité de restructurer et de rationaliser les secteurs producteurs de 21 biens qui rivalisent avec les importations. Pour ce faire, il est essentiel que le taux de change reste compétitif et stable, c’est à dire qu’il reflète le panier de monnaies du commerce extérieur du pays et suive l’évolution de ses déterminants à long terme, tout en gardant une indépendance relative vis-àvis des conditions économiques conjoncturelles et de la façon la plus isolée possible des mouvements de capitaux à court terme. L’instabilité du taux de change s’avère généralement néfaste pour l’investissement, en particulier dans le cas des produits d’exportation nouveaux; en effet, il est souvent onéreux de lancer des produits sur les marchés internationaux et la réussite dépend souvent de leur rentabilité potentielle. En deuxième lieu, il est essentiel de mettre au point des systèmes qui encouragent l’exploration et la pénétration de nouveaux marchés. Les exportateurs qui agissent en pionniers se comportent comme une véritable «industrie naissante» qui donne lieu à des externalités positives en matière d’apport en information et de création de réputation pour leurs homologues nationaux. Ces entreprises assument les coûts et les risques impliqués par la conquête d’un nouveau marché et, dès qu’ils y parviennent, le fruit de leurs efforts rejaillit sur d’autres entreprises. 8 En troisième lieu, l’accès au financement et aux assurances à l’exportation est également un élément essentiel, particulièrement pour les petites et moyennes entreprises qui restent en marge des marchés internationaux des capitaux. Dans le même ordre d’idées et compte tenu des défaillances caractéristiques des systèmes financiers de la région, il pourrait s’avérer souhaitable de favoriser la création d’une banque d’investissement ou d’autres entités privées spécialisées dans l’acheminement d’un capital-risque vers des entreprises ou des activités qui veulent diversifier leur base exportatrice. Le secteur public doit s’efforcer de prêter un soutien institutionnel à l’activité exportatrice non seulement dans certains domaines tels que l’information, le financement et les assurances à l’exportation, la formation en matière de gestion et la promotion de l’offre de biens exportables, mais aussi en réalisant à l’extérieur des investissements qui soutiennent l’effort exportateur et facilitent la participation aux filières de commercialisation ou en menant certaines opérations conjointement avec des entreprises des marchés de destination, entre autres initiatives. À cet égard, ce type de stratégie se verrait facilité par l’existence d’une seule institution, dotée d’un financement stable et d’effectifs qualifiés, qui serait chargée de centraliser les mesures de soutien aux exportations ou, le cas échéant, de coordonner diverses initiatives dans les différents domaines pertinents. Il en va de même pour la collaboration étroite et systématique qui doit exister entre les secteurs public et privé. D’une manière générale, cet appui doit être ciblé afin d’attirer des entreprises qui soient réellement disposées à assumer partiellement le coût du programme, et d’une durée limitée, ce qui implique d’éviter les subventions permanentes. Les programmes doivent être conçus et gérés de façon conjointe par les entités des secteurs public et privé et leurs résultats doivent être soumis périodiquement à des évaluations externes de façon à pouvoir les modifier ou éventuellement en suspendre l’application s’ils ne contribuent pas à l’augmentation et à la diversification des exportations. Finalement, les politiques de promotion des exportations doivent nécessairement être conçues comme des stratégies à moyen et à long terme de façon à garantir la continuité des politiques 8 Le système de ristournes appliqué au Chili pourrait constituer un instrument adéquat, bien que sa mise en oeuvre soit sujette aux restrictions imposées par l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Un autre mécanisme permettant d’appuyer ces activités pourrait consister à faciliter l’accès au crédit à des taux internationaux, ce qui ne constitue pas une subvention aux yeux des normes internationales et qui représente une incitation intéressante pour les entreprises de la région, étant donné les imperfections qui caractérisent leurs marchés des capitaux. 22 impliquées, indépendamment des changements opérés au sein des équipes gouvernementales qui les mettent en œuvre. L’augmentation des exportations est, certes, importante car elle a une incidence sur les niveaux d’activité et d’emploi et permet, dans la pratique, de consolider la compétitivité des biens exportés et d’apporter des devises aux économies qui présentent une vulnérabilité extérieure structurelle. Toutefois; elle ne garantit pas à elle seule l’enclenchement d’un processus soutenu de développement économique. Pour que celui-ci se produise, il est indispensable que l’augmentation des exportations soit le résultat d’un flux durable d’innovations qui ruissellent à travers le reste du système par le biais des complémentarités, en créant des liens avec d’autres secteurs économiques et en mobilisant des ressources sous-utilisées jusque là. Graphique 9 EXPORTATIONS SELON L’INTENSITÉ EN TECHNOLOGIE Amérique latine et les Caraïbes 60 Mexique et Amérique centrale 60 1985-1987 1999-2002 40 40 1985-1987 Forte intensité technologique Intensité technologique moyenne Faible intensité technologique Produits primaires Forte intensité technologique Intensité technologique moyenne 0 Faible intensité technologique 0 Manufactures à base de ressources naturelles 20 Produits primaires 20 Manufactures à base de ressources naturelles 1999-2002 Amérique du Sud 60 CARICOM 60 40 1985-1987 40 1985-1987 1999-2002 1999-2002 20 20 Source: Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes (CEPALC), sur la base de chiffres officiels. Forte intensité technologique Intensité technologique moyenne Faible intensité technologique Manufactures à base de ressources naturelles 0 Produits primaires Forte intensité technologique Intensité technologique moyenne Faible intensité technologique Manufactures à base de ressources naturelles Produits primaires 0 23 A cet égard, les activités florissantes du secteur manufacturier de l’assemblage (pénétration des marchés, mobilisation de ressources productives et, en particulier, création d’emplois) devraient évoluer vers une deuxième phase caractérisée par une plus forte incorporation de valeur ajoutée, des innovations et une articulation avec le reste du tissu productif local. Par exemple, le Mexique, un des pays qui a connu la plus forte augmentation de ses exportations au cours de la période 1991-2004, a quintuplé son coefficient d’ouverture commerciale. Cet accroissement a, en outre, été assorti de changements profonds dans la composition des exportations. En effet, la part prise par les produits primaires et les produits manufacturés à base de ressources naturelles au total des exportations a fortement diminué au Mexique et en Amérique centrale, alors que celle des produits à forte et moyenne teneur technologique a augmenté. La performance de ces pays en matière de croissance du produit n’est toutefois pas différente de celle du reste de la région. Finalement, l’émergence de la Chine en tant que nouvelle puissance de niveau intermédiaire mérite une certaine analyse, en particulier, compte tenu de son influence sur la stratégie d’insertion extérieure de la région. S’il est vrai que la Chine a amorcé son processus actuel de croissance économique sur la base des activités d’assemblage, elle a évolué vers la production de biens à plus forte teneur d’ingénierie et valeur ajoutée; ceci répond essentiellement à trois facteurs: en premier lieu, la taille considérable de son marché intérieur; en deuxième lieu, les dépenses en recherche et développement de l’économie chinoise (durant la période 1998-2001, la Chine a investi dans ce domaine un volume, mesuré en dollars en parité de pouvoir d’achat, supérieur à celui de l’ensemble de l’Amérique latine et des Caraïbes); et en troisième lieu, la mise en place, par le gouvernement chinois, d’un ensemble de politiques visant à favoriser la création de liens et à réduire l’hétérogénéité structurelle de l’économie. La présence de la Chine pose des enjeux et des opportunités très concrets pour les pays d’Amérique latine et des Caraïbes. Une analyse de l’évolution des importations de textiles et d’habillement aux Etats-Unis durant la deuxième moitié des années 1990 indique que, alors que la participation des produits en provenance de l’Amérique centrale et des Caraïbes commençait à stagner et ensuite à décroître, les biens d’origine chinoise ont affiché une tendance à la hausse qui ne semble pas encore avoir atteint son apogée, compte tenu de la souscription de l’accord sur les textiles et le vêtement (ATV). Par ailleurs, une comparaison entre l’ensemble des importations des Etats-Unis en provenance du Mexique et celles provenant de la Chine durant une période similaire fait apparaître que, depuis le début de ce siècle, les ventes du Mexique végètent, alors que la valeur des exportations chinoises, tous domaines confondus, a amorcé une courbe ascendante pour dépasser, en 2002, le montant des ventes du Mexique. Pour rivaliser avec les très faibles coûts salariaux de la Chine, les pays touchés par cette concurrence doivent mettre au point des stratégies d’accès au marché des Etats-Unis qui mettent l’accent sur l’utilisation des avantages compétitifs de la région, en particulier, la proximité géographique. Un autre facteur qui pourrait compenser, du moins partiellement, les tendances adverses mentionnées pourrait être la fabrication, par les entreprises mexicaines ou d’Amérique centrale, de produits plus sophistiqués et plus complexes destinés à des créneaux de marché situés aux Etats-Unis. 24 Graphique 10 LE DÉFI DE LA CHINE: PARTS DU MARCHÉ DES ÉTATS-UNIS Etats-Unis: Part des importations de textiles et d’accessoires 15 20 12 18 Amérique centrale et les Caraïbes % % Etats-Unis: Part des importations totales 9 6 Chine 16 14 Mexique Chine 2004 2003 2002 2001 2000 1999 1998 1996 2004 2003 2002 2001 2000 1999 1998 1997 1996 1997 12 3 Source: Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes (CEPALC), sur la base de chiffres officiels. Par ailleurs, le marché chinois est devenu une option intéressante pour d’autres pays de la région. Grâce à l’exportation de produits primaires et énergétiques, voire parfois de produits à plus forte teneur technologique comme dans le cas du Costa Rica, certains pays comme l’Argentine, le Brésil et le Chili ont été, dans la région, les principaux bénéficiaires du processus de développement et du taux élevé de croissance de l’économie chinoise. Pour autant, l’augmentation considérable des importations de la Chine semble avoir stimulé un processus d’investissement dans certains secteurs de ces pays qui tirent parti de l’expansion des courants commerciaux avec cet énorme marché. Graphique 11 EXPORTATIONS DE L’AMÉRIQUE DU SUD VERS LA CHINE 7000 56 6000 48 5000 37.6 36.1 4000 40 29.2 32 3000 24 2000 16 1000 8 0 Taux de croissance Exportations en millions de dollars 49.6 0 Argentine 2000 Brésil 2004 Chili Pérou Taux de croissance annualisé2000-2004 Source: Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes (CEPALC), sur la base de chiffres officiels. 25 2. La gestion macro -économique L’un des principaux enseignements de l’évolution récente en matière macro-économique est que l’instabilité réelle entraîne des coûts économiques et sociaux considérables et porte préjudice à l’investissement et au développement du secteur productif. C’est pourquoi il est indispensable d’élaborer des politiques qui ne se contentent pas de maîtriser la progression de l’inflation mais qui permettent également d’atténuer les cycles économiques à l’aide d’instruments anticycliques. Ces politiques doivent être fondées sur une définit ion plus vaste de l’équilibre macro-économique qui tienne compte aussi bien d’objectifs nominaux de stabilisation des prix que d’objectifs réels, tels que le taux de croissance économique et sa stabilité. Une bonne gestion macro-économique qui favorise le développement du secteur productif repose sur trois éléments: des systèmes budgétaires solides, des taux d’intérêt réels modérés et des taux de change compétitifs. Le dosage de ces trois éléments permet d’éviter des déséquilibres entre les secteurs marchands et non marchands et de minimiser les aléas qui influent sur les décisions d’investissement. Une politique anticyclique consiste à mener une gestion prudente dans les périodes d’essor afin de disposer de ressources dans les étapes de récession et mitiger ainsi les contraintes financières ainsi que les nécessités d’ajustement. Pour mettre en œuvre des politiques macro budgétaires visant à la réalisation des objectifs anticycliques, il est indispensable de formuler une programmation budgétaire qui s’inscrive dans un cadre pluriannuel défini en fonction de critères qui conduisent aux équilibres ou à des excédents ou déficits structurels modérés. Certes, la promulgation de lois en matière de responsabilité budgétaire et l’adoption de normes budgétaires dans certains pays de la région se sont traduites par d’importants progrès en termes de cohérence dynamique de la politique budgétaire, mais ces réformes n’en continuent pas moins de privilégier les objectifs à court terme. En effet, elles définissent des objectifs quantitatifs déterminant des trajectoires courantes ou effectives des variables (tels que les objectifs de solde primaire par rapport au PIB effectif) qui limitent la capacité de réaction des autorités en présence de déséquilibres réels, tels que des écarts significatifs entre le PIB effectif et le PIB potentiel. C’est pourquoi il semble plus pertinent de fixer les critères d’évolution des dépenses publiques à partir de variables structurelles telles que le PIB potentiel, éliminant de la sorte les effets indésirables des fluctuations cycliques dans la programmation et l’exécution des dépenses budgétaires et introduisant un important composant anticyclique. Les fonds de stabilisation des recettes publiques, aussi bien fiscaux qu’associés aux prix des exportations de matières premières contribuent à la formation d’excédents budgétaires durant les périodes d’essor et permettent de disposer de la marge de manœuvre nécessaire pour atténuer les restrictions budgétaires dans la phase descendante; ils ont donc une énorme incidence dans le cadre d’un mécanisme de politique anticyclique. Les fonds associés aux matières premières, dont il existe plusieurs exemples positifs dans la région, peuvent notamment constituer une solution éventuelle aux liens structurels qui existent entre le cycle des termes de l’échange et le cycle budgétaire. Par ailleurs, l’objectif, complexe s’il en est, des politiques monétaires et de change consiste à maintenir le taux d’inflation sous contrôle, de façon à minimiser les écarts de taux de change vis -à-vis de sa trajectoire d’«équilibre», qui constitue la véritable charnière des stratégies de développement basé sur l’essor des exportations. Une politique de change qui se veut au service de ce type de développement doit nécessairement être volontariste et obéir essentiellement à l’évolution des productivités relatives ainsi que, dans une moindre mesure, aux fluctuations cycliques des courants de capitaux. 26 Cette tâche est d’autant plus complexe que la taille d’une économie est réduite et que son système financier est peu développé, en particulier dans un environnement caractérisé par une forte volatilité des flux de capitaux. Il existe, en revanche, certains principes dont il convient de tenir compte. En premier lieu, les régimes de change très rigides réduisent la capacité d’ajustement du taux de change réel en présence de chocs négatifs. En deuxième lieu, les mécanismes absolument flexibles de taux de change privent les banques centrales de toute capacité d’intervention pour répondre à des fluctuations des taux de change qui peuvent s’avérer néfastes. En troisième lieu, il est utile de disposer d’instruments permettant, si besoin est, de contrôler les mouvements de capitaux à court terme. Il faut également qu’existent à la fois une «politique de passifs» explicite visant à améliorer le profil temporaire de la dette publique et privée, tant sur le plan intérieur et extérieur, ainsi que des politiques anticycliques permettant de gérer les besoins de liquidités, et des réglementations de prudence. Un autre objectif de la politique économique et, en particulier, de la politique monétaire est de réduire le degré de dollarisation de façon à en atténuer la vulnérabilité face aux chocs extérieurs. Pour ce faire, il est indispensable d’éviter d’encourager le recours à la dollarisation pour résoudre le manque de bancarisation des marchés financiers mais il faut aussi tenter de décourager le processus de dollarisation, entre autres moyennant des encaissements ou des exigences de prévisions différenciées. La théorie économique, tout comme l’analyse des expériences internationales, en particulier dans le cas des économies asiatiques, apportent constamment des lumières sur le rapport qui lie, d’une part, la stabilité et le développement et, d’autre part, l’épargne et l’investissement. Même si le sens de la causalité n’est pas encore tout à fait précisé et si les rapports entre les variables restent complexes, nombreuses sont les situations, tant sur le plan théorique qu’empirique, où la croissance et l’épargne se stimulent mutuellement, ce dernier élément étant étroitement lié à l’investissement. Un souci majeur de la politique publique est de garantir un niveau adéquat d’épargne intérieure, afin de pouvoir financer l’accumulation de capital sans engendrer de tensions inflationnistes ou de déséquilibres extérieurs. Ceci est particulièrement vrai dans les économies en développement où la fragilité des marchés de capitaux et les restrictions de liquidités imposées aux agents économiques obligent à accroître l’épargne intérieure pour stimuler l’investissement et parvenir à une croissance soutenue du PIB. Accroître l’épargne nationale n’est toutefois pas une tâche facile; les déterminants de cette épargne ainsi que les recommandations politiques pertinentes sont loin d’être consensués. D’un côté, l’épargne publique est un élément central de l’épargne nationale et doit constituer le fondement de toute politique macro-économique anticyclique. Par ailleurs, l’augmentation de l’épargne publique est une manière directe et effective d’accroître l’épargne nationale car, comme le prouve l’expérience empirique, l’augmentation de l’épargne publique ne déplace pas l’épargne privée de façon proportionnelle. En ce qui concerne l’épargne privée, l’expérience des pays asiatiques démontre que le réinvestissement des bénéfices de la part des entreprises est essentiel pour expliquer les taux élevés d’épargne de ces pays. 9 Le financement des entreprises provient de sources intérieures (bénéfices et fonds de dépréciation) et extérieures (dette, actions et titres). L’option qui sera faite en faveur de l’une ou l’autre forme de financement va dépendre de la structure fiscale. Si la fiscalité sur les bénéfices réinvestis est faible, ceux-ci deviendront une source importante d’épargne. À court terme, le réinvestissement des bénéfices représente un afflux moins important de dividendes pour les propriétaires. Cette différence est 9 Yilmaz Akyüz et Charles Gore, “The investment-profits nexus in East Asian industrialization”, World Development, vol. 24, Nº 3, Elsevier, mars, 1996. 27 toutefois compensée par l’augmentation de la valeur commerciale des entreprises résultant de l’accroissement du volume de bénéfices réinvestis. La fiscalité fondée sur le retrait des dividendes doit être homogène pour tous les différents secteurs productifs, sans quoi la superposition des mécanismes fiscaux fait courir le risque de perdre une partie importante du recouvrement dans la mesure où il est possible de transférer les bénéfices et la liquidité par le biais des prix de transfert. De même, le système fondé sur le retrait des dividendes passe par l’existence d’institutions fiscales solides dotées d’une grande capacité de contrôle; cette stratégie peut donc s’avérer moins pertinente pour les pays qui présentent un niveau élevé d’érosion fiscale. 10 Les mécanismes d’épargne obligatoire ont fait preuve d’une certaine efficacité pour encourager l’épargne des familles. Le mécanisme le plus évident est l’épargne prévisionnelle destinée à financer les pensions de vieillesse, de réversion et d’invalidité. Pour que les systèmes de prévoyance contribuent de façon positive à l’épargne nationale, ils doivent être financés, faute de quoi ils peuvent engendrer l’effet contraire. Un système déficitaire implique le transfert de ressources pour couvrir le versement des pensions, ce qui compromet la capacité de financer l’investissement. Sans préjudice des composantes solidaires dont tout régime de pension doit être doté, il faut éviter les éventuels déficits en matière de prévoyance, auquel cas une augmentation de l’épargne privée se traduit par une diminution de l’épargne publique. En termes d’épargne nationale, il n’existe pas de différence majeure entre un régime de répartition et un système de capitalisation individuelle, pour autant qu’ils soient, dans les deux cas, financièrement équilibrés. Du point de vue de l’épargne, les facteurs les plus déterminants sont les taux de cotisation, la couverture du régime, l’âge de la retraite, les coûts d’administration, les assurances publiques associées aux pensions et, dans le cas des régimes de répartition, les taux de remplacement. Outre l’épargne prévisionnelle, une autre modalité d’incitation à l’épargne personnelle et familiale est l’offre d’épargne à des fins spécifiques et identifiables. L’épargne logement et l’épargne études, en particulier pour l’enseignement supérieur, peuvent faire l’objet de subventions ciblées. Ces subventions peuvent être allouées sur la base d’un système de points récompensant l’épargne préalable et doivent être associées aux revenus et aux niveaux de vie des familles. Les subventions sont octroyées au moment d’acquérir le logement ou d’accéder à l’enseignement supérieur. Certes, ce type de mesures incitatives n’est pas sans failles, mais celles-ci sont moins graves que celles des mesures générales d’incitation à la propriété d’actifs. 11 Une autre manière de stimuler l’épargne familiale est l’utilisation des régimes d’assurances et de réassurances. Ce type de mécanismes, tels que l’assurance-vie et l’assurance santé, constitue une des modalités d’épargne qui permet de se protéger contre les imprévus et les incertitudes. Il en va de même pour l’assurance invalidité associée aux pensions de retraite et aux assurances autofinancées de chômage 10 11 José Antonio Ocampo et Juan Martin (eds.), “Une décennie d'ombres et de lumières. L'Amérique latine et les Caraïbes dans les années 90”, Libros de la CEPAL, Nº 76 (LC/G.2205-P/F), Santiago du Chili, Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes (CEPALC), août 2003. Publication des Nations Unies, Nº de vente: F.03.II.G. Günter Held, “Políticas de viviendas de interés social orientadas al mercado: experiencias recientes con subsidios a la demanda en Chile, Costa Rica y Colombia”, serie Financiamiento del desarrollo, N° 96 (LC/L.1382-P/E), Santiago du Chili, Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes (CEPALC), juin 2000. Publication des Nations Unies, Nº de vente: S.00.II.G.55. 28 total ou partiel. L’adoption de ce type d’assurance peut être encouragée par des incitations fiscales favorisant leur acquisition en groupe ou individuellement. La canalisation des ressources résultant de l’épargne vers le financement de la formation de capital va dépendre de la dynamique et du développement des systèmes financiers. Pour accroître l’investissement privé, il est indispensable de mettre en place de nouveaux instruments et des marchés qui assurent l’intermédiation du financement de l’innovation technologique, améliorent l’accès des petites et moyennes entreprises aux ressources financières et encouragent le financement à long terme. Le développement de la formation de capital, l’innovation et le progrès technologique vont également dépendre de l’existence d’un environnement propice à l’adoption de décisions à long terme. À cet égard, il est essentiel de pouvoir compter sur un contexte macro-économique stable qui atténue l’incertitude typiquement associée à l’investissement et sur une structure des prix relatifs qui soit le moins sensible possible aux distorsions. Par ailleurs, toute stratégie de développement de l’investissement privé doit tenir compte de ses complémentarités avec la formation de capital humain, ainsi qu’avec la dotation en infrastructure. 3. Le renforcement de la structure de production Sachant que le marché n’offre pas toutes les réponses, en particulier lorsqu’il existe des problèmes d’information et de coordination entre les agents économiques, il est impérieux d’appliquer des politiques qui renforcent la structure de production des pays de la région. Ceci est d’autant plus nécessaire que le processus de transition aggrave l’hétérogénéité structurelle des économies, comme cela fut le cas dans le contexte de l’ouverture mise en oeuvre depuis la décennie 1990. Comme signalé plus haut, la structure de production des pays de la région se compose de trois grands groupes d’unités productives: les grandes entreprises, les petites et moyennes entreprises du secteur formel et les micro-entreprises du secteur informel. Ces trois catégories fonctionnent à des vitesses nettement différenciées. Ce fonctionnement à trois vitesses des différentes unités productives se traduit par l’absence d’une véritable égalité de chances, ce qui oblige à adopter des politiques publiques volontaristes qui assurent un «nivellement du terrain de jeu», moyennant des mesures qui permettent d’éliminer ou de réduire les obstacles auxquels sont confrontés, de manière variable, les différents types d’entreprises. Pour répondre à la diversité des besoins et des demandes résultant de cette hétérogénéité productive, il faut mettre en place une structure de soutien et d’incitations différenciée et axée sur trois grandes stratégies: d’inclusion, de modernisation et de densification. La première aura pour but de faciliter le passage au secteur formel de l’économie du plus grand nombre possible de micro et petites entreprises du secteur informel. Les mesures à prendre dans le cadre de cette stratégie sont à la fois amples et sélectives en termes de destinataires; elles seront fondées sur une définition des unités productives ciblées en fonction des circonstances de chaque pays. Les principales mesures porteront sur la simplification des normes et des démarches administratives, la réduction des charges fiscales et des procédures plus simples de déclaration, un accès plus large au crédit pour les petits investisseurs et, en particulier, au capital de travail, de même qu’aux programmes de formation de base en matière de gestion et de technologie. L’incorporation de ces unités productives au secteur formel leurs permettrait d’avoir accès à d’autres instruments et à certaines politiques publiques qui leur 29 permettraient d’entreprendre de nouvelles activités et de fournir une certaine protection sociale à leurs travailleurs. La stratégie de modernisation est essentiellement fondée sur un dosage de politiques horizontales et sélectives s’adressant à des grappes d’entreprises productives ou des filières de production spécifiques. Les mesures d’appui à l’articulation de la production sont des politiques horizontales destinées à améliorer l’accès à l’information, au crédit, à la technologie et aux systèmes de commercialisation. Le soutien aux exportations peut, quant à lui, prendre la forme de services d’orientation sur les marchés extérieurs et d’appui prêtés par des entités publiques spécialisées, en association avec les chambres de commerce du secteur privé. Ces politiques peuvent être accompagnées d’autres mesures de soutien des activités de formation, de l’introduction d’améliorations sur le plan productif et technologique, et de l’acquisition de nouveaux équipements. Les politiques sélectives ont pour but de promouvoir le développement et l’articulation entre petites et moyennes entreprises (associativité), de favoriser l’établissement de liens entre ces dernières et les plus grandes entreprises et de renforcer les structures productives locales ou des chaînes de production spécifiques. Ces deux types de politiques sont en application dans plusieurs pays mais il serait souhaitable, avec le concours des éventuels bénéficiaires, d’en améliorer la formulation, de mettre en place des mécanismes de suivi et d’évaluation et, en particulier, d’en élargir la couverture. La troisième stratégie, dont la portée est illustrée par le concept de «densification» cherche à intégrer de nouveaux savoirs au sein du tissu productif national et à former une trame plus articulée des relations productives, technologiques, des entreprises et du travail. En principe, les politiques générales et le bon fonctionnement des institutions propres à une économie de marché devraient suffire pour que les grandes entreprises, plus étroitement liées au marché international, fonctionnent dans des conditions raisonnables. Il conviendrait toutefois de perfectionner ce cadre par des mesures concrètes visant à provoquer des changements d’intérêt public. Il s’agit, en l’occurrence, d’actions stratégiques et, partant, très sélectives qui exigent une grande capacité de négociation et de persuasion de la part des autorités publiques afin de mobiliser les efforts privés. D’une manière générale, cette stratégie peut être mise en œuvre de différentes façons, notamment en formulant des programmes susceptibles de renforcer les liens au niveau de la base exportatrice, en encourageant la coopération entre les secteurs public et privé dans certains domaines spécifiques du système d’innovation, en attirant des investissements étrangers de meilleure qualité en matière de liens productifs et de capacités technologiques, ou en soutenant l’expansion et l’internationalisation des entreprises nationales et en renforçant l’infrastructure des services afin d’éliminer les goulots d’étranglement du développement du secteur productif. Dans la majorité des cas, une nouvelle approche devra être adoptée sur le plan de la mise en œuvre des politiques, lesquelles devront surtout tendre à «promouvoir l’articulation» plutôt qu’à «faciliter l’accès». En matière de politiques productives, la perspective traditionnelle mettait presque exclusivement l’accent sur l’offre d’instruments et cherchait, pour compenser les défaillances du marché, à faciliter et à promouvoir l’accès à certains facteurs tels que le crédit, l’information, la diffusion et l’innovation technologique ou la formation. Cette stratégie se limitait, en règle générale, à des efforts isolés qui n’avaient qu’une faible incidence sur le tissu productif. Pour surmonter ces difficultés, il est impérieux de mettre l’accent sur l’articulation non seulement entre l’offre et la demande d’instruments de soutien, mais aussi entre les différents échelons du secteur public qui font partie de l’offre et des entreprises bénéficiaires qui composent la demande. 30 L’adoption de stratégies de ce type passe par une transparence accrue des politiques publiques qui en renforcent la légitimité et contribuent notablement à les perfectionner sur la base d’une interaction féconde avec les destinataires. Pour garantir cette transparence et cette efficacité, il est indispensable de mettre en œuvre des mécanismes de suivi et d’évaluation qui permettent de tirer les leçons des succès et des échecs et de changer éventuellement de cap et de redresser la barre pour atteindre les objectifs fixés. Dans l’ensemble, toutes ces exigences indiquent qu’il faut perfectionner le fonctionnement des institutions ainsi que la capacité des dirigeants de l’administration publique dans certains domaines stratégiques. La tâche n’est pas impossible, comme le démontrent les progrès accomplis dans plusieurs pays dans la formation des équipes techniques chargées des questions monétaires et budgétaires. Il faut finalement tenir compte du fait que, dans une économie ouverte, les instruments politiques sont moins nombreux et plus limités que dans des économies semi-fermées. D’une part, les normes internationales, les traités de libre-échange et plusieurs accords régionaux imposent des restrictions à l’utilisation de nombreux instruments couramment appliqués dans le passé. D’autre part, les contraintes budgétaires et financières obligent à les appliquer de façon beaucoup plus sélective. Les incitations seront donc probablement plus modérées que dans le passé, en particulier par rapport aux mécanismes utilisés durant la phase d’industrialisation entraînée par l’État, comme les restrictions quantitatives ou tarifaires à l’importation de certains biens et l’acheminement de ressources budgétaires considérables vers les entreprises publiques de secteurs considérés stratégiques pour le développement national. C’est pourquoi il faudra cibler les efforts, les rendre plus efficaces et, surtout, créer des modalités novatrices de formulation de politiques publiques. Enfin, il convient de souligner l’importance des politiques destinées à promouvoir l’innovation technologique. Dans les économies ouvertes au commerce et aux investissements internationaux, le moyen le plus rapide et le plus simple d’accéder aux modalités de production nécessaires pour réduire l’écart de productivité vis-à-vis des économies les plus avancées est d’importer des technologies incorporées aux machines, aux équipements et aux intrants, ainsi que des actifs technologiques incorporels et non incorporés. Cependant, l’acquisition des connaissances requises pour utiliser au mieux les technologies disponibles n’est pas un processus automatique; elle implique, au contraire, le développement de capacités moyennant un processus collectif complexe d’apprentissage. L’acquisition, l’adaptation et le développement de la technologie se heurtent parfois à l’absence de marchés ou à de graves déficiences au niveau de leur fonctionnement. D’une part, l’innovation, qu’elle soit radicale ou réalisée sous la forme plus modeste mais non moins importante d’adaptations au contexte local, exige l’interaction des différents agents publics et privés. Le système qui rallie tous ces acteurs autour de l’objectif de la transmission de connaissances et de leur application au sein d’un pays a été défini comme «système national d’innovation». En définitive, la génération de capacités technologiques passe non seulement par la promotion des investissements privés adéquats mais aussi par l’adoption de politiques d’institutionnalisation et de facilitation des rapports entre toutes les parties prenantes aux recherches scientifiques et le système d’entreprises. Le premier obstacle pour l’application de politiques d’encouragement de l’innovation technologique dans la région est l’insuffisance des ressources disponibles. Les dépenses publiques et privées en recherche et développement dans les pays les plus avancés de la région représentent une masse de ressources qui pourraient être appliquées, avec une certaine efficacité, au financement de différents processus d’innovation. Dans les pays les moins favorisés, ces ressources suffiraient à peine pour 31 promouvoir certains programmes sélectionnés et certaines mesures de renforcement des liens au sein du système national d’innovation.12 Ainsi, l’amalgame résultant de l’insuffisance de capacités technologiques endogènes, de systèmes nationaux d’innovation embryonnaires et du manque de ressources pour financer des processus d’innovation se traduit par un cercle vicieux qui entrave l’élaboration de politiques efficaces. Par conséquent, les politiques nationales doivent se fixer des objectifs réalisables; dans la plupart des cas, les actions de promotion doivent être ciblées sur les segments les plus porteurs du système d’innovation; il faut accroître les économies de réseau et engager les ressources publiques dans un nombre réduit de programmes susceptibles d’être réellement appliqués. Certains principes d’action stratégique peuvent être ébauchés pour promouvoir des innovations. En premier lieu, l’articulation de grappes d’entreprises (clusters) axées sur des ressources naturelles, pour autant qu’il soit possible de développer de nouveaux avantages compétitifs fondés sur l’application du savoir à la ressource de base. Un deuxième principe d’action est l’appui aux jeunes entreprises à teneur scientifique ou technologique (start ups). Il s’agit de petites sociétés, à forte intensité de connaissances, qui présentent certaines caractéristiques particulières: des résultats très aléatoires, des coûts d’amorçage élevés et des actifs incorporels non réalisables tant qu’ils ne sont pas protégés par un brevet. En troisième lieu, l’innovation en matière d’agriculture dépend essentiellement, elle aussi, de sous-systèmes sectoriels d’innovation. Dans le contexte du modèle linéaire de politique technologique, certaines entités publiques comme l’Institut national de technologie agricole (INTA) d’Argentine ou l’Entreprise brésilienne de recherche agricole (EMBRAPA) au Brésil ont clairement commandé le processus d’innovation et sa diffusion dans le secteur. Plus récemment, les sociétés transnationales de production de semences se sont ralliées à ce mécanisme et ont commencé à jouer un rôle central dans le progrès technique en matière agricole observé dans plusieurs pays de la région. Un quatrième type de principe stratégique d’intervention correspond à un cas particulier relevant de l’exemple antérieur, à savoir les grappes d’entreprises agro-industrielles capables d’être compétitives à l’échelon international qui, dans le même temps, répartissent les bénéfices de cette insertion tout au long de la chaîne de valeur, pour autant qu’il existe un système local d’innovation auxquels participent activement les petits producteurs et dont peuvent également bénéficier les grandes entreprises de transformation. Une cinquième modalité d’intervention susceptible de promouvoir l’innovation est le développement de l’infrastructure en matière de science et de technologie. Le développement de cette infrastructure qui, dans l’ancien modèle caractérisé par «l’offre», était au cœur de la stratégie, reste un élément important, bien que moins prépondérant. L’infrastructure en matière de science et de technologie, constituée par les centres de recherche, les laboratoires et des chercheurs, doit être renforcée; sa qualité doit être améliorée; ses objectifs doivent être précisés clairement dans les domaines scientifiques et 12 Les pays de la région ont atteint différents degrés de développement technologique. Seul le Brésil (qui dépasse, en termes absolus, les dépenses en recherche et développement de l’Espagne ou de l’Australie) dépense des montants comparables à ceux des pays les plus avancés alors que les différences en termes de revenu par habitant entre les pays de la région (de cinq à un entre les cinq pays les plus riches et les cinq pays les plus pauvres) rendent compte de l’inégalité des capacités technologiques nationales. 32 technologiques qui s’avèrent complémentaires ou nécessaires pour les efforts d’innovation privés et les objectifs de politique des organismes publics. L’investissement en infrastructure est une modalité d’investissement qui influe sur la compétitivité systémique des économies. Les pays qui disposent de services et d’infrastructures plus développés et de haute qualité possèdent des avantages compétitifs par rapport à ceux qui sont privés de ces services en termes de la quantité et de la qualité nécessaires. Nombreuses sont les preuves empiriques qui démontrent l’existence d’un rapport étroit entre la croissance économique et le développement de l’infrastructure. Pour parvenir à la croissance, il faut développer des services de qualité et en nombre suffisant et ceux-ci, à leur tour, stimulent et facilitent la croissance. Au cours des 15 dernières années, la dotation en infrastructure de la région s’est développée grâce à d’importants investissements extérieurs qui ont permis de développer et de moderniser les services de télécommunications, d’énergie et des transports. Malgré un apport significatif des capitaux privés dans certains pays et secteurs, un grave déficit persiste, ce qui va requérir une augmentation de l’investissement privé et public au cours des prochaines années. Il faut indéniablement continuer de stimuler l’intérêt du secteur privé à investir dans le développement de l’infrastructure. Il est toutefois apparu que l’investissement privé a ses limites, ce qui pose la question du rôle de l’investissement public, notamment à la lumière de la forte régression qu’il affiche dans plusieurs pays de la région. À cet égard, une des principales difficultés pour accroître l’investissement en infrastructure est, outre la disponibilité de ressources financières, la rigidité de la gestion budgétaire résultant des restrictions imposées par les accords souscrits avec les institutions internationales de crédit. À la lumière de ces restrictions, plusieurs propositions ont été formulées au cours de ces dernières années pour donner une plus grande flexibilité à la gestion du trésor public et un traitement différent aux dépenses en capital et aux dépenses courantes. Il s’agit de reconnaître que les investissements et les dépenses courantes constituent des démarches économiques différentes qui, en tant que telles, doivent être abordées de manière différente en évitant l’application de limites ou de réductions à l’investissement public dans le cas de projets dont la rentabilité est supérieure aux coûts de l’investissement. Les normes conventionnelles de contrôle budgétaire qui imposent des objectifs de déficit sur les dépenses totales, en revanche, ne tiennent pas compte des actifs résultant de l’investissement public mais ne considèrent que le coût de leur acquisition. Pour éviter le biais contraire à l’investissement ainsi créé, le contrôle budgétaire devait se concentrer sur le concept de solvabilité intertemporelle plutôt que sur celui du déficit; il faut tenir compte du fait que l’investissement public est capable d’engendrer des rendements financiers qui permettront aux gouvernements d’honorer leurs obligations à long et à moyen terme. Il convient de préciser toutefois que cette flexibilité accrue n’implique pas de nier l’importance de la dette publique résultant de ce mécanisme mais exige, au contraire, un traitement différent de cette dernière. À cet égard, il semble prudent de commencer à flexibiliser les normes qui régissent certains types seulement d’investissements dont le financement est assuré. Selon la CEPALC, le critère de flexibilité devrait être appliqué dans au moins trois cas. Le premier est celui des entreprises du secteur public dont les investissements présentent une rentabilité économique et financière satisfaisante, pour autant que ces entreprises mènent une activité commerciale indépendante, soient financièrement solvables, ne dépendent pas du soutien financier du gouvernement et ne fassent pas un usage excessif des garanties publiques qui leur sont accordées. 33 Une deuxième manière d’introduire une flexibilité budgétaire accrue est de renforcer certains mécanismes favorisant différentes modalités de partenariats public/privé. Parmi ces mécanismes de collaboration éventuelle, le partenariat public/privé (public-private partnership, PPP) est devenu une option sérieuse. Ces partenariats permettent aux gouvernements de créer de nouvelles infrastructures sans inscrire, dans l’immédiat, de nouvelles dépenses en capital au budget; les investissements sont dès lors financés par le secteur privé et remboursés par l’État par le biais de tarifs, de redevances, de locations ou tout autre forme de dépenses courantes, une fois que le service entre en opération. En l’occurrence, l’investissement ne sera pas calculé comme tel à la fin des travaux mais au moment d’effectuer périodiquement les déboursements aux opérateurs du service. Une troisième manière de favoriser une plus grande flexibilité dans la gestion des investissements publics est liée au rôle des banques multilatérales de développement. Actuellement, la capacité de ces banques de débourser les crédits est limitée par les pratiques et les restrictions budgétaires du secteur public. Dans le cadre des politiques d’encadrement des dépenses publiques, ces postes budgétaires font généralement l’objet de quotas et de plafonds qui retardent l’exécution des crédits et, partant, le déroulement des travaux. Les projets financés par les banques multilatérales de développement sont généralement de grande qualité et garantissent la cohérence micro-économique ainsi que la transparence des investissements, ce qui devrait permettre d’obtenir une rentabilité sociale positive, indépendamment de la rentabilité financière. À cet égard, tout comme dans le cas des partenariats public/privé, les dépenses résultant de ces projets doivent être comptabilisées dans le budget public, non pas à la réception du crédit, mais au moment où le gouvernement assure l’amortissement et le versement des intérêts des crédits. Par ailleurs, compte tenu de leur capacité d’élaboration et d’évaluation des projets d’investissement et leur rôle comme bailleurs de fonds à long terme, il est essentiel de revitaliser l’assistance technique et financière des banques multilatérales de développement de façon à appuyer le développement des services d’infrastructure dans la région. La participation du secteur privé à la propriété, au financement, à la gestion et à la prestation des services et d’infrastructure observée depuis les années 1990 a exacerbé les exigences de réglementation. Ceci a exercé une pression sur la capacité institutionnelle du secteur public et mis en évidence de profondes failles institutionnelles. En raison de ces déficiences, les bénéfices de la participation privée ont été inférieurs à ceux qui avaient été escomptés car les gains de productivité n’ont pas toujours été transférés aux tarifs, ce qui a engendré une baisse de la compétitivité et une diminution des salaires réels. C’est pourquoi l’enjeu principal des politiques publiques est aujourd’hui d’améliorer la régulation de façon à ce que l’investissement privé en infrastructure puisse se transformer en un véritable moteur de la croissance. Avant l’entrée du secteur privé, la situation de l’infrastructure était caractérisée par des monopoles publics, intégrés de façon verticale, qui contrôlaient les marchés respectifs et offraient un bouquet de services. L’application des règles de coûts et de prix était déficiente en raison de l’existence d’importants subsides croisés. Toute réforme des services publics passait par l’adaptation du cadre réglementaire. Dans ce cas comme dans d’autres, les réformes ont devancé les institutions, c’est-à-dire qu’elles ne se sont pas produites simultanément. Cet état de choses a entraîné d’importants coûts économiques et sociaux. Les différents dispositifs de régulation n’ont été mis en place que lorsque les conséquences néfastes sont devenues visibles. À ce stade, la région présentait tout un éventail de situations et, dans le même temps, constituait un exemple manifeste de la difficulté que représente la construction d’institutions. La tâche a été menée de façon intégrale: il a fallu morceler le monopole, organiser la concurrence et mettre en place des cadres réglementaires ainsi que des entités chargées de la supervision. Par ailleurs, face à l’essor simultané de l’investissement étranger et des fusions et 34 concentrations d’entreprises, il a également fallu établir des normes régissant la concurrence et des contrôles visant à éviter la concentration monopolistique de certains marchés. Le constat actuel dans l’ensemble de la région rend compte de progrès notables: l’infrastructure a été modernisée, les capacités ont été développées et de nouvelles technologies ont été incorporées. Cependant, beaucoup reste encore à faire. Les cadres réglementaires se sont souvent avérés déficients et leur révision a introduit un élément d’incertitude qui s’est traduit par un fléchissement de l’investissement. Il a fallu doter les organismes réglementaires de capacités techniques mais surtout, le processus a été fortement asymétrique. Alors que les entreprises disposent des ressources humaines et techniques nécessaires et fonctionnent également dans un environnement mondial, les États de la région ont dû s’acquitter de leurs tâches dans des conditions nettement plus lacunaires. Ce déséquilibre a gêné le contrôle et, dans certains cas, s’est traduit par l’assujettissement du régulateur aux intérêts de l’entité réglementée. Pour l’avenir, il est indispensable de développer les services et consentir de nouveaux investissements. Les privatisations réalisées dans la décennie 1990 ont conduit au transfert de l’infrastructure aux mains du secteur privé. L’enjeu des nouvelles institutions est d’améliorer les conditions de la concurrence ainsi que les organismes de régulation afin de garantir une meilleure sécurité juridique pour toutes les parties prenantes et concilier des taux de rentabilité raisonnables pour les entreprises et des rapports prix–qualité adéquats pour les usagers. Par ailleurs, l’expansion et la durabilité de la capacité productive de l’économie n’exigent pas seulement de conserver et de développer le capital social construit mais également d’exploiter, de valoriser et de préserver les ressources naturelles. Effectivement, le problème de la médiocre performance des pays de la région en matière d’épargne est encore plus grave lorsque sont déduites les pertes de patrimoine naturel. Pour favoriser une croissance soutenue, il est indispensable de mettre en place un cadre de politiques et d’institutions qui protègent la base productive associée aux ressources naturelles. En ce sens, la politique publique joue un rôle déterminant pour corriger les défaillances du marché résultant de l’absence de prix et de régimes effectifs de propriété et de l’existence de marchés incomplets pour un grand nombre de ressources naturelles et de services environnementaux. La première tâche consiste à mettre en place une plate-forme institutionnelle qui intègre de façon explicite les objectifs et les instruments de la politique environnementale et l’ensemble des politiques économiques et sectorielles. Ceci est particulièrement pertinent pour l’innovation technologique destinée à assurer une gestion plus durable des secteurs forestier, énergétique, minier, halieutique et agricole. L’agenda public doit également inclure la question de l’utilisation des énergies renouvelables. Le développement de ce type d’énergie pourrait bénéficier de la création graduelle d’un marché international en matière de projets visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre. Un deuxième domaine d’action est la compensation des externalités négatives sur le plan environnemental d’activités menées dans les secteurs productifs. L’abattement fiscal, l’utilisation de subventions et l’octroi d’exonérations fiscales susceptibles d’attirer des investissements et des projets dans certains secteurs de ressources naturelles et certaines activités qui ont un impact écologique manifeste sur l’environnement ont eu de graves conséquences sur l’environnement et contrarient la mise au point d’instruments qui permettent de mieux quantifier et d’internaliser les coûts sociaux de la dégradation de l’environnement. Pour affronter les externalités environnementales des processus de production, il est possible de mettre au point des instruments budgétaires fondés sur deux principes: celui du pollueur–payeur, ou celui du consommateur–payeur, à savoir que le coût soit assumé par les investisseurs ou par les consommateurs. 35 E. VERS UN PACTE DE COHÉSION SOCIALE L’une des conséquences les plus graves des déficiences des politiques réformistes appliquées ces dernières années est la déchirure du tissu social. L’aggravation de l’hétérogénéité productive et de l’inégalité, ainsi que la progression du travail informel et du chômage constituent une menace latente pour la cohabitation démocratique et pour la communauté de critères et de propos qui doivent accompagner les processus de changement historique nécessairement liés au développement économique. Ces tendances s’inscrivent dans le cadre d’une évolution à plus long terme. Les pays de la région connaissent, depuis déjà plus de deux décennies, une réduction de la fécondité résultant de la volonté croissante des femmes de participer au marché de l’emploi. Dans ce contexte, et compte tenu de l’augmentation parallèle de l’espérance de vie, le taux de dépendance a atteint un plancher pour ensuite s’accroître à la suite de la pondération accrue de la population de retraités âgés de plus de 60 ans. Ce dernier phénomène va inévitablement exercer une pression sur les mécanismes de financement de la protection sociale en raison de la plus forte demande de services de santé. Par ailleurs, cette augmentation du taux de dépendance oblige à se pencher sur la qualité des occupations de la population active puisque c’est elle qui doit assurer le financement de la protection sociale. C’est pourquoi la CEPALC propose une série d’initiatives fondées sur l’adoption d’engagements réciproques entre les secteurs sociaux et l’État afin de jeter les bases d’un avenir plus inclusif du point de vue social dans la région. 1. Flexibilisation du travail dans un contexte de ralentissement de la croissance Dans le cadre de la concurrence exacerbée résultant de l’ouverture et de la déréglementation des marchés, les entreprises de la région ont souvent eu recours à la flexibilité du temps de travail pour obtenir des gains de compétitivité. Certes, la déréglementation du licenciement et de la stabilité de l’emploi a facilité l’adaptation rapide des entreprises à la nouvelle conjoncture économique mais, en définitive, la pénurie d’emplois et leur caractère précaire ont, dans un contexte de faible croissance économique, converti la faiblesse de l’économie en vulnérabilité sociale. Les réformes ont été conçues à l’instar du modèle anglo -saxon qui met l’accent sur la flexibilité du travail, même au détriment de l’équité. Par ailleurs, les contraintes budgétaires qui ont sévi dans la plupart des pays ont conspiré contre l’utilisation d’autres modèles, comme le modèle européen, qui impliquent une plus forte demande pour les régimes de sécurité sociale. Au cours de la dernière décennie, le dérèglement des marchés du travail à l’échelon régional n’a pas favorisé une embauche de travailleurs en nombre suffisant pour compenser la perte d’emplois résultant du ralentissement de la croissance et de la rationalisation des coûts de production. Le contexte particulier dans lequel ce modèle a été appliqué, à savoir une croissance apathique, volatile voire négative, l’ouverture économique et les transformations organisationnelles, ainsi que la localisation mondiale de la production, a entraîné une précarisation de l’emploi régional. Dans cet environnement de croissance faible et instable, la politique de flexibilisation a impliqué une recrudescence du chômage et une multiplication de contrats dépourvus de toute protection sociale. 36 2. Le secteur informel, la flexibilisation de fait et l’aggravation des écarts salariaux Au cours des dernières décennies, le secteur informel a non seulement gagné du terrain dans la région; il a aussi fait preuve d’une dynamique anticyclique.13 En effet, les périodes de contraction se caractérisent par une hausse du taux de chômage et par une expansion du secteur informel qui sert d’expédient au chômage et au manque de revenus. Étant donné l’accès facile à de nombreuses occupations comprises dans ce secteur, les revenus qu’elles procurent s’ajustent aisément, d’une manière relativement automatique, à l’accroissement du nombre de travailleurs informels qui rivalisent pour conquérir les mêmes marchés. En raison de la concentration de l’innovation technologique dans certains secteurs formels de pointe, ceux-ci ont accru les exigences de qualification alors que, dans le même temps, la flexibilisation contribuait à l’augmentation du nombre de travailleurs informels; ces évolutions parallèles ont contribué à creuser davantage l’écart des revenus entre les travailleurs du secteur formel et ceux du secteur informel. Par ailleurs, cette nouvelle disposition du marché du travail fait que la relance de l’économie creuse encore la distance entre les rémunérations des travailleurs formels possédant différents degrés de qualification, et ce, en raison de la pression exercée par l’offre des travailleurs informels sur les postes de travail moins qualifiés. L’apparition d’emplois à contrat à durée limitée ou à temps partiel, sans contrat ou sans protection sociale ainsi que la baisse des salaires des personnes non qualifiées qui convergent vers les niveaux de revenus du secteur informel ont encore aggravé les problèmes traditionnels en matière d’emploi. La population active connaît une instabilité en termes professionnels, ce qui compromet ses perspectives de développement ainsi que les encouragements à la formation et, partant, les gains de productivité. De ce fait, l’accroissement de la compétitivité à court terme des entreprises qui adoptent des technologies à forte intensité de capital et des modalités de recrutement flexibles, réduisant, au passage, leurs effectifs, a été obtenu au prix d’une réduction de la productivité moyenne de l’économie et des possibilités de croissance à long terme. Par ailleurs, les systèmes de protection sociale n’ont pas couvert ces nouveaux risques et ont été également touchés par la pénurie de ressources publiques et la création de nouveaux mécanismes institutionnels qui associent les bénéfices sociaux à la stabilité de l’emploi de chaque travailleur. 3. Les quatre piliers d’un pacte de cohésion sociale La conjoncture actuelle requiert des solutions complexes qui s’attaquent aux racines profondes des problèmes de l’emploi et de l’adaptation des mécanismes de protection sociale à la nouvelle structure de risques encourus par les travailleurs. Diverses propositions réclament l’intervention de politiques sociales et économiques actives, structurées autour d’un pacte de cohésion sociale reposant sur quatre piliers: la cohérence avec les fondements de la politique macro-économique, la création d’emplois, la protection sociale et l’éducation et la formation. La cohérence avec les politiques macro -économiques porte sur deux facteurs fondamentaux: en premier lieu, des politiques salariales qui prévoient une indexation en fonction des objectifs d’inflation et 13 Le secteur informel est le résultat d’un amalgame complexe entre l’insuffisance dynamique de l’économie, la sélection de technologies, la précarisation des revenus des ménages, qui conduit à la recherche de stratégies de survie fondées sur une offre de travail accrue, la décentralisation et flexibilité de la production et le contournement des normes. La valeur relative des interprétations varie selon les périodes et les pays. 37 le transfert des gains de productivité aux rémunérations. Ce critère à long terme devrait constituer la pierre angulaire des futures négociations salariales et donner origine à une flexibilité des salaires basée sur une politique d’intéressement des salaires qui éviterait les ajustements brutaux en périodes de crise et favoriserait la participation aux bénéfices en périodes d’essor. En deuxième lieu, dans un contexte de responsabilité budgétaire et de gestion anticyclique des finances publiques axée sur une approche de solvabilité intertemporelle, il convient de mettre en place une politique d’inclusion sociale fondée sur la création de garanties publiques pour les familles dont les revenus sont précaires afin d’assurer leur accès au système solidaire d’éducation et de formation, aux assurances-chômage, aux emplois d’urgence, aux prestations de santé et aux pensions. Le deuxième pilier de ce pacte est la création d’emplois productifs. Ceci implique la mise en place de nouvelles formes de flexibilité du travail, de politiques publiques orientées vers le marché du travail, ainsi que des politiques spécifiques s’adressant aux travailleurs informels, et ce, sans perdre de vue que toute politique générale dans ce domaine doit tendre à promouvoir la formalisation de l’économie et de l’emploi. La flexibilité du contrat de travail ne doit jamais impliquer le renoncement à une protection sociale complète. Les mécanismes de flexibilisation doivent inclure: i) l’élimination des contrats à durée déterminée et leur remplacement par une période d’essai plus longue ou la détermination d’un dosage «adéquat» entre les contrats à durée indéterminée et des contrats plus flexibles pour certaines périodes; ii) la possibilité de concerter des journées de travail plus flexibles; iii) la fixation de limites aux indemnisations ou leurs substitution par des comptes d’épargne individuelle; iv) la facilitation des licenciements pour cause réelle et sérieuse; v) une flexibilité dans la détermination des rémunérations (intéressement des salaires, et autres mécanismes susceptibles d’atténuer le contenu procyclique des crises tout en préservant le niveau de l’emploi). Les politiques publiques portant sur le marché de l’emploi sont de trois types: les politiques volontaristes ciblées sur des groupes touchés par des problèmes structurels, tels que le manque d’information ou d’opportunités en fonction de leurs profil professionnel (ce qui comprend des mesures telles que les subventions à l’embauche ou la recherche d’emploi); les politiques passives, destinées aux groupes de chômeurs (assurance chômage); et les politiques assistancielles, s’adressant aux groupes exclus du marché de l’emploi et qui ont besoin d’un appui direct par l’intermédiaire de transferts. Finalement, il est indispensable, pour accroître la productivité et les revenus des travailleurs du secteur informel, de faciliter leur accès aux ressources productives, aux marchés les plus porteurs et à de nouvelles modalités organisationnelles. Dans ce domaine, les principaux écueils sont, entre autres, l’absence de garanties patrimoniales pour avoir accès au crédit, le coût élevé de l’endettement informel et la segmentation du marché du crédit. Les réponses à ces problèmes vont de l’octroi de crédits sans aval jusqu’à la reconnaissance «au cas par cas» du capital informel. Les modalités institutionnelles offrent également toute une gamme d’ajustements potentiels qui vont de l’adaptation des banques traditionnelles à la création de banques spécialisées pour les pauvres, mécanisme qui présente autant d’avantages que d’inconvénients. L’accès des travailleurs informels à des marchés plus porteurs permettrait de rompre le cercle vicieux des «producteurs informels pour des consommateurs pauvres» (moyennant diverses tactiques telles que la centralisation du pouvoir d’achat et la concentration physique des producteurs afin d’attirer une demande accrue); finalement certains arrangements organisationnels, tels que la création d’associations de producteurs et la promotion de liens de sous-traitance peuvent également faciliter la promotion sociale et l’accroissement de la compétitivité des producteurs de l’économie informelle. 38 Le troisième pilier d’un pacte de cohésion est la protection sociale sans laquelle la proposition de flexibilisation mentionnée plus haut se traduirait par une précarisation de l’emploi et impliquerait d’imputer au budget de l’État l’entière responsabilité de la protection des travailleurs actuellement privés de couverture sociale. Les réformes des régimes de sécurité sociale doivent contribuer à la mobilité du travail moyennant la création de mécanismes de «portabilité» des droits et des obligations; en d’autres termes, le système de protection doit être associé aux individus et non pas aux postes de travail, de façon à ce que le travailleur soit moins dépendant d’une entreprise en termes de protection. Les systèmes de protection sociale devraient également prévoir des mécanismes solidaires de financement qui garantissent la couverture, indépendamment de la capacité de contribution des personnes. Le quatrième et dernier composant est l’amélioration des capacités productives des travailleurs grâce à l’éducation et la formation professionnelle. Dans des environnements caractérisés par des niveaux croissants d’innovation et de savoir, l’éducation marque au fer blanc le destin des individus et des sociétés. Les changements issus de la mondialisation et des modes de production actuellement en vigueur dans le monde obligent à la formation de ressources humaines qui soient capables de s’intégrer à de nouveaux régimes d’interaction, de travail, de production et de concurrence. L’éducation est donc une condition requise pour que les personnes puissent profiter du progrès et aussi pour que les économies soient en mesure de garantir un développement soutenu grâce à une compétitivité basée sur l’application plus intensive des connaissances. Ceci implique qu’il faut accroître le nombre de diplômés de l’enseignement secondaire, adapter le système éducatif aux besoins du marché du travail et réduire les écarts internationaux et sociaux dans l’utilisation de l’informatique. L’éducation a des effets potentiels considérables à long terme en matière d’équité mais pour pouvoir les matérialiser, il est indispensable que s’enclenche une dynamique de créations d’emplois de qualité. À cet égard, l’éducation et l’emploi constituent la clé de voûte du développement économique accompagné d’équité sociale. F. LE DÉVELOPPEMENT DE LA GOUVERNANCE MONDIALE Le caractère transnational des forces économiques qui président au processus de mondialisation se manifeste par une restructuration des filières de production dont la logique de fonctionnement est aujourd’hui plus mondiale que régionale ou nationale. Cette restructuration a donné lieu à un dynamisme notable des courants financiers, de l’investissement direct et du commerce international; ce dynamisme a également provoqué une forte tension entre ces forces et le caractère national des États et les processus démocratiques, la tendance ayant souvent été à la désarticulation des structures économiques nationales. Par ailleurs, les organisations internationales, créées il y a déjà plus d’un demi-siècle, n’ont pas suivi le rythme des profondes mutations économiques, politiques et sociales qui ont marqué la dernière phase de mondialisation. Il existe donc, sur le plan international, une demande d’action publique démocratique; malgré l’influence réduite que peuvent avoir les pays de la région sur la configuration de cet agenda mondial, il n’est pas impossible de mettre sur pied des mécanismes qui améliorent la qualité de l’insertion et l’influence de la région à l’échelle internationale, s’agissant de deux éléments qui relèvent également du domaine national. Sur la scène mondiale, des actions communes doivent être entreprises pour consolider le système des Nations Unies moyennant une réforme intégrale qui renforce sa capacité d’action. Il est notamment nécessaire d’améliorer les mécanismes de suivi et d’évaluation des sommets mondiaux et, en particulier, de la Déclaration du Millénaire des Nations Unies. À cette fin, des normes contraignantes doivent être formulées dans les différents pays afin que les engagements contractés à l’échelle internationale soient effectivement mis en œuvre. 39 Il est également indispensable de progresser dans le système commercial multilatéral, de plus en plus battu en brèche par la conclusion d’accords régionaux et bilatéraux. En effet, ceux-ci ne sont pas toujours compatibles avec les accords multilatéraux et conspirent contre la volonté politique de progresser à l’échelon multilatéral vers l’élimination des restrictions et des subventions qui freinent l’accès des pays en développement aux marchés du monde développé. Le cycle actuel de négociations de Doha aborde un éventail très vaste de sujets dont beaucoup sont directement liés à la qualité de l’insertion internationale des pays en développement et à leurs possibilités de croissance. Les textes émanés des négociations de Doha ont été cristallisés dans le Programme de Doha pour le développement qui réaffirme le principe du traitement spécial et différencié et contient des engagements en matière de coopération et de formation dans les pays en développement, en particulier dans les moins avancés. D’une manière générale, les négociations se sont considérablement distancées de leurs objectifs initiaux et ont, jusqu’ici, peu progressé. Globalement parlant, les asymétries dans le déroulement des négociations se manifestent sur deux plans différents: d’une part, la lenteur des progrès obtenus dans certains sujets qui revêtent un intérêt pour les pays en développement comme l’agriculture, la législation anti-dumping et les subventions, qui contrastent avec l’évolution nettement plus rapide des débats sur l’investissement, les services ou l’accroissement de la libéralisation dans le domaine des produits industriels; et d’autre part, la quasi-stagnation observée dans certains domaines définis dans le contexte de la «dimension du développement». Sous cet éclairage, il importe que les pays de la région soulèvent à la table des négociations de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) la question d’élargir les marges de manœuvre des pays en développement qui sont gravement limitées depuis le cycle de l’Uruguay. Il serait notamment utile de pouvoir jouir d’une plus grande liberté pour stimuler les secteurs embryonnaires d’exportation, rétablir, le cas échéant, des normes de rendement permettant d’améliorer les rapports au sein des activités exportatrices, et, du moins dans le cas des pays plus petits, de maintenir certains des bénéfices spéciaux des zones franches qui, selon les normes en vigueur, devront être démantelées dans les prochaines années. Du point de vue des pays en développement, certains sujets, autres que le débat sur les subventions à la production agricole dans les pays développés, revêtent une importance spéciale et sont actuellement abordés à la table des négociations. Tel est notamment le cas de la réduction des crêtes tarifaires qui contribuent à la spécialisation productive exagérée, de la suppression de l’échelonnement tarifaire néfaste à la production de biens industriels à valeur ajoutée, en particulier dans le secteur agricole, et de la conclusion d’un accord raisonnable à propos des considérations autres que d’ordre commercial. Cet accord aurait pour effet d’apporter une certaine sécurité juridique dans les échanges commerciaux internationaux et permettrait aux pays exportateurs de disposer de règles claires quant au cahier des charges qu’ils devront respecter pour avoir accès aux marchés des pays développés. Dans le domaine particulier des droits de propriété intellectuelle relatifs au commerce, il faut éviter que ceux-ci n’entravent le transfert des nouvelles technologies ou impliquent des coûts indus pour les pays en développement. Ces droits doivent effectivement servir à protéger certains domaines auxquels les pays en développement accordent un intérêt particulier, tels que le savoir traditionnel et la richesse biologique. Globalement parlant, les pays de la région et les pays en développement en général doivent impérieusement insister sur le fait que les accords multilatéraux respectent les progrès accomplis et reconnaissent à ces pays le droit d’accélérer leur rythme de développement. Cette reconnaissance devrait se manifester par un traitement spécial et différencié qui impliquerait, d’une part, que les concessions ne soient pas nécessairement réciproques au niveau de l’accès au marché et, d’autre part, que les politiques 40 des pays en développement vis-à-vis de leurs propres marchés puissent continuer à faire l’objet d’une certaine flexibilité et de décisions discrétionnaires. L’absence d’un cadre international assurant la gouvernance de la migration accentue les risques d’exclusion, de discrimination et d’atteinte aux droits des personnes, en particulier dans le cas de la migration clandestine. Une situation extrême est la traite des personnes dont l’expression la plus grave est l’exploitation des mineurs. Du point de vue éthique, il est donc impérieux de protéger les droits et d’assurer que les instruments internationaux pertinents soient ratifiés ou définitivement mis en œuvre. Cette démarche doit également s’étendre à l’application des accords conclus dans le domaine de la pérennité de l’environnement. Le sommet de la Terre (Río de Janeiro, Brésil, 1992) a donné le coup d’envoi d’une transition vers un nouveau régime international en matière de développement durable, représenté par une nouvelle génération d’accords et un programme d’action mondial. La Conférence a également adopté des principes novateurs qui pourraient constituer un socle plus équitable pour la coopération internationale. Il faut souligner que les principes contenus dans la déclaration de Rio sur l’environnement et le développement impliquent la reconnaissance explicite du fait qu’il n’est ni possible ni souhaitable de « niveler le terrain de jeu» en matière d’environnement, ce qui contraste avec les principes majeurs sur le plan économique du réaménagement international. Tel est le cas du principe 7 concernant les responsabilités communes mais différenciées, qui constituent le fondement politique pour que les pays développés assument des engagements plus lourds en matière d’environnement que les pays en développement dans le cadre des accords pertinents. De nouvelles normes multilatérales adoptées dans la foulée de la Conférence de Rio ont fait ressortir l’importance des liens qui existent entre l’environnement, la santé et les politiques appliquées dans les domaines productifs, commerciaux et sociaux, grâce à une meilleure perception de l’interdépendance entre pays touchés par les problèmes environnementaux d’envergure mondiale. Cet élan initial de la communauté internationale s’est toutefois considérablement ralenti durant la décennie 1990. Non seulement beaucoup reste encore à faire pour modifier les politiques dans certains domaines liés à l’environnement, mais les ressources financières nécessaires n’ont pas encore été acheminées pour mettre en œuvre l’éventail d’accords concertés. De même, les mécanismes de transfert de technologies prévus dans les accords n’ont pas été améliorés. Un peu plus de sept ans après son approbation par 180 pays (avec les abstentions notables des Etats-Unis et de l’Australie), le protocole de Kyoto de l’accord-cadre des Nations Unies sur le changement climatique est récemment entré en vigueur; il s’agit d’un instrument multilatéral très important pour favoriser l’emploi de sources d’énergies renouvelables et de technologies propres qui permettraient de modifier des modèles insoutenables de consommation et de production dans les pays développés et en développement. Le protocole impose aux pays des objectifs individuels de réduction des émissions nocives; les pays affichant des réductions supérieures à celles programmées pourront vendre des « crédits » à ceux qui n’ont pas encore réussi à atteindre leurs objectifs. Pour autant qu’il soit accompagné de systèmes effectifs d’application, ce type de mécanisme peut constituer le point de départ d’un véritable marché mondial des services environnementaux. Sur le plan de la coopération internationale, il importe également de parvenir à des accords dans le domaine fiscal pour réduire l’évasion et éviter les «conflits fiscaux» qui compromettent la capacité de recouvrement à l’échelon national. Il convient, finalement, de mentionner les faiblesses dont fait encore preuve le système multilatéral en matière de mouvements de capitaux. Il faut, dans ce domaine, mettre en place des mécanismes qui mitigent l’effet de la volatilité des marchés financiers internationaux, qui préservent la capacité des autorités nationales de réglementation des courants de capitaux et qui favorisent 41 la création d’un cadre institutionnel contribuant à éviter et, le cas échéant, à résoudre les problèmes du surendettement. Sur le plan régional, il est nécessaire de revitaliser et d’élargir le rayon d’action des tentatives d’intégration qui caractérisent l’Amérique latine et les Caraïbes depuis plusieurs décennies. L’intégration régionale reste un instrument effectif pour élargir les marchés et obtenir des économies d’échelle tout en créant de nouveaux débouchés pour diversifier les exportations et atténuer le risque de la dépendance visà-vis de quelques produits soumis à de fortes fluctuations des prix. Afin de relancer l’intégration sous-régionale, il est indispensable que la région tourne la page d’une longue période d’accords qui sont restés lettre morte et qu’elle entreprenne des actions concrètes afin de modifier le sentiment de progrès médiocres, voire de reculs, qui a caractérisé ces dernières années. Les propositions doivent viser à promouvoir des mesures dans différents domaines, tels que le renforcement et le perfectionnement des accords sous-régionaux. Pour ce faire, les pays doivent faire preuve d’une plus grande volonté politique et adopter des mesures concrètes dans le domaine de la libéralisation commerciale et financière, ainsi que des normes et des réglementations communes. De même, la mobilité des personnes doit être accrue et certains dispositifs de coordination à l’échelon macroéconomique doivent être mis en place ainsi que des d’institutions régionales auxquelles les gouvernements nationaux cèdent progressivement certaines parts de la souveraineté nationale. Une infrastructure régionale est également indispensable pour favoriser le processus d’intégration, en particulier dans les domaines énergétique et routier. Ceci passe par l’octroi d’un financement de la part des banques régionales et l’existence de réglementations similaires dans les différents pays. Des mécanismes de soutien aux pays en crise doivent être mis en place et les mécanismes régionaux de financement doivent être consolidés et s’ajouter aux institutions multilatérales de crédit. Il faut aussi créer des mécanismes de cohésion sociale qui favorisent une prise de conscience graduelle de l’importance de parvenir à un développement harmonieux entre les sous-régions et mettre au point des stratégies productives communes dans certains domaines tels que l’innovation, l’industrie culturelle, la recherche agricole ou le tourisme. L’accent doit également être mis sur la singularité de la région en matière de ressources naturelles et de biodiversité et la création de mécanismes de gestion durable des écosystèmes partagés tels que la mer des Caraïbes, le couloir biologique mésoaméricain, les écosystèmes andin, amazonien, du bassin du Plata et austral. Il faut finalement mentionner que l’agenda régional et l’agenda mondial sont clairement complémentaires mais que la volonté politique des gouvernements est indispensable pour qu’ils se rejoignent. L’agenda régional est essentiel non seulement pour le développement des pays de l’Amérique latine et des Caraïbes mais aussi pour forger une position commune dans les débats dont font actuellement l’objet les nouvelles normes internationales propres à contribuer à l’édification d’une mondialisation plus équilibrée. En l’absence d’intérêts économiques communs dans les différents domaines mentionnés et dans le contexte d’une insertion internationale fondée sur des accords commerciaux, il sera d’autant plus difficile de parvenir à des consensus sur les positions communes à adopter dans un monde planétaire.