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PRÉSENTATION
Ce document est un résumé partiellement actualisé de la publication de la Commission économique pour
l’Amérique latine et les Caraïbes (CEPALC) intitulée « Desarrollo productivo en economías abiertas »
(Développement du secteur productif dans le contexte d’économies ouvertes),1 paru en 2004. Ce titre fait
intervenir deux éléments que certains considèrent parfois comme diamétralement opposés. D’une part, le
processus de mondialisation et sa conséquence inéluctable, à savoir la plus grande ouverture sur le monde des
économies de l’Amérique latine et des Caraïbes, sont perçus comme un processus irréversible. D’autre part, les
politiques productives sont considérées indispensables dans tout programme public visant à promouvoir le
développement économique.
La région se trouve actuellement au terme d’un processus de réformes qui a atteint son apogée
dans la décennie 1990 et au seuil d’une nouvelle étape aux contours encore indistincts. En raison de
l’incertitude qui règne quant à la direction que l’Amérique latine et les Caraïbes vont prendre dans
l’immédiat, et sachant que celle-ci sera finalement déterminée par les actions conscientes des opérateurs
sociaux, la CEPALC a donc souhaité dresser le bilan du chemin parcouru et présenter sa vision des
mesures qui devraient nécessairement faire partie d’un agenda positif.
L’Amérique latine et les Caraïbes constituent la région du monde en développement qui s’est le plus
fermement engagée dans le processus d’internationalisation et de libéralisation économique axé sur le rôle
prépondérant du secteur privé et condensé dans ce qui a été appelé le Consensus de Washington. Ce train de
réformes misait sur le fait que l’équilibre budgétaire, la stabilité des prix et l’ouverture sur le monde allaient
apporter aux sociétés un élan de croissance, un recul du chômage ainsi que des gains de productivité et une
augmentation des salaires réels.
Au terme de la période de réformes, le bilan s’avère mitigé puisqu’il comporte des aspects aussi bien
positifs que négatifs; pour résumer l’évolution globale, l’image la plus synthétique possible de l’ensemble du
processus est celle d’une trajectoire en forme de parabole composée d’une période d’essor immédiatement
suivie d’une étape de crise, puis d’une phase finale de déclin.
La résorption des déséquilibres budgétaires, ainsi que la maîtrise des processus chroniques
d’hyperinflation qui sévissaient dans la région, ont été accompagnées de progrès manifestes en matière
d’investissements en infrastructure, de modernisation de certains segments de l’appareil de production et de
croissance des exportations. Au passif de ce bilan, il faut inscrire un taux de croissance faible et volatile, le
démembrement de l’appareil de production, la progression du chômage et du travail informel, l’aggravation de
la vulnérabilité extérieure et la détérioration des principaux rapports macro-économiques.
La reprise d’un processus de croissance dynamique et stable passe d’abord par le fonctionnement
d’une macroéconomie assainie qui préserve et consolide les progrès accomplis dans les années 90, soit un taux
d’inflation réduit et un déficit budgétaire contrôlable. La politique macro-économique doit non seulement être
en mesure de garantir la stabilité nominale; il faut également qu’elle parvienne à atténuer la volatilité réelle et
ce, moyennant l’accroissement de l’épargne intérieure et l’approfondissement des marchés financiers afin de
réduire la dépendance vis-à-vis de l’épargne extérieure. Il faut en outre appliquer des politiques budgétaires
anticycliques qui impliquent la volonté d’épargner durant les phases d’expansion.
1
Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes (CEPALC), Desarrollo productivo en
economías abiertas (LC/G.2234(SES.30/3)), Santiago du Chili, juin 2004.
3
Ce document se penche également sur la qualité de l’insertion sur les marchés extérieurs. En raison de
la vocation exportatrice des pays de la région et des pratiques protectionnistes des pays développés, les débats
se centrent aujourd’hui sur l’accès aux marchés. Néanmoins, l’accès aux marchés ne suffit pas à résoudre les
problèmes institutionnels ni à engendrer le développement productif requis pour relancer la croissance. Il est
indispensable de parvenir à un taux de croissance dynamique et soutenu des exportations et, dans le même
temps, d’accroître leur effet d’entraînement sur la croissance économique; pour ce faire, il est particulièrement
important de mettre en œuvre une stratégie de politiques publiques qui visent à améliorer le mode d’insertion
extérieure de la région et à stimuler des gains de compétitivité et de productivité de l’appareil de production.
L’État doit nécessairement prendre part à ce processus et appliquer des politiques actives de
promotion des exportations qui permettent de tirer parti des externalités positives dans l’ensemble de l’appareil
de production, de compenser les défaillances des marchés des capitaux au niveau du financement des
exportations, de mettre à profit des économies d’échelle, de saisir les opportunités d’apprentissage, ainsi que de
veiller à l’utilisation rationnelle des ressources naturelles et à l’exploitation des nouvelles technologies en
matière d’environnement.
Les mécanismes d’incitation devront tenir compte de la nécessité d’accorder la priorité à la promotion
des exportations de nouveaux produits ou de nouveaux marchés, activités qui doivent être considérées comme
de véritables innovations. Par ailleurs, il est indispensable que les politiques de promotion des exportations
soient conçues comme des stratégies à moyen et à long terme, de façon à assurer la continuité des politiques,
quels que soient les changements intervenus dans les équipes gouvernementales chargées de les mettre en
œuvre.
Comme signalé plus haut, l’un des héritages fâcheux des années 1990 a été l’hétérogénéité croissante
de l’appareil de production, qui a entraîné une exclusion elle aussi croissante de certains agents économiques
alors que d’autres s’acheminaient vers la modernisation productive. La structure productive des économies
latino-américaines se caractérise actuellement par trois grandes catégories d’unités, en fonction de leur degré
de formalisation et de leur taille. Le premier groupe est composé des grandes entreprises, dont beaucoup sont
des transnationales, qui présentent généralement des niveaux de productivité proches de la frontière
internationale mais qui ont très peu de liens avec l’économie locale et une faible capacité innovatrice. La
deuxième catégorie correspond aux petites et moyennes entreprises du secteur formel qui ont généralement de
grandes difficultés pour accéder à certains facteurs de production, en particulier au financement et aux services
technologiques et qui, surtout, présentent une faible capacité d’articulation productive aussi bien entre elles
qu’avec les entreprises appartenant à d’autres catégories. Le dernier groupe est constitué par les micro
entreprises et les petites entreprises du secteur informel qui, en raison de leur structure et de leurs capacités,
sont celles qui présentent la plus faible productivité relative et évoluent dans un contexte qui les prive de toute
possibilité de développement et d’apprentissage; qui plus est, les travailleurs et les employeurs ne font l’objet
d’aucune protection sociale contre les risques qu’ils encourent, y compris la perte d’emploi ou de revenu.
Le développement du secteur productif de cette économie « à trois vitesses » exige l’adoption de
politiques publiques actives qui contribuent à niveler le terrain de jeu et facilitent la mise en place d’une
structure de soutiens et d’incitations articulée autour de trois grandes stratégies: d’inclusion, de modernisation
et de densification.
La stratégie d’inclusion aura pour but de faciliter le passage au secteur formel de l’économie du plus
grand nombre possible de micros et petites entreprises du secteur informel. Les mesures à prendre dans le
cadre de cette stratégie sont de grande envergure, tout en restant sélectives quant aux destinataires; elles
doivent notamment prévoir la simplification des normes et des démarches, la réduction des charges fiscales, un
accès plus large au crédit et à la formation. La stratégie de modernisation concerne les petites et moyennes
4
entreprises du secteur formel et est fondée sur un dosage de politiques horizontales et sélectives. Les premières
sont destinées à améliorer l’accès à l’information, au crédit et à la technologie, tandis que les politiques
sélectives s’appliquent à la formation d’associations de petites entreprises, en passant par le développement de
fournisseurs ou de clients de grandes entreprises jusqu’à la consolidation de structures productives regroupées
sur un seul territoire (clusters) ou articulées comme étapes d’une chaîne de valeur.
La stratégie de densification vise les grandes entreprises et a essentiellement pour but d’intégrer de
nouveaux savoirs au tissu productif d’un pays et de favoriser les innovations au sens large. Elle comporte des
mesures destinées notamment à renforcer les liens locaux de la base exportatrice, à favoriser la coopération
entre les secteurs public et privé dans le cadre du système d’innovation et à attirer un investissement étranger
de meilleure qualité sur les plans productif et technologique.
Un autre sujet abordé dans ce document est la déchirure du tissu social qui a été l’une des retombées
les plus graves des expériences de politique qui ont caractérisé les années 1990. La conjugaison de deux
tendances, à savoir la recrudescence du taux d’activité et le fléchissement du taux d’occupation, s’est traduite
par une progression du chômage et du nombre de travailleurs du secteur informel.
L’aggravation de l’hétérogénéité productive et des inégalités ainsi que la progression du travail
informel et du chômage n’entraînent pas seulement des pertes statiques et dynamiques au niveau du produit et
de la croissance; elles constituent aussi une menace latente pour la cohabitation démocratique et la
communauté de vues et de propos qui doivent aller de pair avec les processus de changement historique
nécessairement liés au développement économique.
A la lumière de tous ces éléments, la CEPALC a proposé que soit conclu un pacte de cohésion sociale
fondé sur l’adoption d’engagements réciproques de la part des secteurs sociaux et de l’État et sur lequel
reposerait la construction d’une société inclusive dans la région. Un tel pacte devra respecter les fondements de
la politique macro-économique et favoriser la création de nouveaux emplois, la protection sociale, ainsi que
l’éducation et la formation.
Il faut, finalement, garder à l’esprit que la région évolue dans un contexte international caractérisé par
un processus de mondialisation d’un espace économique hiérarchisé au sein duquel seuls les pays les plus
développés affichent une croissance convergente. Par ailleurs, de profondes asymétries subsistent en matière
de création de technologies et de capacités propres à surmonter les obstacles qui freinent l’entrée à des secteurs
plus porteurs; le développement des systèmes financiers nationaux varie selon les pays, de même que leur
degré d’autonomie dans la formulation de politiques.
Dans ce contexte, la principale contradiction de ce processus de mondialisation réside dans le fait que
les problèmes d’ordre mondial se multiplient alors que leur traitement continue de relever essentiellement des
initiatives de politique à l’échelon national. Le document met en lumière les effets de ce déséquilibre en
matière de gouvernance internationale dans quatre domaines déterminés: les régimes macro-économiques et
financiers, les négociations commerciales multilatérales, la mise en valeur durable de l’environnement et la
migration internationale.
5
La CEPALC se propose, par cette analyse, de contribuer à la formation de connaissances dans la
région ainsi qu’à la définition des options de politique économique disponibles, de façon à contribuer au débat
sur le type d’architecture institutionnelle qui devrait encadrer le processus actuel de mondialisation. L’objectif
ultime de cet effort intellectuel est l’édification de sociétés dans lesquelles l’intégration au reste du monde soit
un moyen de consolider les identités nationales, la croissance du produit serve d’assise matérielle à l’accès à
une structure plus équitable de la consommation et la démocratie soit la voie effective par laquelle les peuples
puissent agir sur la destinée de leurs pays.
José Luis Machinea
Secrétaire exécutif
6
A. LA GLOBALISATION DE L’ÉCONOMIE MONDIALE
Au fil de l’histoire, la vie économique des nations a tendu, sur le long terme, à une interdépendance
croissante. Le processus d’internationalisation de l’économie mondiale n’est pas un phénomène nouveau
et les historiens modernes distinguent au moins trois phases de mondialisation au cours des 130 dernières
années. La majorité des analystes s’accorde à situer le début de la phase actuelle au début des années
1970 à la suite d’une série d’événements politiques, économiques et financiers pratiquement simultanés. 2
Dans cette troisième phase de mondialisation, et en particulier depuis le début des années 1990, les
conditions étaient réunies pour que l’économie mondiale cesse d’être la somme des courants
commerciaux et des mouvements de capitaux entre des économies nationales isolées, pour se transformer
en un ensemble de réseaux mondiaux de marchés et de systèmes de production intégrés par delà les
frontières nationales.
Cette évolution a été marquée par deux facteurs qui méritent d’être mis en exergue. D’une part, la
mondialisation n’a pas, d’un point de vue structurel, favorisé l’homogénéisation mais, bien au contraire,
renforce les caractéristiques de l’économie mondiale en tant qu’espace hiérarchisé. L’évolution de
l’économie mondiale au cours des 15 dernières années a été caractérisée par des marchés de plus en plus
oligopolistiques, des asymétries technologiques plus profondes, une prédominance du secteur financier et
une volatilité des marchés, ainsi qu’un manque de volonté pour progresser dans les négociations
commerciales multilatérales.
Par ailleurs, cette période se distingue également par une nette prééminence de l’économie des
Etats-Unis dont la croissance a été nettement plus dynamique que celle de l’Europe et du Japon, alors que
la Chine et l’Inde se sont transformées en véritables « moteurs » de la demande mondiale. Cette nouvelle
donne mondiale est à la fois riche en opportunités et semée d’embûches pour les économies en
développement.
L’évolution de ce scénario pose également diverses interrogations. L’Europe et le Japon seront-ils
capables de reprendre la voie de la croissance soutenue? L’économie des Etats-Unis réussira-t-elle à
résorber ses déséquilibres macro-économiques sans provoquer de commotions dans l’ensemble de
l’économie mondiale? La Chine et l’Inde parviendront-elles à maintenir leur taux de croissance de ces
dernières décennies? De toute évidence, les réponses à plusieurs de ces interrogations sont
interdépendantes. Les aspects les plus notables sont la résurgence des déficits jumeaux aux Etats-Unis et
la relation particulière de ce pays avec la principale économie émergente, à savoir la Chine, ainsi que
leurs conséquences sur les marchés mondiaux des devises; leur comportement ne manquera pas d’avoir
une incidence sur l’évolution de l’économie mondiale.
Il n’est pas facile de prendre position à l’égard de ces questions, en particulier pour les pays en
développement. S’il est vrai que les effets se feront sentir dans toutes les économies nationales, ceux-ci
seront probablement plus graves pour les régions relativement moins avancées en raison des marges plus
étroites dont elles disposent en matière de politiques et de leur plus grande vulnérabilité extérieure.
2
José Antonio Ocampo et Juan Martín (eds.), Globalización y desarrollo, una reflexión desde América Latina
y el Caribe, Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes (CEPALC)/Banque
mondiale/Alfaomega, octobre 2003.
7
En Amérique latine et dans les Caraïbes, ces facteurs s’inscrivent dans le cadre d’un engagement
résolu en faveur d’une plus grande insertion à l’économie mondiale grâce à l’intense ouverture
commerciale et financière qui a caractérisé ces 15 dernières années. Aux traditionnels problèmes
structurels de la région viennent s’en ajouter d’autres qui résultent d’une période de transition caractérisée
par un bilan nuancée de bénéfices à long terme et de coûts immédiats.
La tendance semble toutefois être sans équivoque. Par conséquent, les questions qui se posent
concernent plutôt la façon de mieux s’insérer au reste du monde et les mesures à prendre pour tirer parti
des opportunités et conjurer les menaces. La CEPALC a préparé, à cette fin, un programme prévoyant des
mesures complémentaires aux échelons national, régional et international. 3
B. UNE PÉRIODE DE RÉFORMES EN AMÉRIQUE LATINE
Dans les années 1990, les économies de l’Amérique latine et des Caraïbes ont connu un ensemble de
réformes structurelles et d’expériences de politiques économiques. Les expériences de libéralisation
économique avaient commencé dans le Cône Sud à la fin des années 1970; elles ont toutefois été
interrompues au cours de la période qui a suivi la crise de l’endettement de 1982, pour ensuite se
généraliser dans presque toute la région à partir de 1985. Les premières composantes de la réforme, et
aussi celles qui ont connu une plus grande diffusion à l’échelon régional, ont été l’ouverture commerciale
et la libéralisation des marchés financiers nationaux; à partir de 1991, on assista également à une
libéralisation croissante des courants de capitaux avec l’extérieur et, dans certains pays, à des processus
intenses de privatisation d’entreprises publiques.
La principale composante du programme de réformes a sans nul doute été l’ouverture des
économies de la région. Toutes les économies de la région présentent aujourd’hui un plus grand degré
d’ouverture qu’au début des années 1980. En effet, au début de cette décennie, le taux moyen du tarif de
la nation la plus favorisée de la région était supérieur à 100%, alors qu’il était tombé à 29% dans les
années 90 et à moins de 10% en 2004. Malgré la réduction considérable du tarif nominal ainsi que la
disparition pratiquement totale des restrictions quantitatives, la restriction effective imposée à l’entrée de
marchandises étrangères a encore diminué. Dans le cas du Mexique, par exemple, le tarif actuel de la
nation la plus favorisée oscille autour de 16%, alors que 90% environ des importations mexicaines entrent
dans le pays à la faveur d’accords commerciaux et, partant, sont grevés d’un taux zéro; par conséquent, le
tarif moyen effectif de l’économie mexicaine est nettement inférieur au tarif nominal. Ceci est également
le cas dans la plupart des économies de l’Amérique latine et des Caraïbes, ce qui explique pourquoi le
tarif moyen effectif de la région est de 5%.
3
Commission économique pour l’Amérique latine et des Caraïbes (CEPALC), Globalización y desarrollo
(LC/G.2157(SES.29/3)), José Antonio Ocampo (coord.), Santiago du Chili, avril 2002.
8
Graphique 1
ÉVOLUTION DES RÉFORMES ÉCONOMIQUES EN AMÉRIQUE LATINE ET DANS
LES CARAÏBES
1.00
0.90
0.80
0.70
0.60
0.50
0.40
0.30
0.20
0.10
0.00
1970 1972 1974 1976 1978 1980 1982 1984 1986 1988 1990 1992 1994 1996 1998 2000
Reformacomercial
Réforme commerciale
Reforma
de la cuenta capitales
Privatización
Réforme du compte de capital
Total
Réforme financière
Réforme fiscale
Privatisation
Source: Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes (CEPALC), sur la base de chiffres officiels.
Graphique 2
AMÉRIQUE LATINE ET LES CARAÏBES: COEFFICIENTS D’OUVERTURE
Moyenne
pondérée
70
Moyenne
simple
Pa
60
Hn
50
2000-2003
Cr
40
Mx
Moyenne
simple
Ni
Sv
Do
30
Pr
Ec
Ht
20
10
Pe
Uy
Ar
Co
Cl
Moyenne
pondérée
Ve
Gt
Bo
Br
0
0
10
20
301980-198340
50
60
70
Source: Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes (CEPALC), sur la base de chiffres officiels.
9
La libéralisation des échanges commerciaux, mesurée par le coefficient d’ouverture commerciale,
a également été très significative, la moyenne régionale ayant plus que doublé, passant de 7,8% en
1980-1983 à 18,9% en 2000-2003. 4 Les exportations, ainsi que les importations de l’Amérique latine et
des Caraïbes ont fait preuve d’un grand dynamisme: entre 1991 et 2004, le volume physique des
exportations de la région s’est accru à un rythme sans précédent de 9,2% par an, pourcentage supérieur à
la moyenne mondiale et dépassé uniquement par l’Asie. Il s’agit d’un chiffre particulièrement élevé tant
du point de vue historique dans la région que par rapport au reste du monde. Les importations de la région
ont augmenté à des taux encore plus élevés que ceux des exportations, ce qui a contribué à la réduction
brutale et substantielle des tarifs douaniers, dans un contexte relativement généralisé d’appréciation des
devises nationales.
Par ailleurs, la libéralisation des marchés financiers intérieurs et l’ouverture croissante du compte
de capitaux ont rendu les économies de la région plus sensibles aux aléas des marchés financiers
internationaux. Durant la troisième phase de mondialisation, la situation macro-économique des pays de
l’Amérique latine et des Caraïbes a été étroitement liée aux fluctuations des courants de capitaux.
En effet, dans la deuxième moitié des années 1970 et au début des années 1980, les pays de la
région ont reçu un volume considérable de crédits extérieurs. Ces ressources ont permis d’atteindre des
taux élevés de croissance, mais au prix de graves déficits du compte courant de la balance des paiements
et de structures de dépenses et de prix relatifs insoutenables qui ont débouché sur la crise de l’endettement
en 1982. A partir de cette date et jusqu’en 1991, la région a dû effectuer un transfert net massif de
ressources vers l’extérieur qui s’est traduit par une décennie perdue en termes de croissance économique.
À partir de 1991 et jusqu’à nos jours, les pays ont pu accéder à nouveau aux courants
internationaux de capitaux qui, bien que volatiles, ont engendré de brefs cycles de croissance, alternant
avec des périodes de ralentissement, voire nettement récessives. La période comprise entre 1991 et 1994 a
été caractérisée par une nouvelle vague de flux de capitaux suivie, à la fin de 1994 et jusqu’au milieu de
l’année 1985, d’une forte contraction dont certains pays ont particulièrement souffert. Cette contraction a
été suivie, à son tour, par une nouvelle phase d’abondance du financement extérieur en 1996 et 1997.
Dans le quinquennat postérieur aux crises qui ont successivement frappé différentes régions du monde à
partir de 1997, les marchés internationaux ont, une nouvelle fois, constitué une source d’instabilité pour la
région.
Malgré l’importance des cycles commerciaux et des termes de l’échange à l’échelon
international, notamment au cours de ces deux dernières années, l’exposition à la volatilité et à la
contagion associées aux nouvelles modalités de financement extérieur est devenue la principale cause de
vulnérabilité externe des économies de la région. Cette vulnérabilité face aux soubresauts des marchés
financiers internationaux obéit à trois grands facteurs, à savoir : l’incidence de l’ampleur du déficit du
compte courant de la balance des paiements sur la viabilité; le degré de dépendance vis-à-vis de flux
extrêmement volatiles tels que les lignes de crédit à court terme et les flux de portefeuille; et, finalement,
la fermeté des systèmes financiers nationaux, en particulier leur capacité de résistance aux fortes
variations des taux d’intérêt et des taux de change.
4
Le coefficient d’ouverture utilisé correspond à la demi-somme des exportations et des importations, divisée par
le produit intérieur brut, le tout aux prix de 1995.
10
Graphique 3
TRANSFERT NET DES RESSOURCES ET CROISSANCE DU PIB
8
Pourcentages
6
4
2
0
-2
Taux de croissance du PIB
Flux autonomes et compensatoires
2004
2003
2002
2001
2000
1999
1998
1997
1996
1995
1994
1993
1992
1991
1990
-4
TNR et envois de fonds
Source: Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes (CEPALC), sur la base de chiffres officiels.
Plusieurs aspects positifs du processus de réformes méritent d’être signalés: l’expansion et la
diversification des exportations, l’arrivée de volumes sans précédent d’investissements étrangers directs,
la reprise de la croissance économique, la maîtrise de l’inflation et le contrôle plus strict des déséquilibres
budgétaires. Toutefois, les réformes économiques avaient donné à penser que, dans un contexte
caractérisé par un rôle plus actif du secteur privé et une intervention minimale de l’État, une meilleure
gestion macro-économique des variables nominales et une meilleure intégration des marchés au reste du
monde, devaient conduire à un taux de croissance élevé et stable et, partant, à une diminution du chômage
et à l’obtention de salaires réels favorisés par les bénéfices d’une compétitivité croissante. Pour
différentes raisons, ces attentes ont été frustrées. Ces caractéristiques négatives peuvent être regroupées
en plusieurs faits stylisés: une croissance économique faible et volatile, un niveau insuffisant
d’investissements, de faibles gain s de productivité et une hétérogénéité structurelle accrue, ainsi qu’une
progression du chômage, du travail informel et de la pauvreté.
1. Croissance économique faible et volatile
À partir de 1991, le taux moyen annuel de croissance du PIB est resté modeste par rapport à l’expansion
enregistrée dans la région durant les décennies antérieures, à l’exception de la décennie 1980. Durant la
période 1991-2004, ce taux n’a été que de 2,5%, soit moins de la moitié du pourcentage enregistré durant
la période 1950-1980 qui a été de 5,5%. Dans le même temps, la performance de l’Amérique latine et des
Caraïbes durant la période 1991-2004 a été nettement moins satisfaisante que celle d’autres régions en
développement, en particulier de l’Asie du Sud-Est qui a atteint un taux moyen de 6%.
11
Graphique 4
CROISSANCE ÉCONOMIQUE: 1959-2004
(Taux annuels, décennies mobiles)
9%
8%
7%
6%
5%
4%
3%
2%
Amérique latine
Pays industrialisés
1%
Pays asiatiques en développement
2003
2001
1999
1997
1995
1993
1991
1989
1987
1985
1983
1981
1979
1977
1975
1973
1971
1969
1967
1965
1963
1961
1959
0%
Source: Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes (CEPALC), sur la base de chiffres officiels.
La croissance économique de la région n’a pas seulement été médiocre mais aussi très volatile.
En effet, au cours de la période 1950-1981, l’écart type des taux annuels de croissance en Amérique latine
et dans les Caraïbes par rapport aux taux moyens (1,70) était très proche de la valeur correspondante du
PIB mondial (1,49); en revanche, entre 1981 et 2004, cet écart a plus que doublé (respectivement 2,17 et
1,05). Il faut noter que, durant la période 1991-2004, la volatilité a été inférieure à celle observée dans la
décennie précédente mais, au cours de cette même période, la région a également doublé la valeur du PIB
mondial (respectivement 1,93 et 0,87).
12
Graphique 5
VOLATILITÉ DE LA CROISSANCE: 1959-2004
(Coefficient de variation, décennies mobiles)
2.5
2.0
Amérique latine
Pourcentages
Pays industrialisés
Pays asiatiques en développement
1.5
1.0
0.5
2003
2001
1999
1997
1995
1993
1991
1989
1987
1985
1983
1981
1979
1977
1975
1973
1971
1969
1967
1965
1963
1961
1959
0.0
Source: Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes (CEPALC), sur la base de chiffres officiels.
2. Épargne–investissement et productivité
Les résultats modestes de l’Amérique latine en matière d’épargne et d’investissement contribuent à
expliquer la faiblesse de la croissance économique. Dans les années 1970, les niveaux d’investissement
par rapport au produit étaient de plus de 25%; ils sont ensuite tombés à moins de 15% en moyenne au
cours des années 1980. Malgré un rebondissement de l’investissement entre 1991 et 1997, celui-ci n’a
jamais retrouvé les niveaux antérieurs et, en 2004, ne dépassait pas 20% du produit.
Graphique 6
INVESTISSEMENT ET ÉPARGNE INTÉRIEURE ET EXTÉRIEURE
24
Investissement brut
20
Pourcentages
16
Épargne nationale
12
8
4
Épargne intérieure
0
-4
1990
1992
1994
1996
1998
2000
2002
2004
Source: Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes (CEPALC), sur la base de chiffres officiels.
13
La relation entre l’investissement et la croissance s’est elle aussi dégradée, comme le démontre
l’évolution du rapport incrémentiel entre le capital et le produit. Celui-ci est passé d’une moyenne simple
de 3,8 au cours de la période 1950-1980 à 6,7 dans les années 1990. En d’autres termes, il faut de plus en
plus de capital pour créer une unité de produit. Cette situation peut être attribuée au moins à trois facteurs.
Le premier est la volatilité de la croissance en raison de laquelle une partie de la capacité installée reste
oisive. Le deuxième facteur est l’importante destruction de capital qui a suivi la mise en œuvre des
réformes économiques et le troisième est la forte intensité de capital des principales activités économiques
menées dans le cadre du nouveau mode d’insertion internationale.
La léthargie de la croissance économique est également attribuable aux faibles gains de
productivité moyenne de l’économie. Dans le passé, la productivité totale des facteurs avait augmenté
d’environ 2% par an durant la période 1950-1981. En revanche, elle n’a progressé que de 0,2% en
moyenne annuelle durant la période comprise entre 1991 et 2004, après avoir diminué durant la décennie
1980 à raison de 1,4% par an. Plus récemment, des comportements très différenciés ont été observés
avant et après 1997. En effet, durant la sous-période 1991-1997, la moyenne simple des taux annuels
d’augmentation de la productivité (1,9%) a atteint une valeur similaire à celle de la période 1950-1980, ce
qui n’est toutefois pas le cas en termes de moyennes pondérées (respectivement 1,1% et 2,1%). Le
comportement des deux principales économies de la région (Brésil et Mexique) rend compte de ces
différences. En revanche, durant la période 1997-2004, l’évolution a été nettement négative, ces deux
moyennes annuelles ayant été de moins 1,1%. Ceci est la conséquence du recul notable affiché par tous
les pays, en particulier dans ceux qui avaient enregistré les gains les plus importants de productivité au
cours de la période 1991-1997 (Argentine, Chili, Pérou et la République bolivarienne du Venezuela).
Cependant, cette évolution de la productivité moyenne dissimule, toutefois, dans chaque pays, de
profondes différences entre les secteurs économiques, régions et types d’entreprises. Dans tous ces
domaines, il est évident que l’hétérogénéité structurelle a considérablement augmenté au cours des 25
dernières années. En effet, un trop grand nombre d’agents économiques est resté en marge de la
modernisation de la production, ce qui a entraîné de graves conséquences économiques et sociales.
Ainsi, on peut actuellement distinguer, dans la structure productive des économies de la région,
trois grands groupes d’unités de production, en fonction de leurs modalités d’insertion juridique et de leur
taille. Un premier groupe correspond à celui des grandes entreprises, dont beaucoup sont transnationales
et dont les niveaux de productivités sont proches de ceux de la frontière internationale, mais qui ont peu
de liens avec l’économie locale et affichent souvent une faible capacité de création d’innovations. Le
deuxième groupe comprend les petites et moyennes entreprises du secteur formel de l’économie qui ont
généralement de grandes difficultés pour avoir accès à certains facteurs de production, en particulier au
financement et aux services technologiques et qui, surtout, présentent une faible capacité d’articulation
productive entre elles et avec d’autres catégories d’entreprises. Le dernier groupe est constitué par les micro
entreprises et les petites entreprises du secteur informel qui, en raison de leur structure et de leurs capacités,
sont celles qui présentent la plus faible productivité relative et évoluent dans un contexte qui les prive de toute
possibilité de développement et d’apprentissage; qui plus est, les travailleurs et les employeurs ne font l’objet
d’aucune protection sociale contre les risques qu’ils encourent, y compris la perte de l’emploi ou du revenu.
3. Hétérogénéité structurelle accrue
Les années 1990 ont été caractérisées par de profondes transformations sur le plan structurel et de
l’orientation des politiques publiques. Ces caractéristiques ont accentué l’incertitude; en effet, les
processus de formation d’attentes, tels qu’ils se déroulaient dans le contexte préalable, n’étaient plus
14
applicables aux nouveaux modes de fonctionnement de l’économie. De nombreux agents économiques
ont amorcé un processus d’apprentissage itératif qui favorise les comportements à la défensive et, partant,
une certaine résistance vis-à-vis des actifs à long terme, ainsi que les conduites spéculatives.
Les différents agents productifs des économies de la région ont affronté ces nouvelles règles du
jeu dans des conditions inégales. À cet égard, le processus d’adaptation a été déterminé par certaines
déficiences du marché et, en particulier, par des asymétries profondes en matière d’information. Ces
phénomènes se sont traduits par de fortes différences sur le plan des connais sances et des pratiques
d’articulation avec les marchés extérieurs, de l’accès au financement, en particulier à long terme, ainsi
que du savoir technologique requis pour pouvoir être compétitif dans ce nouvel environnement. C’est
pourquoi les réponses de l’appareil de production ont été très variables et l’hétérogénéité structurelle des
économies de la région s’est accentuée, notamment par l’exclusion croissante des agents économiques du
processus de modernisation productive.
L’hétérogénéité structurelle se traduit notamment par le fait que la dynamique de la productivité
répond à des modèles très distincts selon qu’il s’agisse du secteur formel ou informel de l’économie. La
productivité moyenne du travail est le résultat d’une combinaison linéaire des productivités de chaque
secteur. Dans le secteur informel, le rendement de la main-d’œuvre est décroissant en raison des
contraintes existantes pour avoir accès aux autres facteurs de production; en revanche, le secteur formel
profite de rendements d’échelle croissants grâce à l’incorporation du progrès technologique au matériel, à
l’application de meilleures pratiques organisationnelles et à l’accumulation de capital humain. C’est
pourquoi des processus de modernisation localisés se sont produits dans certains secteurs comme
conséquence de la destruction des chaînes de valeur existante sans créer, dans le même temps, les liens
qui auraient permis de reconstruire le tissu productif. Ceci a provoqué un effet qui, à première vue, peut
paraître paradoxal, à savoir des hausses importantes de la productivité micro-économique qui n’ont été
accompagnées d’aucun gain de la productivité moyenne.
4. Progression du chômage, du travail informel et de la pauvreté
Sur le marché du travail, deux facteurs ont contribué à la progression du chômage. En premier lieu, un
taux de croissance faible et instable qui s’inscrit dans le contexte d’un processus de réformes qui a
entraîné une baisse de la demande de travail par unité de produit. Deux de ces réformes méritent d’être
signalées: i) la célérité du processus d’ouverture qui a exacerbé la nécessité d’acquérir des technologies à
forte intensité de capital et une main-d’œuvre qualifiée, processus qui a été renforcé par un changement
des prix relatifs résultant de l’ouverture et de l’appréciation du taux de change et s’est traduit par une
augmentation du coût relatif de la main -d’œuvre, et ii) la privatisation d’entreprises publiques qui, dans la
plupart des cas, a provoqué une forte réduction de leurs effectifs.
Le deuxième élément qui a contribué à ce phénomène a été une dynamique de l’offre du travail
qui n’obéit pas seulement aux facteurs démographiques mais aussi à divers changements économiques,
sociaux et culturels, en raison desquels les familles doivent désormais comprendre deux ou plusieurs
travailleurs rémunérés pour compenser la précarité des revenus familiaux, ce qui explique la participation
accrue des femmes à l’offre de travail.
15
Graphique 7
TAUX D’EMPLOI ET DE CHÔMAGE, 1990-2004
12
54
10.6
10.5
10.0
9.9
10
10.7
10.0
9.8
53
53
9
52
8.5
52
8
7.2
51
Taux d’emploi (pourcentages)
Taux de chômage (pourcentages)
54
11
7
51
6
50
1990
1995
1998
1999
2000
Tasa de desempleo
2001
2002
2003
2004
Tasa de empleo
Source: Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes (CEPALC), sur la base de chiffres officiels.
En outre, la progression du chômage est généralement accompagnée, dans la région, d’une
augmentation du travail informel devenu une solution de rechange pour les chômeurs. Plus de 63% des
membres actifs de 40% des familles les plus pauvres de la région travaillent dans le secteur informel et
consacrent la totalité de leurs revenus du travail à la subsistance. A la suite de la profonde restructuration
de l’appareil de production résultant des réformes mises en œuvre dans les années 1990, sur laquelle
viennent se greffer les courants migratoires et de l’exode rural observés dans certains pays, ceux qui
étaient privés des ressources et des conditions requises pour tirer parti des possibilités et surmonter les
obstacles imposés par le nouvel ordre économique se sont tournés vers le secteur informel urbain. C’est
ainsi que, dans les années 1990, sept nouveaux emplois sur 10 ont été créés dans ce secteur.
Graphique 8
AUGMENTATION DU TRAVAIL INFORMEL, 1980, 1990 et 2000
50%
40%
30%
43%
20%
46%
47%
1995
2003
30%
10%
0%
1980
1990
Source: Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes (CEPALC), sur la base de chiffres officiels.
16
L’évolution du marché du travail a eu pour corollaire l’aggravation de l’inégalité de la répartition
des revenus et une progression de la pauvreté et de l’indigence dans pratiquement tous les pays de la
région, à de rares exceptions près. C’est pourquoi, la région de l’Amérique latine et des Caraïbes est
actuellement celle qui présente les inégalités les plus profondes au monde en matière de répartition des
revenus. Ceux-ci sont essentiellement concentrés dans les couches les mieux nanties; la classe moyenne
se réduit et s’appauvrit de plus en plus; 42% des ménages de la région se trouvent en dessous du seuil de
pauvreté et ne font l’objet d’aucune protection sociale de base. Ce pourcentage équivaut à plus de 220
millions de personnes, dont 96 millions vivent dans l’extrême pauvreté ou l’indigence.
C. LES COMPLEXITÉS DU PROCESSUS DE DÉVELOPPEMENT
Les attentes ayant été frustrées par le cours des événements, trois grandes options de politique au moins se
présentent: persister et maintenir le cap des années 1990 (moyennant des «réformes de deuxième
génération», de «troisième génération», et ainsi de suite); tenter de faire marche arrière et reprendre un
modèle de développement semi-fermé similaire à la stratégie de substitution des importations des années
50 et 60; ou finalement, relever le défi de mettre en place un ensemble d’institutions et de politiques qui
permettraient aux pays d’Amérique latine et des Caraïbes de développer le secteur productif dans un
contexte d’économies ouvertes.
En premier lieu, la seule idée d’une succession de réformes implique le concept d’une voie
linéaire et universelle de développement qui comprendrait des vagues successives de modifications
similaires à celles prévues dans le «Consensus de Washington» ou ses variantes postérieures, à laquelle
toutes les économies moins avancées seraient censées adhérer. En réalité, il n’existe pas de modèle unique
de gestion macro-économique ni une seule modalité d’intégration à l’économie internationale ou un
même dosage des efforts publics et privés. En outre, même si certaines réformes se sont avérées positives
dans certains pays, il n’est pas souhaitable de reproduire des «recettes» de réformes comme celles menées
à bien dans les années 1990. Qui plus est, certaines de ces réformes ont, en raison de leur contenu ou de la
façon dont elles ont été appliquées, été à la source de nombreux problèmes actuels, raison pour laquelle la
CEPALC a, à un moment donné de ce processus, appelé à «réformer la réforme».5
En ce qui concerne la deuxième option, l’histoire a démontré qu’il est vain, à longue échéance, de
nier l’existence de certains processus aussi vastes et dynamiques que ceux engendrés par l’actuelle phase
de mondialisation. Il semble impossible de faire marche arrière dans le domaine de l’ ouverture du compte
des opérations courantes; d’autre part, les répercussions de la dynamique de la phase finale de la stratégie
d’industrialisation fondée sur la substitution des importations ont conduit à une profonde remise en cause
du concept d’État producteur.
À cet égard, la CEPALC a, tout au long de son histoire, affiché une attitude critique dans
l’examen de l’évolution socio-économique de la région et a proposé diverses formules susceptibles d’en
assurer le développement conformément aux intérêts des pays de l’Amérique latine et des Caraïbes, sans
toutefois s’abstraire des tendances de l’économie mondiale propres à chaque moment historique. Dans ce
même ordre d’idées, il ne s’agit pas ici de tenter d’appliquer des stratégies qui aillent à contre-courant des
5
Ricardo Ffrench-Davis, Macroeconomía, comercio y finanzas para reformar las reformas en América Latina,
Santiago du Chili, McGraw-Hill Interamericana, 1999; Commission économique pour l’Amérique latine et les
Caraïbes (CEPALC), Equidad, desarrollo y ciudadanía (LC/G.2071/Rev.1-P), Santiago du Chili, 2000.
Publication des Nations Unies, Nº de vente: S.00.II.G.81.
17
tendances historiques mais, au contraire, de favoriser le développement d’une mondialisation plus solide
et équitable et une meilleure insertion à ce processus.
1. Croissance économique et transformation structurelle
La croissance économique est associée à l’accumulation de ressources (main-d’œuvre, capital physique,
capital humain, ressources naturelles) et leur plein emploi de la façon la plus efficace possible. Reprenant
une formule traditionnelle, on peut affirmer que le développement économique est bien plus qu’un simple
changement d’échelle de l’activité productive. Il a comme cheville ouvrière la transformation structurelle,
à savoir le changement de la composition sectorielle de l’économie, processus caractérisé par la
diversification des activités, la plus grande division du travail, la complexité croissante des matériels
utilisés et une modification du degré de qualification et des types de compétences exigés à ceux qui
composent la force de travail. 6
Le développement économique peut être mieux appréhendé s’il est conçu comme un processus
d’innovatio n qui, tirant parti d’une offre élastique de facteurs, c’est-à-dire étant capable de réagir aux
incitations, modifie la structure économique et favorise la création d’une série de complémentarités (liens)
entre l’offre et la demande qui se diffusent dans tout le tissu économique et favorisent la rétroactivité.
Selon la description schumpétérienne des activités novatrices, ces dernières concernent autant la
production de nouveaux biens et services que la mise au point de nouvelles méthodes de production,
l’ouverture de nouveaux marchés, l’accès à de nouvelles sources de matières premières et la création de
nouveaux modes organisationnels. Dans les pays industrialisés, l’innovation est surtout motivée par la
quête de rentes technologiques, alors que dans les pays moins développés, l’innovation se limite
généralement à l’incorporation de branches productives, de biens ou de processus qui ont déjà atteint un
certain degré de maturité dans les économies plus avancées.
Toutefois, une partie importante des connaissances techniques ne peut être transférée par la
simple acquisition des techniques (know how) ou par l’achat des biens d’équipement dans lesquels cellesci sont incorporées: il s’agit d’un savoir tacite, qui ne peut être codifié ni totalement communiqué. Même
pour maîtriser une technologie mûre, déjà mise au point sous d’autres latitudes, il faut consentir des
investissements en connaissances et en organisation; pour parvenir à une gestion optimale des nouveaux
équipements et des nouvelles installations, il est indispensable d’acquérir une base de connaissances aussi
bien formelles qu’empiriques permettant à l’entreprise qui a adopté ces techniques de réduire sa courbe de
dépenses à mesure qu’elle bénéficie d’économies croissantes d’apprentissage.
La construction de complémentarités consiste à mettre en place un réseau de fournisseurs de biens
et de services, de filières de commercialisation, ainsi que des organisations qui disséminent l’information
et prêtent des services de coordination, autant d’activ ités que la seule action des marchés ne peut générer
de façon optimale. Les complémentarités ont une incidence à la fois sur l’offre et la demande. Les effets
exercés sur l’offre se transmettent par le biais d’externalités positives, à savoir la réalisation d’économies
d’échelle (baisse du coût moyen résultant de la demande de nouvelles activités aux fournisseurs), des
6
Si, à cette caractéristique déterminante de la modification du profil de la structure de l’appareil de production,
s’ajoute le fait que l’introduction de nouvelles activités et modalités de production se produit en dents de scie, les
interprétations de la croissance inspirée de l’analyse des conditions de « niveau stable» (steady state) de modèles
unisectoriels (abstraction légitime et pertinente pour l’étude d’une série de sujets) ignorent certains aspects
fondamentaux du processus de développement économique.
18
économies d’agglomération (réduction des coûts de transaction) et des économies de spécialisation (mise
au point d’intrants spécifiques); pour ce qui est de la demande, les effets portent sur la quantité et
l’ampleur des liens et, en fonction des filtrages du flux circulaire de la rente, s’exercent sur l’ensemble
des multiplicateurs keynésiens.
Finalement, pour que s’enclenche le processus de changement structurel moyennant l’expansion
des activités les plus porteuses et à plus forte productivité, il faut que les branches productives pertinentes
aient accès aux facteurs de production. Si ceux-ci sont rationnés ou immobiles, le changement structurel
sera impossible. L’élasticité requise des facteurs peut être garantie par: l’existence préalable de ressources
oisives ou sous-utilisées; la mobilité régionale ou internationale des facteurs; le progrès technique qui met
fin aux restrictions de l’offre (l’augmentation de la productivité de la terre ou l’emploi de technologie à
forte intensité de capital en cas de demande pléthorique de travail) et la redistribution du revenu vers les
bénéfices des entreprises de manière à financer l’accumulation du capital. 7
2. Interactions sectorielles et dynamiques des agrégats macro -économiques
Les principaux éléments qui permettent la transmission du changement structurel micro-économique et
sectoriel à la dynamique des agrégats macro-économiques sont les effets exercés par les liens sur la
demande, par leur influence sur les multiplicateurs de l’économie, le rapport entre l’innovation et
l’investissement et la façon dont la croissance des secteurs innovateurs ainsi que la densité et la richesse
des liens déterminent l’efficacité dans l’utilisation des ressources.
Ces facteurs génèrent un rapport de causalité circulaire entre la dynamique structurelle et
l’évolution des variables macro-économiques. D’une part, la croissance économique exerce une incidence
positive sur l’augmentation de la productivité moyenne dans les économies dynamiques d’échelle
(apprentissage par l’expérience et innovations adaptatives), les économies d’agglomération et de
spécialisation, et l’absorption de ressources restées oisives ou employées dans des activités à faible
productivité. D’autre part, les gains de productivité engendrent une expansion du niveau d’activité grâce à
leur influence positive sur l’offre globale, les nouveaux créneaux d’investissement résultant du progrès
technique et la mitigation d’éventuelles restrictions extérieures dérivées de la compétitivité accrue de
l’économie.
Cette schématisation permet de mieux comprendre certains des mécanismes observés dans le
passé récent. L’exemple suivant illustre un premier type de mouvement qui a caractérisé certaines
économies de l’Amérique du Sud: une entreprise multinationale rachète une entreprise nationale équipée
de biens d’équipement et organisée selon des processus de travail très éloignés de la frontière des
meilleures pratiques internationales. L’investissement étranger permet d’équiper l’entreprise de matériel
de dernière génération et de modifier la disposition des installations (layout), ce qui se traduit par des
gains importants de productivité et une production de biens ou de services similaires à ceux des pays les
plus avancés. D’autre part, la filiale de la société multinationale remplace une partie des intrants
provenant de ses fournisseurs nationaux, qui sont probablement des petites et moyennes entreprises, par
7
Pour une description du processus de développement économique en tant que fruit de l’interaction entre
l’innovation et les complémentarités et l’élasticité de l’offre des facteurs de production, voir José Antonio
Ocampo, “The quest for dynamic efficiency: structural dynamics and economic growth in developing countries”,
Beyond Reforms: Structural Dynamics and Macroeconomic Vulnerability, Palo Alto, Californie, Commission
économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes (CEPALC)/Stanford University Press/Banque mondiale,
2005.
19
des intrants importés; elle suspend la réalisation des activités d’ingénierie et de recherche et
développement, ou les réduit à leur plus simple expression, celles-ci étant réalisées dans la maison mère;
finalement, la main-d’œuvre déplacée est réaffectée à des activités informelles à faible productivité ou
tout simplement mise au chômage.
Cette modalité de transformation structurelle implique une forte hausse de la productivité à
l’échelon micro-économique, conjuguée à un faible degré d’innovation et de production de savoirs, à une
destruction partielle des liens préexistants et à l’érosion des actifs incorporels représentés par les
compétences de la main-d’œuvre qui tombe dans le sous-emploi. Ce processus se traduit par un taux de
croissance très faible de la productivité globale et une hétérogénéité structurelle accrue de l’économie.
Un autre modèle de transformation structurelle, plus particulièrement illustré par l’économie
mexicaine et de certains pays d’Amérique centrale et des Caraïbes, présente certaines caractéristiques
spéculaires par rapport aux cas décrits dans le paragraphe ci-dessus. Il s’agit de la diffusion de
technologies simples, à forte intensité de main-d’œuvre, dans des usines d’assemblage dont la majeure
partie de la production est écoulée sur le marché des Etats-Unis. Les gains de productivité au niveau de
l’entreprise sont faibles mais, en l’occurrence, la mobilisation de ressources sous-utilisées jusque-là est
importante car elle a de fortes répercussions sur la productivité globale de l’économie.
D. DÉVELOPPEMENT PRODUCTIF AU SEIN D’ÉCONOMIES OUVERTES
La promotion du développement des secteurs productifs au sein d’économies ouvertes passe par
l’adoption de mesures de politiques publiques dans divers domaines. Cette section sera consacrée à
l’examen des initiatives politiques les plus fréquentes dans la région ainsi qu’à l’analyse du consensus
actuel en matière de bonnes pratiques basées sur des mesures limitées mais stratégiques. Le premier
groupe de mesures est composé des politiques de promotion des exportations, à savoir qui visent à
faciliter l’accès aux marchés extérieurs, à développer de nouvelles exportations et de nouveaux marchés, à
promouvoir l’exportation de biens à plus grande valeur ajoutée et à relever les défis et saisir les
opportunités qu’offre la présence de la Chine. Le deuxième groupe correspond aux politiques macroéconomiques et à la consolidation du processus d’épargne et d’investissement. Un troisième et dernier
groupe est celui des politiques destinées à renforcer la structure de production, notamment en termes de
promotion de l’innovation technologique, de développement de l’infrastructure et de la mise en valeur
durable du capital naturel.
1. Politiques de promotion des exportations
La dynamique des exportations de ces 15 dernières années, ainsi que certains secteurs et technologies sur
lesquelles se sont concentrés les investissements étrangers directs, ont contribué, avec les autres
déterminants macro-économiques, à configurer trois profils d’exportation bien différenciés dans la région.
Le premier profil, observé au Mexique et dans certains pays d’Amérique centrale et des Caraïbes,
se caractérise par l’insertion en réseaux verticaux des échanges de biens secondaires qui font partie de
systèmes internationaux de production intégrée et destinés, en grande majorité, au marché des Etats-Unis.
Le deuxième profil, qui s’applique surtout à certains pays sud-américains, consiste à exporter des biens
homogènes produits sur la base de l’exploitation des ressources naturelles; les pays qui répondent à ce
modèle se caractérisent également par une plus grande pondération du commerce intrarégional et un plus
20
grand nombre de marchés cibles. Le troisième profil correspond à l’exportation de services,
essentiellement touristiques, mais aussi financiers et de transport, typiques de certains pays des Caraïbes
et du Panama.
La performance des pays au cours de la période de 1991-2004 rend compte d’un rapport étroit
entre les taux de croissance des exportations et du PIB; en effet, les pays qui ont connu la plus forte
croissance sont également ceux qui ont obtenu les meilleurs résultats dans le développement de leurs
exportations, aussi bien dans les pays dont les modes de spécialisation sont fondés sur les ressources
naturelles que dans ceux qui sont dotés de structures plus diversifiées.
Cette vocation exportatrice des pays de la région et les pratiques protectionnistes des pays
développés ont fait ressortir l’importance de l’accès au marché. En effet, les gouvernements d’Amérique
latine et des Caraïbes ont souscrit un grand nombre d’accords préférentiels, de type bilatéral et plurilatéral
au sein et hors de la région. Cette stratégie répond fondamentalement à l’idée selon laquelle la
libéralisation unilatérale n’est pas suffisante pour garantir l’ouverture des marchés où les produits sont
écoulés. Dans le contexte d’une économie qui s’engage simultanément dans un processus de
mondialisation et de régionalisation, les pays explorent différentes stratégies d’insertion pour créer des
débouchés plus vastes et plus sûrs pour la vente de leurs produits sur les marchés importateurs.
En 1991, il n’existait pratiquement que des accords préférentiels multilatéraux associés aux
quatre unions douanières imparfaites alors en vigueur dans la région, qui représentaient environ 6% des
exportations. Le reste des exportations des pays de la région était écoulé en marge des accords
préférentiels. Cette situation a progressivement changé au cours des années 1990 et les calculs indiquent
qu’en 2004, 61,2% des exportations régionales correspondaient à des accords préférentiels de différents
types: bilatéraux, intrarégionaux (1,2%) et extrarégionaux (3,1%), ainsi que bilatéraux intrarégionaux
(10,2%) et extrarégionaux (46,7%). Les cas les plus illustratifs sont celui du Mexique, dont plus de 95%
des exportations s’inscrit dans le cadre d’accords multilatéraux extrarégionaux; celui des pays
d’Amérique centrale où, après l’approbation du traité de libre-échange entre l’Amérique centrale et les
Etats-Unis, presque trois quarts des exportations seront effectués dans le cadre d’accords plurilatéraux
intrarégionaux et extrarégionaux, et celui du Chili, dont plus de 70% des exportations se fait sous le
couvert d’accords préférentiels.
Pour garantir un meilleur accès aux marchés, les pays de la région doivent mener une
politique active de promotion des exportations afin de lutter contre le biais anti-exportations qui
subsiste dans la structure tarifaire, tirer parti des externalités positives de l’activité exportatrice,
compenser les déficiences des marchés de capitaux sur le plan du financement des exportations et
savoir exploiter les économies d’échelle ainsi que les possibilités d’apprentissage associées à cette
activité. En l’absence de politiques actives dans ce domaine, les exportations auront tendance à se
concentrer dans quelques grandes entreprises ainsi que dans certains produits dont la demande est
moins dynamique et qui présentent une plus grande vulnérabilité sur les marchés mondiaux.
Il n’existe aujourd’hui aucun paradigme qui puisse être appliqué à l’échelle universelle et
suivi par les différents pays pour acquérir une compétitivité internationale et consolider leur présence
sur les marchés extérieurs; il est toutefois possible de tracer des principes directeurs quant à la
manière d’élaborer une stratégie efficace d’intégration à l’économie internationale.
Il est important, en premier lieu, de donner des signaux clairs sur les besoins
d’investissement et d’innovation requis pour pouvoir développer et améliorer la capacité
exportatrice, ainsi que sur la nécessité de restructurer et de rationaliser les secteurs producteurs de
21
biens qui rivalisent avec les importations. Pour ce faire, il est essentiel que le taux de change reste
compétitif et stable, c’est à dire qu’il reflète le panier de monnaies du commerce extérieur du pays et
suive l’évolution de ses déterminants à long terme, tout en gardant une indépendance relative vis-àvis des conditions économiques conjoncturelles et de la façon la plus isolée possible des mouvements
de capitaux à court terme. L’instabilité du taux de change s’avère généralement néfaste pour
l’investissement, en particulier dans le cas des produits d’exportation nouveaux; en effet, il est
souvent onéreux de lancer des produits sur les marchés internationaux et la réussite dépend souvent
de leur rentabilité potentielle.
En deuxième lieu, il est essentiel de mettre au point des systèmes qui encouragent
l’exploration et la pénétration de nouveaux marchés. Les exportateurs qui agissent en pionniers se
comportent comme une véritable «industrie naissante» qui donne lieu à des externalités positives en
matière d’apport en information et de création de réputation pour leurs homologues nationaux. Ces
entreprises assument les coûts et les risques impliqués par la conquête d’un nouveau marché et, dès
qu’ils y parviennent, le fruit de leurs efforts rejaillit sur d’autres entreprises. 8
En troisième lieu, l’accès au financement et aux assurances à l’exportation est également un
élément essentiel, particulièrement pour les petites et moyennes entreprises qui restent en marge des
marchés internationaux des capitaux. Dans le même ordre d’idées et compte tenu des défaillances
caractéristiques des systèmes financiers de la région, il pourrait s’avérer souhaitable de favoriser la
création d’une banque d’investissement ou d’autres entités privées spécialisées dans l’acheminement d’un
capital-risque vers des entreprises ou des activités qui veulent diversifier leur base exportatrice.
Le secteur public doit s’efforcer de prêter un soutien institutionnel à l’activité exportatrice
non seulement dans certains domaines tels que l’information, le financement et les assurances à
l’exportation, la formation en matière de gestion et la promotion de l’offre de biens exportables, mais
aussi en réalisant à l’extérieur des investissements qui soutiennent l’effort exportateur et facilitent la
participation aux filières de commercialisation ou en menant certaines opérations conjointement avec
des entreprises des marchés de destination, entre autres initiatives. À cet égard, ce type de stratégie
se verrait facilité par l’existence d’une seule institution, dotée d’un financement stable et d’effectifs
qualifiés, qui serait chargée de centraliser les mesures de soutien aux exportations ou, le cas échéant,
de coordonner diverses initiatives dans les différents domaines pertinents. Il en va de même pour la
collaboration étroite et systématique qui doit exister entre les secteurs public et privé.
D’une manière générale, cet appui doit être ciblé afin d’attirer des entreprises qui soient
réellement disposées à assumer partiellement le coût du programme, et d’une durée limitée, ce qui
implique d’éviter les subventions permanentes. Les programmes doivent être conçus et gérés de
façon conjointe par les entités des secteurs public et privé et leurs résultats doivent être soumis
périodiquement à des évaluations externes de façon à pouvoir les modifier ou éventuellement en
suspendre l’application s’ils ne contribuent pas à l’augmentation et à la diversification des
exportations. Finalement, les politiques de promotion des exportations doivent nécessairement être
conçues comme des stratégies à moyen et à long terme de façon à garantir la continuité des politiques
8
Le système de ristournes appliqué au Chili pourrait constituer un instrument adéquat, bien que sa mise en oeuvre
soit sujette aux restrictions imposées par l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Un autre mécanisme
permettant d’appuyer ces activités pourrait consister à faciliter l’accès au crédit à des taux internationaux, ce qui
ne constitue pas une subvention aux yeux des normes internationales et qui représente une incitation intéressante
pour les entreprises de la région, étant donné les imperfections qui caractérisent leurs marchés des capitaux.
22
impliquées, indépendamment des changements opérés au sein des équipes gouvernementales qui les
mettent en œuvre.
L’augmentation des exportations est, certes, importante car elle a une incidence sur les
niveaux d’activité et d’emploi et permet, dans la pratique, de consolider la compétitivité des biens
exportés et d’apporter des devises aux économies qui présentent une vulnérabilité extérieure
structurelle. Toutefois; elle ne garantit pas à elle seule l’enclenchement d’un processus soutenu de
développement économique. Pour que celui-ci se produise, il est indispensable que l’augmentation
des exportations soit le résultat d’un flux durable d’innovations qui ruissellent à travers le reste du
système par le biais des complémentarités, en créant des liens avec d’autres secteurs économiques et
en mobilisant des ressources sous-utilisées jusque là.
Graphique 9
EXPORTATIONS SELON L’INTENSITÉ EN TECHNOLOGIE
Amérique latine et les Caraïbes
60
Mexique et Amérique centrale
60
1985-1987
1999-2002
40
40
1985-1987
Forte intensité
technologique
Intensité
technologique
moyenne
Faible
intensité
technologique
Produits
primaires
Forte intensité
technologique
Intensité
technologique
moyenne
0
Faible
intensité
technologique
0
Manufactures
à base de
ressources
naturelles
20
Produits
primaires
20
Manufactures
à base de
ressources
naturelles
1999-2002
Amérique du Sud
60
CARICOM
60
40
1985-1987
40
1985-1987
1999-2002
1999-2002
20
20
Source: Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes (CEPALC), sur la base de chiffres officiels.
Forte intensité
technologique
Intensité
technologique
moyenne
Faible
intensité
technologique
Manufactures
à base de
ressources
naturelles
0
Produits
primaires
Forte intensité
technologique
Intensité
technologique
moyenne
Faible
intensité
technologique
Manufactures
à base de
ressources
naturelles
Produits
primaires
0
23
A cet égard, les activités florissantes du secteur manufacturier de l’assemblage (pénétration des
marchés, mobilisation de ressources productives et, en particulier, création d’emplois) devraient évoluer
vers une deuxième phase caractérisée par une plus forte incorporation de valeur ajoutée, des innovations
et une articulation avec le reste du tissu productif local. Par exemple, le Mexique, un des pays qui a connu
la plus forte augmentation de ses exportations au cours de la période 1991-2004, a quintuplé son
coefficient d’ouverture commerciale. Cet accroissement a, en outre, été assorti de changements profonds
dans la composition des exportations. En effet, la part prise par les produits primaires et les produits
manufacturés à base de ressources naturelles au total des exportations a fortement diminué au Mexique et
en Amérique centrale, alors que celle des produits à forte et moyenne teneur technologique a augmenté.
La performance de ces pays en matière de croissance du produit n’est toutefois pas différente de celle du
reste de la région.
Finalement, l’émergence de la Chine en tant que nouvelle puissance de niveau intermédiaire
mérite une certaine analyse, en particulier, compte tenu de son influence sur la stratégie d’insertion
extérieure de la région. S’il est vrai que la Chine a amorcé son processus actuel de croissance économique
sur la base des activités d’assemblage, elle a évolué vers la production de biens à plus forte teneur
d’ingénierie et valeur ajoutée; ceci répond essentiellement à trois facteurs: en premier lieu, la taille
considérable de son marché intérieur; en deuxième lieu, les dépenses en recherche et développement de
l’économie chinoise (durant la période 1998-2001, la Chine a investi dans ce domaine un volume, mesuré
en dollars en parité de pouvoir d’achat, supérieur à celui de l’ensemble de l’Amérique latine et des
Caraïbes); et en troisième lieu, la mise en place, par le gouvernement chinois, d’un ensemble de politiques
visant à favoriser la création de liens et à réduire l’hétérogénéité structurelle de l’économie.
La présence de la Chine pose des enjeux et des opportunités très concrets pour les pays
d’Amérique latine et des Caraïbes. Une analyse de l’évolution des importations de textiles et
d’habillement aux Etats-Unis durant la deuxième moitié des années 1990 indique que, alors que la
participation des produits en provenance de l’Amérique centrale et des Caraïbes commençait à stagner et
ensuite à décroître, les biens d’origine chinoise ont affiché une tendance à la hausse qui ne semble pas
encore avoir atteint son apogée, compte tenu de la souscription de l’accord sur les textiles et le vêtement
(ATV). Par ailleurs, une comparaison entre l’ensemble des importations des Etats-Unis en provenance du
Mexique et celles provenant de la Chine durant une période similaire fait apparaître que, depuis le début
de ce siècle, les ventes du Mexique végètent, alors que la valeur des exportations chinoises, tous
domaines confondus, a amorcé une courbe ascendante pour dépasser, en 2002, le montant des ventes du
Mexique.
Pour rivaliser avec les très faibles coûts salariaux de la Chine, les pays touchés par cette
concurrence doivent mettre au point des stratégies d’accès au marché des Etats-Unis qui mettent l’accent
sur l’utilisation des avantages compétitifs de la région, en particulier, la proximité géographique. Un autre
facteur qui pourrait compenser, du moins partiellement, les tendances adverses mentionnées pourrait être
la fabrication, par les entreprises mexicaines ou d’Amérique centrale, de produits plus sophistiqués et plus
complexes destinés à des créneaux de marché situés aux Etats-Unis.
24
Graphique 10
LE DÉFI DE LA CHINE: PARTS DU MARCHÉ DES ÉTATS-UNIS
Etats-Unis: Part des importations de
textiles et d’accessoires
15
20
12
18
Amérique centrale et les Caraïbes
%
%
Etats-Unis: Part des importations
totales
9
6
Chine
16
14
Mexique
Chine
2004
2003
2002
2001
2000
1999
1998
1996
2004
2003
2002
2001
2000
1999
1998
1997
1996
1997
12
3
Source: Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes (CEPALC), sur la base de chiffres officiels.
Par ailleurs, le marché chinois est devenu une option intéressante pour d’autres pays de la région.
Grâce à l’exportation de produits primaires et énergétiques, voire parfois de produits à plus forte teneur
technologique comme dans le cas du Costa Rica, certains pays comme l’Argentine, le Brésil et le Chili
ont été, dans la région, les principaux bénéficiaires du processus de développement et du taux élevé de
croissance de l’économie chinoise. Pour autant, l’augmentation considérable des importations de la Chine
semble avoir stimulé un processus d’investissement dans certains secteurs de ces pays qui tirent parti de
l’expansion des courants commerciaux avec cet énorme marché.
Graphique 11
EXPORTATIONS DE L’AMÉRIQUE DU SUD VERS LA CHINE
7000
56
6000
48
5000
37.6
36.1
4000
40
29.2
32
3000
24
2000
16
1000
8
0
Taux de croissance
Exportations en millions de dollars
49.6
0
Argentine
2000
Brésil
2004
Chili
Pérou
Taux de croissance annualisé2000-2004
Source: Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes (CEPALC), sur la base de chiffres officiels.
25
2. La gestion macro -économique
L’un des principaux enseignements de l’évolution récente en matière macro-économique est que
l’instabilité réelle entraîne des coûts économiques et sociaux considérables et porte préjudice à
l’investissement et au développement du secteur productif. C’est pourquoi il est indispensable d’élaborer
des politiques qui ne se contentent pas de maîtriser la progression de l’inflation mais qui permettent
également d’atténuer les cycles économiques à l’aide d’instruments anticycliques. Ces politiques doivent
être fondées sur une définit ion plus vaste de l’équilibre macro-économique qui tienne compte aussi bien
d’objectifs nominaux de stabilisation des prix que d’objectifs réels, tels que le taux de croissance
économique et sa stabilité.
Une bonne gestion macro-économique qui favorise le développement du secteur productif repose
sur trois éléments: des systèmes budgétaires solides, des taux d’intérêt réels modérés et des taux de
change compétitifs. Le dosage de ces trois éléments permet d’éviter des déséquilibres entre les secteurs
marchands et non marchands et de minimiser les aléas qui influent sur les décisions d’investissement.
Une politique anticyclique consiste à mener une gestion prudente dans les périodes d’essor afin
de disposer de ressources dans les étapes de récession et mitiger ainsi les contraintes financières ainsi que
les nécessités d’ajustement. Pour mettre en œuvre des politiques macro budgétaires visant à la
réalisation des objectifs anticycliques, il est indispensable de formuler une programmation budgétaire qui
s’inscrive dans un cadre pluriannuel défini en fonction de critères qui conduisent aux équilibres ou à des
excédents ou déficits structurels modérés.
Certes, la promulgation de lois en matière de responsabilité budgétaire et l’adoption de normes
budgétaires dans certains pays de la région se sont traduites par d’importants progrès en termes de
cohérence dynamique de la politique budgétaire, mais ces réformes n’en continuent pas moins de
privilégier les objectifs à court terme. En effet, elles définissent des objectifs quantitatifs déterminant des
trajectoires courantes ou effectives des variables (tels que les objectifs de solde primaire par rapport au
PIB effectif) qui limitent la capacité de réaction des autorités en présence de déséquilibres réels, tels que
des écarts significatifs entre le PIB effectif et le PIB potentiel. C’est pourquoi il semble plus pertinent de
fixer les critères d’évolution des dépenses publiques à partir de variables structurelles telles que le PIB
potentiel, éliminant de la sorte les effets indésirables des fluctuations cycliques dans la programmation et
l’exécution des dépenses budgétaires et introduisant un important composant anticyclique.
Les fonds de stabilisation des recettes publiques, aussi bien fiscaux qu’associés aux prix des
exportations de matières premières contribuent à la formation d’excédents budgétaires durant les périodes
d’essor et permettent de disposer de la marge de manœuvre nécessaire pour atténuer les restrictions
budgétaires dans la phase descendante; ils ont donc une énorme incidence dans le cadre d’un mécanisme
de politique anticyclique. Les fonds associés aux matières premières, dont il existe plusieurs exemples
positifs dans la région, peuvent notamment constituer une solution éventuelle aux liens structurels qui
existent entre le cycle des termes de l’échange et le cycle budgétaire.
Par ailleurs, l’objectif, complexe s’il en est, des politiques monétaires et de change consiste à
maintenir le taux d’inflation sous contrôle, de façon à minimiser les écarts de taux de change vis -à-vis de
sa trajectoire d’«équilibre», qui constitue la véritable charnière des stratégies de développement basé sur
l’essor des exportations. Une politique de change qui se veut au service de ce type de développement doit
nécessairement être volontariste et obéir essentiellement à l’évolution des productivités relatives ainsi
que, dans une moindre mesure, aux fluctuations cycliques des courants de capitaux.
26
Cette tâche est d’autant plus complexe que la taille d’une économie est réduite et que son système
financier est peu développé, en particulier dans un environnement caractérisé par une forte volatilité des
flux de capitaux. Il existe, en revanche, certains principes dont il convient de tenir compte. En premier
lieu, les régimes de change très rigides réduisent la capacité d’ajustement du taux de change réel en
présence de chocs négatifs. En deuxième lieu, les mécanismes absolument flexibles de taux de change
privent les banques centrales de toute capacité d’intervention pour répondre à des fluctuations des taux de
change qui peuvent s’avérer néfastes. En troisième lieu, il est utile de disposer d’instruments permettant,
si besoin est, de contrôler les mouvements de capitaux à court terme. Il faut également qu’existent à la
fois une «politique de passifs» explicite visant à améliorer le profil temporaire de la dette publique et
privée, tant sur le plan intérieur et extérieur, ainsi que des politiques anticycliques permettant de gérer les
besoins de liquidités, et des réglementations de prudence.
Un autre objectif de la politique économique et, en particulier, de la politique monétaire est de
réduire le degré de dollarisation de façon à en atténuer la vulnérabilité face aux chocs extérieurs. Pour ce
faire, il est indispensable d’éviter d’encourager le recours à la dollarisation pour résoudre le manque de
bancarisation des marchés financiers mais il faut aussi tenter de décourager le processus de dollarisation,
entre autres moyennant des encaissements ou des exigences de prévisions différenciées.
La théorie économique, tout comme l’analyse des expériences internationales, en particulier dans
le cas des économies asiatiques, apportent constamment des lumières sur le rapport qui lie, d’une part, la
stabilité et le développement et, d’autre part, l’épargne et l’investissement. Même si le sens de la
causalité n’est pas encore tout à fait précisé et si les rapports entre les variables restent complexes,
nombreuses sont les situations, tant sur le plan théorique qu’empirique, où la croissance et l’épargne se
stimulent mutuellement, ce dernier élément étant étroitement lié à l’investissement.
Un souci majeur de la politique publique est de garantir un niveau adéquat d’épargne intérieure,
afin de pouvoir financer l’accumulation de capital sans engendrer de tensions inflationnistes ou de
déséquilibres extérieurs. Ceci est particulièrement vrai dans les économies en développement où la
fragilité des marchés de capitaux et les restrictions de liquidités imposées aux agents économiques
obligent à accroître l’épargne intérieure pour stimuler l’investissement et parvenir à une croissance
soutenue du PIB.
Accroître l’épargne nationale n’est toutefois pas une tâche facile; les déterminants de cette
épargne ainsi que les recommandations politiques pertinentes sont loin d’être consensués. D’un côté,
l’épargne publique est un élément central de l’épargne nationale et doit constituer le fondement de toute
politique macro-économique anticyclique. Par ailleurs, l’augmentation de l’épargne publique est une
manière directe et effective d’accroître l’épargne nationale car, comme le prouve l’expérience empirique,
l’augmentation de l’épargne publique ne déplace pas l’épargne privée de façon proportionnelle.
En ce qui concerne l’épargne privée, l’expérience des pays asiatiques démontre que le
réinvestissement des bénéfices de la part des entreprises est essentiel pour expliquer les taux élevés
d’épargne de ces pays. 9 Le financement des entreprises provient de sources intérieures (bénéfices et fonds
de dépréciation) et extérieures (dette, actions et titres). L’option qui sera faite en faveur de l’une ou l’autre
forme de financement va dépendre de la structure fiscale. Si la fiscalité sur les bénéfices réinvestis est
faible, ceux-ci deviendront une source importante d’épargne. À court terme, le réinvestissement des
bénéfices représente un afflux moins important de dividendes pour les propriétaires. Cette différence est
9
Yilmaz Akyüz et Charles Gore, “The investment-profits nexus in East Asian industrialization”, World
Development, vol. 24, Nº 3, Elsevier, mars, 1996.
27
toutefois compensée par l’augmentation de la valeur commerciale des entreprises résultant de
l’accroissement du volume de bénéfices réinvestis.
La fiscalité fondée sur le retrait des dividendes doit être homogène pour tous les différents
secteurs productifs, sans quoi la superposition des mécanismes fiscaux fait courir le risque de perdre une
partie importante du recouvrement dans la mesure où il est possible de transférer les bénéfices et la
liquidité par le biais des prix de transfert. De même, le système fondé sur le retrait des dividendes passe
par l’existence d’institutions fiscales solides dotées d’une grande capacité de contrôle; cette stratégie peut
donc s’avérer moins pertinente pour les pays qui présentent un niveau élevé d’érosion fiscale. 10
Les mécanismes d’épargne obligatoire ont fait preuve d’une certaine efficacité pour encourager
l’épargne des familles. Le mécanisme le plus évident est l’épargne prévisionnelle destinée à financer les
pensions de vieillesse, de réversion et d’invalidité. Pour que les systèmes de prévoyance contribuent de
façon positive à l’épargne nationale, ils doivent être financés, faute de quoi ils peuvent engendrer l’effet
contraire. Un système déficitaire implique le transfert de ressources pour couvrir le versement des
pensions, ce qui compromet la capacité de financer l’investissement. Sans préjudice des composantes
solidaires dont tout régime de pension doit être doté, il faut éviter les éventuels déficits en matière de
prévoyance, auquel cas une augmentation de l’épargne privée se traduit par une diminution de l’épargne
publique.
En termes d’épargne nationale, il n’existe pas de différence majeure entre un régime de
répartition et un système de capitalisation individuelle, pour autant qu’ils soient, dans les deux cas,
financièrement équilibrés. Du point de vue de l’épargne, les facteurs les plus déterminants sont les taux de
cotisation, la couverture du régime, l’âge de la retraite, les coûts d’administration, les assurances
publiques associées aux pensions et, dans le cas des régimes de répartition, les taux de remplacement.
Outre l’épargne prévisionnelle, une autre modalité d’incitation à l’épargne personnelle et
familiale est l’offre d’épargne à des fins spécifiques et identifiables. L’épargne logement et l’épargne
études, en particulier pour l’enseignement supérieur, peuvent faire l’objet de subventions ciblées. Ces
subventions peuvent être allouées sur la base d’un système de points récompensant l’épargne préalable et
doivent être associées aux revenus et aux niveaux de vie des familles. Les subventions sont octroyées au
moment d’acquérir le logement ou d’accéder à l’enseignement supérieur. Certes, ce type de mesures
incitatives n’est pas sans failles, mais celles-ci sont moins graves que celles des mesures générales
d’incitation à la propriété d’actifs. 11
Une autre manière de stimuler l’épargne familiale est l’utilisation des régimes d’assurances et de
réassurances. Ce type de mécanismes, tels que l’assurance-vie et l’assurance santé, constitue une des
modalités d’épargne qui permet de se protéger contre les imprévus et les incertitudes. Il en va de même
pour l’assurance invalidité associée aux pensions de retraite et aux assurances autofinancées de chômage
10
11
José Antonio Ocampo et Juan Martin (eds.), “Une décennie d'ombres et de lumières. L'Amérique latine et les
Caraïbes dans les années 90”, Libros de la CEPAL, Nº 76 (LC/G.2205-P/F), Santiago du Chili, Commission
économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes (CEPALC), août 2003. Publication des Nations Unies, Nº de
vente: F.03.II.G.
Günter Held, “Políticas de viviendas de interés social orientadas al mercado: experiencias recientes con subsidios
a la demanda en Chile, Costa Rica y Colombia”, serie Financiamiento del desarrollo, N° 96 (LC/L.1382-P/E),
Santiago du Chili, Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes (CEPALC), juin 2000.
Publication des Nations Unies, Nº de vente: S.00.II.G.55.
28
total ou partiel. L’adoption de ce type d’assurance peut être encouragée par des incitations fiscales
favorisant leur acquisition en groupe ou individuellement.
La canalisation des ressources résultant de l’épargne vers le financement de la formation de
capital va dépendre de la dynamique et du développement des systèmes financiers. Pour accroître
l’investissement privé, il est indispensable de mettre en place de nouveaux instruments et des marchés qui
assurent l’intermédiation du financement de l’innovation technologique, améliorent l’accès des petites et
moyennes entreprises aux ressources financières et encouragent le financement à long terme.
Le développement de la formation de capital, l’innovation et le progrès technologique vont
également dépendre de l’existence d’un environnement propice à l’adoption de décisions à long terme. À
cet égard, il est essentiel de pouvoir compter sur un contexte macro-économique stable qui atténue
l’incertitude typiquement associée à l’investissement et sur une structure des prix relatifs qui soit le moins
sensible possible aux distorsions. Par ailleurs, toute stratégie de développement de l’investissement privé
doit tenir compte de ses complémentarités avec la formation de capital humain, ainsi qu’avec la dotation
en infrastructure.
3. Le renforcement de la structure de production
Sachant que le marché n’offre pas toutes les réponses, en particulier lorsqu’il existe des problèmes
d’information et de coordination entre les agents économiques, il est impérieux d’appliquer des politiques
qui renforcent la structure de production des pays de la région. Ceci est d’autant plus nécessaire que le
processus de transition aggrave l’hétérogénéité structurelle des économies, comme cela fut le cas dans le
contexte de l’ouverture mise en oeuvre depuis la décennie 1990.
Comme signalé plus haut, la structure de production des pays de la région se compose de trois
grands groupes d’unités productives: les grandes entreprises, les petites et moyennes entreprises du
secteur formel et les micro-entreprises du secteur informel. Ces trois catégories fonctionnent à des
vitesses nettement différenciées. Ce fonctionnement à trois vitesses des différentes unités productives se
traduit par l’absence d’une véritable égalité de chances, ce qui oblige à adopter des politiques publiques
volontaristes qui assurent un «nivellement du terrain de jeu», moyennant des mesures qui permettent
d’éliminer ou de réduire les obstacles auxquels sont confrontés, de manière variable, les différents types
d’entreprises.
Pour répondre à la diversité des besoins et des demandes résultant de cette hétérogénéité
productive, il faut mettre en place une structure de soutien et d’incitations différenciée et axée sur trois
grandes stratégies: d’inclusion, de modernisation et de densification. La première aura pour but de faciliter
le passage au secteur formel de l’économie du plus grand nombre possible de micro et petites entreprises du
secteur informel. Les mesures à prendre dans le cadre de cette stratégie sont à la fois amples et sélectives en
termes de destinataires; elles seront fondées sur une définition des unités productives ciblées en fonction des
circonstances de chaque pays.
Les principales mesures porteront sur la simplification des normes et des démarches administratives,
la réduction des charges fiscales et des procédures plus simples de déclaration, un accès plus large au crédit
pour les petits investisseurs et, en particulier, au capital de travail, de même qu’aux programmes de formation
de base en matière de gestion et de technologie. L’incorporation de ces unités productives au secteur formel
leurs permettrait d’avoir accès à d’autres instruments et à certaines politiques publiques qui leur
29
permettraient d’entreprendre de nouvelles activités et de fournir une certaine protection sociale à leurs
travailleurs.
La stratégie de modernisation est essentiellement fondée sur un dosage de politiques horizontales et
sélectives s’adressant à des grappes d’entreprises productives ou des filières de production spécifiques. Les
mesures d’appui à l’articulation de la production sont des politiques horizontales destinées à améliorer l’accès
à l’information, au crédit, à la technologie et aux systèmes de commercialisation. Le soutien aux exportations
peut, quant à lui, prendre la forme de services d’orientation sur les marchés extérieurs et d’appui prêtés par des
entités publiques spécialisées, en association avec les chambres de commerce du secteur privé. Ces politiques
peuvent être accompagnées d’autres mesures de soutien des activités de formation, de l’introduction
d’améliorations sur le plan productif et technologique, et de l’acquisition de nouveaux équipements.
Les politiques sélectives ont pour but de promouvoir le développement et l’articulation entre
petites et moyennes entreprises (associativité), de favoriser l’établissement de liens entre ces dernières et
les plus grandes entreprises et de renforcer les structures productives locales ou des chaînes de production
spécifiques. Ces deux types de politiques sont en application dans plusieurs pays mais il serait
souhaitable, avec le concours des éventuels bénéficiaires, d’en améliorer la formulation, de mettre en
place des mécanismes de suivi et d’évaluation et, en particulier, d’en élargir la couverture.
La troisième stratégie, dont la portée est illustrée par le concept de «densification» cherche à
intégrer de nouveaux savoirs au sein du tissu productif national et à former une trame plus articulée des
relations productives, technologiques, des entreprises et du travail.
En principe, les politiques générales et le bon fonctionnement des institutions propres à une
économie de marché devraient suffire pour que les grandes entreprises, plus étroitement liées au marché
international, fonctionnent dans des conditions raisonnables. Il conviendrait toutefois de perfectionner ce
cadre par des mesures concrètes visant à provoquer des changements d’intérêt public. Il s’agit, en
l’occurrence, d’actions stratégiques et, partant, très sélectives qui exigent une grande capacité de
négociation et de persuasion de la part des autorités publiques afin de mobiliser les efforts privés.
D’une manière générale, cette stratégie peut être mise en œuvre de différentes façons, notamment
en formulant des programmes susceptibles de renforcer les liens au niveau de la base exportatrice, en
encourageant la coopération entre les secteurs public et privé dans certains domaines spécifiques du
système d’innovation, en attirant des investissements étrangers de meilleure qualité en matière de liens
productifs et de capacités technologiques, ou en soutenant l’expansion et l’internationalisation des
entreprises nationales et en renforçant l’infrastructure des services afin d’éliminer les goulots
d’étranglement du développement du secteur productif.
Dans la majorité des cas, une nouvelle approche devra être adoptée sur le plan de la mise en
œuvre des politiques, lesquelles devront surtout tendre à «promouvoir l’articulation» plutôt qu’à «faciliter
l’accès». En matière de politiques productives, la perspective traditionnelle mettait presque exclusivement
l’accent sur l’offre d’instruments et cherchait, pour compenser les défaillances du marché, à faciliter et à
promouvoir l’accès à certains facteurs tels que le crédit, l’information, la diffusion et l’innovation
technologique ou la formation. Cette stratégie se limitait, en règle générale, à des efforts isolés qui
n’avaient qu’une faible incidence sur le tissu productif. Pour surmonter ces difficultés, il est impérieux de
mettre l’accent sur l’articulation non seulement entre l’offre et la demande d’instruments de soutien, mais
aussi entre les différents échelons du secteur public qui font partie de l’offre et des entreprises
bénéficiaires qui composent la demande.
30
L’adoption de stratégies de ce type passe par une transparence accrue des politiques publiques qui
en renforcent la légitimité et contribuent notablement à les perfectionner sur la base d’une interaction
féconde avec les destinataires. Pour garantir cette transparence et cette efficacité, il est indispensable de
mettre en œuvre des mécanismes de suivi et d’évaluation qui permettent de tirer les leçons des succès et
des échecs et de changer éventuellement de cap et de redresser la barre pour atteindre les objectifs fixés.
Dans l’ensemble, toutes ces exigences indiquent qu’il faut perfectionner le fonctionnement des
institutions ainsi que la capacité des dirigeants de l’administration publique dans certains domaines
stratégiques. La tâche n’est pas impossible, comme le démontrent les progrès accomplis dans plusieurs
pays dans la formation des équipes techniques chargées des questions monétaires et budgétaires.
Il faut finalement tenir compte du fait que, dans une économie ouverte, les instruments politiques
sont moins nombreux et plus limités que dans des économies semi-fermées. D’une part, les normes
internationales, les traités de libre-échange et plusieurs accords régionaux imposent des restrictions à
l’utilisation de nombreux instruments couramment appliqués dans le passé. D’autre part, les contraintes
budgétaires et financières obligent à les appliquer de façon beaucoup plus sélective. Les incitations seront
donc probablement plus modérées que dans le passé, en particulier par rapport aux mécanismes utilisés
durant la phase d’industrialisation entraînée par l’État, comme les restrictions quantitatives ou tarifaires à
l’importation de certains biens et l’acheminement de ressources budgétaires considérables vers les
entreprises publiques de secteurs considérés stratégiques pour le développement national. C’est pourquoi
il faudra cibler les efforts, les rendre plus efficaces et, surtout, créer des modalités novatrices de
formulation de politiques publiques.
Enfin, il convient de souligner l’importance des politiques destinées à promouvoir l’innovation
technologique. Dans les économies ouvertes au commerce et aux investissements internationaux, le
moyen le plus rapide et le plus simple d’accéder aux modalités de production nécessaires pour réduire
l’écart de productivité vis-à-vis des économies les plus avancées est d’importer des technologies
incorporées aux machines, aux équipements et aux intrants, ainsi que des actifs technologiques
incorporels et non incorporés. Cependant, l’acquisition des connaissances requises pour utiliser au mieux
les technologies disponibles n’est pas un processus automatique; elle implique, au contraire, le
développement de capacités moyennant un processus collectif complexe d’apprentissage.
L’acquisition, l’adaptation et le développement de la technologie se heurtent parfois à l’absence
de marchés ou à de graves déficiences au niveau de leur fonctionnement. D’une part, l’innovation, qu’elle
soit radicale ou réalisée sous la forme plus modeste mais non moins importante d’adaptations au contexte
local, exige l’interaction des différents agents publics et privés. Le système qui rallie tous ces acteurs
autour de l’objectif de la transmission de connaissances et de leur application au sein d’un pays a été
défini comme «système national d’innovation». En définitive, la génération de capacités technologiques
passe non seulement par la promotion des investissements privés adéquats mais aussi par l’adoption de
politiques d’institutionnalisation et de facilitation des rapports entre toutes les parties prenantes aux
recherches scientifiques et le système d’entreprises.
Le premier obstacle pour l’application de politiques d’encouragement de l’innovation
technologique dans la région est l’insuffisance des ressources disponibles. Les dépenses publiques et
privées en recherche et développement dans les pays les plus avancés de la région représentent une masse
de ressources qui pourraient être appliquées, avec une certaine efficacité, au financement de différents
processus d’innovation. Dans les pays les moins favorisés, ces ressources suffiraient à peine pour
31
promouvoir certains programmes sélectionnés et certaines mesures de renforcement des liens au sein du
système national d’innovation.12
Ainsi, l’amalgame résultant de l’insuffisance de capacités technologiques endogènes, de systèmes
nationaux d’innovation embryonnaires et du manque de ressources pour financer des processus
d’innovation se traduit par un cercle vicieux qui entrave l’élaboration de politiques efficaces. Par
conséquent, les politiques nationales doivent se fixer des objectifs réalisables; dans la plupart des cas, les
actions de promotion doivent être ciblées sur les segments les plus porteurs du système d’innovation; il
faut accroître les économies de réseau et engager les ressources publiques dans un nombre réduit de
programmes susceptibles d’être réellement appliqués.
Certains principes d’action stratégique peuvent être ébauchés pour promouvoir des innovations.
En premier lieu, l’articulation de grappes d’entreprises (clusters) axées sur des ressources naturelles, pour
autant qu’il soit possible de développer de nouveaux avantages compétitifs fondés sur l’application du
savoir à la ressource de base.
Un deuxième principe d’action est l’appui aux jeunes entreprises à teneur scientifique ou
technologique (start ups). Il s’agit de petites sociétés, à forte intensité de connaissances, qui présentent
certaines caractéristiques particulières: des résultats très aléatoires, des coûts d’amorçage élevés et des
actifs incorporels non réalisables tant qu’ils ne sont pas protégés par un brevet.
En troisième lieu, l’innovation en matière d’agriculture dépend essentiellement, elle aussi, de
sous-systèmes sectoriels d’innovation. Dans le contexte du modèle linéaire de politique technologique,
certaines entités publiques comme l’Institut national de technologie agricole (INTA) d’Argentine ou
l’Entreprise brésilienne de recherche agricole (EMBRAPA) au Brésil ont clairement commandé le
processus d’innovation et sa diffusion dans le secteur. Plus récemment, les sociétés transnationales de
production de semences se sont ralliées à ce mécanisme et ont commencé à jouer un rôle central dans le
progrès technique en matière agricole observé dans plusieurs pays de la région.
Un quatrième type de principe stratégique d’intervention correspond à un cas particulier relevant
de l’exemple antérieur, à savoir les grappes d’entreprises agro-industrielles capables d’être compétitives à
l’échelon international qui, dans le même temps, répartissent les bénéfices de cette insertion tout au long
de la chaîne de valeur, pour autant qu’il existe un système local d’innovation auxquels participent
activement les petits producteurs et dont peuvent également bénéficier les grandes entreprises de
transformation.
Une cinquième modalité d’intervention susceptible de promouvoir l’innovation est le
développement de l’infrastructure en matière de science et de technologie. Le développement de cette
infrastructure qui, dans l’ancien modèle caractérisé par «l’offre», était au cœur de la stratégie, reste un
élément important, bien que moins prépondérant. L’infrastructure en matière de science et de technologie,
constituée par les centres de recherche, les laboratoires et des chercheurs, doit être renforcée; sa qualité
doit être améliorée; ses objectifs doivent être précisés clairement dans les domaines scientifiques et
12
Les pays de la région ont atteint différents degrés de développement technologique. Seul le Brésil (qui dépasse,
en termes absolus, les dépenses en recherche et développement de l’Espagne ou de l’Australie) dépense des
montants comparables à ceux des pays les plus avancés alors que les différences en termes de revenu par habitant
entre les pays de la région (de cinq à un entre les cinq pays les plus riches et les cinq pays les plus pauvres)
rendent compte de l’inégalité des capacités technologiques nationales.
32
technologiques qui s’avèrent complémentaires ou nécessaires pour les efforts d’innovation privés et les
objectifs de politique des organismes publics.
L’investissement en infrastructure est une modalité d’investissement qui influe sur la
compétitivité systémique des économies. Les pays qui disposent de services et d’infrastructures plus
développés et de haute qualité possèdent des avantages compétitifs par rapport à ceux qui sont privés de
ces services en termes de la quantité et de la qualité nécessaires. Nombreuses sont les preuves empiriques
qui démontrent l’existence d’un rapport étroit entre la croissance économique et le développement de
l’infrastructure. Pour parvenir à la croissance, il faut développer des services de qualité et en nombre
suffisant et ceux-ci, à leur tour, stimulent et facilitent la croissance.
Au cours des 15 dernières années, la dotation en infrastructure de la région s’est développée grâce
à d’importants investissements extérieurs qui ont permis de développer et de moderniser les services de
télécommunications, d’énergie et des transports. Malgré un apport significatif des capitaux privés dans
certains pays et secteurs, un grave déficit persiste, ce qui va requérir une augmentation de
l’investissement privé et public au cours des prochaines années.
Il faut indéniablement continuer de stimuler l’intérêt du secteur privé à investir dans le
développement de l’infrastructure. Il est toutefois apparu que l’investissement privé a ses limites, ce qui
pose la question du rôle de l’investissement public, notamment à la lumière de la forte régression qu’il
affiche dans plusieurs pays de la région. À cet égard, une des principales difficultés pour accroître
l’investissement en infrastructure est, outre la disponibilité de ressources financières, la rigidité de la
gestion budgétaire résultant des restrictions imposées par les accords souscrits avec les institutions
internationales de crédit.
À la lumière de ces restrictions, plusieurs propositions ont été formulées au cours de ces dernières
années pour donner une plus grande flexibilité à la gestion du trésor public et un traitement différent aux
dépenses en capital et aux dépenses courantes. Il s’agit de reconnaître que les investissements et les
dépenses courantes constituent des démarches économiques différentes qui, en tant que telles, doivent être
abordées de manière différente en évitant l’application de limites ou de réductions à l’investissement
public dans le cas de projets dont la rentabilité est supérieure aux coûts de l’investissement.
Les normes conventionnelles de contrôle budgétaire qui imposent des objectifs de déficit sur les
dépenses totales, en revanche, ne tiennent pas compte des actifs résultant de l’investissement public mais
ne considèrent que le coût de leur acquisition. Pour éviter le biais contraire à l’investissement ainsi créé,
le contrôle budgétaire devait se concentrer sur le concept de solvabilité intertemporelle plutôt que sur
celui du déficit; il faut tenir compte du fait que l’investissement public est capable d’engendrer des
rendements financiers qui permettront aux gouvernements d’honorer leurs obligations à long et à moyen
terme. Il convient de préciser toutefois que cette flexibilité accrue n’implique pas de nier l’importance de
la dette publique résultant de ce mécanisme mais exige, au contraire, un traitement différent de cette
dernière. À cet égard, il semble prudent de commencer à flexibiliser les normes qui régissent certains
types seulement d’investissements dont le financement est assuré. Selon la CEPALC, le critère de
flexibilité devrait être appliqué dans au moins trois cas.
Le premier est celui des entreprises du secteur public dont les investissements présentent une
rentabilité économique et financière satisfaisante, pour autant que ces entreprises mènent une activité
commerciale indépendante, soient financièrement solvables, ne dépendent pas du soutien financier du
gouvernement et ne fassent pas un usage excessif des garanties publiques qui leur sont accordées.
33
Une deuxième manière d’introduire une flexibilité budgétaire accrue est de renforcer certains
mécanismes favorisant différentes modalités de partenariats public/privé. Parmi ces mécanismes de
collaboration éventuelle, le partenariat public/privé (public-private partnership, PPP) est devenu une
option sérieuse. Ces partenariats permettent aux gouvernements de créer de nouvelles infrastructures sans
inscrire, dans l’immédiat, de nouvelles dépenses en capital au budget; les investissements sont dès lors
financés par le secteur privé et remboursés par l’État par le biais de tarifs, de redevances, de locations ou
tout autre forme de dépenses courantes, une fois que le service entre en opération. En l’occurrence,
l’investissement ne sera pas calculé comme tel à la fin des travaux mais au moment d’effectuer
périodiquement les déboursements aux opérateurs du service.
Une troisième manière de favoriser une plus grande flexibilité dans la gestion des investissements
publics est liée au rôle des banques multilatérales de développement. Actuellement, la capacité de ces
banques de débourser les crédits est limitée par les pratiques et les restrictions budgétaires du secteur
public. Dans le cadre des politiques d’encadrement des dépenses publiques, ces postes budgétaires font
généralement l’objet de quotas et de plafonds qui retardent l’exécution des crédits et, partant, le
déroulement des travaux. Les projets financés par les banques multilatérales de développement sont
généralement de grande qualité et garantissent la cohérence micro-économique ainsi que la transparence
des investissements, ce qui devrait permettre d’obtenir une rentabilité sociale positive, indépendamment
de la rentabilité financière. À cet égard, tout comme dans le cas des partenariats public/privé, les dépenses
résultant de ces projets doivent être comptabilisées dans le budget public, non pas à la réception du crédit,
mais au moment où le gouvernement assure l’amortissement et le versement des intérêts des crédits.
Par ailleurs, compte tenu de leur capacité d’élaboration et d’évaluation des projets
d’investissement et leur rôle comme bailleurs de fonds à long terme, il est essentiel de revitaliser
l’assistance technique et financière des banques multilatérales de développement de façon à appuyer le
développement des services d’infrastructure dans la région.
La participation du secteur privé à la propriété, au financement, à la gestion et à la prestation des
services et d’infrastructure observée depuis les années 1990 a exacerbé les exigences de réglementation.
Ceci a exercé une pression sur la capacité institutionnelle du secteur public et mis en évidence de
profondes failles institutionnelles. En raison de ces déficiences, les bénéfices de la participation privée ont
été inférieurs à ceux qui avaient été escomptés car les gains de productivité n’ont pas toujours été
transférés aux tarifs, ce qui a engendré une baisse de la compétitivité et une diminution des salaires réels.
C’est pourquoi l’enjeu principal des politiques publiques est aujourd’hui d’améliorer la régulation de
façon à ce que l’investissement privé en infrastructure puisse se transformer en un véritable moteur de la
croissance.
Avant l’entrée du secteur privé, la situation de l’infrastructure était caractérisée par des
monopoles publics, intégrés de façon verticale, qui contrôlaient les marchés respectifs et offraient un
bouquet de services. L’application des règles de coûts et de prix était déficiente en raison de l’existence
d’importants subsides croisés. Toute réforme des services publics passait par l’adaptation du cadre
réglementaire. Dans ce cas comme dans d’autres, les réformes ont devancé les institutions, c’est-à-dire
qu’elles ne se sont pas produites simultanément. Cet état de choses a entraîné d’importants coûts
économiques et sociaux. Les différents dispositifs de régulation n’ont été mis en place que lorsque les
conséquences néfastes sont devenues visibles. À ce stade, la région présentait tout un éventail de
situations et, dans le même temps, constituait un exemple manifeste de la difficulté que représente la
construction d’institutions. La tâche a été menée de façon intégrale: il a fallu morceler le monopole,
organiser la concurrence et mettre en place des cadres réglementaires ainsi que des entités chargées de la
supervision. Par ailleurs, face à l’essor simultané de l’investissement étranger et des fusions et
34
concentrations d’entreprises, il a également fallu établir des normes régissant la concurrence et des
contrôles visant à éviter la concentration monopolistique de certains marchés.
Le constat actuel dans l’ensemble de la région rend compte de progrès notables: l’infrastructure a
été modernisée, les capacités ont été développées et de nouvelles technologies ont été incorporées.
Cependant, beaucoup reste encore à faire. Les cadres réglementaires se sont souvent avérés déficients et
leur révision a introduit un élément d’incertitude qui s’est traduit par un fléchissement de
l’investissement. Il a fallu doter les organismes réglementaires de capacités techniques mais surtout, le
processus a été fortement asymétrique. Alors que les entreprises disposent des ressources humaines et
techniques nécessaires et fonctionnent également dans un environnement mondial, les États de la région
ont dû s’acquitter de leurs tâches dans des conditions nettement plus lacunaires. Ce déséquilibre a gêné le
contrôle et, dans certains cas, s’est traduit par l’assujettissement du régulateur aux intérêts de l’entité
réglementée. Pour l’avenir, il est indispensable de développer les services et consentir de nouveaux
investissements. Les privatisations réalisées dans la décennie 1990 ont conduit au transfert de
l’infrastructure aux mains du secteur privé. L’enjeu des nouvelles institutions est d’améliorer les
conditions de la concurrence ainsi que les organismes de régulation afin de garantir une meilleure sécurité
juridique pour toutes les parties prenantes et concilier des taux de rentabilité raisonnables pour les
entreprises et des rapports prix–qualité adéquats pour les usagers.
Par ailleurs, l’expansion et la durabilité de la capacité productive de l’économie n’exigent pas
seulement de conserver et de développer le capital social construit mais également d’exploiter, de
valoriser et de préserver les ressources naturelles. Effectivement, le problème de la médiocre
performance des pays de la région en matière d’épargne est encore plus grave lorsque sont déduites les
pertes de patrimoine naturel.
Pour favoriser une croissance soutenue, il est indispensable de mettre en place un cadre de
politiques et d’institutions qui protègent la base productive associée aux ressources naturelles. En ce sens,
la politique publique joue un rôle déterminant pour corriger les défaillances du marché résultant de
l’absence de prix et de régimes effectifs de propriété et de l’existence de marchés incomplets pour un
grand nombre de ressources naturelles et de services environnementaux.
La première tâche consiste à mettre en place une plate-forme institutionnelle qui intègre de façon
explicite les objectifs et les instruments de la politique environnementale et l’ensemble des politiques
économiques et sectorielles. Ceci est particulièrement pertinent pour l’innovation technologique destinée
à assurer une gestion plus durable des secteurs forestier, énergétique, minier, halieutique et agricole.
L’agenda public doit également inclure la question de l’utilisation des énergies renouvelables. Le
développement de ce type d’énergie pourrait bénéficier de la création graduelle d’un marché international
en matière de projets visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre.
Un deuxième domaine d’action est la compensation des externalités négatives sur le plan
environnemental d’activités menées dans les secteurs productifs. L’abattement fiscal, l’utilisation de
subventions et l’octroi d’exonérations fiscales susceptibles d’attirer des investissements et des projets
dans certains secteurs de ressources naturelles et certaines activités qui ont un impact écologique
manifeste sur l’environnement ont eu de graves conséquences sur l’environnement et contrarient la mise
au point d’instruments qui permettent de mieux quantifier et d’internaliser les coûts sociaux de la
dégradation de l’environnement. Pour affronter les externalités environnementales des processus de
production, il est possible de mettre au point des instruments budgétaires fondés sur deux principes: celui
du pollueur–payeur, ou celui du consommateur–payeur, à savoir que le coût soit assumé par les
investisseurs ou par les consommateurs.
35
E. VERS UN PACTE DE COHÉSION SOCIALE
L’une des conséquences les plus graves des déficiences des politiques réformistes appliquées ces
dernières années est la déchirure du tissu social. L’aggravation de l’hétérogénéité productive et de
l’inégalité, ainsi que la progression du travail informel et du chômage constituent une menace latente pour
la cohabitation démocratique et pour la communauté de critères et de propos qui doivent accompagner les
processus de changement historique nécessairement liés au développement économique.
Ces tendances s’inscrivent dans le cadre d’une évolution à plus long terme. Les pays de la région
connaissent, depuis déjà plus de deux décennies, une réduction de la fécondité résultant de la volonté
croissante des femmes de participer au marché de l’emploi. Dans ce contexte, et compte tenu de
l’augmentation parallèle de l’espérance de vie, le taux de dépendance a atteint un plancher pour ensuite
s’accroître à la suite de la pondération accrue de la population de retraités âgés de plus de 60 ans. Ce
dernier phénomène va inévitablement exercer une pression sur les mécanismes de financement de la
protection sociale en raison de la plus forte demande de services de santé. Par ailleurs, cette augmentation
du taux de dépendance oblige à se pencher sur la qualité des occupations de la population active puisque
c’est elle qui doit assurer le financement de la protection sociale. C’est pourquoi la CEPALC propose une
série d’initiatives fondées sur l’adoption d’engagements réciproques entre les secteurs sociaux et l’État
afin de jeter les bases d’un avenir plus inclusif du point de vue social dans la région.
1. Flexibilisation du travail dans un contexte de ralentissement de la croissance
Dans le cadre de la concurrence exacerbée résultant de l’ouverture et de la déréglementation des marchés,
les entreprises de la région ont souvent eu recours à la flexibilité du temps de travail pour obtenir des
gains de compétitivité. Certes, la déréglementation du licenciement et de la stabilité de l’emploi a facilité
l’adaptation rapide des entreprises à la nouvelle conjoncture économique mais, en définitive, la pénurie
d’emplois et leur caractère précaire ont, dans un contexte de faible croissance économique, converti la
faiblesse de l’économie en vulnérabilité sociale.
Les réformes ont été conçues à l’instar du modèle anglo -saxon qui met l’accent sur la flexibilité
du travail, même au détriment de l’équité. Par ailleurs, les contraintes budgétaires qui ont sévi dans la
plupart des pays ont conspiré contre l’utilisation d’autres modèles, comme le modèle européen, qui
impliquent une plus forte demande pour les régimes de sécurité sociale. Au cours de la dernière décennie,
le dérèglement des marchés du travail à l’échelon régional n’a pas favorisé une embauche de travailleurs
en nombre suffisant pour compenser la perte d’emplois résultant du ralentissement de la croissance et de
la rationalisation des coûts de production. Le contexte particulier dans lequel ce modèle a été appliqué, à
savoir une croissance apathique, volatile voire négative, l’ouverture économique et les transformations
organisationnelles, ainsi que la localisation mondiale de la production, a entraîné une précarisation de
l’emploi régional. Dans cet environnement de croissance faible et instable, la politique de flexibilisation a
impliqué une recrudescence du chômage et une multiplication de contrats dépourvus de toute protection
sociale.
36
2. Le secteur informel, la flexibilisation de fait et l’aggravation des écarts salariaux
Au cours des dernières décennies, le secteur informel a non seulement gagné du terrain dans la région; il a
aussi fait preuve d’une dynamique anticyclique.13 En effet, les périodes de contraction se caractérisent par
une hausse du taux de chômage et par une expansion du secteur informel qui sert d’expédient au chômage
et au manque de revenus. Étant donné l’accès facile à de nombreuses occupations comprises dans ce
secteur, les revenus qu’elles procurent s’ajustent aisément, d’une manière relativement automatique, à
l’accroissement du nombre de travailleurs informels qui rivalisent pour conquérir les mêmes marchés.
En raison de la concentration de l’innovation technologique dans certains secteurs formels de
pointe, ceux-ci ont accru les exigences de qualification alors que, dans le même temps, la flexibilisation
contribuait à l’augmentation du nombre de travailleurs informels; ces évolutions parallèles ont contribué à
creuser davantage l’écart des revenus entre les travailleurs du secteur formel et ceux du secteur informel.
Par ailleurs, cette nouvelle disposition du marché du travail fait que la relance de l’économie creuse
encore la distance entre les rémunérations des travailleurs formels possédant différents degrés de
qualification, et ce, en raison de la pression exercée par l’offre des travailleurs informels sur les postes de
travail moins qualifiés.
L’apparition d’emplois à contrat à durée limitée ou à temps partiel, sans contrat ou sans
protection sociale ainsi que la baisse des salaires des personnes non qualifiées qui convergent vers les
niveaux de revenus du secteur informel ont encore aggravé les problèmes traditionnels en matière
d’emploi. La population active connaît une instabilité en termes professionnels, ce qui compromet ses
perspectives de développement ainsi que les encouragements à la formation et, partant, les gains de
productivité. De ce fait, l’accroissement de la compétitivité à court terme des entreprises qui adoptent des
technologies à forte intensité de capital et des modalités de recrutement flexibles, réduisant, au passage,
leurs effectifs, a été obtenu au prix d’une réduction de la productivité moyenne de l’économie et des
possibilités de croissance à long terme.
Par ailleurs, les systèmes de protection sociale n’ont pas couvert ces nouveaux risques et ont été
également touchés par la pénurie de ressources publiques et la création de nouveaux mécanismes
institutionnels qui associent les bénéfices sociaux à la stabilité de l’emploi de chaque travailleur.
3. Les quatre piliers d’un pacte de cohésion sociale
La conjoncture actuelle requiert des solutions complexes qui s’attaquent aux racines profondes des
problèmes de l’emploi et de l’adaptation des mécanismes de protection sociale à la nouvelle structure de
risques encourus par les travailleurs. Diverses propositions réclament l’intervention de politiques sociales
et économiques actives, structurées autour d’un pacte de cohésion sociale reposant sur quatre piliers: la
cohérence avec les fondements de la politique macro-économique, la création d’emplois, la protection
sociale et l’éducation et la formation.
La cohérence avec les politiques macro -économiques porte sur deux facteurs fondamentaux: en
premier lieu, des politiques salariales qui prévoient une indexation en fonction des objectifs d’inflation et
13
Le secteur informel est le résultat d’un amalgame complexe entre l’insuffisance dynamique de l’économie, la
sélection de technologies, la précarisation des revenus des ménages, qui conduit à la recherche de stratégies de
survie fondées sur une offre de travail accrue, la décentralisation et flexibilité de la production et le
contournement des normes. La valeur relative des interprétations varie selon les périodes et les pays.
37
le transfert des gains de productivité aux rémunérations. Ce critère à long terme devrait constituer la
pierre angulaire des futures négociations salariales et donner origine à une flexibilité des salaires basée
sur une politique d’intéressement des salaires qui éviterait les ajustements brutaux en périodes de crise et
favoriserait la participation aux bénéfices en périodes d’essor. En deuxième lieu, dans un contexte de
responsabilité budgétaire et de gestion anticyclique des finances publiques axée sur une approche de
solvabilité intertemporelle, il convient de mettre en place une politique d’inclusion sociale fondée sur la
création de garanties publiques pour les familles dont les revenus sont précaires afin d’assurer leur accès
au système solidaire d’éducation et de formation, aux assurances-chômage, aux emplois d’urgence, aux
prestations de santé et aux pensions.
Le deuxième pilier de ce pacte est la création d’emplois productifs. Ceci implique la mise en
place de nouvelles formes de flexibilité du travail, de politiques publiques orientées vers le marché du
travail, ainsi que des politiques spécifiques s’adressant aux travailleurs informels, et ce, sans perdre de
vue que toute politique générale dans ce domaine doit tendre à promouvoir la formalisation de l’économie
et de l’emploi.
La flexibilité du contrat de travail ne doit jamais impliquer le renoncement à une protection
sociale complète. Les mécanismes de flexibilisation doivent inclure: i) l’élimination des contrats à durée
déterminée et leur remplacement par une période d’essai plus longue ou la détermination d’un dosage
«adéquat» entre les contrats à durée indéterminée et des contrats plus flexibles pour certaines périodes;
ii) la possibilité de concerter des journées de travail plus flexibles; iii) la fixation de limites aux
indemnisations ou leurs substitution par des comptes d’épargne individuelle; iv) la facilitation des
licenciements pour cause réelle et sérieuse; v) une flexibilité dans la détermination des rémunérations
(intéressement des salaires, et autres mécanismes susceptibles d’atténuer le contenu procyclique des crises
tout en préservant le niveau de l’emploi).
Les politiques publiques portant sur le marché de l’emploi sont de trois types: les politiques
volontaristes ciblées sur des groupes touchés par des problèmes structurels, tels que le manque
d’information ou d’opportunités en fonction de leurs profil professionnel (ce qui comprend des mesures
telles que les subventions à l’embauche ou la recherche d’emploi); les politiques passives, destinées aux
groupes de chômeurs (assurance chômage); et les politiques assistancielles, s’adressant aux groupes
exclus du marché de l’emploi et qui ont besoin d’un appui direct par l’intermédiaire de transferts.
Finalement, il est indispensable, pour accroître la productivité et les revenus des travailleurs du
secteur informel, de faciliter leur accès aux ressources productives, aux marchés les plus porteurs et à de
nouvelles modalités organisationnelles. Dans ce domaine, les principaux écueils sont, entre autres,
l’absence de garanties patrimoniales pour avoir accès au crédit, le coût élevé de l’endettement informel et
la segmentation du marché du crédit. Les réponses à ces problèmes vont de l’octroi de crédits sans aval
jusqu’à la reconnaissance «au cas par cas» du capital informel. Les modalités institutionnelles offrent
également toute une gamme d’ajustements potentiels qui vont de l’adaptation des banques traditionnelles
à la création de banques spécialisées pour les pauvres, mécanisme qui présente autant d’avantages que
d’inconvénients.
L’accès des travailleurs informels à des marchés plus porteurs permettrait de rompre le cercle
vicieux des «producteurs informels pour des consommateurs pauvres» (moyennant diverses tactiques
telles que la centralisation du pouvoir d’achat et la concentration physique des producteurs afin d’attirer
une demande accrue); finalement certains arrangements organisationnels, tels que la création
d’associations de producteurs et la promotion de liens de sous-traitance peuvent également faciliter la
promotion sociale et l’accroissement de la compétitivité des producteurs de l’économie informelle.
38
Le troisième pilier d’un pacte de cohésion est la protection sociale sans laquelle la proposition de
flexibilisation mentionnée plus haut se traduirait par une précarisation de l’emploi et impliquerait
d’imputer au budget de l’État l’entière responsabilité de la protection des travailleurs actuellement privés
de couverture sociale. Les réformes des régimes de sécurité sociale doivent contribuer à la mobilité du
travail moyennant la création de mécanismes de «portabilité» des droits et des obligations; en d’autres
termes, le système de protection doit être associé aux individus et non pas aux postes de travail, de façon
à ce que le travailleur soit moins dépendant d’une entreprise en termes de protection. Les systèmes de
protection sociale devraient également prévoir des mécanismes solidaires de financement qui garantissent
la couverture, indépendamment de la capacité de contribution des personnes.
Le quatrième et dernier composant est l’amélioration des capacités productives des travailleurs
grâce à l’éducation et la formation professionnelle. Dans des environnements caractérisés par des
niveaux croissants d’innovation et de savoir, l’éducation marque au fer blanc le destin des individus et des
sociétés. Les changements issus de la mondialisation et des modes de production actuellement en vigueur
dans le monde obligent à la formation de ressources humaines qui soient capables de s’intégrer à de
nouveaux régimes d’interaction, de travail, de production et de concurrence. L’éducation est donc une
condition requise pour que les personnes puissent profiter du progrès et aussi pour que les économies
soient en mesure de garantir un développement soutenu grâce à une compétitivité basée sur l’application
plus intensive des connaissances. Ceci implique qu’il faut accroître le nombre de diplômés de
l’enseignement secondaire, adapter le système éducatif aux besoins du marché du travail et réduire les
écarts internationaux et sociaux dans l’utilisation de l’informatique. L’éducation a des effets potentiels
considérables à long terme en matière d’équité mais pour pouvoir les matérialiser, il est indispensable que
s’enclenche une dynamique de créations d’emplois de qualité. À cet égard, l’éducation et l’emploi
constituent la clé de voûte du développement économique accompagné d’équité sociale.
F. LE DÉVELOPPEMENT DE LA GOUVERNANCE MONDIALE
Le caractère transnational des forces économiques qui président au processus de mondialisation se
manifeste par une restructuration des filières de production dont la logique de fonctionnement est
aujourd’hui plus mondiale que régionale ou nationale. Cette restructuration a donné lieu à un dynamisme
notable des courants financiers, de l’investissement direct et du commerce international; ce dynamisme a
également provoqué une forte tension entre ces forces et le caractère national des États et les processus
démocratiques, la tendance ayant souvent été à la désarticulation des structures économiques nationales.
Par ailleurs, les organisations internationales, créées il y a déjà plus d’un demi-siècle, n’ont pas suivi le
rythme des profondes mutations économiques, politiques et sociales qui ont marqué la dernière phase de
mondialisation. Il existe donc, sur le plan international, une demande d’action publique démocratique;
malgré l’influence réduite que peuvent avoir les pays de la région sur la configuration de cet agenda
mondial, il n’est pas impossible de mettre sur pied des mécanismes qui améliorent la qualité de l’insertion
et l’influence de la région à l’échelle internationale, s’agissant de deux éléments qui relèvent également
du domaine national.
Sur la scène mondiale, des actions communes doivent être entreprises pour consolider le système
des Nations Unies moyennant une réforme intégrale qui renforce sa capacité d’action. Il est notamment
nécessaire d’améliorer les mécanismes de suivi et d’évaluation des sommets mondiaux et, en particulier,
de la Déclaration du Millénaire des Nations Unies. À cette fin, des normes contraignantes doivent être
formulées dans les différents pays afin que les engagements contractés à l’échelle internationale soient
effectivement mis en œuvre.
39
Il est également indispensable de progresser dans le système commercial multilatéral, de plus en
plus battu en brèche par la conclusion d’accords régionaux et bilatéraux. En effet, ceux-ci ne sont pas
toujours compatibles avec les accords multilatéraux et conspirent contre la volonté politique de progresser
à l’échelon multilatéral vers l’élimination des restrictions et des subventions qui freinent l’accès des pays
en développement aux marchés du monde développé.
Le cycle actuel de négociations de Doha aborde un éventail très vaste de sujets dont beaucoup
sont directement liés à la qualité de l’insertion internationale des pays en développement et à leurs
possibilités de croissance. Les textes émanés des négociations de Doha ont été cristallisés dans le
Programme de Doha pour le développement qui réaffirme le principe du traitement spécial et différencié
et contient des engagements en matière de coopération et de formation dans les pays en développement,
en particulier dans les moins avancés.
D’une manière générale, les négociations se sont considérablement distancées de leurs objectifs
initiaux et ont, jusqu’ici, peu progressé. Globalement parlant, les asymétries dans le déroulement des
négociations se manifestent sur deux plans différents: d’une part, la lenteur des progrès obtenus dans
certains sujets qui revêtent un intérêt pour les pays en développement comme l’agriculture, la législation
anti-dumping et les subventions, qui contrastent avec l’évolution nettement plus rapide des débats sur
l’investissement, les services ou l’accroissement de la libéralisation dans le domaine des produits
industriels; et d’autre part, la quasi-stagnation observée dans certains domaines définis dans le contexte de
la «dimension du développement».
Sous cet éclairage, il importe que les pays de la région soulèvent à la table des négociations de
l’Organisation mondiale du commerce (OMC) la question d’élargir les marges de manœuvre des pays en
développement qui sont gravement limitées depuis le cycle de l’Uruguay. Il serait notamment utile de
pouvoir jouir d’une plus grande liberté pour stimuler les secteurs embryonnaires d’exportation, rétablir, le
cas échéant, des normes de rendement permettant d’améliorer les rapports au sein des activités
exportatrices, et, du moins dans le cas des pays plus petits, de maintenir certains des bénéfices spéciaux
des zones franches qui, selon les normes en vigueur, devront être démantelées dans les prochaines années.
Du point de vue des pays en développement, certains sujets, autres que le débat sur les
subventions à la production agricole dans les pays développés, revêtent une importance spéciale et sont
actuellement abordés à la table des négociations. Tel est notamment le cas de la réduction des crêtes
tarifaires qui contribuent à la spécialisation productive exagérée, de la suppression de l’échelonnement
tarifaire néfaste à la production de biens industriels à valeur ajoutée, en particulier dans le secteur
agricole, et de la conclusion d’un accord raisonnable à propos des considérations autres que d’ordre
commercial. Cet accord aurait pour effet d’apporter une certaine sécurité juridique dans les échanges
commerciaux internationaux et permettrait aux pays exportateurs de disposer de règles claires quant au
cahier des charges qu’ils devront respecter pour avoir accès aux marchés des pays développés. Dans le
domaine particulier des droits de propriété intellectuelle relatifs au commerce, il faut éviter que ceux-ci
n’entravent le transfert des nouvelles technologies ou impliquent des coûts indus pour les pays en
développement. Ces droits doivent effectivement servir à protéger certains domaines auxquels les pays en
développement accordent un intérêt particulier, tels que le savoir traditionnel et la richesse biologique.
Globalement parlant, les pays de la région et les pays en développement en général doivent
impérieusement insister sur le fait que les accords multilatéraux respectent les progrès accomplis et
reconnaissent à ces pays le droit d’accélérer leur rythme de développement. Cette reconnaissance devrait
se manifester par un traitement spécial et différencié qui impliquerait, d’une part, que les concessions ne
soient pas nécessairement réciproques au niveau de l’accès au marché et, d’autre part, que les politiques
40
des pays en développement vis-à-vis de leurs propres marchés puissent continuer à faire l’objet d’une
certaine flexibilité et de décisions discrétionnaires.
L’absence d’un cadre international assurant la gouvernance de la migration accentue les risques
d’exclusion, de discrimination et d’atteinte aux droits des personnes, en particulier dans le cas de la
migration clandestine. Une situation extrême est la traite des personnes dont l’expression la plus grave est
l’exploitation des mineurs. Du point de vue éthique, il est donc impérieux de protéger les droits et
d’assurer que les instruments internationaux pertinents soient ratifiés ou définitivement mis en œuvre.
Cette démarche doit également s’étendre à l’application des accords conclus dans le domaine de
la pérennité de l’environnement. Le sommet de la Terre (Río de Janeiro, Brésil, 1992) a donné le coup
d’envoi d’une transition vers un nouveau régime international en matière de développement durable,
représenté par une nouvelle génération d’accords et un programme d’action mondial. La Conférence a
également adopté des principes novateurs qui pourraient constituer un socle plus équitable pour la
coopération internationale. Il faut souligner que les principes contenus dans la déclaration de Rio sur
l’environnement et le développement impliquent la reconnaissance explicite du fait qu’il n’est ni possible
ni souhaitable de « niveler le terrain de jeu» en matière d’environnement, ce qui contraste avec les
principes majeurs sur le plan économique du réaménagement international. Tel est le cas du principe 7
concernant les responsabilités communes mais différenciées, qui constituent le fondement politique pour
que les pays développés assument des engagements plus lourds en matière d’environnement que les pays
en développement dans le cadre des accords pertinents.
De nouvelles normes multilatérales adoptées dans la foulée de la Conférence de Rio ont fait
ressortir l’importance des liens qui existent entre l’environnement, la santé et les politiques appliquées
dans les domaines productifs, commerciaux et sociaux, grâce à une meilleure perception de
l’interdépendance entre pays touchés par les problèmes environnementaux d’envergure mondiale. Cet
élan initial de la communauté internationale s’est toutefois considérablement ralenti durant la décennie
1990. Non seulement beaucoup reste encore à faire pour modifier les politiques dans certains domaines
liés à l’environnement, mais les ressources financières nécessaires n’ont pas encore été acheminées pour
mettre en œuvre l’éventail d’accords concertés. De même, les mécanismes de transfert de technologies
prévus dans les accords n’ont pas été améliorés.
Un peu plus de sept ans après son approbation par 180 pays (avec les abstentions notables des
Etats-Unis et de l’Australie), le protocole de Kyoto de l’accord-cadre des Nations Unies sur le
changement climatique est récemment entré en vigueur; il s’agit d’un instrument multilatéral très
important pour favoriser l’emploi de sources d’énergies renouvelables et de technologies propres qui
permettraient de modifier des modèles insoutenables de consommation et de production dans les pays
développés et en développement. Le protocole impose aux pays des objectifs individuels de réduction des
émissions nocives; les pays affichant des réductions supérieures à celles programmées pourront vendre
des « crédits » à ceux qui n’ont pas encore réussi à atteindre leurs objectifs. Pour autant qu’il soit
accompagné de systèmes effectifs d’application, ce type de mécanisme peut constituer le point de départ
d’un véritable marché mondial des services environnementaux.
Sur le plan de la coopération internationale, il importe également de parvenir à des accords dans
le domaine fiscal pour réduire l’évasion et éviter les «conflits fiscaux» qui compromettent la capacité de
recouvrement à l’échelon national. Il convient, finalement, de mentionner les faiblesses dont fait encore
preuve le système multilatéral en matière de mouvements de capitaux. Il faut, dans ce domaine, mettre en
place des mécanismes qui mitigent l’effet de la volatilité des marchés financiers internationaux, qui
préservent la capacité des autorités nationales de réglementation des courants de capitaux et qui favorisent
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la création d’un cadre institutionnel contribuant à éviter et, le cas échéant, à résoudre les problèmes du
surendettement.
Sur le plan régional, il est nécessaire de revitaliser et d’élargir le rayon d’action des tentatives
d’intégration qui caractérisent l’Amérique latine et les Caraïbes depuis plusieurs décennies. L’intégration
régionale reste un instrument effectif pour élargir les marchés et obtenir des économies d’échelle tout en
créant de nouveaux débouchés pour diversifier les exportations et atténuer le risque de la dépendance visà-vis de quelques produits soumis à de fortes fluctuations des prix.
Afin de relancer l’intégration sous-régionale, il est indispensable que la région tourne la page
d’une longue période d’accords qui sont restés lettre morte et qu’elle entreprenne des actions concrètes
afin de modifier le sentiment de progrès médiocres, voire de reculs, qui a caractérisé ces dernières années.
Les propositions doivent viser à promouvoir des mesures dans différents domaines, tels que le
renforcement et le perfectionnement des accords sous-régionaux. Pour ce faire, les pays doivent faire
preuve d’une plus grande volonté politique et adopter des mesures concrètes dans le domaine de la
libéralisation commerciale et financière, ainsi que des normes et des réglementations communes. De
même, la mobilité des personnes doit être accrue et certains dispositifs de coordination à l’échelon macroéconomique doivent être mis en place ainsi que des d’institutions régionales auxquelles les
gouvernements nationaux cèdent progressivement certaines parts de la souveraineté nationale. Une
infrastructure régionale est également indispensable pour favoriser le processus d’intégration, en
particulier dans les domaines énergétique et routier. Ceci passe par l’octroi d’un financement de la part
des banques régionales et l’existence de réglementations similaires dans les différents pays. Des
mécanismes de soutien aux pays en crise doivent être mis en place et les mécanismes régionaux de
financement doivent être consolidés et s’ajouter aux institutions multilatérales de crédit. Il faut aussi créer
des mécanismes de cohésion sociale qui favorisent une prise de conscience graduelle de l’importance de
parvenir à un développement harmonieux entre les sous-régions et mettre au point des stratégies
productives communes dans certains domaines tels que l’innovation, l’industrie culturelle, la recherche
agricole ou le tourisme. L’accent doit également être mis sur la singularité de la région en matière de
ressources naturelles et de biodiversité et la création de mécanismes de gestion durable des écosystèmes
partagés tels que la mer des Caraïbes, le couloir biologique mésoaméricain, les écosystèmes andin,
amazonien, du bassin du Plata et austral.
Il faut finalement mentionner que l’agenda régional et l’agenda mondial sont clairement
complémentaires mais que la volonté politique des gouvernements est indispensable pour qu’ils se
rejoignent. L’agenda régional est essentiel non seulement pour le développement des pays de l’Amérique
latine et des Caraïbes mais aussi pour forger une position commune dans les débats dont font actuellement
l’objet les nouvelles normes internationales propres à contribuer à l’édification d’une mondialisation plus
équilibrée. En l’absence d’intérêts économiques communs dans les différents domaines mentionnés et
dans le contexte d’une insertion internationale fondée sur des accords commerciaux, il sera d’autant plus
difficile de parvenir à des consensus sur les positions communes à adopter dans un monde planétaire.
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