RACINES232 - juin 2012 23/05/12 15:23 Page44 RACINES. Vivre entre Sèvre et Loire Devant la mairie de Thouars, sur laquelle La Résistance dans les Deux-Sèvres Les historiens Michel Chaumet et feu Jean-Marie Pouplain ont consacré un ouvrage(1) à la Résistance en Deux-Sèvres durant la Seconde Guerre Mondiale. Michel Chaumet nous explique comment sont nés et se sont développés ces réseaux. e voudrais tout d'abord dire que c'est peut-être parce que l'on connaît mieux cette histoire-là que celle d'autres départements qu'on a l'impression qu'il y a plus de résistants en Deux-Sèvres, qu'ailleurs. En réalité, le nombre de résistants ici est le même: environ 3 % d'une population qui tournait autour de 300 000 habitants à l'époque. On peut scinder la période du développement de la Résistance en deux temps : avant et après le printemps 1943, et avec un aspect en partie géographique. Avant 1943, c'est plutôt l'émergence des réseaux ; après vient celle des mouvements. La ligne de partage a lieu au cours de l'été J 1943, on verra plus loin pourquoi. Rappelons d'abord que, face à l'avancée massive de l'armée allemande entre juin 1940 et juin 1941, il n'y a qu'un seul pays qui résiste encore, tout en étant totalement isolé et bombardé : c'est la Grande-Bretagne. Pour les Anglais, à cette époque, l'élément essentiel c'est d'avoir des renseignements sur l'ennemi et sur sa présence en France. Car c'est des aérodromes français que partent les bombardiers allemands. D'où le besoin d'avoir des infos sur toute la façade littorale, contrôlée par les occupants (à Bordeaux, Nantes, Saint-Nazaire, La Rochelle ou en Bretagne) et sur leurs RACINES 44 capacités de bombarder. Ce que l'on recherche surtout, ce sont donc des gens capables de recueillir sur place ces infos et pouvant les transmettre. Ce qui signifie que les tout premiers réseaux qui interviennent, disposent d'appareils radio venant de Londres. On trouve alors des réseaux anglais et des réseaux de la France libre, qui ont les mêmes objectifs (obtenir des renseignements) mais des stratégies différentes : les Anglais ont des impératifs militaires urgents, alors que les actions de la France libre sont à plus longue échéance. Sachant aussi que les premiers résistants ne disposaient que de rares armes : quelques fusils de chasse, juin 2012 La reproduction ou l'utilisation sous quelque forme que ce soit de nos articles informations et photos est interdite sans l'accord du magazine (© Photo PINEL - Conservatoire de la Résistance & de la Déportation des Deux-Sèvres & des régions limitrophes) flotte le drapeau nazi, deux soldats allemands montent la garde. Face aux forces occupantes, des Deux-Sévriens vont se lever et résister. Par Yvelise Richard RACINES232 - juin 2012 23/05/12 15:23 Page45 (© Photo PINEL - Conservatoire de la Résistance & de la Déportation des Deux-Sèvres & des régions limitrophes) RACINES. Vivre entre Sèvre et Loire qui dans le Thouarsais ont été cachés dans des planques, avant les réquisitions. Deuxième aspect : la résistance des réseaux est en symbiose avec la résistance anti-pétainiste ! Or en 1940, en France, il y a très peu de personnes anti-Pétain : celles-ci vont se doter des moyens d'informer la population en créant les tout premiers journaux clandestins (disons plutôt tracts) : une feuille volante ou un recto-verso au mieux, parfois avec des moyens rudimentaires (à la machine à ronéotyper). Edmond Proust prend la tête des FFI à partir de janvier 1944. Le tournant de 1943 Le changement s'amorce avec l'année 1943. Les Allemands connaissent leurs premiers revers. C'est l'année de Stalingrad, du débarquement angloaméricain en Afrique du nord et des premiers échecs des alliés de l'Axe, que sont les Japonais, contrés par les Américains. Naît alors un espoir de renversement militaire ! Et puis, les mentalités changent : de plus en plus de gens se détachent du pétainisme et adhèrent à l'idée qu'il faut agir contre l'occupant. 1942, c'est la grande année des rafles de Juifs ; elles ont ébranlé l'opinion, selon les lieux. Dans le sud des Deux-Sèvres, très protestant, le fait que Vichy ait livré en masse les juifs étrangers en 1942 perturbe terriblement les consciences. L'autre point qui va mobiliser contre Vichy et l'occupant, c'est le STO ! Instauré à l'automne 1942, il prend son extension en 1943. Les jeunes Français qui ne font plus leur service militaire, à 20 ans (il n'y a plus d'armée française !) sont invités fermement à aller travailler en Allemagne. Or il y a un refus de ces jeunes qui ne veulent pas servir de main-d'œuvre pour la machine de guerre allemande. Une partie d'entre eux va se tourner vers la résistance, via des filières organisées. Ou bien prendre le maquis (en partant travailler dans les fermes ou dans les exploitations forestières). De la région thouarsaise et dans le nord du département démarre alors un mouvement qui va s'étendre sur la Gâtine. Mais encore peu dans le sud des Deux-Sèvres : c'est l'Organisation civile et militaire (OCM), qui vise à pré- parer la libération militaire de la France occupée. L'OCM mène aussi une réflexion globale sur l'aprèsguerre, et se développe au niveau national en zone Nord, sous la conduite d'Alfred Touny, militaire de réserve (et industriel dans le civil). Ce mouvement – qui recrute d'anciens militaires, des chefs d'entreprise, des paysans, des médecins… – s'implante particulièrement bien en Poitou-Charentes, ainsi qu'en Vendée (en sudVendée surtout). Il reçoit des parachutages d'armes (sept en tout). Car les armes (et les munitions) sont le point faible des résistants qui en manquent terriblement. Parallèlement, une opération d'intoxication menée par les Anglais vise à faire croire aux Allemands à un débarquement dès 1943, sur la façade atlantique, sur les côtes vendéennes par exemple. Pour que cette intoxication fonctionne, il fallait que les gens chargés de faire passer l'information soient eux-mêmes convaincus qu'elle soit vraie. Les équipes dans le département se connaissent assez bien. Elles sont chapeautées par un chef départemental puis régional et tout fonctionne bien, tant au niveau de la cache des armes que des renseignements que réclame Londres. Jusqu'à ce qu'en août 1943 des arrestations massives (52 résistants) décapitent l'OCM. On estime, sans certitude, que le nombre des membres de cette organisation s'élevait à deux à trois fois plus (environ 150 personnes). Le mouvement Libé-Nord Le deuxième mouvement de libération en Deux-Sèvres, Libé-Nord, prend plus dans le sud des Deux-Sèvres (dans le Mellois ou dans le pays niortais). Là, les membres sont plutôt des instituteurs, des fonctionnaires issus de la gauche. La volonté d'agir contre l'occupant, Le centre régional Résistance et Liberté Le Centre régional Résistance et Liberté (CRRL) à Thouars est né en 1997, des volontés conjuguées d'anciens résistants deux-sèvriens, soucieux de préserver et de transmettre la mémoire et les valeurs du conseil national de la Résistance. Se sont associés à la démarche la ville de Thouars, le département des Deux-Sèvres, la région Poitou-Charentes et des régions limitrophes, le ministère de l'Éducation nationale et le secrétariat d'État aux Anciens combattants. Lieu de mémoire sur la période 1933- 1945, avec une salle d'exposition permanente, le CRRL est aussi une mine de ressources pédagogiques de recherche qui accueille le grand public et les classes, de l'école primaire au lycée pour les informer sur cette période de l'histoire contemporaine et les faire “réfléchir plus largement sur la notion de citoyenneté”, dans le monde d'aujourd'hui. Contact : Les Écuries du château, Rond point du 19 mars 1962, 79100 Thouars. Tél. 05 49 66 42 99. Accueil des groupes sur réservation. Ouvert du jusqu’au 30 juin, du lundi au vendredi et le dimanche de 14 h à 18 h ; du 1er juillet au 30 septembre, tous les jours de 14 h à 18 h et du 1er octobre au 31 mars, du lundi au vendredi de 14 h à 18 h. RACINES 45 juin 2012 La reproduction ou l'utilisation sous quelque forme que ce soit de nos articles informations et photos est interdite sans l'accord du magazine RACINES232 - juin 2012 23/05/12 15:49 Page46 RACINES. Vivre entre Sèvre et Loire l'opportunité de le faire concrètement, va réunir des hommes prêts à agir contre l'occupant, très présent dans toutes les communes de la zone Nord. A la fin de la guerre, la division de Waffen-SS Götz von Berlichingen stationne à Thouars. Et en avril 1944, Himmler vient haranguer les troupes dans la ville. L'arrestation des 52 membres de l'OCM va changer la donne : le sud du département va reprendre le flambeau par rapport au nord, à partir du groupe de l'OCM de Bordeaux et des membres envoyés en Deux-Sèvres où se reconstitue un nouveau réseau. Cela finit par prendre corps. En même temps apparaît une entité appelée l'Armée secrète (l'AS) qui finit par regrouper les membres de Libé-Nord et de l'OCM. L'AS est dirigée par Edmond Proust(2) devenu chef de la Résistance. Enfin, les Francs-tireurs partisans (FTP), souvent issus du Parti communiste, réémergent à partir du début 1944 pour se fondre avec l'AS dans les Forces françaises de l'intérieur (FFI). C'est Edmond Proust qui, le 15 août 1944, donne l'ordre du soulèvement général depuis son poste de commandement de Sainte-Eanne. Avant de rejoindre après la libération du département le commandement du 114e régiment d'infanterie qui participera au combat de la poche de La Rochelle jusqu'à la capitulation allemande du 8 mai 1945. (1) La Résistance en Deux-Sèvres, Geste éditions, Niort, 1994. Récrit et réédité avec de nouveaux documents en 2010. 2) Edmond Proust était l'un des fondateurs de la Maïf (mutuelle et assurance des instituteurs de France), crée en 1934. Résistants du Thouarsais À côté d'Edmond Proust (déjà cité), instituteur et engagé de longue date dans le mouvement solidaire (il est l'un des fondateurs de la Maif), et qui sera désigné chef des FFFI lors de l'arrestation du colonel Faucher en 1944, il convient de citer quelques hommes qui ont combattu dans la Résistance dans les DeuxSèvres. Daniel Bouchet, médecin à Saint-Loup-sur-Thouet, a travaillé avec le premier réseau gaulliste qui s'est mis en place, la Confrérie Notre-Dame (CND) et ensuite avec l'OCM. Condamné à mort deux fois, il a été déporté à Buchenwald où il a eu un comportement admirable, et d'où il est revenu. En tant que maire, il s'élève très tôt contre le comportement des forces occupantes (il dénonce notamment le vol d'une radio par les soldats allemands chez une de ses administrées). À Thouars, il est difficile de ne pas évoquer aussi André Chauvenet, chirurgien à l'hôpital, qui est l'un des tout premiers résistants, avec André Colas, son collègue, médecin radiologue, et Gabriel Richetta, percepteur à Thouars, qui doit être le premier résistant des Deux-Sèvres (dès juillet 1940). Ensemble, ils ont constitué un petit groupe d'hommes, travaillant en réseau (comptant de nombreux médecins) qui refusent l'armistice et toutes ses conséquences. Des hommes qui disent : “Ce n'est pas acceptable, cet armistice. On ne peut pas laisser notre pays occupé !” Des hommes qui se lèvent et qui agissent ! La fin des combats Parmi les actions de sabotage relevées dès 1941, on recense l'explosion d'une guérite de transmission téléphonique à Niort, la coupure des câbles qui relient Poitiers à La Rochelle. Ces actions sont le fait de communistes. Elles vont entraîner des répressions sévères et mener à l'arrestation de nombreux communistes du département. Mais c'est surtout à partir d'août 1944, où c'est le déchaînement des sabotages (sur les routes ou le chemin de fer, et sur les moyens de communication) pour ralentir la remontée des forces allemandes vers la Normandie. Une stratégie de harcèlements, de guérilla multiforme. Parmi les 66 sabotages recensés durant l'été 44, certains se retournent contre leurs auteurs. Comme ces deux jeunes normaliens sans expérience, venus poser des pains de plastique sur la voie ferrée Poitiers - Niort qui vont, par méconnaissance, être les premières victimes de l'explosion en août 1944. Les enfants cachés du Noirvault Guy Micheneau, adolescent durant la Seconde Guerre mondiale, a vu arriver les enfants juifs au Noirvault, son village, situé dans la campagne de Montcoutant. À 87 ans, il se souvient et raconte. Pourquoi et comment Le Noirvault a-t-il accueilli des enfants juifs durant l'Occupation ? Éva Fradin, la fille de Noémie et de Camille Fradin, nos voisins, connaissait le docteur Chertok, à Paris. Il s'occupait de résistance et faisait partir les enfants juifs loin de la capitale. C'était devenu dangereux pour eux d'y rester. C'est lui et Éva qui, à partir de 1942, ont fait venir les enfants juifs que Noémie Fradin hébergeait chez elle. Éva faisait le lien, RACINES 46 en les descendant en train ; nous, on allait les chercher, avec la jument et la charette, à la gare de La ChapelleSaint-Laurent. Tout le village était dans le secret. Dans les huit foyers (sept protestants, un catholique), tous ont tenu leur langue. Nous étions une communauté très liée. Mes parents étaient des amis des Fradin. Mais tout le village était solidaire pour veiller juin 2012 La reproduction ou l'utilisation sous quelque forme que ce soit de nos articles informations et photos est interdite sans l'accord du magazine RACINES232 - juin 2012 23/05/12 15:49 Page47 RACINES. Vivre entre Sèvre et Loire Guy Micheneau devant la maison de la famille Fradin, au Noirvault. sur les petits, qui avaient, à l'époque, de 4 à 18 ans. Qui étaient ces enfants ? C'était des enfants juifs dont les parents restaient à Paris car ils étaient engagés dans la résistance et les mouvements luttant contre les Allemands (Mouvement national contre le racisme). Sur les sept enfants accueillis, certains, arrivés dès 1942, sont repartis très vite, parce que leurs parents avaient peur, en particulier au moment où la Gestapo est venue. Pour les enfants qui restaient, on disait que c'était des réfugiés ou des cousins. Et on changeait leur prénom. Anna, qui avait 18 ans comme moi, on l'appelait Jacqueline. Elle avait un bébé, Guy (surnommé Guytou), qui avait quelques mois à son arrivée. Son mari avait été arrêté et déporté en camp de concentration. Chez nous, les petits allaient à l'école de Pugny à pied, à un kilomètre du Noirvault. L'institutrice savait mais les autres enfants de l'école, non. Le cordonnier de Pugny savait aussi: c'est lui qui ressemelait les chaussures des enfants, pour rien du tout ! À la fin de la guerre, certains parents sont venus chercher leurs enfants (les Rayski, les Grimberg, les Braun…). D'autres non. Ils avaient été arrêtés et déportés. Vous avez parlé d'un passage de la Gestapo au Noirvault. Qui avait parlé ? Début 1944, les hommes de la Gestapo sont venus dans le village. Ils ne cherchaient pas les enfants mais une certaine Jacqueline, qu'on leur avait ordonné d'arrêter. Interrogé par la Gestapo, Daniel, le fils de Noémie Fradin, a juste eu la présence d'esprit de s'adresser à Jacqueline en lui demandant “As-tu vu Jacqueline ?”, pour lui permettre de s'échapper un peu plus haut dans le village. On a été vendu par un locataire de Mme Fradin. Heureusement, ils n'ont pas trouvé les enfants qui étaient absents à ce moment-là. Mais on avait, en plus, cinq réfractaires du STO dans le village. Dont un qui s'est vite échappé dans les champs de genêts qui bordent Le Noirvault. Du coup, le pasteur les a rassemblés pour les envoyer dans la résistance. Plus tard, certains de ces jeunes gens sont morts lors d'une attaque à Lussac-les-Châteaux. Pour les enfants, aussi, le pasteur Casalis a fait en sorte d'en envoyer ailleurs après le passage de la Gestapo. Il était dans la résistance à Lyon avant son arrivée à Montcoutant et avait gardé des contacts dans les filières. Il a fait partir la petite Paulette Braun dans le sud du département. Les enfants cachés ont-ils gardé des contacts avec les villageois du Noirvault ? Oui, avec quelques-uns. Certains sont revenus une fois et puis, on ne les a plus revus (comme Thomas Bestel). Après la guerre, on a fait des rassemblements avec eux, des fêtes de village. Ceux qui sont revenus le plus, c'était Jacqueline et son fils Guytou. Ils étaient restés très longtemps ici. Avec Mme Fradin et sa fille, on avait été reçu à l'ambassade d'Israël où on lui avait remis sa décoration(1). (1) Noémie Fradin a été reconnue comme Juste parmi les Nations par l'État d'Israël le 10 octobre 1985. Elle a reçu un diplôme d'honneur ainsi qu'une médaille sur laquelle est gravée cette phrase du Talmud : “Quiconque sauve une vie sauve l'univers tout entier”. Noémie Fradin et l'un de ses petits protégés Guy Neustadt, venu avec sa maman, Anna, renommée Jacqueline dans le village. Les Protestants face à l'occupant Dans tout le sud des Deux-Sèvres, on trouve des communautés protestantes où la résistance prend une forme particulière. Certes militaire - rappelons qu'Edmond Proust, le chef de l'Armée secrète- est lui-même d'origine protestante, mais surtout, protectrice envers les plus faibles. Là où ce pays s'est illustré, c'est dans la cache des juifs et des réfractaires au STO. Notamment au Noirvault et dans le Pays mellois, où cela se fait au vu et au su de tout le monde. Toute la population est complice de cette cache. Entraînant cette résistance, les pasteurs jouent un rôle important dans l'aide à tous ceux qui sont persécutés par le régime de Vichy et les Allemands. Ils hébergent les familles de réfugiés juifs extérieurs au département, venus de l'est de la France, de Moselle et des Ardennes. Ou les juifs étrangers, installés à Paris avant guerre. Par ailleurs, des filières se mettent en place pour faire passer les réfractaires vers les maquis. La culture de résistance et d'aide aux persécutés est ancrée dans l'histoire protestante depuis les Dragonnades et s'inscrit naturellement encore durant l'Occupation. Dès l'instant où la persécution provient du sommet de l'État, cette population est forcément solidaire avec les persécutés. RACINES 47 juin 2012 La reproduction ou l'utilisation sous quelque forme que ce soit de nos articles informations et photos est interdite sans l'accord du magazine