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Il y a vingt ans, n novembre 1989, la division de l’Europe a pris n et
la division idéologique dans le monde entre le capitalisme et le commu-
nisme a disparu. En cette période de turbulences, on pouvait voir à Prague des
afches avec toutes sortes de proclamations et de slogans. L’un de ces slo-
gans était particulrement fquent et lié à de grands espoirs : « Retournons en
Europe ». À l’époque, les gens étaient généralement pleins d’espoir. Ils s’at-
tendaient à un miracle sans savoir lequel. Si vous regardez les photos prises
au cours de ces mois, vous verrez des milliers de visages joyeux dans les rues.
Combien de ces personnes sourient encore aujourd’hui ? Le veloppement
de ces vingt dernières années a déterminé la situation actuelle, la compréhen-
sion de l’évolution de la crise et la réaction à cette crise.
Les vingt dernières années
Que s’est-il passé au cours de ces années ? Après la « Révolution de ve-
lours », une transformation de la société, de l’économie et des mentalis a
commen à émerger. Ce processus difcile a concerné tous les domaines.
Au début, peu de gens savaient ce qui allait se produire. Leurs attentes étaient
assez simples : la plupart des gens s’attendaient à une amélioration. Les « cho-
ses » qu’ils n’aimaient pas dans le cadre du précédent régime disparaîtraient et
les « choses » qui allaient bien et qu’ils aimaient allaient être préservées. Ils ont
imaginé que ce qu’ils avaient vu dans les rues de Vienne, de Paris et d’autres
La crise et la République tchèque :
un point de vue politique de gauche
Jiŕí Málek
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La crise et la République tchèque : un point de vue politique de gauche
capitales européennes au cours de leurs premres visites à l’Ouest après la
chute du rideau de fer seraient leurs avec la nouvelle arrivée du capitalisme.
La transformation économique a rapidement commencé. Elle peut se divi-
ser en plusieurs étapes. Dans la premre étape, on a adopté la méthode de la
privatisation à petite échelle (malá privatizace) au cours de laquelle de petites
entreprises d’État ont été vendues aux enchères de façon à créer une couche
sociale d’entrepreneurs indépendants. Elle a été suivie par une étape clé, la pri-
vatisation à grande échelle qui était fondée sur l’achat d’entreprises par cou-
pons (kupónová privatizace). La privatisation par coupons correspondait aux
sirs inconscients de la population (un mélange de croyances communistes
et de croyances capitalistes) que l’on peut résumer ainsi : nous voulons rece-
voir une part de notre patrimoine commun « socialiste » mais nous voulons la
rer nous-mêmes à la mode capitaliste. Le processus de transformation de la
propriété a été une immense expérimentation politique menée par des écono-
mistes qui n’appartenaient pas au noyau dur des dissidents oppos au gime
communiste. La plupart d’entre eux venaient de la communauté scientique
et théorique des institutions d’État. Ils avaient étudié la « critique des théo-
ries économiques bourgeoises » dans le cadre de leurs travaux scientiques.
Cependant, beaucoup d’entre eux avaient adop comme gourous Friedrich
von Hayek et Milton Friedman, et ils suivaient leur exemple avec zèle. Ils
avaient une occasion unique de mettre en application leurs tories dans la
vraie vie, sans les entraves qu’une politiquealiste auraient pu leur imposer.
De toute évidence, diverses conceptions de transformation de la propr et
de privatisation ont vu le jour. Les partisans de l’approche gradualiste ne l’ont
pas emporté. Comme l’a dit Joseph Stiglitz, on a prétendu aubut que ceux
qui s’opposaient à une thérapie de choc et préféraient un changement pro-
gressif risquaient de faire régresser la région vers le communisme. L’histoire
a mont que ce danger était une ction en République tchèque comme dans
tous les autres pays postcommunistes. Selon Stiglitz, les Tchèques ont me
au cours de leur histoire des luttes contre l’inégali, ce qui leur donnait la
possibilité aps le renversement du socialisme de construire une société axée
sur le marc, mais cependant relativement juste, égalitaire et solidaire. La
publique tcque n’était pas afigée d’un énorme écart entre les riches et
les pauvres. Toutefois, la transformation n’a pas créé une économie de marc
qui soit en me temps solidaire. Le potentiel humain n’a pas éveloppé
et l’importance de la gouvernance d’entreprise a été sous-estimée.
La première réaction de la population à la privatisation par coupons n’a
pas été très positive. C’est seulement après le déploiement d’autres moyens,
y compris avec de la publicité, et grâce à l’implication active de personnes
comme Viktor Kený (connu plus tard sous le nom de « Pirate de Prague » en
raison de ses conits avec les lois des États-Unis), que le processus a vraiment
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Jiŕí Malek
commen et que la population s’est mise à acheter massivement des bons de
privatisation. Ces transferts de propriété ont eu lieu dans un cadre gal ts
ou sans aucune considération morale. Les conséquences n’ont pas été seule-
ment économiques. Cette expérience a inuencé négativement le climat des
affaires pendant une vingtaine d’anes et a contribué à la faible estime dont
jouissent les aspects juridiques et éthiques de l’économie. Le processus de
privatisation a également eu un impact social et psychologique sur beaucoup
de gens ordinaires qui ont appris que le respect des gles et des lois n’était pas
très important. Ils ont appris que ce qui compte, c’est la capacité de s’afrmer,
c’est l’individualisme, la dure et l’absence de scrupules. La solidarité et la
torance ont disparu. L’individualisme et la nécessi de jouer des coudes ont
tré l’esprit des jeunes génération. Personne n’a pu quantier ou pciser
les pertes morales caues par cette privatisation. C’est la population souffrant
en silence qui a subi les coûts de la transformation. Souvent, quand une en-
treprise vendue par le biais de la privatisation par coupons s’est e une
affaire prometteuse, tous les moyens ont éutilisés pour se débarrasser des
petits actionnaires an de permettre une concentration de la propr. On a
utilisé parfois des méthodes très dures. Nous avons rité d’un problème dont
les origines remontent au tout début du processus : an de créer une soc
dynamique et concurrentielle, il aurait fallu consacrer des ressources à l’édu-
cation et à l’infrastructure. Au début des années 1990, le gouvernement tchè-
que était propriétaire de tous les actifs, ce qui lui aurait permis d’entreprendre
cette nécessaire transformation sociale. Mais ces actifs ont été vendus par le
gouvernement à de nouveaux propriétaires qui les ont souvent tours, sans
créer de richesses. Cela a des pertes. Ultérieurement, le gouvernement
de la publique tcque a renouer le secteur public. Comme le dit Joseph
Stiglitz, c’est un cercle vicieux. Tout d’abord, vous vendez quelque chose à
perte ; et ensuite vous le rachetez aussi à perte. Si vous n’êtes pas un idéologue
fanatique, vous voyez clairement que c’est absurde. Selon Stiglitz, la faute en
incombe à l’idéologie d’extme droite qui a été mise en application après les
changements politiques en Europe de l’Est.
Et la gauche dans tout cela ?
Il n’y a pas eu d’ingration de concepts de gauche, ni en théorie ni dans les
bats. C’était comme si la socié marchait sur une seule jambe. Les idées de
gauche n’ont pas vraiment été formulées, ni communiqes à la population ou
discutées publiquement. La gauche, en particulier la gauche radicale, a passé
le plus clair de son temps à se défendre. Les attaques dirigées contre elle nont
pas abor la nature des problèmes ; ce n’était guère plus que des accusations :
« Vousfendez le gime communiste du pas ! ». C’était l’argument utilisé
pour répondre à l’analyse de l’ensemble de la gauche radicale et communiste
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La crise et la République tchèque : un point de vue politique de gauche
sur ces probmes. Comme la gauche s’était épuie à se défendre et à mener
des discussions internes concernant principalement le passé, il ne lui restait
plus d’énergie pour la recherche d’alternatives de gauche ou de solutions pour
sortir de cette situation. La social-démocratie ? Elle défendait « la thode
douce » pour régler les problèmes de la mondialisation et une approche li-
rale envers le capitalisme contemporain. Elle s’identiait à la « troisme
voie » de Blair, adaptée aux conditions tchèques. Il est vrai qu’elle mettait
l’accent sur la dimension sociale du développement de la société, mais en n
de compte elle se limitait au cadre du capitalisme libéral sans offrir d’alterna-
tive à la soc. De ce fait, la social-mocratie tchèque ne différait pas des
autres partis sociaux-démocrates européens.
Il faut reconnaître que les hommes politiques d’extrême droite au pouvoir
(en particulier l’ancien premier ministre Václav Klaus), en dépit de leur orien-
tation et de leur rhétorique libérales, ont en fait mené une politique pragma-
tique. Ils ont cherc à éviter une escalade excessive des tensions sociales
et, tactiquement, ils ont même cessé de poursuivre certains de leurs objectifs
initiaux. Parfois, cela leur a me valu des critiques de la part de la droite du
spectre politique.
Le développement de la situation politique peut également être illustré par
un bref aperçu des résultats des élections (en pourcentage de votes) :
Abviations : OF Občanské fórum (Forum civique) au centre des changements politiques en 1989 ;
ODS − Občanská demokratická strana (Parti civique démocratique) principal parti libéral d’extrême-droi-
te ; KSCM Parti communiste, incluant ensuite une coalition de gauche ; KDU Parti démocrate chrétien,
* coalition en 2002 ; Républicains parti nationaliste d’extrême droite.
La gauche radicale tcque a été encore affaiblie par sa division au début
des anes 1990. Deux groupes ont commencé à prendre forme : un groupe
que l’on peut qualier de traditionaliste, et un autre groupe dans la tradition
des militants de 1968 et de ce qu’on appelait eurocommunisme. On prétend
parfois que le stalinisme est la principale caractéristique du groupe traditiona-
liste et qu’il s’accroche au vieux pas communiste. Les adeptes du stalinisme
1990 1992 1996 1998 2002 2006
OF-ODS 49,5 (OF) 29,7 29,6 27,2 24,5 35,4
SD 4,1 6,5 26,4 32,3 30,2 32,3
KSCM 13,2 14,1 10,3 11 18,5 12,8
KDU 8,4 56,8 8,1 9,0 14,1 * 7,2
Republik. 6,0 8,0 3,9 0,1
162
Jiŕí Malek
et du pas communiste existent bien, mais ils ne dominent ni les actions ni
la politique du Parti communiste. Le grand public a exprimé l’opinion sui-
vante vis-vis du Parti communiste : indifrent/réser : 40 %, gatif pour
une question de principe : 24 %, positive : 31 %, pas deponse : 6 % (enquête
réalisée par KSP − Club de sociologues et psychologues −, 2007).
Comparée à d’autres partis postcommunistes de gauche d’Europe de l’Est,
la gauche radicale de la publique tcque a été affaiblie pendant toute la
riode postcommuniste et n’a jamais été en mesure de devenir le parti au
pouvoir. D’autre part, le Parti communiste n’a pas succombé aux pressions
de l’extérieur et a été l’un des rares groupes de gauche qui ne s’est pas désin-
gré ; il continue à jouer un rôle important dans l’arène politique. Les autres
organisations radicales de gauche tchèques sont restées marginales, même si
Strana demokratického socialismu (Parti du socialisme mocratique), avec
son internationalisme de gauche proeuropéen, a acquis une certaine impor-
tance, plus au niveau international que dans la République tchèque.
L’économie tchèque, la société et la crise
L’économie tcque est très ouverte et en cela elle ne difre pas beaucoup
des autres pays postcommunistes de l’Europe centrale et de l’Europe de l’Est.
Jusqu’à cemment, c’était perçu comme un avantage. On adopte aujourd’hui
une attitude beaucoup plus sceptique. Toute crise mondiale va forcément af-
fecter l’économie nationale. Le gouvernement national se trouve dans une
position très faible vis-à-vis des structures et des processus économiques su-
pranationaux.
L’intégration de l’économie tchèque dans les rapports économiques mon-
dialisés peut s’exprimer en chiffres. Ces chiffres permettent de comparer la
République tchèque à d’autres États.
Pays 2004 2007
Belgique 902 862
République tchèque 724 850
Hongrie 648 801
Slovaquie 681 800
Irlande 855 794
Pays Bas 672 704
Autriche 510 548
Suisse 469 533
Suède 470 495
Part des exportations dans le PIB en pourcentage (OCDE)
1 / 12 100%
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