L’ENTRE-DEUX-EAUX
Après cette première mise en contexte, le visiteur quitte le monde de l’air pour celui de l’eau. Il se retrouve in situ,
accompagné par une sonorisation discrète mais enveloppante, résolument abyssale, il avance dans une semi-obscurité
qui évoque la nuit océanique. De chaque côté de la salle, sont présentés photographies, spécimens et vidéos. Une ligne
d’aquariums située au centre de la pièce avec des animaux remarquables, rythme le parcours. Comme une créature
des profondeurs, le visiteur se dirige vers les tâches de lumière qui attirent son regard. Alors sortent de la pénombre
les radiolaires, animaux primitifs semblables à de minuscules planètes armées de piquants, ou le poulpe à ventouses
lumineuses, Stauroteuthis syrtensis, merveilleuse ballerine rose à grandes nageoires en forme d’oreilles.
Avec les plongées profondes entre deux eaux, dites « pélagiques », on découvre que la « colonne d’eau », c’est-à-dire
la masse d’eau qui s’étend entre la surface et le fond, jusque-là imaginée comme un désert dénué d’intérêt, est en
fait densément peuplée.
La répartition de la faune obéit à des frontières invisibles : salinité, concentration en oxygène, température,
et surtout, pénétration de la lumière. Tant que celle-ci est disponible (jusqu’à 1 000 mètres de profondeur) même
très faiblement, cela joue sur l’apparence, le comportement et même l’organisation de la faune. Ce premier kilomètre
marin de l’entre-deux-eaux est un vaste théâtre d’ombres chinoises, c’est la zone crépusculaire des océans.
Au-delà de 1 000 mètres, l’obscurité devient totale, la surface très éloignée impose des contraintes particulières
aux créatures des abysses.
La bioluminescence :
le mode de communication
le plus répandu sur terre…
La lumière, absorbée par l’eau, chute très rapidement
dans les océans, les animaux répondent alors à
l’obscurité en fabriquant leur propre lumière.
Ce phénomène s’appelle la bioluminescence.
Relativement rare sur terre (seuls les vers luisants
et quelques champignons produisent de la lumière…),
elle est monnaie courante parmi la faune océanique :
jusqu’à 90% des organismes pélagiques sont
bioluminescents, et peuvent grâce à cela se signaler,
se reconnaître, effrayer un prédateur ou attirer une
proie... En effet, plutôt que d’attendre passivement
celle-ci dans l’obscurité, certaines créatures
déploient un « piège » luminescent : un leurre qui
ressemble à s’y méprendre à des bactéries lumineuses
qui recouvrent parfois les débris organiques.
La bioluminescence est sans aucun doute le moyen
de communication le plus répandu sur la planète !
La migration verticale – les « fonds fantômes » des océans
Il existe une migration qui par sa taille, sa fréquence et le nombre d’individus qu’elle concerne
ridiculise les migrations des gnous ou même des oies ! Il s’agit de la migration verticale, qui se
produit chaque nuit dans tous les océans du monde. Dès le soleil couché, des centaines d’espèces
et des milliards d’organismes montent des profondeurs des océans, pour gagner les eaux de surface
où la nourriture abonde grâce au processus de la photosynthèse. Toute la nuit durant, le festin se
poursuit, pour cesser, dès les premières lueurs du jour avec l’apparition des prédateurs. Pour leur
échapper, il suffit alors de redescendre à l’abri, dans l’obscurité.
Cette migration verticale concerne aussi bien des crustacés et des céphalopodes que des poissons,
comme les Myctophidés - les « poissons lanterne ». Leur nombre est si important qu’ils forment une
couche suffisamment dense pour réfléchir les ondes des sondeurs acoustiques des navires, troublant
ainsi pendant longtemps les marins qui pensaient qu’il s’agissait de fonds se soulevant sous leurs
navires. Ces derniers baptisèrent le phénomène les « fonds fantômes » des océans. Dorénavant
surnommée la « Deep Scattering Layer », on sait maintenant que cette migration ne concerne que les
espèces et organismes vivant au maximum jusqu’à 1 000 mètres de profondeur.
La ménagerie de verre
La grande surprise qui attendait les chercheurs effectuant les
premières plongées entre deux eaux fut la prépondérance des
organismes gélatineux. Jusque-là, ils ne les avaient vus qu’écrasés,
en masses informes, dégoulinant littéralement des filets. In situ, ils
les découvraient fidèles à leur réalité : étranges dentelles vivantes,
méduses, salpes, ceintures de vénus, cténophores ou siphonophores
qui constituent majoritairement le plancton. Ces organismes gélatineux
forment le tissu vivant le plus représenté de l’entre-deux-eaux et, en
masse, la population animale la plus abondante de notre planète.
Créatures adaptées à la vie sans obstacle rigide, elles sont souvent
composées d’eau (jusqu’à 98 %) et de collagène. En effet, la lumière
qui pénètre jusque dans leur domaine peut les révéler à leurs
prédateurs, elles s’en défendent donc en étant transparentes.
De 200 à 1 000 mètres le crépuscule des océans
L’exploration de ces profondeurs a permis de comprendre quelques-uns des phénomènes qui régissent les mers et les océans et de découvrir une faune inconnue.
© David Shale / Claire Nouvian
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