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reprendre la position du premier philosophe de l'économie, Aris-
tote. Dans Politique, (I, 10) il dit clairement « il est injustifi able
que la monnaie, pur instrument d'échange, s'accroisse en passant
de main en main ». Il ne se pose pas la question du sens de l'inté-
rêt, et ajoute « il est tout à fait normal de haïr le métier d'usurier
du fait que son argent lui vient de l'argent lui-même ». C'est l'ac-
cumulation de richesses que procure l'intérêt qui est condamné,
car il s'agit là de combler des besoins qui ne sont pas naturels.
Le Concile de Nicée en 325 interdit aux clercs de prêter des
capitaux à intérêt. Les pères de l'Église élargissent les condamna-
tions faites déjà dans l’Ancien Testament, en interdisant le prêt à
intérêt aux clercs comme aux laïcs. Il est vrai qu'à cette époque,
les prêts étaient souvent des prêts de consommation à des per-
sonnes déjà miséreuses et non des prêts de production. L'Église
considérait que le prêt, acte de pure charité, devait être gratuit.
Mais la vérité doctrinale se heurte à la réalité. L'Église doit
elle-même gérer un patrimoine important, et la diffusion de l'éco-
nomie monétaire menace les vieilles valeurs chrétiennes. On en
vient donc à devoir distinguer le profi t licite de l'usure qui est
illicite.
Jusqu'au XIIe siècle, le prêt à intérêt était pour l'essentiel aux
mains des Juifs, et on assimilait le Juif à l'usurier. Le christia-
nisme a répandu l'idée du danger de la richesse. Saint Thomas
d'Aquin expliquera qu'il est légitime de produire pour vivre et
pour faire vivre, mais que produire à seule fi n de gagner davan-
tage est un péché.
Ce dernier considère que recevoir un intérêt par l'usage de
l'argent prêté est en soi injuste. Mais admet également qu'il se
trouve certains péchés comme l'usure, qui, non seulement ne
peuvent être interdits par la loi, mais ne doivent pas l'être car ils
sont utiles, et les interdire nuirait à l'intérêt général.
Les monastères pratiquaient néanmoins le prêt à intérêt dans
le cadre de la gestion de leurs domaines. Les juristes employaient
des moyens détournés pour habiller la rémunération de l'argent
prêté. Dès lors l'Église se doit d'évoluer. Elle va dissocier le mar-
chand de l'usurier, le taux d'intérêt du taux de l'usure.
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