Laïcité : quand la religion interfère avec le soin Cyrielle CASSAN, doctorante en droit public Qu’est-ce que la laïcité ? • Constitution du 4 octobre 1958 en vigueur, article premier : La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. Son organisation est décentralisée. […] ⇒Consistance de la laïcité : ⇒ Neutralité de l’Etat à l’égard des religions; ⇒ Egalité des citoyens; ⇒ Liberté de conscience. Qu’est-ce que la laïcité ? • Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789, article 10 Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la Loi. Qu’est-ce que la laïcité ? • Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et libertés fondamentales, Rome, 4 novembre 1950, Conseil de l’Europe (abrégée en CEDH) Article 9 – Liberté de pensée, de conscience et de religion 1. Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites. 2. La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. Qu’est-ce que la laïcité ? • Pacte international relatif aux droits civils et politiques, ONU, 16 décembre 1966, ratifié par la France en 1980 Article 18 1. Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion; ce droit implique la liberté d'avoir ou d'adopter une religion ou une conviction de son choix, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction, individuellement ou en commun, tant en public qu'en privé, par le culte et l'accomplissement des rites, les pratiques et l'enseignement. 2. Nul ne subira de contrainte pouvant porter atteinte à sa liberté d'avoir ou d'adopter une religion ou une conviction de son choix. 3. La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l'objet que des seules restrictions prévues par la loi et qui sont nécessaires à la protection de la sécurité, de l'ordre et de la santé publique, ou de la morale ou des libertés et droits fondamentaux d'autrui. […] Qu’est-ce que la laïcité ? • Loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l'Etat Article 1 La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l'intérêt de l'ordre public. Article 2 La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. […] Pourront toutefois être inscrites auxdits budgets les dépenses relatives à des services d'aumônerie et destinées à assurer le libre exercice des cultes dans les établissements publics tels que lycées, collèges, écoles, hospices, asiles et prisons. Qu’est-ce que la laïcité ? • Pour le professeur Jean RIVERO, Recueil Dalloz 1949, Chron. XXXIII « Laïcité : le mot sent la poudre ; il éveille des résonances passionnelles contradictoires… Le seuil du droit franchi, les disputes s’apaisent ; pour les juristes, pas de difficulté majeure dans la définition de la laïcité. […] Dans les documents officiels (textes législatifs, rapports parlementaires, circulaires), la laïcité, un seul et même sens : celui de la neutralité religieuse de l’Etat ». Laïcité, religion et système de santé En droit français, il n’existe pas de texte unique régissant les rapports entre tous les acteurs du système de santé (établissements de santé, soignants, patients, tiers …) en la matière. Dès lors, il faut se rapporter à une multitude de textes spécifiques, qui n’ont pas tous la même force juridique , notamment : - Code de la santé publique - Les codes de déontologie des différentes professions médicales et soignantes - Circulaire DHOS/G n°2005-57 du 2 février 2005 relative à la laïcité dans les établissements de santé (Elle s’adresse aux établissements publics ou privés participant au service public hospitalier) - Circulaire PM n° 5209/SG du 13 avril 2007 relative à la Charte de la laïcité dans les services publics - Il existe également une charte de la laïcité en cliniques et hôpitaux privés élaborée par la Fédération de l’Hospitalisation privée. Clause de conscience des médecins et non-discrimination Principe d’égalité de traitement entre les patients et de non-discrimination • Article R. 4127-7 CSP : Le médecin doit écouter, examiner, conseiller ou soigner avec la même conscience toutes les personnes quels que soient leur origine, leurs mœurs et leur situation de famille, leur appartenance ou leur non-appartenance à une ethnie, une nation ou une religion déterminée, leur handicap ou leur état de santé, leur réputation ou les sentiments qu'il peut éprouver à leur égard. Il doit leur apporter son concours en toutes circonstances. Il ne doit jamais se départir d'une attitude correcte et attentive envers la personne examinée. Clause de conscience des médecins 1. Refus de soin du médecin et obligation d’assurer la continuité et la qualité des soins • Article R. 4127-47 CSP: Quelles que soient les circonstances, la continuité des soins aux malades doit être assurée. Hors le cas d'urgence et celui où il manquerait à ses devoirs d'humanité, un médecin a le droit de refuser ses soins pour des raisons professionnelles ou personnelles. S'il se dégage de sa mission, il doit alors en avertir le patient et transmettre au médecin désigné par celui-ci les informations utiles à la poursuite des soins. Clause de conscience des médecins 2. Refus de soins du médecin et information loyale, claire et appropriée • Article R. 4127-35 al 1 CSP : Le médecin doit à la personne qu'il examine, qu'il soigne ou qu'il conseille une information loyale, claire et appropriée sur son état, les investigations et les soins qu'il lui propose. […] • Il ressort des articles L. 1111-1 et R-4127-35 qu’il appartient au praticien de produire tout élément de preuve sur la nature et la qualité des informations qu’il a données (CNDOM, 7 décembre 2012, Jean-Yves G., n°11208) Clause de conscience des masseurs-kinésithérapeutes et non-discrimination • Article R. 4321-58 CSP; Décret n° 2008-1135 du 3 novembre 2008 portant code de déontologie des masseurs-kinésithérapeutes : ⇒ Non discrimination Le masseur-kinésithérapeute doit écouter, examiner, conseiller, soigner avec la même conscience toutes les personnes quels que soient leur origine, leurs mœurs et leur situation de famille, leur appartenance ou leur non-appartenance, réelle ou supposée, à une ethnie, une nation ou une religion déterminée, leur handicap ou leur état de santé, leur couverture sociale, leur réputation ou les sentiments qu'il peut éprouver à leur égard. Il ne doit jamais se départir d'une attitude correcte et attentive envers la personne soignée. • Article R. 4321-92 CSP ⇒ Refus de soins La continuité des soins aux patients doit être assurée. Hors le cas d'urgence et celui où il manquerait à ses devoirs d'humanité, le masseur-kinésithérapeute a le droit de refuser ses soins pour des raisons professionnelles ou personnelles. S'il se dégage de sa mission, il en avertit alors le patient et transmet au masseur-kinésithérapeute désigné par celui-ci les informations utiles à la poursuite des soins. Limite de la clause de conscience : le droit pénal • Article 223-6 al 2 du code pénal Sera puni des mêmes peines [ie cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende] quiconque s'abstient volontairement de porter à une personne en péril l'assistance que, sans risque pour lui ou pour les tiers, il pouvait lui prêter soit par son action personnelle, soit en provoquant un secours. ⇒ La clause de conscience ne peut être invoquée par le praticien dans le cadre d’une urgence vitale. Devoir de neutralité des agents publics et des salariés participant à une mission de service public (1) Article premier de la Constitution et textes précédemment cités Principe de neutralité du service public hospitalier : Tribunal administratif de Paris, 17 octobre 2002, Madame E. Considérant que si les agents publics bénéficient, comme tous les citoyens, de la liberté de conscience et de religion édictée par les textes constitutionnels, conventionnels et législatifs, qui prohibent toute discrimination fondée sur leurs croyances religieuses ou leur athéisme, notamment pour l’accès aux fonctions, le déroulement de carrière ou encore le régime disciplinaire, le principe de laïcité de l’Etat et de ses démembrements et celui de la neutralité des services publics font obstacle à ce que ces agents disposent, dans l’exercice de leurs fonctions, du droit de manifester leurs croyances religieuses, notamment par une extériorisation vestimentaire ; que ce principe, qui vise à protéger les usagers du service de tout risque d’influence ou d’atteinte à leur propre liberté de conscience, concerne tous les services publics et pas seulement celui de l'enseignement ; que cette obligation trouve à s’appliquer avec une rigueur particulière dans les services publics dont les usagers sont dans un état de fragilité ou de dépendance ; Devoir de neutralité des agents publics et des salariés participant à une mission de service public (2) Principe de neutralité s’appliquant aux salariés participant à une mission de service public Cour de cassation, chambre sociale, 19 mars 2013, Caisse primaire d’assurance maladie de Seine-Saint-Denis, n° 537 Mais attendu que la cour d’appel a retenu exactement que les principes de neutralité et de laïcité du service public sont applicables à l’ensemble des services publics, y compris lorsque ceux-ci sont assurés par des organismes de droit privé et que, si les dispositions du code du travail ont vocation à s’appliquer aux agents des caisses primaires d’assurance maladie, ces derniers sont toutefois soumis à des contraintes spécifiques résultant du fait qu’ils participent à une mission de service public, lesquelles leur interdisent notamment de manifester leurs croyances religieuses par des signes extérieurs, en particulier vestimentaires. Libre choix du praticien • Article L. 1110-8 CSP Le droit du malade au libre choix de son praticien et de son établissement de santé et de son mode de prise en charge, sous forme ambulatoire ou à domicile, […] est un principe fondamental de la législation sanitaire. • Article R. 4127-6 CSP Le médecin doit respecter le droit que possède toute personne de choisir librement son médecin. Il doit lui faciliter l'exercice de ce droit. • R. 4321-57 CSP ; code de déontologie des masseurs-kinésithérapeutes Le masseur-kinésithérapeute respecte le droit que possède toute personne de choisir librement son masseurkinésithérapeute. Il lui facilite l’exercice de ce droit. • Article R. 1112-17 CSP Dans les disciplines qui comportent plusieurs services, les malades ont, sauf en cas d'urgence et compte tenu des possibilités en lits, le libre choix du service dans lequel ils désirent être admis. • Circulaire PM n° 5209/SG du 13 avril 2007 relative à la Charte de la laïcité dans les services publics Les usagers du service public ne peuvent récuser un agent public ou d’autres usagers, ni exiger une adaptation du fonctionnement du service public ou d’un équipement public. Cependant, le service s’efforce de prendre en considération les convictions des usagers dans le respect des règles auquel il est soumis et de son bon fonctionnement. Exemples • En urgence, un homme refuse d’être examiné par une femme ou une femme refuse d’être examinée par un homme ; un patient refuse d’être examiné par un médecin qui n’est pas de sa religion… • Que faire ? ⇒ Le droit de choisir son praticien ne s’applique pas en situation d’urgence. ⇒ Possibilité d’appeler un autre médecin ou soignant d’un autre service. ⇒ Chercher à convaincre malgré tout : le consentement de la personne examinée ou soignée doit être recherché dans tous les cas. ⇒ Si le patient refuse encore les soins, nul ne peut le contraindre physiquement. ⇒ Il peut être fait appel à l’aumônier de l’établissement ou toute personne capable d’une médiation. Si refus persistant, faire attester par écrit la décision du patient. ⇒ En cas d’urgence vitale, les règles relatives au refus de soin s’appliquent (L 1111-4 CSP) ⇒ Il faut inscrire dans le dossier médical la démarche effectuée par l’équipe médicale. Refus de soin pour motifs religieux par le patient majeur (1) ⇒ Le refus de soins peut résulter du refus d’un soignant, du refus d’un médicament, du refus d’une pratique de soin … • Article R. 4127-36 CSP Le consentement de la personne examinée ou soignée doit être recherché dans tous les cas. Lorsque le malade, en état d'exprimer sa volonté, refuse les investigations ou le traitement proposés, le médecin doit respecter ce refus après avoir informé le malade de ses conséquences. Si le malade est hors d'état d'exprimer sa volonté, le médecin ne peut intervenir sans que la personne de confiance, à défaut, la famille ou un de ses proches ait été prévenu et informé, sauf urgence ou impossibilité. Refus de soin pour motifs religieux par le patient majeur (2) • Article L. 1111-4 CSP Toute personne prend, avec le professionnel de santé et compte tenu des informations et des préconisations qu'il lui fournit, les décisions concernant sa santé. Toute personne a le droit de refuser ou de ne pas recevoir un traitement. Le suivi du malade reste cependant assuré par le médecin, notamment son accompagnement palliatif. Le médecin a l'obligation de respecter la volonté de la personne après l'avoir informée des conséquences de ses choix et de leur gravité. Si, par sa volonté de refuser ou d'interrompre tout traitement, la personne met sa vie en danger, elle doit réitérer sa décision dans un délai raisonnable. Elle peut faire appel à un autre membre du corps médical. L'ensemble de la procédure est inscrite dans le dossier médical du patient. Le médecin sauvegarde la dignité du mourant et assure la qualité de sa fin de vie en dispensant les soins palliatifs mentionnés à l'article L. 1110-10. Aucun acte médical ni aucun traitement ne peut être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne et ce consentement peut être retiré à tout moment. Lorsque la personne est hors d'état d'exprimer sa volonté, aucune intervention ou investigation ne peut être réalisée, sauf urgence ou impossibilité, sans que la personne de confiance prévue à l'article L. 1111-6, ou la famille, ou à défaut, un de ses proches ait été consulté. Lorsque la personne est hors d'état d'exprimer sa volonté, la limitation ou l'arrêt de traitement susceptible d'entraîner son décès ne peut être réalisé sans avoir respecté la procédure collégiale mentionnée à l'article L. 1110-5-1 et les directives anticipées ou, à défaut, sans que la personne de confiance prévue à l'article L. 1111-6 ou, à défaut la famille ou les proches, aient été consultés. La décision motivée de limitation ou d'arrêt de traitement est inscrite dans le dossier médical. Refus de soin pour motifs religieux par les parents du patient mineur ou majeur sous tutelle • Article L. 1111-4 CSP Le consentement du mineur ou du majeur sous tutelle doit être systématiquement recherché s'il est apte à exprimer sa volonté et à participer à la décision. Dans le cas où le refus d'un traitement par la personne titulaire de l'autorité parentale ou par le tuteur risque d'entraîner des conséquences graves pour la santé du mineur ou du majeur sous tutelle, le médecin délivre les soins indispensables. • R. 4321-84 CSP ; code de déontologie des masseurs-kinésithérapeutes Le masseur-kinésithérapeute appelé à donner des soins à un mineur ou à un majeur protégé s’efforce de prévenir ses parents ou son représentant légal et d’obtenir leur consentement. En cas d’urgence, même si ceux-ci ne peuvent être joints, le masseur-kinésithérapeute donne les soins nécessaires. Si l’avis de l’intéressé peut être recueilli, le masseur-kinésithérapeute en tient compte dans toute la mesure du possible. • Article 43, code de déontologie médicale Le médecin doit être le défenseur de l'enfant lorsqu'il estime que l'intérêt de sa santé est mal compris ou mal préservé par son entourage. Port de vêtements religieux lors des soins • Le principe : respect de la volonté du patient si cela n’entrave pas le soin. • Informer le patient des difficultés ou impossibilités techniques de réaliser certains soins, non compatibles avec certains vêtements. • Faire appel à l’aumônier pour expliquer et dialoguer de manière apaisée avec le patient. • Rappel de la loi du 11 octobre 2010 n°2010-1192 : « nul ne peut dans l’espace public porter une tenue destinée à dissimuler son visage ». Alimentation, religion et soins • La pratique du jeûne religieux (Ramadan, Carême, Yom Kippour …) Circulaire DHOS/G n°2005-57 du 2 février 2005 relative à la laïcité dans les établissements de santé L’établissement de santé doit respecter les croyances et les convictions des personnes accueillies. Un patient doit pouvoir, dans la mesure du possible, suivre les préceptes de sa religion (recueillement, présence d’un ministre du culte de sa religion, nourriture, liberté d’action et d’expression...). À concilier avec l’article R. 1112-48 CSP : Les visiteurs et les malades ne doivent introduire dans l'établissement ni boissons alcoolisées ni médicaments, sauf accord du médecin en ce qui concerne les médicaments. Le cadre infirmier du service s'oppose, dans l'intérêt du malade, à la remise à celui-ci de denrées ou boissons même non alcoolisées qui ne sont pas compatibles avec le régime alimentaire prescrit. Les denrées et boissons introduites en fraude sont restituées aux visiteurs ou à défaut détruites. […]. ⇒ Possibilité (pas d’obligation) de repas alternatifs proposés par l’établissement ou acceptation de repas préparés par les proches et respectant les recommandations médicales. ⇒ En cas de refus de l’alimentation proposée, se rapprocher des aumôniers ; sinon, cela peut être un refus de soins par le patient. Médicaments et soins • Dans certaines religions, l’origine et la composition de certains médicaments peuvent poser problème à des patients. ⇒ Des alternatives peuvent être proposées, mais à la charge du patient ; il existe des guides spécifiques de médicaments casher et halal. Bibliographie • J. Rivero, « La notion juridique de laïcité », Dalloz, 1949 (reproduit in: APD, 2004, p. 259) • Circulaire du 5 septembre 2011 relative à la charte des aumôneries dans les établissements hospitaliers • I. Lévy, Guide des rites, cultures et religions à l'usage des soignants, Deboeck Estem, 2013 • Conseil d'Etat, Assemblée Générale, Etude demandée par le Défenseur des droits (sur l’application du principe de neutralité religieuse dans les services publics), 2013 • Conseil d’Etat, dossier thématique, Le juge administratif et l’expression des convictions religieuses, 2014 • Observatoire de la laïcité, Laïcité et gestion du fait religieux dans les établissements publics de santé, 2016 • Code de la santé publique