et de l’essence, ce qui est assez différent. Il faut se demander si les deux hypothèses
soulevées sont exhaustives. Pour ma part, je ne crois pas, du moins pas pour les
êtres naturels. Chez ceux-ci, leur être (esse) résulte de l’union d’une forme et d’une
matière, et ce n’est qu’au terme de cette union, qu’on peut distinguer chez eux une
essence, sans que celle-ci ait une réalité à part du composé. Elle est connaissable par
une certaine abstraction du concret. Par conséquent, il est à mon avis faux de dire,
que pour les êtres naturels, leur être résulte de l’union d’une essence et d’une
existence. Au contraire, c’est l’essence qui résulte de l’union d’une forme et d’une
matière, laquelle forme est ce qui donne l’esse au tout, et par voie de conséquence, à
son essence. Les explications de saint Thomas dans le "de Ente" sont parfaitement
explicites à ce sujet]
4 Au point de vue philosophique, ce problème se trouve posé par le fait de la
multiplication formelle et de la limitation des êtres créés et, subsidiairement, par la
question du rapport de ces êtres avec l'être incréé, unique et infini. Voici, en effet, des
êtres limités et multiples. D'où vient qu'ils soient ainsi limités et multiples ? En
considérant la multiplicité des individus matériels, nous avons été amenés à dire que
cela tient à ce que de tels êtres sont composés de matière et de forme : la matière reçoit la
forme qu'elle limite et qu'elle multiplie [Ici, il faut faire très attention. La matière ne
limite pas la forme mais l’être total, et uniquement quant à la quantité, mais
justement pas quant à l’être, ni ses potentialités, ni ses imperfections, qui se trouvent
limités par la forme. Si c’était la seule matière qui limitait la forme, alors, une forme
sans matière serait illimitée. Toute forme serait alors Dieu. On voit l’impasse]. Mais si
nous nous mettons en face d'une multiplicité de formes, et spécialement de formes
pures, ce que sont pour saint Thomas les substances angéliques, la solution invoquée,
pour le cas des êtres corporels, n'a plus de valeur : il n'y a plus ici de matière pour limiter
et pour multiplier. C'est alors qu'on est amené à se demander si, au sein des formes
pures elles-mêmes, il n'y aurait pas une composition, d'un autre ordre que celle de la
matière et de la forme, qui viendrait rendre compte de leur limitation et de leur
multiplication. Si d'autre part l'on considère les être limités dans leur référence avec
l'être incréé et illimité, on peut se demander ce qui fera que toute cette multiplicité
d'êtres ne vient pas se perdre dans l'unité panthéistique du seul être premier. De toute
évidence il doit y avoir entre les êtres limités et l'être infini dans sa simplicité une
différence de structure qui semble requérir chez les premiers une complexité interne.
(Cf. Texte XII, p. 188)
2. Historique du problème.
5 Aristote, qui n'a pas nettement envisagé le problème de la multiplicité formelle ni
celui du rapport des êtres limités avec l'acte pur, n'a pu traiter explicitement de la
distinction qui nous occupe [C’est exact, mais ce n’est pas comme semble le dire
Gardeil une faiblesse de sa part. C’est qu’il aurait récusé une théorie qu’il aurait
attribuée aux "platoniciens"]. Rien cependant dans sa philosophie ne s'y oppose, l'on
peut même dire que par sa double orientation vers le concret de l'individu existant et
vers les valeurs intelligibles de l'essence, elle allait logiquement dans ce sens [???]. C'est
avec le néo-platonisme que l'on commence vraiment à aborder le sujet. Boèce, dans un
texte du De hebdomadibus, dont par la suite on fera état en faveur de la distinction
réelle, distingue déjà dans l'être l'esse et le quod est ; mais il est clair qu'il n'a rien dit de
la réalité de cette distinction. Il faut s'avancer jusqu'à la philosophie arabe pour la
trouver explicitement reconnue. Avicenne ira même jusqu'à faire de l'existence une
sorte d'accident de l'essence [On a vu que Gardeil aussi ! C’est normal. Cette
distinction pousse naturellement à cette conclusion], ce dont saint Thomas, après