L éthique face au risque utilitaire de la procréation

a recherche sur l’embryon : situation idéolo-
giquement conflictuelle ou transgression
assumée ?”
Par cette formule, Claude Sureau résume et cerne parfaitement
la situation : le conflit idéologique est évident. Directement lié
au statut de l’être prénatal (embryon et fœtus), il est à la fron-
tière entre médecine, thérapie prénatale et eugénisme.
Avant 1970, le diagnostic prénatal n’existait pas. Les hydro-
céphalies, comme les anencéphalies, étaient suspectées lors de
l’examen clinique, rarement confirmées par les examens com-
plémentaires et les interventions n’avaient souvent d’autre but
que le sauvetage maternel. La plupart des indications des inter-
ruptions médicales de grossesses (IMG) étaient maternelles,
rares étaient les indications fœtales comme la rubéole et la
toxoplasmose. Dans ce dernier cas, le risque d’atteinte fœtale
n’était que de 4% : dans 96% des cas le fœtus avorté était
sain…
Depuis 1970, les progrès ont permis une extension des indica-
tions fœtales d’interruption médicale de grossesse mais doi-
vent conduire une réflexion à trois niveaux :
Philosophique : est-ce de l’eugénisme ?
La pierre angulaire de cette réflexion fut la discussion qui se
tint entre 1997 et 1999 à propos de la différence de prise en
charge des amniocentèses : celles faites pour âge maternel
étaient prises en charge par l’assurance maladie, pas celles
effectuées pour un taux de marqueurs sériques défavorable.
L’argument avancé était le risque de dérive eugénique : un
résultat douteux des taux de marqueurs amènerait à pratiquer
une amniocentèse et peut-être une interruption médicale de
grossesse.
L’acceptation par le gouvernement de la prise en charge des
amniocentèses quelle qu’en soit la raison vint et, dans le même
temps, les premiers signes de dérive eugénique : demande
croissante “d’enfant parfait” et glissement dans le comporte-
ment des femmes qui, en cas de doute, préfèrent demander une
interruption volontaire de grossesse dans les délais légaux pour
éviter le refus éventuel d’une interruption médicale de gros-
sesse tardive.
Médicale : y a-t-il une limite aux indications ?
Il n’y a pas, à l’heure actuelle, de limite aux indications
fœtales des IMG et il n’y en aura sans doute jamais. L’amélio-
ration des technologies, en particulier échographiques, chaque
jour plus performantes, permettent le dépistage et le diagnostic
de plus en plus d’états pathologiques pouvant donner lieu à
discussion et, in fine, de décisions d’interruption ou non.
Scientifique : existe-t-il une alternative ?
Il existe au moins deux alternatives : la recherche sur
l’embryon et la médecine de l’embryon.
La prévention ou la correction, au stade prénatal, pré-implanta-
toire ou péri-conceptionnel des anomalies que nous savons
possibles est, à terme, la seule alternative concevable pour évi-
ter toute dérive eugénique.
Cela suppose la recherche sur les gamètes et la recherche sur
l’embryon qui permettront pour l’une d’améliorer les résultats
des FIV et pour l’autre une vraie médecine de l’embryon.
LA RECHERCHE SUR L’EMBRYON
Le diagnostic préimplantatoire (DPI), couramment pratiqué
dans certains pays voisins, est autorisé en France depuis quatre
ans dans un nombre limité de centres et sous moratoire de cinq
ans. S’il apporte, dans certaines situations, un plus par rapport
au diagnostic prénatal, il peut être la meilleure et la pire des
choses s’il n’a pas de limites.
Seuls les couples susceptibles de transmettre une maladie
d’une particulière gravité et incurable au moment du diagnos-
tic peuvent accéder au DPI. Cette technique qui a pu se déve-
lopper grâce à la FIV permet d’obtenir plusieurs embryons qui
sont analysés : seuls les embryons non porteurs ou porteurs
sains de la pathologie sont réimplantés. Le DPI permet d’éviter
une IMG tardive souvent mal vécue et semblerait donc l’exa-
men idéal pour des familles souvent très éprouvées soit par un
premier enfant déjà atteint, soit par une atteinte familiale dans
le cas des maladies dominantes à tel point que, lorsqu’il n’était
pas autorisé en France, ces familles essayaient d’y accéder à
l’étranger, souvent à grands frais.
GYNÉCOLOGIE ET SOCIÉTÉ
L’éthique face au risque utilitaire de la procréation
9ejournée “Éthique, religion, droit et procréation”, Palais des congrès, Paris, 7 mars 2003
L
l
Isabelle Leguillette, Alain Proust*
4
La Lettre du Gynécologue - n° 286 - novembre 2003
* Hôpital privé d’Antony, département de gynécologie obstétrique, maternité
des Vallées, 1, rue Velpeau 92160 Antony.
Note des auteurs : La loi encadrant l’interruption médicale de grossesse
(IMG) ne permet pas d’effectuer une IVG “classique” avant 14 SA s’il existe
une suspicion de “malformation”. La demande doit alors suivre la procédure
classique de toute IMG (centre de référence, expert…).
Alors que le diagnostic prénatal (DPN) pose le problème
éthique de la sélection des enfants à naître, le diagnostic pré-
implantatoire permet un choix prégravidique parmi les
embryons conçus. Cette possibilité de sélection des embryons,
ainsi que la maîtrise de plus en plus pointue du génome
humain, provoque l’inquiétude et fait craindre une quelconque
dérive eugénique jetant ainsi l’anathème sur cette pratique.
Seules la conscience et l’éthique des professionnels interdisent
cette dérive.
Quels critères peuvent permettre de justifier un DPI ?
Tout simplement les mêmes que ceux qui conduisaient à prati-
quer un DPN. Lorsque le diagnostic d’une pathologie grave ou
incurable est fait et qu’une IMG est décidée, la crainte de la
réapparition de cette pathologie à la grossesse suivante
conduira à pratiquer un DPI.
Toutefois ce n’est pas parce que la technique existe qu’il faut
l’utiliser à toutes les fins. Certaines situations semblent inac-
ceptables et ont été refusées de façon consensuelle en France :
le recours au DPI pour sauver un autre membre de la fratrie
comme dans la conception d’Adam. L’enfant est souhaité non
pour lui-même mais dans l’intérêt de son frère, quel pourra
être son vécu psychologique d’adolescent s’il s’avère qu’il est
né trop tard ou que sa naissance n’a pas suffi pour sauver son
frère ou sa sœur ?
Le DPI est un atout majeur par rapport au DPN mais il ne doit
pas conduire à une réification de l’embryon ou à une instru-
mentalisation extrême de ce dernier.
La grande interrogation reste celle du statut de l’embryon et de
la détermination des conditions de recherche sur l’embryon,
faut-il se contenter d’une recherche sur les embryons congelés,
ce qui est très limitatif, ou faut-il accepter l’idée de la création
d’embryons à des fins de recherche sachant que ceux-ci ne
seront jamais réimplantés ?
LA RECHERCHE SUR LES CELLULES SOUCHES
L’assistance médicale à la procréation (AMP) est un progrès
incontestable dans le soulagement de la détresse des couples
en désir d’enfants.
L’AMP a induit l’apparition et le développement des techniques
dérivées comme le DPI, le clonage reproductif et thérapeutique
et des produits dérivés comme les embryons congelés.
Demeure la question du statut de l’embryon, de ce “grumeau”,
cet “amas” de cellules (4 ou 8 en éprouvette) qui peut devenir
un être humain.
La recherche sur l’embryon est une avancée dans le domaine
de l’AMP car cela permet de savoir quels sont les embryons
indemnes ou porteurs sains. Ce qu’il paraît nécessaire et indis-
pensable de combattre à tout prix sont les recherches “futiles”
sur les cellules embryonnaires.
La recherche est justifiée et justifiable si, et seulement si, elle
est faite dans un but cognitif et thérapeutique. Se pose ic,i en
effet, la question du statut de l’être prénatal, embryon et fœtus :
est-ce une chose ? est-ce une personne ?
Cette dualité découle de la lecture de l’article 16 du Code civil :
“La loi assure la primauté de la personne, interdit toute atteinte
à celle-ci et garantit le respect de l’être humain dès le com-
mencement de sa vie” la personne apparaît à la naissance,
l’être dès la conception. Pourtant l’être prénatal n’est pas une
personne puisqu’on peut le détruire (IMG, IVG) mais il n’est
pas une chose car il est potentiellement un homme.
Si on pousse plus loin l’assertion, la vie existe dans les ovo-
cytes et les spermatozoïdes, donc il faut respecter ces cellules
dans le principe qu’elles sont des êtres humains potentiels.
Aura-t-on alors plus de respect pour des cellules que pour
l’être vivant qui n’est pas encore une personne puisqu’il n’est
pas encore né ?
LE FŒTUS : ÊTRE OU PERSONNE
L’enfant de remplacement
Comme on l’a vu précédemment, le DPI peut permettre (pas
en France toutefois) d’engendrer une vie qui permettra la sur-
vie, la thérapie ou la guérison d’un membre de la fratrie déjà
né et malade.
Donner la vie dans ce contexte relève-t-il d’un désir profond
de l’enfant pour lui-même ou de la production d’une vie pour
en maintenir une autre ?
Qu’elle va être la place de cet enfant donneur en cas de réus-
site, en cas d’échec ?
Comment cet enfant donneur pourra-t-il se positionner dans sa
relation à ses parents ? à l’enfant receveur ?
Au-delà du soulagement de la douleur des parents (perte d’un
enfant évitée, remplacement d’un enfant décédé) peut-on
concevoir dans l’enfant de remplacement, un enfant qui serait
présent non pour lui-même mais pour combler le vide laissé
par un frère ou une sœur ?
Le pédopsychiatre est là pour s’occuper de la souffrance des
parents lors de la perte d’un enfant, de l’enfant dans sa situa-
tion de donneur ou de remplacement. Il n’est pas là pour gom-
mer la souffrance, la faire disparaître à l’aide d’anxiolytiques
ou d’antidépresseurs mais pour la reconnaître, l’accompagner
et permettre, au-delà de l’acceptation de certaines limites
(celles de la science, de la vie), d’affronter les émotions sans
les fuir.
Arriver à cette prise de conscience, à ce dialogue, relève sou-
vent de l’exploit.
Positions religieuses
La non-instrumentalisation de l’embryon reste toutefois au
centre des débats éthiques, débats qualifiés souvent de falla-
cieux par ceux-là même qui prétendent que l’attente de
l’enfant à travers le désir des parents relève d’une certaine ins-
trumentalisation (fondation d’une famille, liens sociaux, etc.)
Kant ne niait pas cette “réification” de l’homme, lui qui pro-
fessait : “Agit de telle sorte que tu traites l’humanité aussi bien
dans ta personne que dans la personne de tout autre, toujours
en même temps comme une fin et jamais simplement comme
un moyen”.
La dérive utilitaire cherche à maximiser le bien-être social et à
minimiser les écarts entre les individus mais n’est-ce pas au
mépris du principe kantien de la fin en soi ?
Dans la religion hébraïque l’enfant n’est qu’à venir. L’allégo-
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La Lettre du Gynécologue - n° 286 - novembre 2003
rie veut que, dans le ventre de sa mère, le fœtus ait une flamme
de bougie au-dessus de sa tête, son âme. L’âme est en dialogue
entre personne et chose, elle relie ce qui va devenir une personne
au projet du créateur pour sa création. Il sait tout, savoir universel
qu’il perdra à la naissance et passera sa vie à retrouver.
À la naissance, si la vie de la mère est en danger, le médecin
peut tuer l’enfant pour sauver la mère : la vie de la mère pré-
vaut sur celle de l’enfant à naître. En revanche, lorsque
l’enfant naît, alors il y a personne humaine et dès lors il est
interdit d’attenter à son existence.
De cette conception découle l’attitude de la tradition hébraïque
par rapport à la recherche.
La recherche sur les cellules souches ne pose aucun problème,
de même, le prélèvement d’une partie infinitésimale de la per-
sonne (embryon congelé) à condition qu’il ne soit pas porté
atteinte à l’intégrité de la personne.
Par ailleurs, le fœtus expulsé a droit au plus grand respect : son
corps doit être enterré.
Les prélèvements à des fins thérapeutiques sont autorisés sur
les fœtus expulsés à condition que cela ne soit pas pour des
recherches tout azimut et qu’ils soient pratiqués avec le plus
grand respect possible pour le corps.
Le prélèvement d’organes sur les vivants est possible mais
concevoir un enfant à des fins thérapeutiques (sauver son
frère) est interdit par la loi hébraïque.
CONCLUSION
Seule la recherche sur l’embryon et sur les gamètes conduira à
une vraie médecine de l’embryon.
Cette médecine devrait inclure, même si elles sont frappées
d’ostracisme, la transgenèse et la thérapie génique germinale.
Il ne s’agit pas de fabriquer des individus d’un type donné
mais d’éviter, par une modification génétique de l’individu, la
transmission à sa descendance de maladies particulièrement
graves. Sur ce point, comme sur celui de la fabrication
d’embryons à des fins de recherche, la loi française dans
l’article 16-4 du Code civil s’oppose à l’article 13 de la
convention d’Oviedo.
La réflexion porte sur le statut de l’embryon et du fœtus : per-
sonne ou chose ?
Sur le plan juridique, ce ne sont pas des personnes.
Sur le plan religieux ce sont des êtres humains dotés d’une
âme.
Lorsque l’on reprend l’article 16 du Code civil, on remarque
qu’il distingue la personne de l’être : “La loi assure la pri-
mauté de la personne, interdit toute atteinte à sa dignité, garan-
tit le respect de l’être humain”.
Là se trouve la clé de la réflexion : la personne humaine existe
à la naissance mais l’être existe dès la conception.
Il existe donc une différence de nature entre être et personne,
entre personne et chose : le fœtus et l’embryon se situent à
égale distance entre les uns et les autres.
Cette spécificité de l’être prénatal, ni chose ni personne,
ébranle les fondements du système judiciaire français qui
remontent au droit romain mais il devrait permettre un jour
d’établir un statut médical cohérent du fœtus et de
l’embryon. n
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