Centre Dramatique National Nancy Lorraine, La Manufacture - Saison 2016-2017 3
ÉDITO
« L’hypocrisie est un vice à la mode, et tous les vices à la mode passent pour vertus. Le
personnage d’homme de bien est le meilleur qu’on puisse jouer aujourd’hui, et la profession
d’hypocrite a de merveilleux avantages. » Dans la bouche de Dom Juan, cette profession
de foi n’étonne pas. Pour lui, tout est bon pour jouir « pleinement » - comme il dit - et ses
désirs égoïstes n’ont pas de limites. Molière, encore cette saison, nous accompagne et nous
fait réfléchir. Après une tournée qui l’a mené en Suisse, en Belgique, en Allemagne et en
Chine, et a fait rire dans tant de villes, Le Malade imaginaire revient pour nous rappeler que
les charlatans sont légion à vouloir nous faire prendre des vessies pour des lanternes. La
Luxembourgeoise Myriam Muller, en dépoussiérant son Dom Juan, nous montre que dans
notre société la vulgarité se porte bien et qu’elle sait s’habiller d’éclats nouveaux pour séduire.
La poudre aux yeux et comment y réagir est également le thème du Vent se lève (Les Idiots /
Irrécupérables ?).
Nos spectacles tournent dans le monde entier et nous passons les frontières sans encombre
pendant que des milliers de migrants meurent en Méditerranée dans un fatalisme et une
indifférence ahurissants. L’Europe, notre Europe dresse des murs et des barbelés. La
séduction de nouveaux fascismes aux sourires carnassiers fait froid dans le dos. Nous
manquons de mémoire. Les capitaux, eux, n’ont pas de frontières et se jouent des peuples
et des nations en crise pour le profit de quelques « élus ». L’hypocrisie des paradis fiscaux
ne choque pas grand monde. C’est toujours la faute des autres ? Certainement pas. Être
consommateur, ce n’est pas forcément suffisant pour être
responsable. Alors, au théâtre, peut-on résister ? Nos paroles peuventelles porter ? Notre
saison, en tout cas, prétend ne pas baisser les bras. Nous dirons les nuances et la complexité
lorsque l’on veut nous faire entendre le simplisme et de commodes discours binaires.
Le monde d’Armando Llamas et de Meurtres de la princesse juive (...) est un monde dans
lequel on circule, un monde où les identités ne sont pas assignées à résidence, où tout être
humain est digne d’intérêt, fût-il situé au plus bas de l’échelle sociale. Homme ou « femme,
on le devient », disait Simone de Beauvoir. Les différences de genre impliquent-elles un rôle
déterminé dans la société, dans l’amour, dans la sexualité ? Ces questions, les femmes de
Femme verticale nous les posent.
Comment dégager le vrai du faux dans tout ce qu’on nous raconte ? Qui peut-on croire ? Qu’y
a-t-il derrière les façades rutilantes ? Faut-il se défier de tout ? Est-ce la faute d’un système
? Ou la nôtre, à nous, qui préférons le confort du mensonge ? Le théâtre démasque, dévoile,
dénude en incarnant. Ionesco donne un coup de pied hilare dans l’ordre un peu rance d’une
bien-pensance qui rend fou avec La Cantatrice chauve. Mensonges interroge le faux qui a des
accents de vérité dans la politique, l’histoire ou la religion. Il y a aussi des transparences qui
cachent beaucoup comme dans Play Loud.
Que ce soit avec le festival Ring, les rencontres franco-allemandes de Neue Stücke, les
Moussons d’été et d’hiver, résolument internationales, c’est au monde entier que nous
ouvrons les portes de nos théâtres. C’est vital, l’échange et le partage sont ce qui nous
nourrit. C’est un plaisir, aussi, de découvrir d’autres visions, d’autres langues, d’autres usages
que les nôtres. C’est un étonnement qui réveille, parfois, de se rendre compte que, séparés par
tant de kilomètres, nos aspirations sont les mêmes, qu’il y a du grand et du sacré dans l’humain
lorsqu’on voudrait que les seuls critères d’appréciation du monde soient la fonctionnalité, les
chiffres et la rentabilité. « Marche ou crève » ?
Au théâtre, la mort n’existe pas. C’est toujours un jeu.
Et de jouer - pour secouer la vie - nous ne nous priverons pas.
C D N
NANCY
LORRAINE