LOI ET LIBERTE AU REGARD DE LA CIRCONCISION
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LOI ET LIBERTE
AU REGARD
DE LA CIRCONCISION
ALEXANDRA D.
INTRODUCTION
« C'est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit »1. Si cette
citation est née de la plume d'un homme d'Eglise, elle est néanmoins très
juive. Car loi et liberté sont deux des notions les plus centrales de la
foi juive.
De la confrontation de ces deux éléments émerge alors inévitablement la
question suivante : suivre les commandements et les préceptes de la Torah
ôte-t-il toute liberté individuelle et tout libre-arbitre à l'homme ou
l'aide-t-il à s'épanouir et s'ouvrir aux possibles ?
Lorsque l’homme accepte l’alliance divine, il s'assujettit à la loi de Dieu
et se place alors sous le joug d’une entité supérieure à lui. Cette posture
1 Henri Lacordaire, Conférences de Notre-Dame de Paris, tome III, Cinquante-
deuxième conférence, (Du double travail de l’homme, 16 avril 1848)
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semble de prime abord conditionner l'homme dans une situation de total
asservissement. Or dans toute la liturgie nous louons un Dieu libérateur,
délivrant les juifs d'Egypte, de la maison d'esclavage, comme un acte
fondateur. Paradoxalement, loi et liberté apparaissent donc comme deux
principes à la fois antinomiques et concordants.
Cependant le pacte entre Dieu et l'homme semble davantage subi que
consenti. A huit jours, l'enfant ne peut exprimer son choix lorsque cette
alliance est marquée de manière indélébile dans son intimité et dans sa
chair. Pourtant plus que tout, la Milah (la circoncision rituelle) est le
véhicule fondamental de la loi juive. C’est certainement pour cela qu’il
s’agit d’un des rites les plus persistants alors qu’il en est un des plus
contraignants. A la fois rite de passage et d'appartenance, la circoncision
est un des plus petits dénominateurs commun du peuple juif. Si selon le
Talmud elle est égale à toutes les mitsvot et la raison d'être du monde,
elle est historiquement l'identité même des israélites.
Maharal, ‘hidouché aggadot : L’objectif de toutes les mitsvot est qu’il y
ait une alliance et une relation entre Dieu et l’homme. La Milah est
aussi une alliance entre Dieu et l’homme, et elle est donc équivalente à
toutes les mitsvot.
Talmud Bavli, nedarim 32a : Grande est la Milah, car sans elle, le monde
n’existerait pas, ainsi qu’il est dit : « S’il n’y avait pas eu Mon
alliance [brit] de jour comme de nuit, je n’aurais pas prescrit les lois
du ciel et de la terre » (Yirmiyahou/Jérémie 33:25).
Dans cette perspective et au regard de ces éléments, nous essaierons
d'analyser et comprendre la problématique liée à la loi et à la liberté par
le prisme de la circoncision. Pour cela nous verrons dans un premier temps
comment, d'un point de vue biblique, la circoncision et l'acceptation de la
loi sont porteurs d'un message de libération. Puis dans un second temps et
d'un point de vue historique, comment l'annulation du signe de
l'affranchissement traduit la volonté d'asservir le peuple juif ou de le
dissoudre avec ses particularismes. Enfin, dans un troisième et dernier
temps, nous verrons d'un point vue psychologique comment la circoncision
peut-être vécue comme un traumatisme mutilant et castrateur ou inversement
comme un signe d'identité émancipateur et différenciateur.
A. LA CIRCONCISION ET L’IDEAL DE LIBERTE
1. La circoncision comme affranchissement de soi
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La première mention de la mitsvah de la circoncision dans le Pentateuque se
situe dès la troisième parasha du livre de la Genèse, Berechit. Elle
intervient donc à un moment particulièrement important du récit, après
l'histoire commune à l'humanité (Berechit et Noa'h) la narration se
recentre sur l'histoire du peuple juif. Juif et circoncision apparaissent
alors comme deux notions indissociables, auxquelles s'ajoute immédiatement
une troisième sous forme d'injonction: « deviens libre! ». C'est en effet
dans Lekh Lekha, que nous pouvons traduire par « Va pour toi! », qu'Abraham
reçoit ce commandement:
Lekh Lekha : « Abram étant âgé de quatre-vingt-dix-neuf ans, le Seigneur
lui apparut et lui dit: "Je suis le Dieu tout-puissant ; conduis-toi à
mon gré, sois irréprochable, et je maintiendrai mon alliance avec toi, et
je te multiplierai à l'infini." [...] Ton nom ne s'énoncera plus,
désormais, Abram : ton nom sera Abraham, car je te fais le père d'une
multitude de nations. [...] Cette alliance, établie entre moi et entre
toi et ta postérité dernière, je l'érigerai en alliance perpétuelle,
étant pour toi un Dieu comme pour ta postérité après toi. Et je donnerai
à toi et à ta postérité la terre de tes pérégrinations, toute la terre de
Canaan, comme possession indéfinie ; et je serai pour eux un Dieu
tutélaire." [...] Voici le pacte que vous observerez, qui est entre moi
et vous, jusqu'à ta dernière postérité : circoncire tout mâle d'entre
vous. Vous retrancherez la chair de votre excroissance, et ce sera un
symbole d'alliance entre moi et vous. A l'âge de huit jours, que tout
mâle, dans vos générations, soit circoncis par vous ;[...] Dieu dit à
Abraham : "Saraï, ton épouse, tu ne l'appelleras plus Saraï, mais bien
Sara. Je la bénirai, en te donnant, par elle aussi, un fils ; je la
bénirai, en ce qu'elle produira des nations et que des chefs de peuples
naîtront d'elle." […] Pour mon alliance, je la confirmerai sur Isaac, que
Sara t'enfantera à pareille époque, l’année prochaine." Ayant achevé de
lui parler, Dieu disparut de devant Abraham. » 2
La circoncision est donc ici bien plus qu’un simple signe d’alliance entre
Dieu, Abraham et sa postérité. C’est aussi un signe d’affranchissement de
soi, l’aspiration des hommes à prendre une nouvelle dimension. Le signe
d’un idéal à atteindre, comme le démontre Rachi dans son commentaire :
Rachi : « Je suis Qél Chaqaï Daï veut dire « assez » : J’ai assez de
puissance divine pour toutes les créatures. C’est pourquoi, « marche
devant moi », et je serai pour toi un Dieu et un « patron ». [...] « sois
entier dans toutes les épreuves que je t’enverrai ». Et selon le
midrash : « marche devant moi » par l’observance du commandement de la
circoncision, et alors tu seras vraiment entier. Car aussi longtemps que
tu conserveras ton prépuce, tu resteras imparfait devant moi (Berechit
raba 46, 4, Nedarim 32a) ».
2 Genèse Lekh Lekha 17:1-22
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Le commandement de la circoncision est donc le signe, non seulement d’une
alliance perpétuelle avec Dieu, mais d’une alliance avec sa loi. Non le
signe d’une loi autoritaire et totalitaire donc asservissante, mais d’une
loi servant de tuteur à l’épanouissement de l’homme, d'une loi servant de
tuteur pour l’aider à atteindre sa pleine maturité. En effet, ici Dieu ne
demande pas Abraham de le suivre servilement, mais de marcher devant lui.
Qu’Abraham apprenne par lui-même, pense par lui-même, agisse par lui-même,
Dieu étant derrière lui, comme un parent derrière son enfant ou un
professeur derrière son élève, l’aidant et le protégeant simplement afin
qu’Abraham puisse aller au-delà de ce qu’il est et se sublimer par lui-
même. La suite du commentaire du sage de Troyes, l'un des sages les plus
influents du judaïsme, continue en ce sens :
Rachi : « Je t’ai établi père d’une multitude de nations (av hamon) C’est
un jeu de mots (notariqon). Ce sont les syllabes mêmes qui forment le nom
d’Avraham : av hamon. La lettre reich qui se trouvait dans le nom d’Avram
signifie qu’il était seulement père de Aram (Bérakhot 13a), son pays
natal. Maintenant, il devient le père de toute l’humanité ».
La circoncision ici libère de l’étroitesse du lieu et du présent immédiat.
Dans la Torah, il est fréquent que les personnages changent de nom lors
d’un nouveau départ dans leur vie. Par cette lettre ajoutée, la
circoncision est le signe de tous les possibles pour Abraham. Elle lui
donne la possibilité d’envisager le monde dans sa globalité, de
l’appréhender sans limite aucune, de le concevoir libre des contraintes du
temps et de l’espace.
Rachi : « Tu n’appelleras plus son nom Saraï Mot qui signifie : « “ma”
princesse », pour moi mais pas pour les autres, tandis que « Sara » tout
court signifie « princesse », pour tous (Bérakhot 13a) ».
Rachi nous montre que la circoncision annonce aussi à Sarah le dépassement
et l’accomplissement d’elle-même. Elle lui confère aussi une dimension
universelle en la faisant passer de « ma princesse », possession de son
père ou de son époux, à « Princesse », libre de toute possession et ouverte
au monde. Elle annonce aussi son accomplissement en tant que femme, car
elle lui assure la naissance d’Isaac et la délivrance d’enfanter. La
circoncision apparait donc ici comme le marqueur physique de la libération
de son étroitesse personnelle, le signe de tous les possibles.
2. Difficile liberté
Cependant la liberté n’est pas une simple donnée, elle s’apprend, elle
s’entretient. Car la notion de circoncision est aussi liée à l’Exode. En
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effet, l’acte donnant la possibilité d’être libre est directement lié au
livre symbole de l’affranchissement de la servitude : Chemot.
Moïse et son peuple ne sont pas complètement libres en sortant d'Égypte,
ils ne sont pas libres par le simple fait d’échapper à leurs tortionnaires.
Ils le sont par le don de la Loi. Et par l’accomplissement de ses
préceptes. L’épisode troublant de la circoncision de Tsipporah tend à la
démontrer comme préambule à l’accomplissement de la mission de Moïse :
Chemot : « Pendant ce voyage, il s'arrêta dans une hôtellerie; le
Seigneur l'aborda et voulut le faire mourir. Séphora saisit un caillou,
retrancha l'excroissance de son fils et la jeta à ses pieds en disant:
"Est-ce donc par le sang que tu es uni à moi?" Le Seigneur le laissa en
repos. Elle dit alors: "Oui, tu m'es uni par le sang, grâce à la
circoncision!" » 3
Rachi : « Et l’ange « réclama sa mise à mort » Parce qu’il n’avait pas
circoncis son fils Eliezer. Et cette négligence le rendait passible de
mort. […] L’ange avait pris la forme d’un serpent et il avalait [Mochè]
en commençant par la tête jusqu’aux hanches, puis il le rejetait et
recommençait par les pieds jusqu’au membre viril. C’est ainsi que
Tsipporah a compris que c’était à cause de la circoncision (Nedarim
32a) ».
Que Moïse se soit montré négligeant ou pas, qu’il se soit préoccupé de
l’immédiateté de trouver un hébergement ou pas, l’acte d’amour de Tsipporah
pour préserver son époux de la mort permet surtout à ce dernier de lui
offrir la possibilité d’accomplir sa mission divine. La circoncision
apparait donc ici comme la condition nécessaire à la sortie d'Égypte, comme
la condition nécessaire à l’acquisition de la liberté.
Par cet acte de Tsipporah, la Torah nous enseigne que la liberté ne se
trouve pas dans la jouissance immédiate, mais dans le respect de la
Halakha. Et que c’est l’idéal de la Halakha qui confère à l’homme sa
liberté. En effet avant cet extrait, Moïse n’est que doutes,
qu’interrogations, que fuites devant ses responsabilités. Il souhaite vivre
paisiblement sa vie dans la jouissance simple et immédiate du monde. C’est
seulement après que son épouse l’ait rappelé à l’ordre et à la vie qu’il
endosse pleinement son rôle, qu’il s’affranchit de ses étroitesses, qu’il
se libère de lui-même afin de pouvoir libérer son peuple.
Par-là même, la circoncision nous permet de nous rappeler perpétuellement
de notre condition d’homme libre comme démont dans la lecture de la
parasha Bo :
3 Exode Chemot 4:24-26
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