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tron-phonon (EP) avait été identifiée
comme étant à l’origine de la faible
attraction entre électrons à basse
température et de la formation de
paires d’électrons (paires de
Cooper), condensées dans un même
état quantique en dessous de la tem-
pérature critique TC. La théorie BCS
prévoit que la densité des excitations
électroniques, ou quasi-particules,
présente un gap 2au niveau de
Fermi vérifiant le rapport 2/kBTC
=3,52.
La théorie BCS a été ensuite éten-
due au cas du couplage électron-
phonon fort, pour lequel le rapport
précédent a une valeur légèrement
plus grande et le spectre des excita-
tions contient, au-delà du gap, des
singularités aux énergies caractéris-
tiques des phonons. Par la mesure de
l’effet tunnel dans des jonctions
planes, les travaux de Giaever et de
Rowell et McMillan ont mis en évi-
dence le mécanisme microscopique
de la supraconductivité convention-
nelle. La technique a permis égale-
ment, en utilisant un modèle déve-
loppé par McMillan, d’extraire de la
conductance tunnel une valeur théo-
rique de la température critique
indépendamment de celle mesurée
par la transition résistive. Il était ten-
tant d’appliquer ces mêmes considé-
rations à de nouveaux supra-
conducteurs : i) les cuprates supra-
conducteurs à haute température cri-
tique ; ii) le diborure de magnésium
(MgB2), un supraconducteur à 39 K,
découvert en janvier 2001.
SUPRACONDUCTIVITÉ DANS LES CUPRATES
Les cuprates supraconducteurs ont
été déjà présentés dans Images de la
Physique. Il s’agit d’une classe de
matériaux lamellaires proches d’une
phase isolante antiferromagnétique.
L’introduction d’oxygène rend ces
corps conducteurs puis supracon-
ducteurs pour un dopage en oxygène
particulier. La température critique
TC(80 −120 K) est d’un à deux
ordres de grandeur supérieure à celle
de supraconducteurs conventionnels.
Ces supraconducteurs sont très ani-
sotropes et présentent des longueurs
de cohérence – distance caractéris-
tique sur laquelle s’établit ou se
détruit l’ordre supraconducteur –
très petites (de 1 à 3 nm seule-
ment !).
Le problème principal – le méca-
nisme microscopique de la supra-
conductivité à haute température cri-
tique – n’est toujours pas élucidé
malgré l’effort mondial sur ce pro-
blème fondamental. Néanmoins, un
certain nombre d’éléments sont
considérés comme acquis :
– contrairement au cas de la théorie
BCS, le paramètre d’ordre supracon-
ducteur est anisotrope, avec une
symétrie de type d(encadré 2). Cela
se traduit par une forme particulière
des spectres tunnel (figure 1) ;
– l’amplitude maximale du gap 0
est anormalement élevée (selon les
composés 0∼15 −60meV,ce
qui donne un rapport 2/kBTCpou-
vant atteindre 40 !). De plus, l’éner-
gie du gap et même le rapport
2/kBTCdépendent du dopage du
matériau ;
– un comportement non conven-
tionnel de l’amplitude du gap en
fonction de la température a été
récemment observé. En effet, dans
tous les supraconducteurs conven-
tionnels le gap se ferme à la tempé-
rature critique TC. Dans la plupart
des cuprates, il n’en est rien et au-
delà de TCla conductance tunnel
change d’allure : les pics (visibles
sur la figure 1) disparaissent, mais
un gap se maintient jusqu’à une tem-
pérature T∗plus élevée que TC. Cet
état non supraconducteur mais pré-
sentant un gap dans la densité d’états
(dont la largeur est très proche de
celle du gap supraconducteur !) est
nommé « pseudogap ». Notons que
les spectres tunnel du type pseudo-
gap ont aussi été observés, dans cer-
tains cuprates, au cœur des vortex, là
où le paramètre d’ordre supracon-
ducteur s’annule.
RÔLE DU DÉSORDRE
L’observation du pseudogap con-
duit à reconsidérer l’état normal des
cuprates. En effet, la mise hors
stœchiométrie par dopage δ, néces-
saire pour assurer la conductivité
électrique et la supraconductivité à
plus basse température, introduit
inévitablement un potentiel coulom-
bien aléatoire dû aux charges locali-
sées. D’ailleurs, le terme « dopage »
est un abus de langage car il s’agit de
concentrations d’atomes d’oxygène
excédant 1020cm−3, soit un atome
du dopant pour chaque 6-7 cellules
élémentaires du matériau ! A ce
désordre obligatoire se rajoute le
désordre structural dû aux imperfec-
tions de croissance. Ainsi, le dépla-
cement bidimensionnel des charges
libres, confinées dans les plans
Cu −O, se fait en présence d’un
potentiel de désordre aléatoire. Pour
la supraconductivité bidimension-
nelle (ce qui est le cas dans beau-
coup de cuprates) les conséquences
de ce désordre seraient importantes.
Comme il a été récemment démontré
théoriquement, il pourrait exister un
état dans lequel les paires de Cooper
sont corrélées à courte distance mais
sans phase supraconductrice glo-
bale. Cet état non supraconducteur
devrait être caractérisé par un gap
dans le spectre d’excitations élémen-
taires – le pseudogap – dû à l’exis-
tence même de ces paires.
Afin d’élucider le rôle joué par le
désordre dans la supraconductivité
bidimensionnelle, une expérience de
STS a été réalisée sur un mono-