Eclairages Systèmes hydrogène et systèmes électriques : quelles interactions ? par Benjamin Guinot & Chrisitine MANSILLA DRT­Liten / CEA I­tésé Les systèmes hydrogène ont démontré un potentiel réel pour faciliter la transition vers un système énergétique bas carbone, avec la technologie d’électrolyse au cœur du processus. À court terme ils peuvent contribuer significativement à la stabilité du système électrique à travers les services système. À moyen terme, leur rôle s’amplifiera à travers ces services et un potentiel pour le stockage massif. L a transition énergétique vers un système bas carbone passe notamment par le développement massif d’énergies renouvelables (EnR) non programmables telles que l’éolien et le solaire. Pour relever ce défi, le système électrique, contraint de réaliser à chaque instant l’équilibre entre injections et soutirages, dispose de plusieurs moyens. Certains agissent sur l’offre, certains sur la demande, et d’autres tels que le stockage ou les interconnexions jouent sur ces deux leviers. Les caractéristiques techniques d’un système de production d’hydrogène par électrolyse permettent un ajustement rapide de la puissance électrique consommée (i.e. passage à la puissance nominale en quelques minutes, voire quelques secondes) : la production d’hydrogène est ainsi un nouvel outil potentiel pour contribuer à la stabilité du système électrique. Nous proposons ici de brosser un tableau rapide des services possibles et d’en identifier les bénéfices tant pour le producteur d’hydrogène que pour le système électrique. Figure 1 : Ajustement de la consommation électrique de l’électrolyseur (ELY) à la production EnR d’un site connecté au réseau. Bénéfices attendus du lissage de la production EnR : réduction de l’impact de l’intermittence, réduction des besoins de prévision, réduction des besoins en capacité de transmission, intégration « massive » d’EnR La flexibilité d’un système électrolyseur est valorisable dans de nombreuses situations 12 Les systèmes hydrogène peuvent s’envisager de façon centralisée ou décentralisée. Décentralisés, ils peuvent être installés à proximité d’un site de production d’énergie renouvelable ou près d’un site de consommation. Grâce à leur flexibilité, ils peuvent ajuster leur consommation électrique pour lisser la production EnR ou la demande d’un site (cf. Figures 1 et 2). Des services plus globaux d’équilibrage entre offre et demande pourraient être rendus sans requérir la proximité entre électrolyseurs et sites de consommation ou production, dès lors que les réseaux autoriseraient les échanges qui en découleraient (transport d’énergie électrique des sites de production aux sites de consommations). Toujours avec un modèle centralisé, des électrolyseurs connectés au système électrique peuvent également rendre des services de réglage : réglage de fréquence primaire ou secondaire (les services système), ou réglage tertiaire pour les échéances plus longues (le mécanisme d’ajustement). La lettre de l'I­tésé ­ Numéro 25 ­ Eté 2015 Figure 2 : Ajustement de la consommation électrique de l’électrolyseur (ELY) à la demande électrique d’un site connecté au réseau. Bénéfices attendus du lissage de la demande d’un site : réduction de l’impact de la variabilité de la consommation, réduction des besoins de prévision de consommation Eclairages La participation des systèmes hydrogène aux services système et au mécanisme d’ajustement : des bénéfices à portée de main Un usage de l’hydrogène qui devient économiquement viable pour des applications « site isolé » Techniquement, les systèmes hydrogène sont capables de contribuer à la stabilité du système électrique par leur participation aux services système et au mécanisme d’ajustement. Il reste que leur participation ne sera effective que si elle est assortie d’un bénéfice économique pour le producteur d’hydrogène. Loin de s’opposer aux batteries, l’hydrogène comme moyen de stockage pour sécuriser l’approvisionnement électrique de sites dits «isolés» apparait très complémentaire. Le stockage via l’hydrogène est plutôt utilisé avec un rythme saisonnier, quand les batteries assurent les variations journalières de la demande. Il apparait que, couplée à une installation photovoltaïque, la « chaine hydrogène » constituée d’un électrolyseur, d’un stockage et d’une pile à combustible, ne représente qu’une part modeste du coût de production de l’électricité, mais qu’elle réduit très significativement le dimensionnement du banc de batteries. Ainsi, dans le cas de l’étude menée par le projet REVERSE, le surcoût de l’électricité produite par rapport à l’alternative diesel, pour un coût du diesel à 2€/l, se trouve réduit de moitié, ne représentant plus que 20% grâce à la complémentarité des deux types de stockage. De plus, pour un coût de 2,5€/l, la solution hybride hydrogène­batteries devient compétitive par rapport à l’alternative diesel [4]. Le projet REVERSE et le projet VItESSE 2 ont examiné ces questions [1]­[2] et il ressort que la participation au réglage de fréquence primaire est actuellement encore trop peu attractive [1]. Cependant l’écart n’est «que» d’un facteur deux, ce qui ne semble pas insurmontable à terme, étant donnés les besoins croissants d’équilibrage qui accentuent la valeur de ce service, associé à la perspective de réduction des coûts des systèmes hydrogène. En ce qui concerne le mécanisme d’ajustement, l’intérêt économique existe déjà : participer à ce mécanisme peut contribuer à réduire les coûts de production de l’hydrogène de l’ordre de 10% [2]. Néanmoins il est indispensable de souligner que dans le cadre d’un déploiement massif, les systèmes hydrogène seront confrontés à la concurrence d’autres demandes flexibles (e.g. stockage, véhicule électrique), ce qui nécessitera de trouver des complémentarités entre les différentes solutions. Les systèmes hydrogène : un vecteur potentiel d’intégration massive des EnR Vu du système électrique, un système de production d’hydrogène par électrolyse est une demande flexible d’électricité. De telles demandes rendent possible le développement de mix électriques extrêmement volontaristes en termes environnementaux, en utilisant mieux les capacités de production électrique bas carbone : qu’elles soient programmables comme l’énergie nucléaire, ou non, comme l’énergie éolienne ou photovoltaïque. En effet, la flexibilité de la demande permet d’éviter la réduction du taux de charge des centrales programmables ainsi que –en partie au moins– l’écrêtement des énergies renouvelables non programmables. La mise en œuvre d’interconnexions nombreuses permettrait qui plus est d’augmenter les synergies entre pays européens. De premiers résultats ont montré que le développement de tels mix semble possible, avec un coût de production d’hydrogène potentiellement compétitif [3]. Il reste que, là encore, la concurrence avec les autres types de demande flexible est à examiner en détails pour préciser les opportunités réelles. A moyen terme : le potentiel de l’électrolyse haute température L’électrolyse haute température est un procédé d’électrolyse de la vapeur d’eau, opérant typiquement à des températures de 700 à 800°C. Ce procédé permet des gains en rendement, notamment via l’apport direct sous forme de chaleur d’une partie de l’énergie. Cette chaleur est fournie grâce à des systèmes d’échangeurs thermiques entre flux entrant et sortant de l’électrolyseur, et ne requiert donc pas de source thermique à très haute température. Le stack d’électrolyse haute température présente un potentiel supplémentaire par rapport aux autres types d’électrolyse. En effet, il permet de faire de la co­ électrolyse de dioxyde de carbone et d’eau, produisant du gaz de synthèse valorisable de multiples façons. Par ailleurs, le même stack d’électrolyse haute température peut être exploité en mode réversible, permettant avec un seul objet d’assurer soit un service de production d’hydrogène (mode électrolyse), soit une production d’électricité (mode pile). Ceci permet d’imaginer de nouveaux types de système : un électrolyseur haute température couplé à une source électrique bas carbone pourrait devenir un procédé de production d’hydrogène pour des applications produit chimique ou vecteur énergétique de l’hydrogène, doublé d’un procédé de production d’électricité en période de tension du système électrique. Ainsi, un potentiel technique et économique pour cette technologie est mis en évidence, mais il reste à le démontrer en conditions réelles compte tenu de la moindre maturité de cette technologie aujourd’hui. Eté 2015 ­ Numéro 25­ La lettre de l'I­tésé 13 Eclairages Une démarche prospective tenant compte du service rendu d’un point de vue global pourra apporter des éclairages sur l’économie de ces systèmes. Au total, les systèmes hydrogène présentent ainsi un potentiel réel pour faciliter la transition vers un système énergétique bas carbone, avec la technologie d’électrolyse (haute température) au cœur du processus. Pour affirmer ce potentiel, la R&D doit être maintenue et amplifiée afin de lever les incertitudes techniques et économiques qui demeurent encore. Références [1] B. Guinot, F. Montignac, B. Champel, and D. Vannucci, “Profitability of an electrolysis based hydrogen production plant providing grid balancing services”, International Journal of Hydrogen Energy, vol. 40, no. 29, pp. 8778–8787, Aug. 2015. [2] C. Mansilla, J. Louyrette, S. Albou, G. Barbieri, N. Collignon, C. Bourasseau, B. Salasc, S. Valentin, S. Dautremont, J. Martin, and F. Thais, “Electric system management through hydrogen production – a market driven approach in the French context”, International Journal of Hydrogen Energy, vol. 37, no. 15, pp. 10986­10991, Aug. 2012. [3] P. Caumon, M. Lopez­Botet Zulueta, J. Louyrette, S. Albou, C. Bourasseau, and C. Mansilla, “Flexible hydrogen production implementation in the French power system: expected impacts at the French and European levels”, Energy, vol. 81, pp. 556­562, March 2015. [4] B. Guinot, B. Champel, F. Montignac, E. Lemaire, D. Vannucci, S. Sailler, and Y. Bultel, “Techno­economic study of a PV­hydrogen­battery hybrid system for off­grid power supply: Impact of performances’ ageing on optimal system sizing and competitiveness”, International Journal of Hydrogen Energy, vol. 40, no. 1, pp. 623–632, Jan. 2015. 14 La lettre de l'I­tésé ­ Numéro 25 ­ Eté 2015