FCI - 1 - GB
Fusion par confinement inertiel et LMJ
G. Bonnaud mars 2014
La fusion thermonucléaire
La fusion thermonucléaire est la source d'énergie de notre soleil et des étoiles. Ce qui la caractérise c'est sa
grande énergie spécifique. Pour le schéma électrogène poursuivi actuellement fusionnant deux isotopes de
l'hydrogène deutérium (
2
1
D) et du tritium (
3
1
T), la réaction nucléaire exoénergétique :
2
1
D+ +
3
1
T+
4
2
He2+ + n
apporte 1014 J/kg, soit 8 fois plus d'énergie que la fission de l'uranium et entre 106 à 107 fois plus d'énergie
que les combustibles fossiles. La raison en est dans l'énergie de liaison (binding energy) des noyaux (nuclei),
de l'ordre du MeV (en raison de la force nucléaire) à comparer à l'eV mis en jeu dans le cortège électronique
périphérique d'un atome (due à la force électromagnétique). Aussi depuis le XXe siècle, l'humanité cherche à
créer artificiellement sur terre des conditions favorables à ces réactions de fusion puis à les contrôler pour en
extraire de l'énergie exploitable pour toutes les activités humaines, sous forme d'électricité ou de chaleur.
Les noyaux d'hélium (appelés aussi particules α avec 3.5 MeV d'énergie cinétique) maintiennent le milieu
fusible à température de quelques 107 K ; les neutrons (de 14.1 MeV) quittent ce milieu pour se ralentir dans
un liquide caloporteur utili ensuite dans un générateur de vapeur d'eau comme dans les centrales
thermiques actuelles, qu'elles soient à flamme ou bien nucléaires. Les neutrons sont donc les porteurs de
l'énergie exploitable. Les conditions propices aux réactions de fusion obligent à gérer un milieu matériel très
chaud et donc très ionisé, que l'on appelle plasma. Un tel plasma ne peut rentrer en contact avec la matière
solide sous peine de la volatiliser. Dans la mesure l'on peut maintenir de façon stable un plasma loin des
parois, par des champs magnétiques, une production continue est envisageable : c'est la voie de la fusion par
confinement magnétique (FCM ou MCF = magnetic confinement fusion). Si rien n'est fait pour confiner le
plasma, cette fourniture continue d'énergie ne le sera qu'en moyenne et en réalité la production d'énergie
consistera en une répétition, à quelques Hz, de micro-explosions nucléaires indépendantes de petites capsules
renfermant le mélange DT : c'est la voie de la FCI.
En FCI, chaque explosion est induite par l'apport rapide d'un grande quantité d'énergie, plus précisément une
puissance de l'ordre du petawatt (1015 W) que seuls des lasers peuvent actuellement fournir. Ce cours s'en
tiendra donc à la seule FCI induite par laser (laser-driven fusion). La FCI est donc un système
fondamentalement impulsionnel et tout ce qui est discuté par la suite porte sur l'identification, la
compréhension et le contrôle de processus présents lors d'une seule de ses micro-explosions. Une telle micro-
explosion a bel et bien eu lieu, lors d'expériences souterraines réalisées sur le site du Nevada entre 1978 et
1988 dans le programme Centurion/Halite, menées respectivement par les laboratoires américains Lawrence
Livermore et Los Alamos National Laboratory (LLNL en Californie et LANL au Nouveau-Mexique, USA) :
par le rayonnement X généré par une charge nucléaire, 10 MJ d'énergie ont pu être apportés sur cible. Cette
preuve faite, le défi est maintenant de réaliser cette micro-explosion de manière moins souterraine et avec
des sources d'énergie non nucléaires. Ce défi constitue un horizon à court terme, dans la mesure deux
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installations de par le monde sont actuellement en finalisation ou en construction, avec le NIF (National
Ignition Facility) au LLNL et le LMJ (laser mégajoule) au CEA en France. Leurs premiers tirs laser de
quelques 106 joules réalisant l'allumage thermonucléaire de micro-capsules sont prévus au cours de cette
décennie. A citer également le projet européen HIPER qui a démarré en 2007 et qui vise à étudier la
faisabilité d'un réacteur à fusion inertielle avec une approche d'allumage rapide.
Les laboratoires qui ont travaillé ou travaillent expérimentalement de par le monde actuellement sur la FCI
se trouvent aux USA, en Russie, au Japon, en Chine et en Europe (France, Angleterre, Italie, Allemagne,
Espagne, République tchèque). A ce jour, la plus grosse installation dédiée à la FCI est implantée au LLNL.
Un exemple proche : le soleil
La masse du soleil permet de confiner gravitationnellement une énorme sphère et d'y maintenir les réactions
de fusion nucléaire en son cœur, la température est estimée à 1.5 107 K, et sa densité à 150 g/cm3. Les
modèles indiquent que les réactions sont essentiellement des fusions proton-proton, le cycle du carbone
n’apportant que 2 % de l’énergie libérée. L’hydrogène qui, à la surface, représente 71 % de la masse, est
réduit dans le cœur à 34 % de par sa transformation en hélium. Les rayons γ et les particules rapides émis par
les réactions sont immédiatement réabsorbés et sont à l’origine du flux de chaleur qui se propage vers
l’extérieur de l’étoile par une infinité d’émissions et d’absorptions de photons. Dans la zone radiative qui est
dense (7 g/cm3), leur parcours (range) vaut 1 cm ; de ce fait, environ 10 millions d’années sont nécessaires à
transporter vers la surface l’énergie libérée par ce rayonnement. Un autre mode de transport de l’énergie, le
transport convectif, prend le relais du transport radiatif à environ 0.2 rayon solaire sous la photosphère : des
mouvements verticaux à grande échelle se développent et transportent plus efficacement la chaleur vers le
haut, induisant une signature visible, sous forme de granulation photosphérique à la surface du Soleil.
Énergie et sécurité
Un aspect important de la fusion se trouve dans sa sécurité intrinsèque. La divergence d'un réacteur, comme
lors de l'accident de la centrale nucléaire de Tchernobyl (Ukraine) en 1986, est impossible. L'inventaire de
combustible nucléaire (fuel) D et T est en effet très limité, car injecté en flux continu. Un arrêt d'urgence
couperait l'alimentation de combustible : en fusion magnétique, le combustible déjà dans la chambre ne
brulerait que quelques minutes ; pour la fusion inertielle, seule une micro-capsule imploserait, limitant
naturellement l'énergie libérée.
Comparé à un réacteur à fission, un réacteur à fusion se caractérisera par l'absence de produits radioactifs et
d'actinides. Cependant, deux points négatifs sont à souligner : dans les éléments initiaux, le tritium est un
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émetteur β (= électrons) de demi-vie de 12 ans. Pour un réacteur de 1 GW électrique, les besoins horaires
sont : 14 g D (extraits de 420 kg d'eau naturelle) + 21 g T (produits par 42 g de 6Li présents dans 570 kg de
minerai de Li naturel). La production horaire est alors de 56 g d'He, conduisant à un inventaire de 500 g de
tritium/jour. Dans les éléments finaux, les neutrons de fusion vont en se ralentissant dans les structures
métalliques environnant le plasma activer des noyaux, les transformant en noyaux radioactifs.
Pour corriger en partie ces deux points négatifs, il est envisagé d'entourer le plasma par une couverture
tritigène (breeding blanket), constituée de lithium, élément non radioactif. Irradié par des neutrons, le lithium
produit sur place du tritium, qui ensuite peut être extrait pour alimenter le réacteur, et en même temps peut
récupérer l'énergie cinétique des neutrons, en tant que caloporteur (coolant) primaire.
Les contraintes sur les vecteurs d'énergie (energy drivers) souhaités en FCI sont sévères. Pour un réacteur, un
gain de 100 entre l'énergie apportée à la micro-capsule et l'énergie de fusion impose 10 MJ d'énergie laser,
un rendement de conversion d'énergie électrique en photonique de 10%, des impulsions de quelques ns, des
impulsions profilées de manière particulière en temps, des longueurs d'onde entre 0.3 et 0.5 µm, un taux de
répétition de 10 Hz. Par leur grande densité volumique d'énergie accumulable en inversion de population, les
amplificateurs solides et plus spécifiquement les verres dopés au néodyme (60Nd) sont préférés. Mais le
passage d'un faisceau laser y induit des contraintes thermiques et donc de l'autofocalisation (self-focusing)
empêchant de tirer à haute cadence (repetition rate ; 1 tir/dizaines de min).
Historique
C'est vers 1950 dans un cadre classifié à Los Alamos qu'Edward Teller a établi les bases de la fusion
nucléaire comme source d'énergie. En 1960, le laser est inventé ; sa puissance grimpe rapidement via
différentes méthodes de déclenchement, permettant en 1963 à Basov et Krokhin de publier leur idée d'utiliser
des lasers pour fusionner un mélange DT. En éclairant par laser des cibles deutérées, les premiers neutrons
de fusion créés sont détectés en 1968 par Basov et al à l'institut Lebedev de Moscou et Floux et al au
CEA/Limeil. Puis vers 1972 John Nuckolls suggère le laser pour, à la fois, comprimer à des densités très au
dessus de la densité du solide et allumer des micro-capsules de DT. En 1977, ce concept est démontré au
laboratory for laser Energetics de l'université de Rochester (USA).
La puissance maximale des lasers est restée autour du terawatt de 1970 jusqu'en 1990, date à laquelle G.
Mourou à Rochester a proposé une technique de compression temporelle de l'impulsion laser : avant
introduction dans une chaîne d'amplification laser traditionnelle, une impulsion brève se voit donner une
dérive temporelle de fréquence (frequency chirp ; l'avant de l'impulsion est bleuie et l'arrière rougie) et étae
temporellement avec un disperseur à réseau (grating-based stretcher). Après amplification, un second
disperseur (compressor) rassemble en une durée environ 1 000 fois plus petite l'ensemble de l'énergie à
disposition, rendant maintenant le petawatt accessible. Dès 1992, des physiciens du LLNL ont proposée
d'utiliser une telle impulsion véhiculant 10 kJ d'énergie en complément de l'impulsion laser nanoseconde,
pour fonder le scénario de l'allumage rapide (fast ignition), qui est au scénario traditionnel ce qu'est un
moteur à essence par rapport au moteur diesel. Dans le schéma traditionnel (resp. moteur diesel), le laser
(resp. le piston) comprime, chauffe et allume le combustible au delà d'une très forte pression ; dans
l'allumage rapide (resp. moteur à essence), le laser nanoseconde (resp. le piston) comprime moins fortement
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le combustible et c'est l'impulsion picoseconde (resp. l'étincelle de la bougie) qui vient allumer le mélange.
Des expériences de validation de ce scénario combinant laser nanoseconde de quelques dizaines de kJ et un
laser picoseconde de quelques kJ sont en cours..
Unités et références
Tout contexte dont la FCI a ses propres références, en terme de grandeurs (quantities) et d'unités (units). Il
est utile de les rapporter à des grandeurs de référence microscopiques extraites des constantes fondamentales
ci-dessous et à d'autres contextes.
Dimension
Grandeur
Expression
Constante de structure fine
αf =
e2
2cε0h
=
1
137
Distance
rayon classique de l'électron
rayon de l'orbite de Bohr
re =
e2
4πε0mec2
= 2.8 10-15 m
rB =
re
α2f
= 5.3 10-11 m
Temps
Période de rotation d'un électron sur l'orbite de Bohr
TB =
1
2
h
mec2
1
αf2
= 7.6 10-17 s
Energie
Rydberg
= énergie de l'électron dans l'atome d'hydrogène
Ry = α2 mec2 = 13.6 eV
Puissance
Puissance Compton
PC =
mec2
re/c
= 8.71 109 W
Nous donnons maintenant fournir des ordres de grandeur (orders of magnitude) pour les grandeurs les plus
constamment employées en FCI.
Un rayonnement laser (laser radiation), par essence monochromatique, très souvent impulsionnel se
caractérise par une longueur d'onde (wavelength), une énergie (energy), une durée d'impulsion (pulse
duration), une puissance (power). Focalisé (focussed) sur une cible, il s'évalue en termes d'éclairement
(irradiance). Analysons chacune de ces grandeurs.
Temps : la première caractéristique d'un laser est sa longueur d'onde. Elle est donnée implicitement dans le
vide (elle est différente dans un matériau, en raison de l'indice optique). On en tire une donnée indépendante
du matériau, la pulsation (radial frequency) ω0 du rayonnement par ω0 = 2πc/λ0 ou encore la fréquence ν0 =
ω0/2π. Ou bien encore la période T0 = 1/ν0 d'un cycle, qui s'écrit T
0 (s) = 3 10
-15 λ0 (µm). Les lasers
conventionnels étant dans la gamme optique, un ordre de grandeur de λ0 est 1 µm, ce qui donne une période
T0 comparable à la période de Bohr T0/TB 40. Les impulsions laser utilisées en FCI sont d'environ durée
10-9 s, ce qui correspond à 30 cm de cavité laser parcourue à la vitesse c, et contiennent environ 106 périodes
laser. La période laser est donc très petite devant la durée de l'impulsion laser.
Énergie-puissance : les lasers qui nous intéressent fournissent (ou fourniront dans la configuration
d'allumage) un ou plusieurs faisceaux totalisant 103 à 106 J. Confinées en une impulsion de 1 nanoseconde,
ces énergies conduisent à des puissances maximales de 1012 à 10
15 W. Très largement au dessus de la
puissance Compton (donnée ci-dessus) qui est grossièrement la puissance au dessus de laquelle des
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phénomènes d'autofocalisation apparaissent dans les plasmas. Sachant que ces impulsions ont des faibles
fréquences de répétition (1 tir/10 minutes), la puissance moyennée sur une journée s'étale entre 2 W et 2 kW,
seulement. Retenons d'autres ordres de grandeurs : 109-10 W pour un éclair d'orage (le champ électrique sous
nuage orageux est d'environ 20 kV/m, donnant une ddp nuage-sol de 100 MV. En moyenne, un éclair
transporte 5 C donc une énergie 100 MV x 5 C = 500 MJ. Pour une durée moyenne de 0.025 s, on trouve 20
GW), 1.3 109 W pour la puissance moyenne d'une tranche de centrale nucléaire française, 5 109 W pour 1 kg
d'explosif, 1.7 1017 W pour la puissance du rayonnement solaire reçue par la terre.
Eclairement et champ électrique : considérons la focalisation d'un faisceau laser. Elle est conditionnée par le
front de phase du faisceau sortant de la chaîne d'amplification laser et la qualité de la focalisation. Dans le
cas idéal d'un front de phase plan et d'une optique sans aberrations, la puissance laser se retrouve concentrée
dans une tache focale dont la dimension vaut λ0 F/, F désignant la longueur focale et le diamètre de
l'optique de focalisation (le rapport F/ est appelé nombre d'ouverture = f-number). Cette dimension
minimale correspond à une limite imposée par la diffraction. Avec un diamètre de 100 µm, usuel pour les
expériences de FCI, une puissance de 1 TW conduit à une densité surfacique de puissance (appelée
éclairement ou irradiance ou encore abusivement intensity) de 1016 W/cm2. Pour la FCI, l'éclairement moyen
usuel se situe dans l'intervalle [1014-1016] W/cm2.
L'éclairement est associé au champ électrique. En effet, c'est le flux moyenné sur une période laser de la
densité volumique d'énergie électrique et magnétique de l'onde laser. Circulant à c, d'une part, et l'induction
magnétique étant reliée au champ électrique par la relation B = E/c dans le vide, d'autre part, on trouve que
l'éclairement s'écrit I0 = cε0E
2
0
/2 avec E0 l'amplitude maximale du champ électrique (on a supposé ici que
l'onde a une polarisation linéaire), donnant la relation :
E0(V/m) = 2.74 103
Erreur !
Considérons un champ fondamental, celui ressenti par l'électron sur l'orbite de Bohr (de rayon rB = 5 10-10 m)
: EB = e/(4πε0r
2
B
) = 5.1 1011 V/m. Un champ laser supérieur à cette valeur soit E0 EB conduit à l'ionisation
de l'hydrogène et correspond aux forts éclairements I0 3 1016 W/cm2.
Donnons quelques repères pour les éclairements. Considérons en premier lieu le mouvement non relativiste
oscillant d'un électron dans le champ électrique de l'onde laser ; l'amplitude de sa vitesse dans le plan du
champ électrique s'écrit v0 = eE0/(meω0). L'égalité formelle v0 = c conduit à l'éclairement I0 (W/cm2) = 1.3
1018/λ
2
0
(µm). Au delà de cette limite, les électrons ont une dynamique relativiste. L'éclairement laser jamais
dépassé à ce jour est 1021 W/cm2 sous forme d'impulsions laser de 10-12 s. Comme autre référence, un corps
noir de 1 keV de température émet une radiance de 1017 W/cm2 (on parle de radiance pour une source et
d'éclairement pour une cible). Ci-dessous, une abaque précisant les différents domaines d'utilisation
industrielle ou scientifique des lasers :
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