scientiste et abstraite de ses doctrines, Perelman va s’en éloigner, il va
rompre avec elles (il doit beaucoup dans son cheminement philosophique
au disciple de William James que fut son maître à l’ULB, Eugène Dupréel )
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et rompre, dans la foulée, avec le positivisme juridique de Hans Kelsen. Sa
pensée concrète de la pratique judiciaire prendra le contre-pied du
normativisme kelsénien et il bataillera dans plus d’un essai contre les
théories alors prédominantes.
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Perelman dès les années 1950 s’est tourné en effet vers une autre forme
de rationalité qui lui paraissait mériter l’attention philosophique, celle du
discours «ordinaire», celle, – informelle, non démonstrative, – qui étaye les
raisonnements du juriste, du politicien, du publiciste, de l’essayiste, du
moraliste, – et les raisonnements du philosophe même, viendra-t-il à
admettre en dépit des prétentions de celui-ci à «démontrer». Il appelait en
effet ceci, dit Michel Meyer, «le champ du raisonnable» par opposition à
celui, seul valorisé naguère par la philosophie, du rationnel logique ou
scientifique.
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C’est donc à cette notion de «raisonnable» qui est au cœur de son œuvre
– notion qui fait le lien et la suture entre le penseur du droit qu’il est avant
tout, le moraliste et philosophe des valeurs et l’analyste des discours
argumentés dans la vie publique, le théoricien de la rhétorique – que je
vides de sens. Le positivisme logique pose une dichotomie rigoureuse entre les « faits » et
les « valeurs » (reprise par le positivisme juridique). La science décrit le monde de façon
neutre; elle exclut tout jugement moral ou justificatif. Le seul fait d’énoncer un souhait ou
une prescription revient à sortir du domaine de la science c’est à dire des critères
d’intelligibilité et de preuve qui y règnent. Aucune valorisation n’est démontrabler au sens
où la science pourrait en connaître.
4. Et auteur, je le signale en passant, d’un petit essai sur Les sophistes: Protagoras, Gorgias,
Prodicus, Hippias. Neuchâtel, Éditions du Griffon, 1948.
5. Hans Kelsen, né en 1881 à Prague, décédé en 1973 à Orinda en Californie, est un juriste
austro-américain issu d’une famille juive de Bohême. Il est à l’origine de la «Théorie pure
du droit» qui fait de celui-ci un Système autonome fondé sur des principes hiérarchisés à
partir d’une Grundnorm fondatrice transcendantale.
6. M. Meyer, Perelman, le renouveau de la rhétorique. Paris: PUF, 2004, 10.
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