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Architecture et Typographie
Les avant-gardes et lamétropole
Sonia de Puineuf
deTheoVan Doesburg 9. Lechoix même
descouleurs (les trois primaires complétées par
legris, lenoir et leblanc) est largement redevable
auxpeintures néoplastiques dePiet Mondrian,
elles-mêmes àlabase delaréflexion dugroupe
DeStijl sur lacouleur dans l’architecture. Ainsi,
dans leurmanifeste, Vers uneconstruction
collective, lesmembres deDeStijl soutiennent :
« Nousavons donné lavraie place àlacouleur dans l’architecture et nous
déclarons que lapeinture séparée delaconstruction architecturale
(c’est-à-dire letableau) n’a aucune raison d’être 10. » L’insertion delacouleur
dans l’architecture participe donc àrendre caduque l’existence,
sicontestée par lesconstructivistes, dutableau dechevalet. Lesmurs
deviennent lesupport privilégié del’expression plastique, ilssont enmême
temps l’architecture et l’image ; lacouleur devient
alors « matériau deconstruction 11 ».
VanDoesburg endonnera unebrillante
démonstration en 1926-1928 lorsque,
encollaboration avec Hans et Sophie Arp,
ilréalisera ledécor ducinéma-dancing L’Aubette
àStrasbourg, dont lerésultat fut un« espace
oblique sur-matériel et pictural 12 ».
L’apparence formelle deslettres
apparaissant sur lesfaçades
desprojets deKassák est elleaussi
héritée del’enseignement
deVanDoesburg.
Lesarchitectures-images peuvent
être rapprochées d’une carte postale
contemporaine conçue par Farkas
Molnár àl’occasion del’exposition
duBauhaus deWeimar, oùMolnár
était alors étudiant. Latypographie
bien particulière utilisée par lesdeux
artistes est celle que Theo Van
Doesburg préconisait en 1921 lors deses conférences subversives
deWeimar : l’idée était dedessiner deslettres selon unegrille orthogonale
ne reconnaissant que leslignes horizontales et verticales, conformément
aux tableaux deMondrian. Cechoix formel strict, qui sera critiqué dès 1923
par László Moholy-Nagy 13, représente lepremier effort desavant-gardes
13 László Moholy-Nagy, « Dieneue
Typographie », in Staatliches Bauhaus in Weimar
1919-1923, Weimar / Munich, Bauhausverlag,
1923, p. 141.
à gauche : Farkas Molnár, carte postale pour l’exposition du Bauhaus,
Weimar (Bauhausausstellung), 1923
à droite : Theo Van Doesburg, projetd’alphabet, 1919
9 En 1922, larevue Mapublie unnuméro
spécial dédié àDeStijl dans lequel est également
reproduit l’article « L’architecture entant qu’art
synthétique » deTheo Van Doesburg. Voir
Krisztina Passuth, « TheoVanDoesburg et
lemouvement d’avant-garde hongrois »,
inSergeLemoine (dir.), TheoVanDoesburg,
Paris, Philippe Sers, 1990, p. 165. Concernant
lesriches échanges entre lesartistes hongrois
delarevue Maet lesartistes néerlandais
deDeStijl, voir aussi Avant-Garde hongroise
1915-1925, Bruxelles, BBL & Brepols Publishers,
1999.
10 Theo Van Doesburg, Cornelius Van Eesteren
et GerritRietveld, Versuneconstruction collective,
tract distribué àl’exposition «L’Architecture et
lesarts quis’yrattachent», Paris, Écolespéciale
d’architecture, 1924.
11 Theo Van Doesburg, cité par Yve-Alain Bois,
«“L’idée” DeStijl», in DeStijl et l’architecture
enFrance, Liège, Mardaga, 1985.
12 Theo Van Doesburg cité parSergio Polano,
« TheoVanDoesburg, théoricien del’architecture
comme synthèse desarts », inSerge Lemoine
(dir.), Theo Van Doesburg, op.cit., p. 131.