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50 Rapport sur la santé dans le monde, 2001 Résolution des problèmes de santé mentale 51
Le système asilaire présente de nombreux inconvénients : mauvais traitements fréquem-
ment infligés aux patients, isolement géographique et professionnel des établissements et
de leur personnel, insuffisance des procédures de notification et de compte rendu, erreurs
de gestion et inefficacité de l’administration, mauvaise orientation des ressources financiè-
res, absence de formation du personnel et inadaptation des méthodes d’inspection et d’as-
surance de la qualité. En outre, les conditions de vie dans les hôpitaux psychiatriques du
monde entier laissent à désirer et favorisent les violations des droits de l’homme ainsi que
la chronicité. En termes absolus, les conditions de vie dans les hôpitaux des pays dévelop-
pés sont supérieures à celles de bien des pays en développement, mais – lorsqu’on les
compare aux normes en vigueur dans la population générale du pays considéré – il faut
reconnaître qu’elles sont médiocres. Quelques cas de violation des droits des malades ont
d’ailleurs été constatés dans des hôpitaux psychiatriques (Encadré 3.2).
Les soins communautaires, en revanche, permettent davantage aux personnes atteintes
de troubles mentaux ou du comportement de prendre leur destin en main. Ils supposent,
en pratique, la mise en place d’une grande diversité de services au niveau local. Ce proces-
sus, qui n’a même pas encore commencé dans bien des régions et pays, a pour objet d’as-
surer intégralement certaines des fonctions protectrices de l’asile dans la communauté tout
en évitant d’en perpétuer les aspects négatifs. La démarche communautaire consiste à of-
frir des services et des soins qui soient à la fois :
• proches du domicile, tant pour les admissions d’urgence dans les hôpitaux géné-
raux que pour les séjours de longue durée dans des établissements communautaires ;
• en rapport avec les incapacités et les symptômes;
• adaptés au diagnostic et aux besoins de chaque individu;
• très variés, de manière à satisfaire les besoins des personnes souffrant de troubles
mentaux et du comportement;
• fondés sur une coordination entre les professionnels de la santé mentale et les
institutions communautaires;
• ambulatoires plutôt que fixes et couvrant le traitement à domicile;
• dispensés en partenariat avec les gardes-malades et tenant compte de leurs
besoins;
• basés sur une législation conçue en fonction de ce type de soins.
Les lacunes de plus en plus flagrantes des hôpitaux psychiatriques, s’ajoutant aux fac-
teurs mentionnés plus haut et à la prise de conscience des effets pathogènes de ces institu-
tions (l’isolement social des malades étant une source d’incapacités), ont conduit à
désinstitutionnaliser la santé mentale. La désinstitutionnalisation est un aspect important
de toute réforme des soins de santé mentale, mais qui dit désinstitutionnalisation ne dit
pas déshospitalisation. C’est un processus complexe consistant à mettre en place un solide
réseau de structures communautaires. Fermer les hôpitaux psychiatriques sans prévoir de
solutions de rechange communautaires serait aussi dangereux que créer des structures com-
munautaires sans fermer les hôpitaux psychiatriques. Les deux mesures doivent être si-
multanées, progressives et bien coordonnées. Une désinstitutionnalisation bien menée
comporte trois grands volets :
– prévention des admissions injustifiées en hôpital psychiatrique par la mise en place
de services communautaires;
– réinsertion dans la communauté des patients institutionnalisés de longue date en
veillant à bien les préparer; et
– création et maintien de systèmes de soutien communautaires pour les malades
non institutionnalisés.
Toutefois, la désinstitutionnalisation n’a pas été une totale réussite et les soins commu-
nautaires posent encore certains problèmes de fonctionnement. Ce relatif insuccès s’expli-
que, notamment, de trois façons : les gouvernements n’ont pas alloué aux soins
communautaires les ressources économisées en fermant les hôpitaux; les professionnels
n’ont pas été suffisamment préparés à accepter l’évolution de leurs rôles ; et les troubles
mentaux continuent à faire l’objet de préjugés tenaces, d’où l’attitude négative du grand
public à l’égard de ceux qui en sont atteints. Dans certains pays, nombre de personnes
atteintes de troubles graves sont emprisonnées ou sans domicile fixe.
Encadré 3.2 Violation des droits des malades dans les hôpitaux psychiatriques
Des commissions des droits de
l’homme se sont rendues au cours
de ces cinq dernières années dans
plusieurs hôpitaux psychiatriques
d’Amérique centrale1 et de l’Inde.2
Elles y ont trouvé des conditions de
vie inacceptables, malheureuse-
ment fréquentes dans de nom-
breux hôpitaux psychiatriques
d’autres régions, dans des pays in-
dustrialisés comme dans des pays
en développement. L’hygiène était
déplorable, les toits fuyaient, les
toilettes étaient bouchées, les sols
défoncés et les portes et fenêtres
cassées. La plupart des patients
étaient en pyjama ou nus. Certains
étaient parqués dans des coins de
salle où ils passaient toute la jour-
née debout, assis ou couchés à
même le sol en béton. Les enfants
gisaient sur des nattes posées à
même le sol, parfois maculées
d’urine et d’excréments. Le recours
à la contrainte était courant : de
nombreux patients étaient attachés
à leur lit.
Un tiers au moins des patients
souffraient d’épilepsie ou d’arriéra-
tion mentale, affections pour les-
quelles l’internement en hôpital
psychiatrique est aussi arbitraire
qu’inutile. Ces patients peuvent très
bien vivre au sein de la communauté
à condition de pouvoir bénéficier
d’un traitement médicamenteux
approprié et de toute une gamme
de services communautaires et de
systèmes d’aide.
De nombreux hôpitaux conser-
vaient leur structure carcérale,
comme au temps de leur construc-
tion à l’époque coloniale. Les pa-
tients étaient désignés sous le nom
d’internés, les personnes chargées
de s’occuper d’eux la plus grande
partie de la journée étaient des gar-
diens, leurs superviseurs des sur-
veillants et les salles des quartiers.
Dans la majorité des hôpitaux se
trouvaient des cellules d’isolement
qui étaient utilisées.
Plus de 80 % des hôpitaux ins-
pectés ne disposaient pas de tests
sanguins ni de tests d’urine cou-
rants. Au moins un tiers des pa-
tients ne souffraient pas d’une
affection justifiant leur présence
dans une telle structure. Dans la
plupart des hôpitaux, les dossiers
hospitaliers étaient très mal tenus.
Moins de 25 % des hôpitaux em-
ployaient des infirmiers(ères) psy-
chiatriques qualifié(e)s, et moins
de la moitié, des psychologues cli-
niciens et des travailleurs sociaux
psychiatriques.
1 Levav I, Gonzalez VR (2000). Rights of persons with mental illness in Central America. Acta Psychiatrica Scandinavica, 101:83-86.
2 National Human Rights Commission (1999). Quality assurance in mental health. New Delhi (Inde), National Human Rights Commission of India.
Encadré 3.1 Paroles d’hier ou d’aujourd’hui ?
Les trois citations ci-dessous permettent de se faire une idée concrète de la manière dont les soins aux malades mentaux ont évolué ou ont été remis en
question au cours de ces 150 dernières années.
« Voilà maintenant 16 ans que l’usage de tout
moyen de contrainte physique [des malades
mentaux], camisole de force, moufles, entraves,
menottes, chaise d’immobilisation et autres, a
été aboli. L’expérience a réussi partout où elle a
été résolument tentée. […] rien n’est plus faux
que d’imaginer qu’un usage dit modéré de la
contrainte soit compatible avec un dispositif thé-
rapeutique complet, humain et inattaquable à
tous autres égards. Son abolition doit être totale
pour être effective. »
1856. John Conolly (1794-1866), médecin anglais,
Directeur de l’asile d’aliénés de Hanwell. Dans: The
treatment of the insane without mechanical restraints.
Londres (Royaume-Uni), Smith, Elder & Co.
« Lorsque le Comité national a été créé, son
principal souci était d’humaniser le traitement
des aliénés : mettre fin aux abus, aux brutalités
et à la négligence dont les malades mentaux
sont depuis toujours victimes ; attirer l’attention
de l’opinion publique sur la nécessité d’une ré-
forme ; médicaliser les « asiles », agrandir les
structures thérapeutiques et améliorer la qua-
lité des soins ; en bref, accorder aux malades
mentaux autant d’attention qu’on en prête gé-
néralement aux malades physiques. »
1908. Clifford Beers (1876-1943), fondateur américain
du mouvement international d’hygiène mentale,
ayant fait plusieurs séjours en hôpital psychiatrique.
Dans: A mind that found itself: an autobiography. New
York (Etats-Unis d’Amérique), Longmans Green.
« Nous nous insurgeons contre le droit accordé
à certains, étroits d’esprit ou non, de conclure
leurs recherches dans le royaume de l’esprit par
une peine d’emprisonnement à vie. Et quel em-
prisonnement ! Nous savons – le savons-nous
vraiment ? – que les asiles, bien loin d’être un
lieu d’asile, sont d’épouvantables prisons où les
internés sont une main-d’œuvre bon marché
et pratique, où les abus sont la règle, tous
tolérés par vous. L’hôpital psychiatrique, sous
prétexte de science et de justice, est compara-
ble à une caserne, à une prison, à une colonie
pénitentiaire. »
1935. Antonin Artaud (1896-1948), poète, acteur et
dramaturge français qui a passé de nombreuses
années à l’hôpital psychiatrique. Dans: Lettre ouverte
aux médecins directeurs des asiles de fous. Paris
(France), La Révolution Surréaliste, N° 3.