SUPPLEMENT PROCESS EQUIPMENT • ENERGIE • TECHNIQUES DE L’ENVIRONNEMENT TECHNIQUE ET MANAGEMENT - SEPTEMBRE 2003 • 124 DEGRADATION DE L’ISOLATION DES CABLES A HAUTE TENSION MESURER LE VIEILLISSEMENT DES CABLES A HAUTE TENSION Depuis plus de dix ans déjà, notre pays fait usage de câbles souterrains pour l’installation de nouvelles lignes haute tension. Cette pratique a lieu suite à l'insistance des riverains et des associations de défense de l’environnement face aux lignes aériennes. Ce réseau souterrain doit répondre à une forte demande en énergie électrique et devient de plus en plus chargé. Il est aussi important d’avoir des renseignements précis quant à la durée de vie résiduelle de ces câbles à haute tension. Mesurer la longévité résiduelle avec précision est indispensable afin de bénéficier le plus longtemps possible des investissements consentis, sans toutefois courir le risque de pannes de courant. Le facteur le plus critique dans l’évaluation de la durée de vie des câbles est l’isolation qui est soumise à des charges à la fois thermiques et électriques et qui, de ce fait, vieillit. Dans le cadre du projet de recherche européen Artemis – Ageing and Reliability, Testing and Monitoring of power cables, diagnosis for Insulation Systems – des recherches ont été réalisées récemment au sujet du vieillissement du polyéthylène cross-linked (XLPE), le matériau actuellement le plus utilisé pour l’isolation des câbles souterrains. Ce XLPE a pris la place de l’isolation classique papier-huile qui entraîne des problèmes écologiques lors de fuites au niveau des conduites souterraines et exige davantage d’entretien. Les chercheurs affectés à ce projet européen ont effectué des recherches à propos des effets de la charge thermique et électrique exercée sur le XLPE. Ils ont aussi développé des méthodes permettant de mesurer le vieillissement des conduites existantes. Les résultats de ces mesures contribuent à optimaliser l’isolation des nouveaux câbles. Technique et Management a voulu en savoir plus au sujet de ces méthodes de mesure de la durée de vie et a interviewé Gérard Platbrood de Laborelec. Cette entreprise a participé au projet Artemis et mène actuellement des recherches quant aux possibilités d’appliquer la méthode de mesure du vieillissement aux alternateurs et aux moteurs. DES CAVITES PLUS GRANDES ET PLUS NOMBREUSES AU FIL DU TEMPS Le vieillissement du XLPE se traduit par la formation de micro-cavités dans le matériau au sein desquelles des charges d’espace peuvent s’accumuler. A un moment, ces charges deviennent trop importantes et provoquent une perforation de l’isolation. Pour prévenir ce phénomène, les fabricants ont dans le passé équipé les câbles XLPE d’une isolation très épaisse avec un matériau très pur pour limiter au maximum les impuretés initiales et les cavités. A ce propos, la microstructure du polymère se présente aussi bien en phase amorphe que cristalline, de sorte que dans la pratique on procède au mélange des deux formes. C’est surtout la phase amorphe qui est sensible à l’accumulation de micro-cavités et de charges d’espace. La formation de cavités est influencée par le champ électrique au niveau de l’isolation et par la température. Les faibles liaisons entre les molécules s’étendent sous l’effet de l’énergie électrique, ce qui génère des cavités. Des niveaux d’énergie encore plus élevés entraînent la rupture des liaisons et par conséquent un vieillissement irréversible. Ces phénomènes se renforcent au fur et à mesure que la température augmente. Une température élevée peut néanmoins exercer une influence favorable. Les molécules entrent dans une phase amorphe qui se cristallise à nouveau lors du refroidissement. Ce procédé fait disparaître à chaque fois un certain nombre de cavités. Dans la pratique, les câbles haute tension subissent de telles variations de température en raison de la température ambiante et des variations de charge intervenant au cours de la journée. L’influence exacte de la température n’est toutefois pas encore connue avec exactitude. C’est la raison pour laquelle les opérateurs évitent autant que possible les températures élevées (95°C) afin d’empêcher la formation de micro-cavités. L'entreprise Nexans a intégré des fibres de verre dans ses nouveaux câbles afin de pouvoir surveiller la température. Un rayon laser qui circule à travers une fibre de verre provoque sur son passage l’excitation des électrons. Le niveau d’énergie de ces excitations dépend de la température de la fibre de verre à cet endroit. Le re- Gérard Platbrood effectue une démonstration au moyen de la méthode Thermal Step (TSM). tour des électrons à leur niveau originel génère une émission dont la longueur d’onde est proportionnelle à la température. La mesure des longueurs d’onde de ces émissions effectuée à l’extrémité de la fibre de verre permet de calculer la température du câble. En tenant compte du temps écoulé entre le "départ" du rayon laser et le "retour" des émissions, il est possible d’obtenir un profil de température selon la distance à l’intérieur du câble et ce avec une précision allant jusqu’à un mètre. La méthode permet, par exemple, de voir l’endroit où le câble passe sous une autoroute car à cet endroit – du fait du drainage – il y a moins de refroidissement naturel et la température augmente. La température normale d’un câble souterrain est de 60°C. En cas de forte charge, cette température peut aller jusqu’à 95°C. Contrairement à ce qui est mentionné dans la littérature, l’augmentation de la température des câbles exerce un effet très complexe sur leur durée de vie. D’une part, une augmentation de la température favorise la rupture des liaisons chimiques. Cet effet négatif entraîne la formation de micro-cavités. D’autre part, l’augmentation de température exerce aussi une influence positive: elle contribue à la relaxation des charges d’espace et à la disparition des micro-défauts dans la structure polymère créés par la fusion des phases. Nous pouvons affirmer aujourd’hui que, sur le plan qualitatif, la modulation de la température peut avoir un effet positif à court terme. L’effet à long terme ainsi que l’évalua- 125 • TECHNIQUE ET MANAGEMENT - SEPTEMBRE 2003 PROCESS EQUIPMENT • ENERGIE • TECHNIQUES DE L’ENVIRONNEMENT MESURER LE NOMBRE DE CHARGES D’ESPACE Mesurer le degré de vieillissement d’un câble consiste à trouver la mesure du nombre de micro-cavités et/ou des charges d’espace présentes dans l’isolation. Le projet Artemis a débouché sur la mise au point de la Thermal Step Method (TSM) comme étant la méthode de mesure du vieillissement la plus précise et la plus sensible. Il s’agit d’un test destructif en ce sens qu’un bout de câble (de 50 cm) est nécessaire pour pouvoir effectuer le test. La mise hors tension d’un réseau n'est pas possible partout. C’est la raison pour laquelle Elia, l’exploitant du réseau haute tension dans notre pays, s’est proposé de prélever un échantillon de câble en vue de l’examiner chaque fois q’une panne intervient. Plus tôt dans le courant de cette année, un tel examen a été pratiqué sur un câble enterré dans le sol depuis 18 ans. La méthode consiste à placer un bout de câble de cinquante centimètres sous une tension de courant continu durant un certain temps. Ce Le facteur le plus critique pour la durée de vie des câbles est l’isolation qui subit des charges à la fois thermiques et électriques. test est réalisé sous une température de 60°C, ce qui correspond à la température de fonctionnement moyenne d’un câble haute tension. La tension sur l’ensemble du câble entraîne l’accumulation de charges d’espace à tous les endroits où des micro-cavités se présentent au sein de l’isolation. Par la suite, le bout de câble est emballé dans une gaine de refroidissement à travers laquelle un liquide à une température de -20°C est pompé. L’isolation se rétrécit sous l’effet de ce refroidissement soudain et les charges d’espace présentes se déplacent. Ce déplacement provoque un courant minimal qui est mesuré. Celui-ci est proportionnel à la quantité de cavités et donc au vieillissement de l’isolation. Par ailleurs, ce courant est mesuré en fonction du temps. Cette mesure donne une indication quant à la distribution des cavités au sein de l’isolation étant donné que le refroidissement intervient tout d’abord au niveau de la paroi externe et que le premier courant ne provient donc que des charges d’espace situées en bordure. On parle à ce propos d’une onde thermique qui traverse l’isolation de l’extérieur vers l’intérieur et qui provoque le déplacement des électrons sur son passage. Les courants mesurés sont de l’ordre du picoampère. La précision de la mesure peut être augmentée par la répétition du test au moyen du même bout de câble. Le test n’exerce en effet aucune influence sur la quantité des charges d’espace présentes et doit, en théorie, donner exactement le même résultat lorsque le cycle de réchauffement et de refroidissement est répété. On obtient une représentation du vieillissement en comparant le résultat de la mesure avec le résultat enregistré avec des échantillons de câbles neufs. Il faut toutefois tenir compte d’un cer- SUPPLEMENT tion quantitative de la modulation de la température doivent encore être étudiés. SUPPLEMENT PROCESS EQUIPMENT • ENERGIE • TECHNIQUES DE L’ENVIRONNEMENT Simuler la durée de vie des chaudières et des conduites de vapeur La mesure de la durée de vie des chaudières et des conduites de vapeur est réalisée à l’aide de tests destructifs et non-destructifs. Généralement, cette durée de vie est considérée comme un fait accompli par les utilisateurs d’une installation. Laborelec a développé un logiciel qui permet aux utilisateurs d’influencer la durée de vie des appareils grâce au calcul de l’influence de certaines conditions de fonctionnement. Technique et Management a eu un entretien avec Marc Eyckmans, de la société Laborelec, au sujet de la méthode appelée Boiler Life Management. Le logiciel effectue les calculs relatifs à trois mécanismes de vieillissement: le fluage, la corrosion et la fatigue thermique, et ce pour chacun des composants critiques avec comme résultat la durée de vie de chaque composant. Ce logiciel permet aussi à l'utilisateur d’effectuer des simulations reprenant les différentes conditions de fonctionnement, et d’examiner quelle en sera l’influence sur la durée de vie des appareils. Cette influence peut être considérable : faire fonctionner une chaudière à vapeur à une température supérieure de 5 à 6°C à la température antérieure peut entraîner un niveau de fluage tel que la durée de vie s’en trouve raccourcie de moitié. L’utilisateur peut alors étudier si l’augmentation de la productivité atteinte grâce au fonctionnement sous une température plus élevée compenLa mesure de la durée de vie des chause l’usure croissante. dières et des conduites de vapeur est réalisée au moyen de tests destructifs et Le logiciel ne remplace pas les inspections ni l’ennon-destructifs. tretien. Ce n’est par ailleurs qu’à l’issue d’une inspection des composants critiques que la situation de l’installation est connue. Cette constatation sert alors de base aux calculs. Les paramètres que l’utilisateur peut faire varier dans les simulations sont la température, le nombre d’heures de service ainsi que le nombre de démarrages et d’arrêts. La pression exerce aussi une influence sur la durée de vie des installations – analogue à l’influence de la température – mais dans la pratique elle est généralement fixée pour une certaine installation et n’est pas considérée comme un paramètre variable. Au départ des paramètres enregistrés par l’utilisateur, le modèle calcule la durée de vie pour chaque composant au moyen de formules théoriques et empiriques. Lors de chaque inspection, le modèle est corrigé sur base de la situation effective de l’installation et il est alors possible de réaliser à nouveau des simulations plus poussées. La simulation permet en outre d’optimaliser le coût de production global via l’évaluation du coût de fonctionnement et de la productivité sous diverses conditions de travail par rapport au coût du remplacement des composants. Pour les inspections, les techniciens font le plus possible appel à des tests non-destructifs tels que la réalisation d’une réplique d’une surface afin d’y détecter les fissures. Les mesures de bruit par ultrasons donnent une indication de l’épaisseur des parois de la chaudière et des conduites tandis que les rayons X sont utilisés afin de dresser la carte des irrégularités décelées dans les parois. Le fluage constitue en outre un facteur important en ce qui concerne la longévité. Il peut être mesuré au moyen de tests non-destructifs. Mais il est toutefois bien connu que le raccourcissement de la longévité en raison du fluage est à mettre en rapport avec le nombre de cavitations présentes dans le matériau. Afin de procéder aux examens, il est parfois nécessaire de prélever une partie du matériau et d’effectuer par la suite une soudure à cet endroit. Lors de chaque inspection, le modèle est corrigé sur base de la situation effective de l’installation et d’autres simulations plus poussées peuvent être effectuées. TECHNIQUE ET MANAGEMENT - SEPTEMBRE 2003 • 126 tain écart qui se présente normalement au niveau du matériau en raison de la morphologie constituée de particules aussi bien amorphes que cristallines. C’est la raison pour laquelle les résultats des mesures – le nombre minimum et le nombre maximum de charges d’espace – d’une série de nouveaux câbles sont disposés en un graphique sur lequel on regarde où se situe le câble vieilli. A cet effet, Laborelec a installé un banc d’essai doté d’échantillons des différents types de câbles haute tension utilisés dans notre pays. Selon les responsables du projet de recherche européen, la méthode Thermal Step fournit les résultats les plus précis. La méthode ‘Puls Elektro Akoestiek’ offre une alternative. Les charges sont mises en mouvement sous l’effet d’une tension appliquée au niveau de l’isolation mais cette méthode s’avère moins précise dans la pratique. La méthode permettant de produire l’onde thermique au moyen de l’énergie électrique doit, en principe, rendre possible la mesure de câbles à haute tension qui se trouvent encore dans le sol, pour autant qu’ils ne soient pas utilisés pendant un certain temps et que l’on puisse générer un réchauffement suffisant. AUSSI POUR L’ISOLATION DES ALTERNATEURS La méthode a été appliquée à la centrale nucléaire Tihange 2 pour contrôler le vieillissement de l’isolation d’un alternateur. Il s’agissait d’un alternateur de 7500 kVA accouplé à un moteur diesel utilisé lors du démarrage de la centrale nucléaire. Des taches blanches étaient apparues sur l’isolation du stator, une conséquence de l’oxydation de la résine époxydique. Cette espèce de corrosion est facilitée par la présence de charges d’espace et conduit à la formation de micro-cavités supplémentaires qui, à leur tour, entraînent la constitution d’autres charges d’espace. La méthode Thermal Step fut utilisée pour mesurer ce vieillissement. Toutefois, vu la taille du stator, il n’a pas été possible de placer une gaine destinée à produire l’onde thermique. Cette gaine a donc été remplacée par l’envoi d’une impulsion de courant continu de 400 A. Cette impulsion a provoqué le réchauffement de l’isolation depuis le noyau accompagné d’une dilatation et par conséquent aussi du déplacement des charges d’espace. Il est question dans pareil cas d’une onde thermique positive. Cette méthode peut aussi être appliquée aux moteurs. Il se pose toutefois un problème au fur et à mesure que la taille de ces moteurs augmente car il faut pouvoir générer suffisamment d’énergie pour créer l’onde thermique. ■