Vitamines et antibiotiques :
de nouveaux défis industriels
Karine Assemat-Lebrun
Aventis Pharma Centre de Recherche de Vitry-Alfortville
13, rue Jules Guesdes BP14
94403 Vitry-sur-Seine Cedex
rédigé par : Ludovic Berthelot* — Tristan Le Lous** — Pierre
Hugues Schmit***
*École normale supérieure, [email protected]
**École normale supérieure de Lyon, [email protected]
***École Polytechnique, [email protected]
RÉSUMÉ. Aventis Pharma est l’un des plus grands groupes pharmaceutiques mondiaux.
Comme ailleurs, la naissance d’un médicament y est longue, de la découverte de la molécule
active à la commercialisation finale. Il faut transformer la molécule en substance absorbable,
vérifier son efficacité et son innocuité, mener des essais cliniques. Mais en parallèle, il faut
chercher un procédé permettant de produire des quantités importantes au moindre coût, le
plus proprement possible. Pour ce faire, la maîtrise des outils chimiques et biochimiques est
indispensable, avec désormais les techniques de mutagenèse et de génie génétique sur les
bactéries. L’évolution de ces procédés est illustrée sur deux exemples, la production de
vitamine B12 et celle d’un antibiotique, le synercid®.
ABSTRACT. Aventis Pharma is one of the most famous pharmaceutical industries in the world.
From the discovery of an active molecule to the final marketing, it takes a long time to such a
company to develop a new drug. The molecule must be transformed into an consumable
product, whose efficiency and non-toxicity must be verified by clinical trials. In the same time,
one must design a new process allowing to produce cleanly large quantities at the lowest cost.
It is therefore essential to master chemical and biochemical techniques, and also now such
techniques as mutagenesis and genetic engineering on bacteria. The evolution of these
processes in pharmaceutical industries is here illustrated by two examples, the B12 vitamin
production and the synercid® antibiotic synthesis.
MOTS-CLÉS : industrie pharmaceutique, médicaments, procédés, génie génétique, mutagenèse,
vitamine B12, antibiotique
KEY WORDS :pharmaceutical industries, drug, process, genetic engineering, mutagenesis, B12
vitamin, antibiotic
Signature de l’article : nom de la revue. Volume 1 – n°1/2001, pages 1 à 8
Revue ?2
1. Aventis Pharma
1.1. Le groupe Aventis
Né de la fusion en décembre 1999 entre les sociétés Hoechst AG et Rhône
Poulenc SA, le groupe Aventis est actuellement l’un des premiers dans les domaines
de la santé humaine, végétale et animale. En son sein, l’activité pharmaceutique, qui
représente 70 % de l’activité totale du groupe, est partagée entre les sociétés Aventis
Pasteur – recherche en vaccination humaine –, Aventis Behring – thérapie protéique
et plasma sanguin et Aventis Pharma. C’est cette dernière société qui assure le
plus gros de la recherche pharmaceutique du groupe, de la découverte de nouveaux
principes actifs à leur transformation en médicaments, leur production à grande
échelle puis leur commercialisation.
2.1. Aventis Pharma au sein du groupe
2.1.1. Présentation
Aventis Pharma est l’un des leaders de l’industrie pharmaceutique mondiale. Sa
présence est forte sur les marchés occidentaux, principalement aux États-Unis, en
France et en Allemagne, ainsi qu’au Japon. Issu des fusions des branches
pharmaceutiques Hoechst Marion Roussel et Rhône Poulenc Rohrer, c’est la plus
grosse filiale d’Aventis : sur les 110.000 employés du groupe Aventis dans le
monde, 72.000 travaillent chez Aventis Pharma1. Avec un chiffre d’affaires en 1998
de 85,2 milliards de francs, soit près 13 milliards d’euros, Aventis Pharma totalise
4,3 % de part de marchés2.
2.1.2. R&D chez Aventis Pharma
En matière pharmaceutique, une part très importante du budget est consacrée au
secteur de la recherche et développement (R&D) : le budget de R&D était ainsi de
15 milliards de francs en 1998, soit près de 2,3 milliards d’euros2. Les centres de
développement sont répartis sur trois continents : aux États-Unis, en Europe
France et Allemagne – et au Japon. Les secteurs d’intérêt sont divers : aux États-
Unis les recherches portent sur les maladies respiratoires, neuro-psychiatriques et
neuro-inflammatoires, ainsi que la polyarthrite rhumatoïde et les réactions
immunologiques. En Allemagne, elles portent les maladies cardio-vasculaires et
métaboliques, et sur l’arthrose.
1 estimation septembre 1999
2 chiffres Pro-Forma 1998
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2.1.3. La recherche en France
En France, les activités de recherche concernent trois types de maladies :
cancers, maladies infectieuses et maladies neuro-dégénératives (Alzheimer et
Parkinson). Les sites de recherche sont localisés en région parisienne autour du
Centre de Recherche Parisienne (CRP) à Vitry. Le CRP dispose d’une antenne de
génomique au sein du Génopôle d’Évry. Le centre s’est également doté des
techniques robotiques de criblage à haut flux, d’outils de modélisation moléculaire
ainsi que de puces à ADN (biopuces), nouvelle technologie aux confins de la
biologie et de l’électronique. Le Centre Européen de Développement est localisé à
Antony. Il dirige en particulier des études cliniques pour les produits stratégiques
d’Aventis Pharma.
Trois produits majeurs récemment enregistrés à l'échelle internationale ont été
découverts et développés au CRP : Synercid®, enregistré au États-Unis en
septembre 1999, et en cours d'enregistrement en Europe pour le traitement des
infections sévères résistantes aux antibiotiques, Rilutek® pour le traitement de la
sclérose latérale amyotrophique, et Taxotere®, un médicament reconnu pour le
traitement du cancer. Au niveau mondial, ces trois produits n’atteignent cependant
pas encore le succès des produits phares d’Aventis, les antalgiques Doliprane® et
Di-antalvic®.
2. Développement de la biosynthèse de médicaments chez Aventis Pharma
2.1. Objectifs et impératifs du développement pharmaceutique
L’objectif est de transformer un principe actif en un médicament bio-disponible
en respectant un certain nombre d’impératifs. Il faut bien sûr que le médicament soit
non toxique et sans effet secondaire. Il faut surtout qu’il ait une activité
thérapeutique ciblée et qu’il présente des avantages concrets par rapport aux
produits existants. Ces conditions sont nécessaires à l’Autorisation de Mise sur le
Marché (AMM).
Du point de vue commercial, le médicament doit respecter d’autres critères : il
doit avoir de larges applications afin de devenir éventuellement un « blockbuster »
(1 million de dollars de marges). Pour générer des bénéfices, le produit doit
également être issu de la recherche interne, breveté et le premier sur le marché. Ces
impératifs commerciaux étant difficiles à remplir pour des maladies orphelines, des
aides gouvernementales sont allouées aux sociétés pharmaceutiques pour les inciter
à travailler aussi dans ce domaine.
Afin de respecter ces contraintes le développement de nouveaux procédé suit un
calendrier précis. La phase de découverte permet de sélectionner 10 molécules sur
10000 sur lesquelles on effectue des tests pré-cliniques (chez l’animal). Un certain
Revue ?4
nombre de ces molécules (7) passent en phase I et sont testés cliniquement chez
l’homme. La phase I, qui dure moins d’un an, teste la tolérance aux produits. La
phase II (deux ans), son aptitude à soigner. Et la phase III (deux à trois ans), son
efficacité comparée notamment aux autres molécules sur le marché. Finalement, une
seule molécule sera retenue à l’issue de tous ces tests, sur laquelle est engagée la
demande d’enregistrement. Avec l’AMM commence la phase IV du médicament, où
se met en place une pharmacovigilance qui durera pendant toute la phase de
commercialisation. Le médicament est alors lui-même protégé durant 20 ans.
En parallèle de ces tests, sont développés les procédés de production. Les
quantités produites doivent en effet passer de moins d’un kilogramme à plusieurs
centaines de kilogrammes. Ces procédés seront figés en fin de phase II.
Les coûts pour l’industriel sont répartis pendant les dix ans de mise au point du
médicament. L’ordre de grandeur est de près de 200 millions de francs pour le
développement pré-clinique, de deux milliards de francs pour le développement
clinique (phase I à III) et de deux milliards de francs pour la commercialisation en
phase IV.
2.2. Objectifs et impératifs du développement des procédés biologiques
Beaucoup de médicaments sont synthétisés par voie biologique : l’industriel
cultive des bactéries qui produisent naturellement le principe actif du médicament.
L’amélioration du procédé et du médicament sont alors étroitement liés au choix des
bactéries. L’étude des bactéries doit conduire à améliorer la vitesse de production du
principe actif, le niveau de production, à réduire la quantité de produits secondaires
(certains produits sont séparables en laboratoires mais pas industriellement) et la
quantité de matières premières donc leur coût.
L’objectif de la recherche est donc de sélectionner les souches de
microorganismes afin de produire plus et mieux. Pour faire ces modifications,
l’industriel dispose de plusieurs outils qu’il choisit en fonction des connaissances
acquises sur la voie de biosynthèse. Il doit dans tous les cas introduire des
modifications stables.
En l’absence de connaissances spécifiques, l’industriel peut utiliser la
mutagenèse (agents chimiques et physiques) ou la fusion de protoplastes. Si
l’information génétique est identifiée, il peut utiliser les techniques de l’ADN
recombinant.
2.3. La mutagenèse
Les mutations de l’ADN sont des phénomènes naturels et nécessaires à la vie des
cellules et leur fréquence augmente sous le rayonnement ultraviolet (UV). Le
rayonnement UV introduit des mutations grâce à divers mécanismes. Il provoque
des cassures, des liaisons covalentes entre brins… Les mécanismes réparateurs
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introduisent alors des erreurs et la transcription conduit à des enzymes modifiés. Des
mutations peuvent également être introduites par voie chimique : en fixant des
chromatophores fixant les UV sur certaines bases, on peut rendre le rayonnement
UV partiellement spécifique et introduire des mutations relativement localisées.
L’impact de ces mutations est souvent de conduire à la mort de la cellule, sans
que l’on puisse établir de taux de mortalité spécifique. C’est un résultat expérimental
qui fait partie de ce que l’on pourrait appeler la connaissance interne de l’entreprise.
La mutagenèse consiste à introduire des mutations sur un certain type de
microorganisme et d’étudier les propriétés des nouvelles souches afin d’en découvrir
une qui répondent aux critères du procédé de production. On peut ensuite répéter
l’opération sur la nouvelle souche afin d’améliorer encore le procédé.
L’étude des nouvelles souches se fait par « screening » : une colonie initiale est
soumise à mutagenèse puis les différentes bactéries sont séparées, enrichies. On les
place ensuite en condition de production et on étudie les propriétés des nouveaux
principes actifs. Tout est entièrement robotisé compte tenu du très grand nombre de
souches (jusqu’à 20.000) à traiter. Pour tester des antibiotiques par exemple, on
place les souches sur des germes sensibles (cellules d’Escherichia Coli qui ne
survivent pas aux antibiotiques). Un profil HPLC (High Performance Liquid
Chromatography) permet également de rechercher les clones qui ne produisent pas
les impuretés.
On sélectionne ainsi une trentaine de mutants (sur 3000) dont on va tester les
capacités de productions intensives pour n’en retenir que trois. Une dernière
sélection déterminera la bactérie qui sera la nouvelle souche. A partir de cette
nouvelle souche on réitère le cycle de sélection pour affiner d’autres paramètres. Il
faut parfois jusqu’à 20 cycles et chacun dure approximativement 6 mois !
2.4. Le génie génétique
Quand les gènes impliqués dans la production d’un principe actif sont connus
précisément, on peut faire appel au génie génétique pour améliorer les procédés. Le
génie génétique permet de faire à peu près toutes les optimisations imaginables : on
peut ajouter, modifier, amplifier ou enlever un ou plusieurs gènes et partant tout
devient possible. Ces modifications conduisent systématiquement à la catégorisation
« Organisme Génétiquement modifié » (OGM) des souches et des principes actifs
produits.
Cette classification pénalisante conduit à développer de nouveaux outils. Les
modifications ne doivent par exemple pas introduire de séquences étrangères. La
réglementation nuit au génie génétique qui est pourtant beaucoup plus souple que la
mutagenèse. Il faut donc recourir à d’autres outils d’amélioration. Cela passe par une
meilleure connaissance des voies de biosynthèse. Elle s’obtient par séquençage
systématique. Il faut ensuite déterminer les fonctions des nouveaux gènes identifiés.
Cependant le génie génétique a encore un intérêt : la classification OGM ne
concerne pas les souches dont l’ADN a été simplement tronqué. La délétion d’une
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