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1. INTRODUCTION
Durant ces trois décennies, la Thaïlande adopte des stratégies de développement économique
étroitement associées au mode de production capitaliste. La plupart des réformes de politique
économique ont pour objectif de créer un environnement favorable à la croissance économique du
pays, en laissant le progrès social au second plan. Le succès de l’économie thaïlandaise reflète « un
modèle de développement asiatique »
par lequel la croissance phénoménale s’est réalisée au rythme
de 7 % et où le nombre de personnes pauvres vivant en dessous d’un dollar par jour a été divisé par
cinq entre 1960 et 1996. Durant les années 1980, l’expansion économique a été menée par une
politique d’orientation à l’exportation en se basant sur l’accumulation massive du capital et
l’industrialisation intensive en main d’œuvre qualifiée.
La crise économique et financière des années 1990 a mis en cause le modèle de développement
économique du pays en raison d’une baisse générale du niveau de vie de la population, notamment par
le biais des dégâts causés dans le marché du travail urbain. En effet, l’impact social de la récession
économique a touché plusieurs milliers de personnes vulnérables parmi lesquels on trouve les
travailleurs peu qualifiés, les jeunes travailleurs, les femmes actives, qui ont dû subir une réduction de
salaires et une perte de leur emploi. Ce phénomène résulte en particulier d’une politique laxiste liée au
marché du travail dont l’objectif est de favoriser la flexibilité de l’emploi au détriment des systèmes de
protection sociale. Par conséquent, le gouvernement thaïlandais, ayant pris conscience des dommages
sociaux dans le modèle de développement, a lancé en 2003 un programme CDP (Country
Developement Partnership) en collaboration avec la Banque mondiale afin de mettre en place des
politiques efficaces de lutte contre la pauvreté. Cependant, il convient de noter que l’objectif des
programmes proposés ne consiste qu’à appréhender les effets liés à la pauvreté et aux inégalités de
revenu sans prendre en compte leurs causes inhérentes au marché du travail, qui sont à la fois
complexes et multidimensionnelles.
Par conséquent, nous sommes amenés à dresser, dans cet exercice, l’hypothèse d’un marché du
travail segmenté en mettant en tête que la paupérisation et la persistance de l’inégalité de revenus
peuvent probablement s’expliquer, non seulement par une différence en termes de capital humain,
mais aussi par un mécanisme de détermination salariale spécifique à chaque segment du marché.
Malgré une montée de l’informatisation du marché du travail urbain dans la plupart des pays en
développement, plusieurs analyses sur ce sujet ont avancé l’existence possible d’un marché du travail
dual au sein d’un secteur formel. A l’aide de l’Enquête de main d’œuvre relative à la période 1985-
2004, nous allons vérifier l’existence de la segmentation du marché du travail urbain par la mise en
œuvre d’un modèle économétrique à changement de régime avec règle de séparation inconnue. Après
avoir abordé les caractéristiques du marché du travail en Thaïlande, les mesures d’inégalité nous
aideront à clarifier l’évolution de la répartition de salaires dans ce marché. Ensuite, le débat théorique
de la détermination salariale entre la théorie du capital humain et la théorie de la segmentation
constituera une hypothèse explicite du marché du travail dual. Enfin le test de la dualité s’effectuera à
l’aide du modèle à changement de régime avec règle de séparation inconnue
« Il est frappant de voir combien certains pays tournent le dos à tous les dogmes. Au modèle autocentré, l'expérience
asiatique oppose sa focalisation sur les exportations. Contre la théorie standard, elle présente des excédents commerciaux et
budgétaires en pleine période de décollage économique. A l'orthodoxie libérale, elle répond par l'interventionnisme des
Etats, la relative fermeture aux importations de biens de consommation, le contrôle sévère des investissements étrangers et
des marchés financiers. A tel point, selon certains, que c'est pour avoir trahi cette orientation que l'Asie a subi la crise que
l'on sait.» [Severino (2004) pp.2].