12 de la couleur
Ensuite, les rapports qui existent entre les couleurs sont-ils de nature
simplement empirique, c’est-à-dire tels qu’ils nous seraient enseignés
par l’expérience, ou bien possèdent-ils un caractère nécessaire ? Et si oui,
de quel type de nécessité s’agit-il ? Ces nécessités sont-elles liées au
langage, ou structurent-elles notre expérience antéprédicative elle-même,
antérieurement au langage ou indépendamment de lui ?
Qu’il y ait de tels rapports entre les couleurs, les peintres n’ont cessé
de le clamer. Cézanne, par exemple :
Il y a une logique colorée, parbleu. Le peintre ne doit obéissance qu’à elle.
Jamais à la logique du cerveau 1
Quelle est donc cette logique des couleurs ? Existe-t-il quelque chose
de tel ? Commentant cette phrase dans Les Voix du silence, Malraux
écrit : « En cette phrase maladroite (sic) une des plus fortes et des plus
sincères qu’un peintre ait jamais dites »
.
2
Voilà le second type de questions que je voudrais aborder, en con-
frontant l’approche wittgensteinienne d’une « grammaire des couleurs »
à l’approche phénoménologique d’un « logos du monde esthétique »
pour reprendre une expression de Husserl.
… Cette phrase est-elle donc
« maladroite » ? Est-il maladroit ou erroné de prétendre qu’il y a des
rapports nécessaires entre les couleurs et que ces rapports ne relèvent pas
de la sphère « logique » au sens étroit (de la « logique du cerveau »),
mais d’une logique en un sens élargi ?
Enfin, le problème d’une « logique » des couleurs n’ouvre-t-il pas sur
des problèmes d’« esthétique », si l’on entend par là cette discipline qui
devrait précéder une philosophie de l’art au sens strict, car elle s’inter-
roge sur son « matériau » et notamment celui de la peinture ? Il y a non
seulement des liens harmoniques ou disharmoniques entre couleurs,
mais encore une manière propre à chacune de résonner en nous et de
s’adresser à nos tonalités affectives. Kandinsky le fait remarquer : par
exemple, « le vert absolu est la couleur la plus reposante qui soit ; elle ne
se meut vers aucune direction et n’a aucune consonance de joie, de
tristesse ou de passion, elle ne réclame rien, n’attire vers rien. » Il en va
différemment du rouge, « couleur très vivante, vive, agitée » qui « rap-
1. Conversations avec Cézanne, éd. P.-M. Doran, Paris, Macula, 1978, p. 118.
2. Malraux, Les Voix du silence, in Œuvres complètes, t. IV, éd. J.-Y. Tadié, Paris,
Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 2004, p. 568.