Monde Commun, 1, 1, automne 2007
7
1.2. En France, une rupture tardive
Ces remarques préliminaires nous permettent de considérer maintenant le
renouveau de la philosophie politique, en France, tel qu’il se produit au
tournant des années 1980. Remarquons d’emblée qu’il intervient de façon
relativement tardive, ce qui s’explique sans doute autant par la nature des
débats intellectuels depuis la guerre que par la situation longtemps précaire
de la philosophie politique dans le monde académique4. Ce caractère tardif
rend compte par ailleurs de l’influence initiale d’œuvres étrangères déjà
constituées. Pensons ainsi au rôle considérable qu’a pu jouer, pour des
auteurs aussi différents que Claude Lefort, Pierre Manent ou Luc Ferry, le
dialogue critique avec les thèses de Leo Strauss sur la nature de la
philosophie politique5. Malgré les réserves d’Hannah Arendt à l’égard de la
philosophie politique classique, l’appropriation de son œuvre contribua aussi
de façon significative à la renaissance de la philosophie politique française.
L’exemple de Jürgen Habermas et de l’école de Francfort contribua
également au renouvellement de la réflexion. L’apport extérieur est donc
indéniable et divers. Il faut toutefois souligner que les œuvres qui ont pu
servir de médiation vers la philosophie politique présentaient de fortes
consonances avec la vie intellectuelle française, ce que tend à confirmer la
réception tardive et limitée de plusieurs œuvres majeures de la political
theory anglo-américaine6.
L’orientation particulière du renouveau de la philosophie politique, en
France, tiendra donc en partie à la spécificité des médiations qui en ont
facilité l’expression. Mais elle tiendra également à un rapport complexe avec
les courants longtemps dominants de la pensée française. L’aspect le plus
4 Rappelons tout de même que des auteurs comme Éric Weil, Julien Freund ou Raymond
Aron ont publié des œuvres de philosophie politique importantes, et que bien des
analyses politiques occupent, sans toujours le revendiquer, une partie du champ
spécifique défini par celle-ci.
5 L’œuvre de Pierre Manent entretient un dialogue continu avec celle de Strauss. Pour le
rapport de Lefort à Strauss, voir notamment ses « Trois notes sur Leo Strauss », dans
Écrire à l’épreuve du politique, Paris, Calmann-Lévy, 1992. Luc Ferry discute
principalement les thèses de Strauss dans Philosophie politique I. Le droit : la nouvelle
querelle des anciens et des modernes, Paris, Presses universitaires de France, 1984.
6 Cette différence dans la réception des œuvres persiste en partie, même si la
diversification de la discipline et le renforcement de sa présence à l’université et dans
l’édition en ont réduit peu à peu la force initiale.