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La Sociologie Universitaire Bulgare En Transformation
Politiques Publiques, Parcours Institutionnels Et
Biographies (1990-2006)
Petya Slavova
Revue d’études comparatives Est-Ouest / Volume 45 / Issue 01 / March 2014, pp 91 - 124
DOI: 10.4074/S0338059914001041, Published online: 01 July 2014
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Petya Slavova (2014). La Sociologie Universitaire Bulgare En Transformation Politiques Publiques,
Parcours Institutionnels Et Biographies (1990-2006). Revue d’études comparatives Est-Ouest, 45,
pp 91-124 doi:10.4074/S0338059914001041
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LA socioLogie universitAire buLgAre
en trAnsformAtion
poLitiques pubLiques, pArcours institutionneLs
et biogrAphies (1990-2006)
Petya SLAVOVA
Maître de conférences, Université de Sofia, Département de sociologie ;
pslavova@ulb.ac.be
Revue d’études comparatives Est-Ouest, 2014,
vol. 45 n° 1, pp. 91-124
Résu : L’objectif de cet article est de rendre compte des processus et des acteurs qui
contribuent à la multiplication des universités et des disciplines académiques après la chute
du régime socialiste en Bulgarie. Pour illustrer ce processus de diversification, il s’agit plus
concrètement d’étudier le cas des nouveaux départements de sociologie créés dans les uni-
versités d’Etat après 1989. L’article s’intéresse à la fois aux réformes majeures mises en
place par l’Etat postsocialiste et à la façon dont les différents acteurs les interprètent et
entreprennent de créer de nouveaux départements. Il retrace des parcours d’acteurs qui
s’engagent dans de telles créations, ainsi que le résultat de celles-ci dans la mesure où elles
s’inscrivent dans la réforme institutionnelle de l’université postsocialiste. L’analyse détaillée
est menée à plusieurs échelles, biographique et institutionnelle, et montre que la diversifi-
cation de l’enseignement supérieur, en particulier dans le domaine de la sociologie, dépend
avant tout de l’activisme des « entrepreneurs universitaires », d’acteurs qui parviennent à
mobiliser des ressources personnelles, académiques et politiques face aux changements
législatifs pour créer quelque chose de nouveau.
mots-clés: sociologie, réforme universitaire, entrepreneurs universitaires, Bulgarie,
postsocialisme, enseignement supérieur
VOLUME 45, MARS 2014
Petya Slavova
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La chute du régime socialiste en Bulgarie a provoqué une série de
transformations simultanées dans l’enseignement supérieur, dont la
plus saillante fut la création d’un grand nombre d’universités, de facul-
tés et de disciplines. Il existe aujourd’hui 51 établissements (dont 37
publics et 14 privés) qui bénécient du statut d’ « université »1, alors
qu’en 1989 il n’y en avait que trois. En quelques années seulement,
entre 1990 et 1997, le nombre d’étudiants a augmenté de 77%, passant
de 142 000 à 252 000 (Totomanova, 1999, p. 12). Selon l’Institut natio-
nal de statistiques, entre 2003 et 2012, le nombre d’étudiants en licence
et master est passé de 207 340 à 264 0822. Les transformations ont
particulièrement touché les disciplines dites « idéologiques » – les plus
contrôlées par le régime, telles que le droit et les sciences humaines et
sociales. Si, en 1989, on ne comptait qu’une seule faculté de droit, elles
étaient treize en 19973 et sont, à l’heure actuelle, neuf. De même, en
1989, une seule université proposait une formation complète en socio-
logie (cinq années d’études) ; en 1997, elles étaient quatre, et quinze ans
plus tard, elles sont cinq.
L’objectif de cet article est de rendre compte des processus et des
acteurs qui ont contribué à l’explosion des universités et des disci-
plines. Plus concrètement, nous étudions le processus de diversication
de l’enseignement en nous fondant sur l’exemple des nouveaux dépar-
tements de sociologie apparus dans les universités d’État après 1989.
Pour ce faire, nous reviendrons dans un premier temps sur la sociolo-
gie comme cas d’étude privilégié : en quoi l’histoire et la structuration
de cette discipline en Bulgarie socialiste et postsocialiste en font-elles
un objet qui mérite l’attention? ; qu’est-ce que cet exemple particu-
lier nous apprend des transformations du système de l’enseignement
supérieur ? Ensuite, étant donné la forte réglementation du système de
l’enseignement universitaire, nous nous intéresserons au contenu des
politiques publiques mises en place pendant la période 1990-2006, qui
ont un impact direct sur le développement de la formation universitaire
en sociologie et sur la création de nouveaux départements. Enn, dans
1. Les universités proposent des enseignements dans plusieurs domaines scienti-
ques, alors que les instituts et les académies sont spécialisés dans un domaine.
2. http://www.nsi.bg/otrasal.php?otr=23.
3. Pour une analyse des disciplines « droit », « assistance sociale », « ingénierie »,
« management de l’industrie » voir Dimitrov (1999).
La socioLogie universitaire buLgare en transformation 93
la troisième partie de l’article, nous analyserons la constitution, après la
chute du régime, de trois nouveaux départements de sociologie : au sein
de l’Université d’économie nationale et mondiale de Soa, de l’Univer-
sité sud-ouest de Blagoevgrad et de celle de Plovdiv4.
Dans cette analyse, nous nous intéressons à la fois aux réformes
majeures mises en place par l’État postsocialiste et à la façon dont les
différents acteurs les interprètent et entreprennent de créer de nouveaux
départements. Nous entendons retracer à la fois les parcours des acteurs
qui s’engagent dans un projet de formation mais aussi observer le résul-
tat de leur mise en place dans la mesure elle s’inscrit dans la réforme
institutionnelle de l’université postsocialiste, promue par l’État. Cette
approche favorise une analyse détaillée à plusieurs échelles, à la fois
biographique et institutionnelle. Elle conrme la thèse selon laquelle
la diversication de l’enseignement supérieur, en particulier dans le
domaine de la sociologie, est un phénomène qui dépend de l’activisme
des « entrepreneurs universitaires » (Neumayer, 2010), à savoir ceux
qui parviennent à innover en mobilisant des ressources personnelles,
académiques et politiques face aux changements législatifs5. La socio-
logie qui, pendant la période socialiste, bénéciait d’un statut privilégié
du fait de sa proximité avec le régime, bien que soumise à son contrôle,
se voit en partie recomposée sous la forme de nouveaux départements.
Ces processus de recompositions sont au cœur de notre analyse qui les
replace dans le contexte des changements des politiques publiques et
des parcours des « entrepreneurs universitaires ».
Notre étude de cas détaillée (Donmoyer, 2000) s’appuie sur des docu-
ments législatifs, des entretiens avec des enseignants (cinq pour chaque
université), une analyse de trajectoires d’enseignants et de chercheurs,
enn des archives de trois départements de sociologie.
4. Le département de sociologie de l’Université de Soa, qui est le plus ancien
(1975-1976), ne fera pas l’objet d’une analyse à part ici puisque l’objectif est de
comprendre le processus de création des nouveaux départements après 1989. Pour
une analyse de la sociologie à l’Université de Soa, voir Slavova (2012).
5. Ce concept renvoie à l’idée schumpetérienne d’entrepreneur ou à celle d’« entre-
preneur de morale » de Howard Becker. L’analyse de cette hypothèse demande un
travail de reconstruction théorique, ce qui n’est pas l’objectif de cet article.
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1. La socioLogie comme cas détude priviLégié
Marginale si on la compare à l’économie ou au droit, en termes de
nombre d’étudiants, de visibilité ou de prestige, la sociologie n’en
représente pas moins un cas d’étude stimulant à différents égards. Son
histoire et les recompositions qu’elle connaît après la chute du régime
en sont la première source d’intérêt. Interdite pendant les années 1950,
elle renaît au début des années 1960 ; elle bâtit alors son « projet dis-
ciplinaire » (Koleva, 2005) grâce aux contributions d’acteurs ayant un
double statut, à savoir des scientiques (philosophes et statisticiens)
qui sont aussi des cadres du parti communiste (simples membres ou
fonctionnaires-décideurs). Sans conteste, elle devient une « disci-
pline (du) politique ». 1968 est une année charnière dans l’histoire
de la sociologie bulgare puisque plusieurs institutions sociologiques,
chargées d’aider le régime à poursuivre plus fermement ses ambitions
politiques (Bafoil, 1991), sont alors inaugurées6. Il s’agit d’institutions
académiques telles que l’Institut de sociologie de l’Académie bulgare
des sciences, ayant pour mission de favoriser le développement de la
sociologie en tant que science, et de groupes de recherches appliquées
auprès de différents ministères et organisations politiques chargés de
mener des recherches sur commandes mais sans développer de théo-
rie fondamentale. L’Association bulgare de sociologie est fondée en
1967. Les premières spécialisations universitaires en sociologie et en
sociologie économique sont créées en 1968-1969 : l’une est destinée
aux étudiants en philosophie de l’Université de Soa, l’autre s’adresse
aux étudiants en économie politique de l’Institut supérieur d’économie
Karl Marx. À la n des années 1970, deux types de sociologie coha-
bitent : une « dominante » et une « alternative ». La sociologie ofcielle
ou dominante imposée par le régime plaide pour le paradigme de la
« structure sociologique de la société » (Koleva, 2005, pp. 157-163).
Il s’agit d’un amalgame d’idées empruntées au marxisme et au structu-
ro-fonctionnalisme ; « la sociologie alternative », quant à elle, s’inté-
resse à la sociologie historique, à la phénoménologie et aux auteurs non
marxistes (Koev, 2002). L’émergence de toutes ces institutions permet
au régime de bâtir une sociologie qui serait une profession « comme les
6. L’émancipation de la sociologie en Bulgarie socialiste commence quelques an-
nées avant 1968, avec des enquêtes sur la ville, le village, la migration des jeunes
(1962-1963, 1965-1966), et l’introduction de plusieurs cours de sociologie dans le
programme des étudiants en philosophie de l’Université de Soa (1961).
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