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N° 1
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JANVIER 2014
LE CONCOURS MéDICAL
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Gestion des risques au cabinet
personnellement l’objet de critiques qui rabais-
sent la compétence nécessaire, l’assimilent à un
choix par défaut. Les réactions des seniors et
de l’administration de l’université sont souvent
décevantes, au mieux neutres. Cette absence
d’attitudes constructives de chaque discipline
pour une solidarité réciproque provoque régu-
lièrement des changements tardifs d’orienta-
tion. Ainsi, des étudiants de médecine générale
optent souvent pour une autre spécialité sous
la pression des critiques excessives ou par dé-
valorisation de leur choix initial ; l’impact est
sérieux, puisque 12 % des étudiants reconnais-
sent avoir réorienté leur carrière de généralistes
à cause de ces critiques, 7 % avoir fui la méde-
cine de ville en zone rurale, 8 % être devenus
spécialistes(7).
Pourquoi ces comportements ?
Parmi les facteurs externes, la fatigue, parti-
culièrement présente en milieu médical, joue à la
fois comme conséquence et accélérateur de ces
comportements délétères. L’effet générationnel :
la génération vétéran (1900-1945), marquée
par la crise de 1929, avait pour logique de tout
accepter pour préserver le travail et la sécurité
de la famille ; la génération des baby boomers
(1946-1964) loyaux à leur organisation, cher-
chait l’ascenseur social par tous les moyens, y
compris l’acceptation d’attitudes déplacées si
c’est le prix à payer ; tandis que les générations X
(1965-1980) puis Yers (1981-1999) misent sur
la technologie, prônent l’équipe, le réseau plutôt
que l’autorité, et sont sensibles à la qualité de
vie, tout en étant plus intolérantes, notamment
à tout ce qui les agresse, et en même temps plus
agressives en retour. Enfin, la mixité des cultu-
res en médecine : aux États-Unis, plus de 50 %
des professionnels de santé ne sont pas nés sur
le territoire.
Parmi les facteurs personnels : la personna-
lité est évidement un élément récurrent, avec de
grandes différences dans la gestion de l’agres-
sion et des stress, et très peu de formations pour
gommer ces différences.
Mais, dans bien des cas, blâmer le collègue per-
met simplement de réduire son propre stress.
Souvent le médecin pense qu’en disant au pa-
tient tout ce qu’il pense, il répond à un objectif
de transparence, mais il ne faut pas confondre
devoir de transparence et autorisation de délation
2. Badmoothing, bashing, disruptive behavior
Quatre-vingt-quinze % des médecins font, rarement ou souvent, des critiques
non éthiques sur leurs confrères, les autres professionnels, ou des critiques plus
générales sur d’autres spécialités que la leur.
Dans une grande majorité de cas, ceux qui critiquent le plus, et le plus inutilement,
sont de bons médecins, bons techniciens, justement avec un (trop) haut niveau
d’attente sur eux-mêmes et sur le système médical.
Le mécanisme psychologique de base le plus fréquent, invoqué pour expliquer ces
critiques inutiles, est la triangulation de la relation : pour gérer ses propres angoisses
et ses propres limitations, un tiers virtuel, objet de la critique, est présenté comme la
cause du problème, et on se place soi-même en observateur transparent, neutre, avec
le beau rôle.
Les critiques sont souvent prononcées devant le patient, ou l’étudiant, avec des
conséquences, importantes et mal estimées par celui qui critique, sur la sécurité du
patient, la conance mutuelle, et les choix de carrière des étudiants.
On peut s’améliorer, en groupe, et par des formations. Le groupe professionnel a tout
intérêt à être solidaire, à adopter une tolérance zéro sur ces pratiques, tout en aidant. Un
rapprochement social, des opportunités pour mieux se connaître et connaître le métier
de l’autre sont souvent sufsants pour réduire considérablement ces comportements.
L’université de Rochester a recruté des acteurs pour jouer les patients standard,
allant consulter 23 oncologues et 23 généralistes qui avaient accepté de participer
à l’expérimentation et de recevoir dans leur consultation normale des patients
cibles (mais sans savoir lesquels) et avaient donné l’autorisation d’enregistrer la
consultation (magnétophone porté par le patient) (chaque médecin payé 300 dollars
la consultation cible). Le patient acteur prenait le rôle d’un patient de la cinquantaine
atteint d’un cancer du poumon avancé, qui venait de déménager à proximité du lieu
de consultation, de sorte qu’il s’agissait de la première visite à ce médecin, mais pas
de la première visite pour la pathologie et le début du suivi médical, effectués dans
l’ancien lieu d’habitation. Tout le dossier avait été préparé par des oncologues pour
avoir un maximum de réalisme, et le patient acteur était bien sûr entraîné.
Sur les 46 visites, 39 ont pu être enregistrées (20 oncologues et 19 généralistes) ;
15 % des médecins ont dit avoir reconnu un patient cible (5 au total), ce qui signie
que 34 visites n’ont pas été détectées par les médecins comme faisant partie de
l’expérimentation : celles-ci ont été étudiées en détail.
Au total, 12 commentaires se sont avérés positifs sur le travail des confrères précédents,
2 neutres et 28 négatifs (14 sur le traitement mis en place, 8 sur les confrères eux-
mêmes, dont 6 nominatifs, et 6 d’ordre plus général sur certaines spécialités médicales).
Les commentaires négatifs parfois violents sont apparus souvent comme des
justications de la propre difculté du médecin à assumer
ses propres hésitations, comme s’il voulait se dédouaner
à l’avance d’un problème qui n’était pas encore arrivé.
Exemple de commentaire positif : « Vous avez eu
une bonne biopsie, c’est un bon docteur. »
Exemple de commentaire négatif : « Il a irradié vos
côtes, pas le poumon… ce gars est vraiment un idiot. »
1. Une expérimentation originale et inquiétante(3)
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