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civilisés, peu de temps après l’élection d’Henri
Hubert à une chaire de Religions primitives de
l’Europe. Le camp durkheimien se renforce au
sein de l’EPHE, puisqu’on trouve, outre les
deux comparses, Sylvain Lévi et Israël Lévi, qui
doivent faire face à l’hostilité, entre autres, de
Jules Toutain et Albert Réville.
Si l’on s’en réfère à ses sujets d’étude, il
est clair que Mauss s’oriente alors vers
l’ethnologie, bien qu’il se revendique sociologue
(et ce tout au long de sa vie). Son regard se
tourne vers les Indiens d’Amérique du Nord, les
Mélanésiens, les Inuits, etc. dans une perspective
de comparaison érudite des différentes religions
des peuples dits « non civilisés ». L’usage de ces
termes s’inscrit dans un contexte de
hiérarchisation des cultures, influencée par
l’anthropologie physique imprégnée de
l’ostéologie et de la phrénologie des précurseurs
que sont Broca, Quatrefages ou Hamy. Mauss,
comme l’école durkheimienne, se démarque
fortement de l’approche évolutionniste, déjà
mise à mal par le diffusionnisme, puis par le
fonctionnalisme. Il affirme, en ouverture de son
cours : « Il n’existe pas de peuples non civilisés ;
il n’existe que des peuples de civilisation
différente. Là où on parle de peuple, ou pour
mieux dire, de société, on parle de civilisation.
»
La rupture ne se fait pas que sur ce
point. En effet, jusqu’à la Grande Guerre, il se
nourrit de l’influence de son ami Hubert
,
historien de formation, avec lequel il signe des
articles marquants : « Esquisse d’une théorie
générale de la Magie » (1904) et « Introduction à
l’étude de quelques phénomènes religieux »
(1908). Il en découle une approche originale qui
se distingue de la doxa durkheimienne sur
certains points, par exemple dans son attitude
face à la psychologie comme le montre son
Mauss, Marcel. Œuvres, T.2, Les Éditions de Minuit,
Paris, 1968, p. 230
Sur la relation entre Henri Hubert et Marcel Mauss, cf.
notamment : Bert, Jean-François. Marcel Mauss, Henri
Hubert et la sociologie des religions. Penser et écrire à deux, La
Cause des Livres, Paris, 2012
article « Sociologie » pour la Grande Encyclopédie,
co-écrit avec un autre historien et ami, Paul
Fauconnet en 1901. Il y affirme qu’ « il n’en est
pas moins vrai que l’on peut passer des faits de
conscience individuelle aux représentations
collectives par une série continue de
transitions. »
. Soit le contraire de ce qu’affirme
Durkheim…
Ce qui ne l’empêche pas de
rester, de l’avis de la majorité, le premier
défenseur de son oncle, avec lequel il signe en
1903 « De quelques formes primitives de
classification. Contribution à l’étude des
représentations collectives », publié dans l’Année
sociologique.
Si la comparaison est une méthode
privilégiée par Mauss, il ne rechigne pas à
produire quelques monographies. Il rédige ainsi,
avec l’aide d’un jeune chercheur autodidacte,
Henri Beuchat
, un « Essai sur les variations
saisonnières des sociétés eskimos. Étude de
morphologie sociale ».
Les premières années du siècle sont une
période cruciale pour l’institutionnalisation de la
sociologie. Durkheim a obtenu une chaire de
Science de l’éducation en Sorbonne, d’abord
comme suppléant de Ferdinand Buisson (1902)
puis titulaire (1906), et s’est adjoint, via l’Année
sociologique, une équipe de jeunes collaborateurs
ambitieux : Maurice Halbwachs, François
Simiand, Paul Fauconnet, Henri Hubert, etc.
Tous ont des spécialités différentes, ce qui
permet à la sociologie de s’ancrer dans plusieurs
institutions et domaines.
La lutte pour accéder à la légitimité est
particulièrement visible dans certaines de ces
institutions : l’EPHE bénéficie déjà de soutiens
Grande Encyclopédie, vol. 30, Société anonyme de la
Grande Encyclopédie, Paris, 1901, p. 172
Sur ce point, cf. Karsenti, Bruno. Marcel Mauss. Le fait
social total, PUF, Paris, 1994
Sur Henri Beuchat, cf. sa nécrologie par Paul Rivet dans
le Journal de la Société des Américanistes, vol. 11,
n° 1, 1919, pp. 619-621, disponible ici :
http://www.persee.fr/doc/jsa_0037-
9174_1919_num_11_1_3865