marcel mauss - Salamandre (Collège de France)

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MARCEL MAUSS (1872-1950)
Chaire de sociologie (1931-1950)
« Breuil m’a écrit avant son départ pour
proposer ethnologie – que je n’aime pas. » *
Voilà ce qu’affirme Mauss au sujet du titre de
la chaire qu’on lui destine au Collège de
France.
* Lettre à Antoine Meillet, 7 octobre 1929, 57 CDF 108-25
Image : Mauss (à d.) posant à côté d’officiers britanniques (ca. 1916)
Et pourtant… Mauss est resté dans la
mémoire collective et académique comme le
« père de l’ethnologie française ». Étonnant
destin posthume pour celui qui, en dépit de son
apport à la discipline, n’a jamais « fait de
terrain » et qui se revendiqua sa vie durant de la
sociologie.
positiviste Alfred Espinas (1844-1922) et du
rationaliste Octave Hamelin (1856-1907). Il fait
dans le même temps des rencontres qui
l’amènent à s’engager politiquement, entre
autres avec Marcel Cachin, et adhère au Parti
ouvrier français, d’orientation guesdiste.
Les années de formation (18721898)
Licencié de philosophie en 1893, Mauss
prépare ensuite l’agrégation qu’il décroche en
1895, à la troisième place, derrière Marcel
Drouin et Edgar Milhaud2.
Marcel Mauss est né à Épinal le 10 mai
1872 dans une famille juive de commerçants de
broderie ayant opté pour la France après la
guerre franco-allemande. Contrairement à son
frère Henri (1876-1966), Marcel ne s’associe pas
à l’affaire familiale et choisit de poursuivre ses
études.
Ce choix se comprend d’autant plus que
son oncle, Émile Durkheim (1858-1917), est
déjà bien établi dans le milieu universitaire
lorsque Mauss entre en 1890 à la Faculté de
Bordeaux comme élève en philosophie, sans
chercher à intégrer l’École normale supérieure1.
Il assiste non seulement aux cours de son oncle,
mais suit également les enseignements du
1
Cf. Fournier, Marcel. Marcel Mauss, Fayard, 1994, p. 41.
Dès après son concours, il part pour
Paris et entame une thèse sur Spinoza et Léon
l’Hébreu3 et s’investit dans l’étude des
religions sous la direction de Sylvain Lévi. Le
grand indianiste, élu à la chaire de langue et
littérature sanscrites au Collège de France en
1894, donne des cours à l’École pratique des
hautes études. Mauss y assiste dès son arrivée
dans la capitale et commence à étudier le
sanscrit. Parallèlement, il publie ses premiers
articles, notamment dans la Revue d’Histoire des
Cf. Fournier, Marcel. Marcel Mauss, op. cit., p. 69
Sur l’influence de Spinoza sur Mauss, cf. notamment :
Papilloud, Christian. « Le Spinoza de Mauss. Présentation
de “Théorie de la liberté ou de l’action” de M. Mauss »,
« Éthique et Économie. L’impossible (re)mariage », La
Revue semestrielle du MAUSS, n° 15, Paris, La Découverte,
2000. Sur l’empreinte phénoménologique de l’œuvre de
Mauss, cf. Claude Lefort, « L’échange ou la lutte des
hommes », Les Temps modernes, 1951, pp. 1401-1417.
2
3
1
religions4 et surtout dans l’Année sociologique fondée
par Durkheim, dont il devient l’un des
principaux soutiens. Les dizaines de comptes
rendus de lecture qu’il fournit à cette revue, où il
est responsable de la section de « Sociologie
religieuse », sont une des bases de l’incroyable
érudition de Mauss.
En 1897-1898, toujours attelé à la
rédaction de sa thèse, il séjourne en Hollande, à
Leyde, avant de partir pour l’Angleterre, à
Oxford. Ce voyage lui permet de consulter des
sources sur Spinoza et surtout d’approfondir sa
connaissance du sanscrit : traduction de sûtras,
rencontre
avec
d’éminents
indianistes
(W. Caland, C. P. Tiele, S. R. Steinmetz en
Hollande, Winternitz en Angleterre) comme le
relate sa correspondance5. Il entre aussi en
contact avec certains des plus éminents
anthropologues anglo-saxons, comme James
Frazer (1854-1941) et Edward Tylor (18321917). C’est à cette période qu’il se rapproche
de celui qu’il définit a posteriori comme son
« jumeau de travail » : Henri Hubert (18721927). Avec lui, il commence en 1898 la
rédaction de l’« Essai sur la nature et la fonction
du sacrifice », publié l’année suivante et suscitant
de nombreuses réactions. Mauss devient ainsi
un personnage de premier plan de la sociologie
naissante.
Malgré tous ses efforts, aucune des
thèses de Mauss ne voit le jour. Il faut dire que
c’est un étudiant dont les tâches au sein de
plusieurs groupes (Ligue démocratique des
écoles, Groupe des étudiants collectivistes, etc.)
lui laissent peu de temps, dans un contexte
politique des plus agités, pris entre Affaire
Dreyfus, diffusion des idées révolutionnaires,
Le tout premier étant « La religion et les origines du
droit pénal d’après un livre récent », in Revue de l'histoire des
religions, I: Étude analytique (n° 34, 1896, pp. 269 à 295); II:
Étude critique (n° 35, 1896, pp. 31 à 60), Paris.
5 Cf. Correspondance avec Henri Hubert : 57 CDF 71 et
57 CDF 144 et la correspondance avec Émile Durkheim,
publiée par Philippe Besnard et Marcel Fournier, Lettres à
Marcel Mauss, PUF, Paris, 1998, 593 p.
4
développement des coopératives et situation
internationale houleuse. Cet activisme ne le
quitte pas de sa vie, même s’il connait des
périodes d’intensité variable.
La sociologie comme science,
la politique comme son
application (1898-1914)
La Belle Époque est une période de
travail intense pour Mauss : sa participation à
l’Année sociologique et ses enseignements à
l’EPHE s’inscrivent dans un processus de
légitimation de la sociologie naissante, qui voit
dans l’action politique, et notamment socialiste,
l’application logique de la science de l’Homme.
Les deux volets, scientifique et politique, sont
d’ailleurs inextricablement liés.
La lutte pour la sociologie
Au tournant du XXe siècle, Mauss, dont
la thèse n’est pas achevée, reste dans
l’incertitude
d’une
carrière
universitaire
débutante. Il hésite face à certaines propositions
de postes dans le secondaire ou le supérieur.
Finalement, le premier élément de stabilisation
vient de l’EPHE, où il est déjà élève. L’année
1900-1901, il commence à suppléer Alfred
Foucher (1865-1952) à la chaire d’Histoire des
religions de l’Inde6. Si Durkheim est sceptique
quant à l’opportunité de ce remplacement, il
« peut difficilement s’y opposer »7 car il est dans
l’incapacité de lui trouver un poste. Ces cours
ont été pour partie conservés dans les archives8.
Le calcul s’avère payant : suite au décès
accidentel de Léon Marillier en octobre 1901, il
est élu à la chaire de Religions des peuples non
Cf, entre autres, les Annuaires de l’EPHE consultables en
ligne http://www.persee.fr/collection/ephe
7 Fournier, Marcel. Op. cit., p. 180
8 Cf. Fonds Mauss, 57 CDF 37-1 à 57 CDF 39-3
6
2
civilisés, peu de temps après l’élection d’Henri
Hubert à une chaire de Religions primitives de
l’Europe. Le camp durkheimien se renforce au
sein de l’EPHE, puisqu’on trouve, outre les
deux comparses, Sylvain Lévi et Israël Lévi, qui
doivent faire face à l’hostilité, entre autres, de
Jules Toutain et Albert Réville.
Si l’on s’en réfère à ses sujets d’étude, il
est clair que Mauss s’oriente alors vers
l’ethnologie, bien qu’il se revendique sociologue
(et ce tout au long de sa vie). Son regard se
tourne vers les Indiens d’Amérique du Nord, les
Mélanésiens, les Inuits, etc. dans une perspective
de comparaison érudite des différentes religions
des peuples dits « non civilisés ». L’usage de ces
termes s’inscrit dans un contexte de
hiérarchisation des cultures, influencée par
l’anthropologie
physique
imprégnée
de
l’ostéologie et de la phrénologie des précurseurs
que sont Broca, Quatrefages ou Hamy. Mauss,
comme l’école durkheimienne, se démarque
fortement de l’approche évolutionniste, déjà
mise à mal par le diffusionnisme, puis par le
fonctionnalisme. Il affirme, en ouverture de son
cours : « Il n’existe pas de peuples non civilisés ;
il n’existe que des peuples de civilisation
différente. Là où on parle de peuple, ou pour
mieux dire, de société, on parle de civilisation. 9»
La rupture ne se fait pas que sur ce
point. En effet, jusqu’à la Grande Guerre, il se
nourrit de l’influence de son ami Hubert10,
historien de formation, avec lequel il signe des
articles marquants : « Esquisse d’une théorie
générale de la Magie » (1904) et « Introduction à
l’étude de quelques phénomènes religieux »
(1908). Il en découle une approche originale qui
se distingue de la doxa durkheimienne sur
certains points, par exemple dans son attitude
face à la psychologie comme le montre son
Mauss, Marcel. Œuvres, T.2, Les Éditions de Minuit,
Paris, 1968, p. 230
10 Sur la relation entre Henri Hubert et Marcel Mauss, cf.
notamment : Bert, Jean-François. Marcel Mauss, Henri
Hubert et la sociologie des religions. Penser et écrire à deux, La
Cause des Livres, Paris, 2012
9
article « Sociologie » pour la Grande Encyclopédie,
co-écrit avec un autre historien et ami, Paul
Fauconnet en 1901. Il y affirme qu’ « il n’en est
pas moins vrai que l’on peut passer des faits de
conscience individuelle aux représentations
collectives par une série continue de
transitions. »11. Soit le contraire de ce qu’affirme
Durkheim…12 Ce qui ne l’empêche pas de
rester, de l’avis de la majorité, le premier
défenseur de son oncle, avec lequel il signe en
1903 « De quelques formes primitives de
classification. Contribution à l’étude des
représentations collectives », publié dans l’Année
sociologique.
Si la comparaison est une méthode
privilégiée par Mauss, il ne rechigne pas à
produire quelques monographies. Il rédige ainsi,
avec l’aide d’un jeune chercheur autodidacte,
Henri Beuchat13, un « Essai sur les variations
saisonnières des sociétés eskimos. Étude de
morphologie sociale ».
Les premières années du siècle sont une
période cruciale pour l’institutionnalisation de la
sociologie. Durkheim a obtenu une chaire de
Science de l’éducation en Sorbonne, d’abord
comme suppléant de Ferdinand Buisson (1902)
puis titulaire (1906), et s’est adjoint, via l’Année
sociologique, une équipe de jeunes collaborateurs
ambitieux : Maurice Halbwachs, François
Simiand, Paul Fauconnet, Henri Hubert, etc.
Tous ont des spécialités différentes, ce qui
permet à la sociologie de s’ancrer dans plusieurs
institutions et domaines.
La lutte pour accéder à la légitimité est
particulièrement visible dans certaines de ces
institutions : l’EPHE bénéficie déjà de soutiens
11
Grande Encyclopédie, vol. 30, Société anonyme de la
Grande Encyclopédie, Paris, 1901, p. 172
12 Sur ce point, cf. Karsenti, Bruno. Marcel Mauss. Le fait
social total, PUF, Paris, 1994
13 Sur Henri Beuchat, cf. sa nécrologie par Paul Rivet dans
le Journal de la Société des Américanistes, vol. 11,
n°
1,
1919,
pp.
619-621,
disponible
ici :
http://www.persee.fr/doc/jsa_00379174_1919_num_11_1_3865
3
en place, mais la sociologie veut marquer un
coup symbolique puissant en entrant au Collège
de France. Jusqu’en 1909, plusieurs tentatives
ont lieu. Par deux fois, Durkheim se présente : il
échoue d’abord face à Jean Izoulet sur une
chaire de philosophie sociale, en 1897, puis en
1904-1905, suite à la mort de Gabriel Tarde,
dont la chaire fait l’objet de quatre demandes de
transformation :




en chaire d’Histoire,
en chaire de Sociologie,
en chaire de Science de l’éducation,
en chaire d’Antiquités nationales14.
C’est finalement la chaire d’Antiquités
nationales, à laquelle se présente Camille Jullian,
qui emporte le vote. Le contexte global, malgré
le succès de ses cours, est défavorable à
Durkheim. Suite au décès en 1906 d’Albert
Réville, titulaire de la chaire d’Histoire des
religions, il est décidé de présenter la
candidature de Mauss dont c’est la spécialité. Il
affronte le fils Réville, Jean ainsi que Georges
Foucart, dont le père Paul, titulaire de la chaire
d’épigraphie et antiquité grecques, défend les
titres. La donne est équilibrée, car deux proches
de l’Année sociologique ont intégré le Collège de
France : Charles Fossey (Assyriologie, en 1906)
et Antoine Meillet (Grammaire comparée,
également en 1906), qui ajoutent leur soutien à
celui de Sylvain Lévi.
Finalement, Jean Réville est élu, mais
décède l’année suivante. Une nouvelle élection a
donc lieu. Cette fois, Mauss se trouve confronté
à Foucart et surtout à Alfred Loisy. Celui-ci, en
tant que prêtre aux positions modernistes, vient
d’être excommunié. L’élection a donc un
retentissement important, y compris hors les
murs, alors que les débats sur la loi de 1905 sont
Cf. le registre de délibération de l’Assemblée en ligne,
consultable
ici :
https://salamandre.college-defrance.fr/imgviewer/2AP/CDF_2AP11/viewer.html?ns=CDF_2AP11
_00087.jpg.
14
toujours vifs. Elle est surtout très tendue,
comme en témoignent les délibérations des
Assemblées : il ne faut pas moins de cinq tours
de vote pour déterminer le candidat de première
ligne et trois tours pour la seconde ligne. Loisy
est finalement élu, mais à la surprise de tous,
Mauss n’est pas en deuxième ligne15. Il ne se
présente plus au Collège avant 1929 et continue
son enseignement à l’EPHE.
En parallèle de cette lutte pour la
sociologie, Mauss, socialiste convaincu, milite
ardemment au sein de plusieurs groupes. Il est
intégré au sein d’un réseau dense de
personnages politiques importants ou en passe
de le devenir.
La sociologie pour lutter16
Les durkheimiens visent les postes
symboliques du champ académique avec la
conviction profonde de porter un projet
légitime, qui trouve sa traduction hors de ce
milieu, dans la politique.
Leur positivisme et leur croyance dans le
progrès les enracinent dans le courant socialiste,
qu’ils voient comme l’aboutissement logique de
leurs recherches et de la sociologie comme
science de l’Homme rationnelle et pour partie
prédictive, même s’ils sont inégalement touchés
par le déterminisme marxiste. Depuis Bordeaux,
Mauss est un militant actif, au cœur d’un réseau
dense comme en témoigne sa correspondance,
dans laquelle on trouve entre autres Hubert
Lagardelle, Jean Jaurès (camarade de Durkheim
à l’ENS), Charles Péguy, Lucien Herr, Albert
Thomas, sans compter les autres durkheimiens
de même sensibilité. Il prend fait et cause pour
Cf. Registre 2 AP 11, 31 janvier 1909 :
https://salamandre.college-de-france.fr/imgviewer/2AP/CDF_2AP11/viewer.html?ns=CDF_2AP11
_00217.jpg
16 Pour le « Mauss politique », voir notamment :
- Mauss, Marcel. Écrits politiques, textes réunis par Marcel
Fournier, Fayard, Paris, 1997
- Dzimira, Sylvain. Mauss, savant et politique, La Découverte,
Paris, 2007
15
4
Dreyfus lors de l’Affaire, même s’il s’y engage
assez peu, suite au conseil de son oncle, déjà
fort exposé. Et l’engagement maussien n’est pas
que de parole, puisque, séduit par le mouvement
coopératif, il crée en 1900 La Boulangerie,
coopérative qui finit par péricliter en 1902. Cela
n’éloigne toutefois pas Mauss de ce courant
auquel il reste fidèle sa vie durant et qui
constitue un sujet de prédilection de ses articles
« politiques ». Dans L’Humanité, qu’il contribue à
fonder en 1904, il est d’ailleurs en charge d’une
chronique sur les coopératives. Il y écrit avec
d’autres élèves de Durkheim, comme François
Simiand qui se charge lui d’une rubrique
économique.
L’analyse de ce qu’on nomme par
commodité les « écrits politiques » de Mauss (ce
qu’il appelle ses « incursions écrites dans le
domaine normatif ») révèle une forte
imprégnation de sa pensée sociologique. Il s’agit
de sociologie appliquée, d’article de vulgarisation
et non de billets d’humeur ou d’opinion. Cette
confluence entre son travail scientifique et sa
pensée politique trouve leur traduction la plus
aboutie dans deux ouvrages fameux : Essai sur le
don, surtout dans ses « Conclusions de morale »
(1925) et La Nation (posthume, 1956).
Mais, en 1914, c’est le déclenchement du
conflit qui change brusquement la donne. Peu
avant, il subit la mort de Jaurès, qu’il apprend
par un télégramme d’un de ses amis, Philippe
Landrieu, témoin de l’assassinat alors qu’il
déjeunait avec l’homme politique au Café du
Croissant. Les mots sont simples : « Jaurès
assassiné hier soir. Consternation.17 »
1914-1918 :
guerre
Mauss
dans
la
Dès l’annonce de la mobilisation, Mauss
se dit volontaire pour donner de sa personne.
En dépit de son âge (il a alors 42 ans) et de son
statut qui lui permettent d’être exempté du
front, il s’engage comme soldat volontaire le
3 septembre et se voit incorporé au 144e
régiment d’infanterie.
Il ne part pas immédiatement à
l’avant : ce n’est qu’en décembre qu’il intègre la
27e division britannique comme officierinterprète, d’abord caporal, puis lieutenant en
mars 1915. C’est l’annus horribilis pour Mauss : il
perd certains amis, notamment Robert Hertz,
figure montante de la sociologie, et son cousin,
André Durkheim, dont il apprend la disparition
au début de l’année 1916, après des mois
d’incertitude. Cette nouvelle porte un coup rude
à son oncle qui décède précocement en 1917.
En 1916, il est affecté à la 5e division
australienne, toujours comme interprète. S’il
n’est pas en première ligne, il met un point
d’honneur à rester au plus près de la bataille, ce
qui lui vaut les honneurs. Ainsi, le 17 mars 1917,
il mène une opération de reconnaissance dans
Bapaume bombardé. Il reste mobilisé jusqu’à la
fin de la guerre, avec plusieurs citations et
médailles.
On sait assez peu de choses de cette
période, mais la consultation des archives du
don complémentaire réalisé par la famille en
2014 devrait permettre d’approfondir la
trajectoire de Mauss durant le conflit. Quoiqu’il
en soit, le bilan, macabre, est plus simple à
dresser.
14-18 : Bilan humain
Dans les millions de morts de la guerre,
un certain nombre affecte Mauss de près. Tous
17
Correspondance Philippe Landrieu, 57 CDF 75-25.
5
ne sont pas dus aux combats, mais les pertes
sont nombreuses et la saignée est importante
dans les rangs de la sociologie : Durkheim père
et fils, Henri Beuchat (mort lors d’une
expédition arctique canadienne, sur le navire
Karluk), Maxime David, Antoine Bianconi,
Robert Hertz, Jean Reynier, etc.
Mauss leur rend hommage à la première
reparution de l’Année sociologique, en 1925, dans
une longue rubrique d’ouverture consacrée aux
nécrologies.
C’est à ce moment qu’il devient, selon
l’expression de Marcel Fournier, « l’héritier » de
l’école durkheimienne. Il devient également
l’éditeur et le récipiendaire de l’œuvre inachevée
de ses camarades disparus, et déploie de grands
efforts pour rendre hommage à leur mémoire.
1920-1940 : la reconnaissance
en héritage
À partir du début des années 1920,
Marcel Mauss est vu comme un élément central
des sciences de l’Homme en France. En effet, si
son activité s’arrête un moment en 1921-1922
en raison de problèmes de santé, il s’évertue à
faire fructifier l’héritage de la pensée
durkheimienne, tout en se singularisant de la
pensée de son oncle.
1925 : l’ « Essai sur le don »
Les années 1920, en particulier, sont le
moment clé de la constitution du Mauss
« ethnologue ». Il commence par reprendre la
publication de l’Année sociologique, dans une
nouvelle série. Il y publie notamment « Essai sur
le don. Forme et raison de l’échange dans les
sociétés archaïques » en 1925. Il y élabore un
concept fondamental : celui de « fait social
total », c’est-à-dire un fait social qui mobilise
l’ensemble de la société, dans ses dimensions
sociale, politique et religieuse. Ainsi du potlatch
des tribus nord-américaines, qui consiste à
accroître son pouvoir en gagnant du prestige par
la destruction systématique et massive de grande
quantité de richesse.
Ce texte marque un jalon important. Il
est globalement perçu dès le départ comme un
texte important, même si son importance doit
beaucoup à sa postérité post-mortem. Les
ethnologues les plus en vue, tels Franz Boas
(1858-1942), Bronislaw Malinowski (1884-1942)
ou encore Henri Lévy-Bruhl (1884-1964) en
font un compte rendu élogieux. Il fait aussi
l’objet de critique, surtout à partir des années
1950 et jusqu’à aujourd’hui. La contestation de
la théorie maussienne se cristallise autour de
l’utilisation de catégories indigènes pour
expliquer des phénomènes sociaux. Ainsi le hau,
terme maori qui désigne l’esprit habitant les
objets, déterminerait l’obligation à rendre les
présents. Cet usage lui vaut d’être soupçonné de
se laisser duper par le point de vue indigène, et
comme conduisant à une aporie. En 1929,
Raymond Firth, disciple de Malinowski, est un
des premiers à contester l’emploi de ce mot et à
dénoncer la mystification. Il affirme « When
Mauss sees in the gift exchange an interchange
of personalities, "a bond of souls", he is
following, not native belief, but is own
intellectualized interpretation of it [Là où Mauss
voit dans le don un échange de personnes, un
"lien d’âmes", il suit, non pas la croyance des
indigènes, mais sa propre interprétation,
intellectualisée] 18». Il est suivi à partir des
années 1950 par Claude Lévi-Strauss, qui pose la
question : « ne sommes-nous pas ici devant un
de ces cas où l’ethnologue se laisse mystifier par
l’indigène ?19 ». Par ailleurs, la partition du don
en trois obligations, donner – recevoir – rendre
lui ont fait reprocher par d’autres, comme Remo
Firth, Raymond. Primitive economics of the New Zealand
Maori, Georges Routledge, Londres, 1929, p. 412
19 Lévi-Strauss, Claude. « Introduction à l’œuvre de Marcel
Mauss », in Mauss, Marcel. Sociologie et anthropologie, PUF,
Paris, 1950, p. XXXVIII
18
6
Guidieri, « d’avoir parlé de don là où […] il n’y a
que du prêt.20 » Enfin, certains ont considéré sa
conclusion, très politique, était hors de propos.
Charles Rist va même jusqu’à affirmer, auprès
de la Fondation Rockefeller, que Mauss « est
essentiellement un politicien qui n’a rien produit
par lui-même.21 »
L’institut d’ethnologie
Cette même année 1925, il fonde en
compagnie de Paul Rivet (1876-1958) et Lucien
Lévy-Bruhl (1857-1939) l’Institut d’Ethnologie
de l’Université de Paris, premier lieu offrant un
diplôme dans la matière, et y donne cours
jusqu’à la fin de sa carrière. Le triumvirat illustre
bien l’état de l’ethnologie des années 1920 et
1930 : Rivet, premier secrétaire, représente la
branche biologiste (mais non racialiste22) de la
discipline, dont le lieu d’ancrage institutionnel
est le Museum national d’histoire naturelle ;
Mauss et Lévy-Bruhl (président de l’Institut) le
versant sociologique. Quoiqu’il en soit, c’est au
travers de l’Institut qu’il forme une partie des
étudiants qui lui sont les plus proches23 : Marcel
Griaule, Jacques Soustelle, Madeleine Francès,
Germaine Tillion, Paul-Émile Victor, etc. Mauss
est un infatigable soutien pour ses élèves,
cherchant sans relâche des financements et des
postes leur permettant de poursuivre leurs
études et de mettre en place des expéditions :
mission Dakar-Djibouti menée par Marcel
Griaule (1931-1933)24, missions de Germaine
Tillion dans les Aurès (1935-193625 ; 19391940), etc.
Mauss, héritier singulier (19241935)
D’autres
productions
maussiennes
primordiales naissent dans cette période,
notamment « Rapports réels et pratiques de la
psychologie et de la sociologie »26 (1924) et
« Techniques de corps »27 (1935). Le premier
texte, issu d’une intervention à la Société de
psychologie, redéfinit les rapports entre les deux
disciplines qui, depuis le début du XXe siècle, se
livraient batailles pour l’hégémonie de l’étude de
l’Homme. Mauss appelle à un véritable cessezle-feu entre les deux (« Les temps héroïques […]
sont bien loin », proclame-t-il), redéfinissant les
contours épistémologiques de chacune dans un
esprit de complémentarité28. Le second texte
analyse quant à lui les influences biologiques et
éducatives sur la manière dont on utilise son
corps. Outre le sujet, novateur, précurseur d’une
sociologie corporelle, Mauss introduit un
nouveau concept promis à une belle postérité,
celui d’habitus. Il y réaffirme par ailleurs la
nécessité d’introduire, entre l’explication
biologique
et
l’explication
sociologique, l’intermédiaire psychologique,
affirmant une nouvelle fois la partition entre les
disciplines, plutôt que leur hiérarchisation.
20
Guidieri, Remo. L’Abondance des pauvres, Paris, Seuil,
1984, 223 p., cité par Caillié, Alain. « Marcel Mauss et le
paradigme du don », in Sociologie et sociétés, vol. 36, n° 2,
2004, p. 141-176 : http://id.erudit.org/iderudit/011053ar
21
Cité dans Mazon, Brigitte. « La Fondation
Rockefeller et les sciences sociales en France, 19251940 », in Revue française de sociologie, Vol. 26, n° 2, p. 325 :
http://www.persee.fr/doc/rfsoc_00352969_1985_num_26_2_3952
22 Mucchielli, Laurent. « Sociologie versus anthropologie
raciale. L'engagement des sociologues durkheimiens dans
le contexte "fin de siècle" (1885-1914) », Gradhiva, 1997,
21, pp. 77-95
23 Voir notamment Conklin, Alice L. Exposer l’Humanité.
Race, ethnologie et empire en France (1850-1950), Publications
scientifiques du Museum, Paris, 2015, 541 p.
Sur la mission Dakar-Djibouti, cf. « Le cercueil de
Queequeg. Mission Dakar-Djibouti, mai 1931 - février
1933 »,
Les
Carnets
de
Bérose,
n°2,
2014 :
http://www.berose.fr/?Le-cercueil-de-Queequeg-Mission
25 « Un destin contrarié. La mission Rivière-Tillion dans
l’Aurès (1935-1936) », Les Carnets de Bérose, n°6, 2014 :
http://www.berose.fr/?Un-destin-contrarie-La-mission
26 Journal de Psychologie, 21, pp. 892-922
27 Journal de Psychologie, 32, pp. 271-293
28 Sur cette question, voir notamment :
- Karsenti, Bruno. Marcel Mauss. Le fait social total, PUF,
Paris, 1994,
- Sur ce point, cf. Karsenti, Bruno. L’homme total. Sociologie,
anthropologie et philosophie chez Marcel Mauss, PUF, Paris,
1997
24
7
Mauss, durant cette période, est aussi
légataire des travaux de ceux qui ont disparu. Il
continue d’abord la revue de Durkheim, même
si les livraisons sont rares. Mais il ne s’occupe
pas seulement de l’œuvre de son oncle. En 1928,
il édite Sociologie religieuse et folklore, un recueil de
textes de Robert Hertz. Un nouveau décès le
frappe de près, en 1927, celui de son « jumeau
de travail », Henri Hubert. Celui-ci laisse un
ouvrage inachevé sur les Celtes, que Mauss
compte bien publier en hommage à son ami. Il
publie donc deux volumes posthumes29 en 1932,
aidé dans la tâche par Raymond Lantier et Jean
Marx.
Collège de France : ultime assaut
(1929-1931)
Cette période charnière, à la fin des
années 1920, est également l’occasion pour
Mauss de se lancer une troisième fois dans la
compétition pour l’élection au Collège de
France. La chaire d’Izoulet, qui avait emporté la
chaire de philosophie sociale en 1897 face à
Durkheim, fait l’objet d’une proposition de
transformation suite au décès de son titulaire en
1929. L’Assemblée du 15 juin 193030 voit
l’affrontement entre les partisans d’une chaire de
Philosophie au Moyen Âge (destinée à Étienne
Gilson) et ceux d’une chaire de Sociologie. À
l’issue du vote, l’égalité est parfaite entre les
deux, ce qui entraîne le report de la question à
l’Assemblée suivante. Le 23 novembre 1930,
Mauss est enfin élu au Collège de France, à 24
voix contre 12, tandis que Maurice Halbwachs
est présenté en deuxième ligne. Cette fois, la
victoire est complète pour les héritiers de
Hubert, Henri. I. Les Celtes et l’expansion celtique jusqu’à
l’époque de la Tène, La Renaissance du Livre, Paris, 1932,
XXVI-403 p. ; II. Les Celtes à l’époque de la Tène et la
civilisation celtique, id., XVII-368 p.
30
Cf. registre des délibérations 2 AP 13 :
https://salamandre.college-de-france.fr/imgviewer/2AP/CDF_2AP13/viewer.html?np=CDF_2AP13
_00165.jpg&nd=CDF_2AP13_00197.jpg&ns=CDF_2AP
13_00165.jpg
29
Durkheim. Il ne reste malheureusement que peu
de traces des enseignements de Mauss au
Collège dans les archives, même si son dossier
de professeur donne quelques indications31.
Les
années
30 :
succès
institutionnels et montée des périls
La suite des années 1930 confirme
l’institutionnalisation de la science ethnologique
(en dépit du désaccord de Mauss concernant
l’usage du terme) même si elle pénètre
difficilement l’Université. Ainsi, en 1936, suite à
la victoire du Front populaire, les études sur
l’Homme et ses cultures bénéficie du soutien de
Jean Zay dans la création de deux lieux
principaux d’exposition et de recherche : le
Musée du Folklore français (futur Musée des
Arts et Traditions populaires) et le Musée de
l’Homme (au Palais de Chaillot). Le premier,
dirigé par Georges-Henri Rivière, concerne les
coutumes et matériaux nationaux grâce aux
anciennes collections du Musée du Trocadéro,
détruit en raison de sa vétusté. Le second, dirigé
par Paul Rivet, véritable musée anthropologique,
accueille dès lors l’Institut d’ethnologie au sein
de collections issues du Museum national
d’histoire naturelle32. Les deux ouvrent leurs
portes en 1937, à l’occasion de l’Exposition
universelle. Du Palais de Chaillot, on voit se
faire face les bâtiments de l’URSS et de
l’Allemagne nazie.
Le symbole n’est pas anodin. Le
contexte international tendu n’est pas étranger à
la création du Musée de l’Homme. Paul Rivet
est membre fondateur du Comité de vigilance
des intellectuels antifascistes (CVIA), auquel
Mauss est invité à participer. Il n’y prend pas
officiellement part, mais son soutien est clair.
Dossier Mauss, Marcel, 16 CDF 288 :
https://salamandre.college-defrance.fr/ead.html?id=FR075CDF_00CDF0016#!{%22c
ontent%22:[%22FR075CDF_00CDF0016_de243%22,false,%22%22]}
32 Cf. Conklin, Alice L. op. cit.
31
8
En effet, Mauss n’a pas abandonné
l’action politique et continue une production
d’articles importants, surtout dans deux
journaux socialistes témoins de la division du
mouvement et de l’indécision de Mauss : La vie
socialiste et Le Populaire. Le premier est dirigé par
Pierre Renaudel, dont Mauss reste proche
jusqu’à la mort prématurée de l’homme
politique en 1935. Celui-ci, membre éminent de
la SFIO, rallie en 1933 le Parti socialiste de
France – Union Jean Jaurès dans lequel il
retrouve entre autres Marcel Déat. Malgré cette
proximité, il ne ralliera jamais le courant néosocialiste, dont une partie des membres les plus
connus (à l’instar de Déat) rejoignent les rangs
de la collaboration active durant l’Occupation.
Le Populaire est, pour sa part, l’organe du courant
majoritaire de la SFIO, dirigé par un autre
proche de Mauss, Léon Blum. Toutefois, sa
production politique connait un ralentissement à
partir de 1932, même s’il reste actif jusqu’à la fin
des années 1930.
Le début de la guerre est un choc pour
Mauss, bien qu’il fût lucide sur la situation
internationale. Même si les combats font peu de
pertes humaines (et aucune chez ses élèves), le
conflit puis l’Occupation provoquent un
éclatement de la société intellectuelle qui gravite
autour de Mauss. L’année 1940 marque sa
dernière année d’activité professorale : il donne
sa démission à la fin du mois de septembre,
quelques jours avant la loi d’octobre portant sur
le statut des Juifs, et qui le concerne
directement.
1941-1950 : Survivre à la guerre,
survivre à soi
Les années de la guerre sont assez mal
connues : Mauss laisse peu de documents écrits,
hormis
quelques
éléments
de
sa
correspondance, abondante avec les membres
de sa famille. Tout indique que la période a été
la plus douloureuse de sa vie : non seulement il
est visé par les lois antisémites, doit batailler
pour obtenir sa retraite, est obligé de déménager
suite à la réquisition de son appartement en
1942, mais il subit de plein fouet une nouvelle
série de pertes, que ce soit parmi ses proches et
surtout ses élèves, dont beaucoup ont intégré la
Résistance précocement, via le Réseau du Musée
de l’Homme.
Parmi ceux-ci, Boris Vildé et Anatole
Lewitsky, en compagnie de cinq de leurs
camarades, sont fusillés au Mont Valérien le
3 février 1942. Yvonne Oddon et Germaine
Tillion sont déportées à Ravensbrück, Deborah
Lifchitz à Auschwitz, les frères Vernant, Jacques
et Jean-Pierre, rejoignent le maquis. D’autres
enfin choisissent l’exil.
Mauss s’évertue pendant l’année 1942 à
sauver sa bibliothèque. En effet, son
appartement réquisitionné par l’occupant, il
cherche coûte que coûte à sauver sa collection
d’ouvrages et de manuscrits, qu’ils soient les
siens ou ceux dont il est légataire. Grâce à
plusieurs élèves, il parvient à les abriter dans les
réserves du Musée de l’Homme. Pour subvenir à
ses besoins, il tente sans succès de faire acheter
cet ensemble par l’Université de Paris. Ses
besoins sont d’autant plus criants qu’il doit
s’occuper de sa femme, Marthe, dont la santé est
gravement atteinte depuis 1934, suite à une
intoxication au gaz et que le rationnement est
fort.
En 1944, la Libération voit sa
réintégration dans ses fonctions de professeurs,
dont il avait été démis. Il peut dès lors toucher
sa retraite.
L’après-guerre voit le début de l’héritage
maussien. Denise Paulme, appuyée par Mauss, a
compilé durant la guerre des notes de cours à
l’Institut d’ethnologie et publie en 1947 le
Manuel d’ethnographie. La question de la
bibliothèque, elle, n’est toujours pas soldée.
9
Henri, le frère de Marcel, confirme la volonté de
la vendre, aidée par leur cousine Marie et par
Yvonne Oddon, revenue de déportation. Mais
c’est bien plus qu’un enjeu financier : d’une part
Georges Davy (par l’intermédiaire d’Yvonne
Halbwachs) et d’autre part Paul Rivet, vont en
revendiquer
la
détention.
Finalement,
l’inventaire des livres ne commence qu’à la toute
fin de l’année 1949. Marcel Mauss s’éteint
quelques semaines plus tard, le 10 février 1950.
Que reste-t-il de Mauss ?
Il est difficile de dire que Mauss a fait
école, même si son influence sur les sciences
humaines a été réelle. Trois raisons à cela.
D’abord, son empirisme l’a empêché de
faire système : s’il théorise, il généralise peu ; il
n’y a pas de « doctrine » maussienne.
Deuxième raison : la Seconde Guerre
mondiale a privé Mauss de ses continuateurs les
plus prometteurs, pour la plupart décédés quand
ils ne se sont pas exilés.
Enfin, l’œuvre du sociologue est à
l’image de ses archives : dispersée. Tout cela a
contribué au ruissellement de la pensée
maussienne plus qu’à sa transmission sous
forme de « legs », pour reprendre l’expression de
Maurice Godelier33.
L’édition de certains de ses textes
permet néanmoins de voir que la figure du
sociologue reste une figure tutélaire de la
discipline au début de la décennie 1950.
manifeste structuraliste, qu’il appuie en partie
sur la critique d’un texte majeur de Mauss, son
« Essai sur le don ».
Le paradigme structuraliste se partage
par la suite avec l’analyse marxiste l’hégémonie
de l’explication en sciences humaines. Il faut
attendre 1968-1969 pour que soient publiées aux
Éditions de Minuit les Œuvres – presque –
complètes, sous la direction de Victor Karady.
Celui-ci avait prévu une édition des écrits
politiques. Mais elle ne voit le jour qu’en 1997,
grâce au travail de compilation de Marcel
Fournier.
Toutefois, Mauss a laissé aussi des
concepts (comme « fait social total » et
« habitus ») que se sont appropriés une partie
des sociologues et des ethnologues. Une partie
des chercheurs en sciences sociales continue de
les revendiquer, comme le Mouvement antiutilitariste en Sciences sociales (le M.A.U.S.S).
Si, auprès d’un public élargi, il est passé au
second plan dans le champ académique du XXe
siècle, c’est, aussi, qu’il est pris entre deux autres
acteurs prédominants qui eux, ont fait système :
en amont Émile Durkheim et le « holisme » ; en
aval Claude Lévi-Strauss et le structuralisme.
C’est pourquoi l’étude des archives est
primordiale pour réévaluer l’action structurante
que fut celle de Marcel Mauss pour la sociologie,
et plus généralement pour les sciences sociales
comme disciplines académiques et universitaires
légitimes.
En effet, quelques mois après sa mort,
Claude Lévi-Strauss et Henri Lévy-Bruhl
publient un premier recueil d’articles sous le titre
Sociologie et anthropologie. Si Lévi-Strauss se situe
volontairement dans la filiation de Mauss, c’est
pour mieux signaler les limites de sa théorie. Sa
longue introduction au volume est en réalité un
33
Godelier, Maurice. L’énigme du don, Fayard, Pris, 1996
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