Diagnostics Prévisions et Analyses Économiques N° 82 – Sept. 2005 Pourquoi le solde commercial américain a-t-il continué de se dégrader depuis 2002 malgré la dépréciation du dollar1? Malgré une dépréciation importante du dollar, la balance commerciale n'a cessé de se dégrader depuis 2002, et son déficit atteint en 2004 son maximum historique (5,7% du PIB). Les estimations économétriques montrent pourtant que la dépréciation du dollar aurait dû avoir un effet favorable sur le solde commercial au bout de deux ans : le mécanisme de la courbe en J (dégradation initiale suite à la dépréciation du change, puis amélioration au fur et à mesure que les gains de compétitivité se font sentir) aurait donc dû jouer. De fait, une analyse chiffrée de l'impact des déterminants du solde commercial montre que trois années de baisse du dollar ont eu un effet positif, à hauteur de 0,7 point de PIB. De plus, l'amélioration des termes de l'échange hors pétrole a aussi contribué positivement à l'évolution de la balance commerciale américaine (+0,4 point). Sans ces deux effets favorables, la dégradation du solde commercial aurait atteint 6,8% du PIB à la fin de l'année 2004. La forte dégradation du solde commercial américain s'explique donc par d'autres facteurs, qui ont masqué l'effet du change et contribué à une détérioration de 4 points de PIB. Par ordre croissant d'impact, il s'agit : • de l'écart de conjoncture entre les États-Unis et le reste du monde : – 0,2 point de PIB. La faiblesse de ce chiffre souligne qu’il convient de relativiser le rôle de la forte croissance américaine dans le creusement du déficit courant ; • de la hausse des prix du pétrole qui a accru substantiellement (– 0,9 point de PIB) la facture énergétique des États-Unis ; • un troisième facteur serait lié à la faiblesse initiale du taux de couverture des importations par les exportations, qui conduit, même à croissance identique des exportations et des importations, à une dégradation du solde de 1,2 point de PIB; • enfin la dernière source de détérioration (–1,4 point) regroupe les facteurs inexpliqués, dont un candidat sérieux est une possible dégradation de la «compétitivité hors-prix». L'interprétation de ce dernier facteur est toutefois délicate, car son chiffrage ressort de la partie inexpliquée des équations d'importations et d'exportations. Un ralentissement marqué de l'économie américaine pourrait permettre une résorption significative du déficit commercial américain. En effet, au-delà des effets cumulés de la dépréciation passée, qui devrait encore jouer positivement en 2005 et atteindre au total environ 1 point de PIB, une nouvelle dépréciation du dollar ne produirait pas d'effets positifs avant deux ans, tandis qu'une accélération de la croissance mondiale hors des États-Unis n'aurait qu'un effet limité. 1. Ce document a été élaboré sous la responsabilité de la Direction Générale du Trésor et de la Politique Économique et ne reflète pas nécessairement la position du Ministère de l’Économie, des Finances et de l’Industrie. Sommaire des derniers numéros parus Sept. 2005 n°81 • Politique familiale et taille de la famille, Maryse Fesseau, Layla Ricroch Août 2005 n°80 • Y-a-t’il un excès de liquidité ? Benjamin Delozier, Sébastien Hissler Juil. 2005 n°79 • Performances de la France à l’international : état des lieux et enjeux à moyen terme, Bruno Valersteinas n°78 • La hausse du prix des matières premières vue d’Asie, Hubert Frédéric n°77 • Réforme du marché du travail : les exemples de l’Espagne et du Danemark, Stéphane Carcillo Juin 2005 n°76 • Les conditions monétaires et financières courantes et passées dans la zone euro et aux États-Unis, Mickaël Le Mestric, Fabrice Montagné n°75 • Les indicateurs de la politique monétaire, Fabrice Montagné n°74 • Mesurer l’inflation sous-jacente en zone euro, Jean-Marie Fournier Mai 2005 n°73 • L’impact des taxes sur le marché pétrolier, Xavier Payet n°72 • Interventions de change asiatique et taux de change d’équilibre, Benjamin Carton, Karine Hervé, Nadia Terfous n°71 • Analyse économique de la prévention des risques pour la santé, Cécile Malguid Avril 2005 n°70 • Quelle lecture faire de l’évolution récente des exportations françaises ? Antoine Deruennes n°69 • Taux d’épargne : quel lien avec les indicateurs de confiance de l’Insee ? Abdenor Brahami n°68 • Retour sur les évolutions récentes des dépenses en faveur du logement, Frédéric Gilli, Bertrand Mourre n°67 • Les anticipations des entrepreneurs industriels de la zone euro sont-elles «rationnelles» ?, Emmanuel Michaux Mars 2005 n°66 • La situation économique mondiale au printemps 2005, Pierre Beynet, Nathalie Fourcade n°65 • Les déterminants des taux longs nominaux aux États-Unis et dans la zone euro, Sébastien Hissler n°64 • L'activité aux États-Unis est désormais aussi stable que dans la Zone Euro, CharlesAntoine Giuliani n°63 • Les taux marginaux d'imposition : quelles évolutions depuis 1998 ? Ludivine Barnaud, Layla Ricroch 2 1. Une balance commerciale qui continue de se dégrader malgré la dépréciation du dollar : la courbe en J fonctionne-t-elle encore aux États-Unis ? 1.1 Une balance commerciale structurellement déficitaire depuis 1991 Après plus d'une décennie de hausse, le déficit de la balance commerciale a atteint son plus haut niveau historique à la fin de l'année 2004 (–5,7% du PIB). Cette dégradation a été en outre très rapide : le déficit s'est creusé d'environ 0,5 point en moyenne par an depuis 1991, avec une accélération à partir de 1997 (cf. graphique 1). La situation actuelle apparaît inquiétante compte tenu de l'ampleur du déficit, notamment en comparaison avec celui atteint lors du point bas du milieu de l'année 1985 (–3,1% du PIB). À titre illustratif, il dépassait en 2004 le produit intérieur brut des Pays-Bas. Graphique1 : balance commerciale américaine (en point de PIB) et taux de change effectif nominal du dollar (par rapport à 42 monnaies) 1% 20 0% 40 -1% 60 -2% 80 -3% 100 -4% 120 Balance commerciale en % PIB -5% Taux de change effectif nominal (éch.droite inversée) -6% 1980 1983 140 160 1986 1989 1992 1995 1998 2001 2004 Source : Bureau of Economic Analysis, DGTPE Note de lecture : sur le graphique, l'évolution du taux change effectif nominal depuis 2002 traduit un mouvement de dépréciation du dollar par rapport aux autres monnaies. En outre, la dégradation du solde commercial américain s'est poursuivie ces 3 dernières années alors même que le dollar s'est très sensiblement déprécié depuis début 2002. Après une appréciation de 55% en termes nominaux contre les principales monnaies entre le deuxième trimestre de 1995 et le premier de 2002, le dollar s'est, depuis cette date, déprécié de 22% environ. Cette absence apparente d'impact de la dépréciation du dollar sur le déficit commercial apparaît d'autant plus surprenante qu'après la forte dégradation de la balance commerciale enregistrée entre 1982 et 1985, la dépréciation du dollar entamée en 1985 avait permis de redresser le solde commercial deux ans plus tard (cf. graphique 1). 1.2 Les critères de la courbe en J continueraient cependant d'être remplis aux États-Unis Conformément aux enseignements de Marshall-Lerner2, les effets positifs d'une dépréciation sur la balance commerciale ne sont pas immédiats. Dans les premiers mois qui suivent une dépréciation, les effets prix (hausse du prix des importations) l'emportent sur les effets volume (baisse du volume des importations et hausse de celui des exportations) plus lents à se manifester. Ainsi, il est habituel et normal qu'une dépréciation du change induise initialement une détérioration de la balance commerciale, avant que l'augmentation du volume des exportations et la diminution de celui des importations ne finissent par l'emporter sur l'effet-prix initial, améliorant le solde commercial (d'où le nom de courbe en «J»). Généralement, le délai d'ajustement dure de 6 mois à un an, mais il est possible que ce délai soit plus long comme en témoignait déjà l'exemple américain durant la période 1985-1988. Néanmoins, pour que l'effet-volume l'emporte sur l'effet-prix, certaines conditions sur les élasticités-prix du commerce extérieur (dites de Marshall-Lerner) doivent être remplies. Dans leur forme la plus simplifiée3, elles ne semblent pas l'être aux États-Unis et elles le sont d'autant moins si on prend en compte l'importance du déséquilibre initial. Des conditions étendues4 permettent d'intégrer les comportements de marge des exportateurs américains et ceux des étrangers sur le marché américain, et ces conditions étendues semblent vérifiées aux États-Unis d'après nos estimations (cf. annexe). 2. Comment expliquer la détérioration de la balance commerciale depuis 2002 malgré la dépréciation du dollar ? Si les conditions de la courbe en J sont respectées aux États-Unis et que l'amélioration de la balance commerciale n'est toujours pas perceptible, c'est que les effets sont plus longs à se manifester que par le passé ou que d'autres facteurs ont masqué l'effet positif de l'évolution récente du taux de change. 2.1 Une analyse des déterminants du solde commercial permet de distinguer l'impact de la dépréciation du dollar des autres facteurs d'évolution Afin de quantifier les impacts respectifs des déterminants traditionnels du commerce extérieur, un découpage quasi-comptable de la balance commerciale est mis en œuvre5. Il aboutit à une décomposition de l'évolution du solde commercial dans laquelle apparaissent 5 facteurs explicatifs, les deux premiers faisant essentiellement intervenir des effets volume, les deux suivants des effets prix et le dernier des effets qualité (ou inexpliqués). 2. Voir annexe. 3. La somme des élasticités-prix des exportations et des importations doit être supérieure à 1. 4. Aussi appelées «Marshall-Lerner-Robinson». 5. Une dérivation analytique de cette décomposition comptable est disponible sur demande auprès de la rédaction. 3 Le premier est la position initiale de la balance commerciale, c'est-à-dire le rapport entre la valeur des exportations et celui des importations. S'il est proche de un, une évolution similaire et au même rythme des exportations et des importations n'aura aucun impact sur le solde commercial. En revanche, si la valeur des importations est 1,5 fois plus élevée que celle des exportations, comme aux États-Unis en 2002, une croissance identique des exportations et des importations suffit à détériorer le solde commercial. Pour maintenir constant le solde commercial il faut donc que les exportations croissent au moins une fois et demie plus vite que les importations afin seulement de stabiliser le solde commercial, soit sous l'effet de gains de compétitivité (prix ou «hors-prix»), soit par une moindre croissance de la demande intérieure américaine par rapport au reste du monde, soit par des gains de terme de l'échange sans perte de compétitivité (baisse des prix du pétrole, montée en gamme,…). Le deuxième est l'écart de conjoncture entre les ÉtatsUnis et ses principaux partenaires. Si la croissance des partenaires des États-Unis est plus faible que la leur, comme ce fut le cas entre 1992 et 1999, le solde commercial se dégrade spontanément. C'est un argument utilisé de façon récurrente par l'administration américaine comme explication de la dégradation du solde courant. Cet argument est toutefois moins vrai depuis 2000 dans la mesure où l'écart de croissance entre les États-Unis et le reste du monde semble s'être résorbé. Toutefois, même à conjoncture identique entre les États-Unis et le reste du monde, il se trouve que le solde commercial américain continue de se dégrader mécaniquement, parce que, comme le montrent de nombreuses estimations convergentes, l'élasticité revenu à l'importation américaine est estimée plus élevée que celle de ses principaux partenaires6. Graphique 2 : écart de croissance des États-Unis avec le reste du monde (variation annuelle) 7 6 % Écart de croissance cumulé depuis 1992 entre les États-Unis et le reste du m onde Croissance du reste du monde 5 Croissance des États-Unis Le troisième est lié à l'évolution des termes de l'échange (rapport entre les prix américains à l'exportation et à l'importation). Compte tenu de l'évolution exceptionnelle des cours pétroliers entre début 2002 et la fin 2004 (+107%), il est intéressant de distinguer l'impact sur le solde commercial dû à la seule hausse des prix de l'énergie de celui lié aux termes de l'échange hors pétrole. La facture pétrolière a contribué à dégrader le solde commercial en raison de la dépendance énergétique de l'économie américaine et de l'augmentation du prix de l'énergie à l'importation (+124% entre le premier trimestre 2002 et le quatrième trimestre 2004). En revanche, une amélioration des termes de l'échange hors pétrole a été observée, alors qu'on se serait attendu à une dégradation en phase de dépréciation du change. Ces gains des termes de l'échange hors pétrole trouvent, pour une large part, leur origine dans la faiblesse relative des prix d'importation. Cette faiblesse s'expliquerait par le poids croissant des importations américaines en provenance de pays en développement qui produisent à très bas prix : le poids de l'Asie émergente et de la Chine dans les importations est en effet passé de 17% en 2000 à 21% en 2005 (cf. graphique 3)7. Le quatrième est l'évolution de la compétitivité8. En l'absence de comportement de marge des exportateurs et importateurs américains ou étrangers - donc en l'absence d'ajustement équivalent des prix d'exportation ou d'importation en monnaie nationale à la suite d'un mouvement de change - une dépréciation du dollar augmentera la compétitivité américaine à l'exportation comme à l'importation9. Enfin, le cinquième facteur représente les facteurs inexpliqués, qui comprennent la compétitivité horsprix, liée notamment à la qualité des produits, mais aussi toutes les erreurs de mesure à la fois sur les données de base (compétitivité notamment) et sur les paramètres estimés. 4 3 2 1 0 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 Source : Bureau of Economic Analysis, DGTPE 6. Une asymétrie plus forte des élasticités revenus de long terme à l'importation aux États-Unis que dans les grands pays de l'OCDE (Japon, Royaume-Uni, France, Allemagne, Italie) a été bien mise en évidence dans le dossier «La modélisation macroéconomique des flux de commerce extérieur des principaux pays industriels» (Minefi, Note de conjoncture internationale, juin 2001). À titre illustratif, l'élasticité revenu à l'importation est généralement proche de 2 aux États-Unis, contre 1,5 en moyenne pour les autres pays du G7 (P. Hooper, K. Johnson, J. Marquez : «Trade elasticities for the G7 countries», International Finance Discussion Papers, n°609, 1998). 7. Selon plusieurs études récentes, les prix d'importations tendraient à être plus faibles dans les secteurs où la part de la Chine dans les importations a le plus augmenté ces dernières années. Par ailleurs, la baisse observée du degré de report (ou pass-through) du taux de change aux prix d'importations à l'œuvre depuis le début de la décennie 2000 s'expliquerait selon ces études, à bien des égards, par le poids plus fort des importations chinoises dans le total des importations américaines. Sur ce point, on peut se reporter principalement à Marizzi et alii, 2005, «Exchange rate pass-through to U.S Import Prices : some new evidence», International Finance Discussion Papers N° 833, Federal Reserve. 8. La compétitivité peut se définir comme la capacité d'un pays à accroître ses parts de marchés aussi bien sur le plan national que sur le plan étranger. 9. La compétitivité-prix à l'exportation se mesure par le rapport entre l'indice des prix à l'exportation des principaux concurrents et l'indice des prix à l'exportation du pays. La compétitivité-prix à l'importation se mesure par le rapport entre l'indice des prix à l'importation d'un produit et l'indice des prix à la production d'un même produit. 4 Graphique 3 : prix des importations américaines par pays d’origine 125 120 115 110 105 100 95 90 Prix d'importations origine Amérique Latine origine Japon 85 80 1998 1999 2000 2001 2002 origine UE origine Asie émergente 2003 2004 2005 Source : Bureau of Labor Statistics 2.2 Le chiffrage des déterminants montre que la dépréciation du dollar a eu un impact positif non négligeable, mais plus que compensé par les autres facteurs À l'aide de la décomposition comptable mentionnée précédemment et des équations d'exportations et d'importations estimées (cf. annexe), on mesure les effets de la dépréciation du dollar sur l'évolution du solde commercial depuis le 1er trimestre de l'année 2002 (début de la dépréciation). Les résultats de cette décomposition sont retracés dans le graphique 4. Graphique 4 : facteurs expliquant la variation du solde commercial depuis la fin de l’année 2001 (en % de PIB) 2% 1% 0% -1% -2% -3% -4% Effet pétrole Effet du change Effet des évolutions conjoncturelles depuis fin 2001 Effet termes de l'échange hors pétrole Effet position initiale Autres facteurs (dont notamment compétitivité hors-prix) Variation de la balance commerciale depuis le dernier trimestre 2001 T4-2001 T2-2002 T4-2002 T2-2003 T4-2003 T2-2004 T4-2004 Source : Bureau of Economic Analysis, Calculs DGTPE. La variation du solde est égale à la somme des contributions positives (change et termes de l'échange hors pétrole) et négatives (effets pétrole, conjoncture, position initiale et inexpliqué). On voit qu'après trois années de dépréciation du dollar, la dépréciation du change a eu un effet positif, contribuant positivement à hauteur de 0,7 point de PIB (cf. graphique 4). Cet effet positif des dépréciations passées n'est pas tout à fait épuisé, puisqu'on peut estimer que l'impact positif du change atteindrait son point maximum, toutes choses égales par ailleurs, au deuxième trimestre 2005 (1 point du PIB). L'amélioration des termes de l'échange hors pétrole contribue également positivement (+0,4 point de PIB). On peut donc estimer que, sans la dépréciation du dollar et les comportements de marges associés, la dégradation du solde commercial aurait atteint 6,8% du PIB. Les autres facteurs auraient ainsi contribué à dégrader le solde commercial de l'ordre de 4 points de PIB. Cette dégradation s'expliquerait en partie par des effets de compétitivité hors-prix (–1,4 point), par une contribution négative de la position initiale10 de la balance commerciale (–1,2 point), par l'effet «prix du pétrole» (–0,9 point) et enfin par l'écart de conjoncture (–0,2 point). La position initiale joue donc un rôle substantiel dans l'évolution du solde commercial. Elle correspond à un niveau initialement très dégradé du solde commercial (–3,7 points de PIB au T4-2001) et pèse de plus en plus à mesure qu'augmente le déficit. La contribution des facteurs résiduels - dont un candidat explicatif probable est la compétitivité hors-prix11 - est aussi très élevée. Son interprétation est toutefois plus délicate, car cet effet est lié aux résidus des équations d'importations et d'exportations. Enfin, l'écart de conjoncture contribue négativement à la variation du solde commercial, mais l'ampleur de cette contribution reste limitée. La résorption récente de l'écart de croissance entre les États-Unis et le reste du monde n'a pas suffi à diminuer cet effet à cause essentiellement des différences d'élasticités revenus. 2.3 Les comportements de marge auraient freiné la résorption du solde commercial à moyen terme Les comportements de marge peuvent réduire l'impact d'une dépréciation réelle sur la balance commerciale. L'impact limité de la dépréciation du change s'explique notamment par la faible répercussion de la dépréciation de la monnaie sur les prix de vente du fait du caractère très concurrentiel du marché américain12. Les exportateurs étrangers ont en effet préféré préserver leurs parts de marché en comprimant leur marge. Il est possible d'illustrer ces comportements de marges à partir de «preuves indirectes», selon l'expression de A. Greenspan13. Par exemple, les graphiques 5 et 6 permettent de visualiser le phénomène de compression des marges des exportateurs européens et japonais sur le marché américain. Dans les deux cas, on observe en effet que les marges des exportateurs (calculées comme la différence entre d'un côté l'évolution des prix d'exportations et de l'autre la somme de l'évolution du taux de change bilatéral et du coût salarial unitaire du pays ou de la zone14) ont diminué depuis le début de la dépréciation. 10. Ceteris paribus, un déséquilibre initial de la balance commerciale tend à dégrader la balance commerciale, du fait du poids relatif des exportations et des importations. 11. La compétitivité hors-prix regroupe des facteurs difficilement mesurables dans le détail, tels que la différence dans la qualité des produits, leur diversité, leur positionnement sectoriel, ou les délais de livraisons nécessaires à leur acheminement. 12. Sur ce sujet, on peut se reporter à «Does a Fall in the Dollar Mean Higher U.S. Consumer Prices ?», Diego Valderrama, FRBSF Economic Letter, 13 août 2004 et plus récemment au discours d'Alan Greenspan, «Current account», en date du 4 février 2005. 13. «Current account», 4 février 2005. 14. Ce calcul des marges constitue une approximation en l'absence de données disponibles sur les coûts totaux. 5 Graphique 5 : efforts de marges des exportateurs européens sur le marché américain (base 100 = 2000T1) 140 140 marges des exportateurs de l'UE prix des importations en provenance de l'UE 130 Graphique 6 : efforts de marges des exportateurs japonais sur le marché américain (base 100 = 2000T1) Marges des exportateurs japonais Prix des imports en provenance du Japon 130 Taux de change dollars/Euro Taux de change dollar/Yen Coûts Salariaux Unitaires UE 120 Coûts Salariaux Unitaires JAP 120 110 110 100 100 90 90 80 80 70 70 2000 2001 2002 2003 2004 2000 2001 2002 2003 2004 Source : DGTPE - les marges des exportateurs évoluent comme les prix des importations moins l'évolution du change. Ces efforts de compressions de marges ne semblent pas avoir été plus prononcés que par le passé comme l'illustre le graphique 7 : les efforts de marge des exportateurs étrangers reflètent de façon quasi constante dans le temps l'évolution des coûts salariaux relatifs15, eux-mêmes très influencés par le change. Ainsi, la baisse des marges des exportateurs étrangers depuis 2002 n'a fait qu'effacer les gains engrangés lors de la phase précédente d'appréciation du dollar. prix des concurrents étrangers en dollar (cf. graphique 8). Graphique 7 : comportements de marge des exportateurs étrangers Graphique 8 : comportements de marge des exportateurs américains Au total, la compression des marges des exportateurs étrangers pourrait expliquer pourquoi les importations ont continué à être dynamiques en période de dépréciation. À l'inverse, la reconstitution des marges des exportateurs américains a pu pénaliser les exportations américaines. 1,0 1,4 Prix d'exports étrangers sur CSU US 1,3 Prix d'exports US sur CSU US 0,9 1,2 0,8 1,1 0,7 1,0 0,6 0,9 0,8 0,7 1991 0,5 1990 Prix d'exports étrangers/CSU étrangers en $ CSU US /CSU étrangers en $ 1993 1995 1997 1999 2001 2003 2005 Source : Bureau of Labor Statistics, DGTPE Note de lecture : si les CSU étrangers exprimés en dollar augmentent plus vite que les CSU américains (le rapport CSU américains sur CSU étrangers diminue) alors le taux de marge baisse. De leur côté, les exportateurs américains auraient profité de la dépréciation du dollar pour reconstituer une partie de leurs marges. Cette reconstitution des marges des exportateurs américains apparaît toutefois un peu supérieure16 à ce qu'impliquerait l'évolution des 15. Les prix des exportateurs étrangers sur le marché américain reflètent l'évolution de leurs coûts salariaux unitaires et celle des prix et et us des produits américains soit P X = ( 1 – λ )CSU + λP d . Cette formule est équivalente à la formule suivante us P M = CSU et us et = λ∗ ( CSU – CSU ) : qui montre que si les CSU étrangers exprimés en dollar augmentent plus vite que les CSU américains (le rapport CSU américains sur CSU étrangers diminue) alors le taux de marge baisse. Un comportement de marge constant implique un λ∗ constant. 1992 1994 1996 1998 2000 2002 2004 2006 Source : Bureau of Labor Statistics, DGTPE Note de lecture : le rapport entre les prix d'exports et les coûts salariaux unitaires (CSU) représente le taux de marge. 2.4 L'industrie américaine est toujours apte à bénéficier d'une dépréciation du dollar L'importance des facteurs inexpliqués dans la dégradation du solde commercial américain amène à se demander si les résultats présentés en amont, soulignant que la dépréciation du change a des effets positifs sur la balance commerciale, ne reflètent pas davantage des mécanismes passés, les équations du commerce extérieur étant nécessairement estimées sur une longue période. L'approche adoptée pourrait, notamment, passer à côté de phénomènes nouveaux, 16. De façon similaire, l'analyse faite sur le comportement de marge des exportateurs étrangers, on peut montrer qu'un comportement de marge constant des américains implique un rapport constant entre la courbe du taux de marge américain et celle du prix d'export étranger sur CSU américain. Or celui-ci diminue mais de façon modéré depuis 2002. 6 comme les délocalisations, qui se traduiraient par une sensibilité moins importante de l'économie américaine aux fluctuations du dollar. la production américaine l'ait rendu insensible aux fluctuations du dollar. Au contraire, une exposition accrue à la concurrence internationale semble même avoir renforcé les effets du taux de change. Graphique 9 : évolution de la composante cyclique de la production de février 2002 à avril 2005 et degré d’exposition des secteurs de l’industrie manufacturière 3. Un redressement rapide et significatif de la balance commerciale américaine ne pourra provenir que d'un ajustement de la demande intérieure Evolution de la composante cyclique de la production 10% habillement biens d'équipement électronique machines indust papier textile imprimerie Produits métaux plastique équip.transport chimie 0% Alors que le dollar a récemment cessé de se déprécier, une résorption du déficit commercial américain estelle hors de portée ? y = 0,1301x - 0,0142 R2 = 0,3429 5% 0% 10% alimentation bois 20% 30% 40% 50% 60% À partir des équations du commerce extérieur présentées en annexe, une simulation a été réalisée de l'impact potentiel sur la balance commerciale de trois voies possibles de résorption. La première est une accélération de la croissance du reste du monde, thème récurrent de l'administration américaine. La deuxième est la reprise de la dépréciation du dollar. La troisième est celle d'une décélération de la demande intérieure américaine, instrument plutôt mis en avant par les partenaires des États-Unis qui considère que les Américains consomment au-delà de ce que leur permet leur croissance potentielle. 70% Métaux primaires meubles -5% Degré d'exposition en 2000 Source : Federal Reserve, Calculs DGTPE Note de lecture : en croisant degré d'exposition dans les secteurs de l'industrie manufacturière et évolution de la composante cyclique de la production de ces secteurs depuis le début de la dépréciation - sachant que la dépréciation s'est produite à un moment où le cycle de production se trouvait à un point bas -, on peut voir que la dépréciation du dollar a coïncidé avec un essor de la production dans les secteurs les plus exposés. Pour trancher cette question, il peut être intéressant de regarder comment la production des différents secteurs de l'économie américaine a réagi depuis le début de la dépréciation. Restreint au seul champ de l'industrie américaine, une mise à jour d'une précédente étude17 apporte une réponse qui tend à confirmer les résultats de la décomposition de la balance commerciale : les industries les plus exposées au commerce extérieur sont celles qui, entre 2002 et 2005, ont connu la plus forte croissance de leur activité, donc semblent avoir le plus profité de la dépréciation du change observée depuis 2002 (cf. graphique 9). Il n'apparaît donc pas que l'évolution de la structure de Afin d'apprécier l'impact de ces trois simulations sur l'activité et la balance commerciale, un scénario de référence, dit scénario «central», a été bâti. Il s'agit d'un scénario à but purement comparatif et fondé sur des hypothèses standards de croissance potentielle. Ainsi, pour 2005, ce scénario de référence conduit à une croissance américaine de 3,2%, soit son rythme de croissance potentiel tel qu'il est estimé par les organisations internationales (FMI, OCDE). La croissance du reste du monde (hors États-Unis ) s'établit quant à elle à 4,0%, rythme observé au cours des deux dernières années. Dans ce cadre, le déficit commercial des États-Unis atteindrait 5,6 points de PIB en 2005, après 5,2 points en 2004. Les résultats de ces simulations sont présentés dans le tableau 1 ci-dessous. 17. Cf. DPAE n° 16, Octobre 2003 : «Une évaluation des secteurs de l’industrie manufacturière américaine les plus sensibles aux fluctuations du change», V. Borgy, D. Fréville. Tableau 1 PIB US PIB reste du monde Résultats 2004 4,4% 4,6% Scénario central - 2005 3,2% 4,0% Variante 1 - 2005 : +1% de croissance du reste du monde 3,2% Variante 2 - 2005 : –1% de croissance US Évolution du Balance commerciale taux de change (en % du PIB) Balance commerciale (écart au scénario central en % du PIB) –5,2% - - –5,6% - 5,0% - –5,5% de 0,1% à 0,2% 2,2% 4,0% - –5,1% 0,4% Variante 3 - 2005 : dépréciation du dollar de 10% 3,2% 4,0% –10,0% –5,8% –0,2% Scénario central - 2006 2,9% 4,0% - –5,5% - Variante 3 - 2006 : dépréciation du dollar de 10 % en 2005 2,9% 4,0% - –5,5% 0,0% –6,0% Lecture du tableau : la ligne 1 présente les résultats observés en 2004. La ligne 2 indique le scénario central retenu pour l'année 2005. Les lignes 3-4-5 donnent les résultats des trois variantes. Les lignes 6-7 présentent respectivement le scénario central retenu pour 2006 ainsi que les effets de la variante 3 en 2006. La dernière colonne présente le résultat des simulations sur la balance commerciale et se lit en écart par rapport au scénario central. 7 La première simulation, d'une croissance plus vigoureuse du reste du monde d'1%, montre que la réduction du déficit commercial américain ne passera pas par un surcroît de croissance étrangère. Un surcroît de croissance étrangère n'a en effet qu'un impact limité sur le déficit commercial : le déficit commercial se résorberait seulement de 0,1 à 0,2 point de PIB sur une année. Cette résorption est minime et apparaît difficilement réalisable dans la mesure où, durant les vingt-cinq dernières années, le reste du monde n'a jamais crû à un rythme supérieur à 5%. À court terme, une nouvelle dépréciation du taux de change de 10% par rapport au scénario central ne constitue pas non plus une solution (variante 3). Le mécanisme de la courbe en J jouerait en effet : la dépréciation conduit dans un premier temps à une aggravation du déficit commercial (à l'horizon d'un an) de 0,3 point de PIB, puis à sa stabilisation en 2006 à 5,5 points de PIB. Un impact positif peut être anticipé au-delà18. Une dépréciation ne permet donc pas d'espérer une résorption à court terme ; néanmoins, l’impact à plus long-terme d’une dépréciation supplémentaire du taux de change serait positif et de plus grande ampleur, comme l'a montré l'analyse précédente sur la période 2002-2004. La simulation qui a finalement l'effet le plus marqué et le plus immédiat est celle d'un ralentissement de la croissance américaine d'un point de PIB par rapport au scénario central (variante 2). Dans cette simulation, la croissance américaine s'établirait donc à 2,2% en 2005. La croissance du reste du monde hors ÉtatsUnis évoluerait à +4,0% tandis que le taux de change est supposé stable dans ce scénario. Sous ces hypothè18. Mais la simulation n'a pas été conduite, car les hypothèses sont trop restrictives. ses, le déficit commercial se résorberait de 0,4 point de PIB sur une année pour s'établir à 5,1 points de PIB. Ce scénario implique que la croissance américaine doit passer durablement sous son potentiel pour espérer parvenir à une résorption significative du déficit commercial. On notera cependant que le modèle utilisé pour ces simulations n’est pas bouclé : on ne prend pas ici en compte un éventuel impact du ralentissement de la croissance américaine sur le reste du monde. Au total, ces simulations donnent à penser qu'un redressement durable de la balance commerciale américaine ne pourra pas provenir uniquement d'un ajustement sur le marché des changes ou d'une accélération de la croissance du reste du monde. Une dépréciation du change peut certes avoir un impact positif à terme, mais à court terme son impact est au mieux neutre et plutôt négatif. Quant à l'impact d'une accélération de la croissance mondiale, il est de faible ampleur. Compte tenu du fort appétit de l'économie américaine pour les importations étrangères, le redressement de la balance des paiements nécessitera un ralentissement conséquent de la croissance américaine, dont l'origine pourrait être une forte hausse des taux d'intérêt et des rendements obligataires et une nette amélioration du solde des finances publiques. Pierre BEYNET, Eric DUBOIS, Damien FREVILLE, Alain MICHEL Directeur de la Publication : Gérard BELET Rédacteur en chef : Philippe GUDIN DE VALLERIN Mise en page : Maryse DOS SANTOS (01.44.87.18.51) 8 Annexe 1. Équations de commerce extérieur : Les estimations économétriques du commerce extérieur relient traditionnellement les exportations et les importations aux évolutions de la compétitivité et de la demande : - les indicateurs de compétitivité utilisés : dans le cas des exportations, l'indicateur de compétitivité est construit à partir des prix d'exportation des huit principaux partenaires des États-Unis divisés par les prix des exportations américaines. L'indicateur de compétitivité des importations est construit à partir des prix des importations américaines divisés par les prix de la demande finale. - les indicateurs de demandes utilisés : dans le cas des exportations, la demande considérée est la demande d'importations des partenaires, pondérée par le poids de ces partenaires dans les exportations d'une année de base ; dans le cas des importations, la demande considérée est simplement la demande finale. Aussi, dans le but d'isoler les effets d'une dépréciation du change, la compétitivité de l'équation d'exportations a été approchée par le rapport des prix des exportations des 8 principaux partenaires US sur les prix des exportations américaines en biens et services. Pour ce qui est de l'équation d'importations, l'indicateur de compétitivité est le rapport du prix des importations américaines en biens et services sur le prix de la demande finale. Si la plupart des études empiriques portent généralement uniquement sur le champ des biens corrigés de certains produits comme l'énergie ou sur le champ des produits manufacturés car plus substituables, il a été fait ici le choix de prendre l'ensemble des biens et services, afin d'appréhender directement les effets du change sur la balance commerciale en volume. Les estimations ont été réalisées sur la période 1980-T1 2001-T4 et ne prennent pas donc en compte la dépréciation du dollar observée depuis février 2002. Équation d'exportations de biens et services (en volume): DLn ( Exp ) = – 0, 29 + 0, 77∗ dLn ( DemMond ) + 0, 10∗ dLn ( CompetX ) – 0, 12∗ [ Ln ( Exp ( – 1 ) ) (-3,54) (8,70) (2,41) (–2,63) – 0, 84∗ Ln ( DemMond ( – 1 ) ) – 0, 65Ln ( CompetX + ( – 1 ) ) ] (-2,29) (4,16) R²=0,57 SER = 0,014 DW = 2,03 Équation d'importations de biens et services (en volume) : DLn ( Imp ) = – 1, 31 + 1, 82∗ dLn ( Dfin ) + 1, 49∗ dLn ( Dfin – 1 ) ) – 0, 32∗ dLn ( CompetM ( – 1 ) ) – ( 0, 06Ind8204 ) (-2,96) (5,79) (5,17) (–2,82) (-3,29) – 0, 17∗ [ Ln ( Imp ( – 1 ) ) – 1, 85∗ Ln ( Dfin ( – 1 ) ) + 0, 32∗ Ln ( CompetM ( – 1 ) ) ] (-3,56) (3,36) R²=0,59 SER = 0,016 DW = 2,04 Où : Imp désigne les importations de biens et services, Dfin désigne la demande intérieure, CompetX désigne l’indicateur de compétitivité des exportations, CompetM désigne l’indicateur de compétitivité des importations, Exp désigne les exportations de biens et services, DemMond désigne la demande mondiale adressée aux États-Unis, Ind8204 désigne une indicatrice pour le T4-1982 9 Graphique 1 : simulation des exportations de biens et services (en volume) Graphique 2 : simulation des importations de biens et services (en volume) 100% 450 300 80% 400 250 60% 200 40% 150 20% 100 0% 350 Mds € 1990 100% Mds € 1990 80% 350 300 60% 250 40% 200 150 20% 100 50 Résidus (échelle de droite) Exportations observées -20% 0% 50 Exportations simulées -40% 0 1980 1982 1984 1986 1988 1990 1992 1994 1996 1998 2000 2002 2004 Résidu (échelle de droite) Importations simulées Importations observées 0 -20% 1980 1982 1984 1986 1988 1990 1992 1994 1996 1998 2000 2002 2004 2. La condition de Marshall-Lerner étendue En notant : Px = prix d’exports Pm = prix d’imports εx = élasticité des prix à l’exportation εm = élasticité prix à l’importation λ= élasticité des prix d’exports aux prix intérieurs β= élasticité à long terme des prix d’imports au change P X Pm M x - = taux de couverture et C = ----------- On montre que la balance commerciale ne s’améliore à terme lorsque le taux de change se déprécie à condition que : C ---- ( 1 – λ + λε x ) – ε m > 1 β Cette inégalité est dite condition de Marshall-Lerner-Robinson. Dans le cas des États-Unis, on a C : taux de couverture : 0,73 β : élasticité à long terme des prix d’imports au change : 0,35 λ : élasticité des prix d’exports au CSU domestique : 0,90 εx : élasticité prix à l’exportation : 0,65 ε m : élasticité prix à l’importation : 0,32 Le membre de gauche de l’inégalité atteint 1,75 ce qui signifie que la condition de Marshall-Lerner étendue est vérifiée dans le cas des États-Unis. 10