ÉCOLE ET DÉVELOPPEMENT

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ÉCOLE ET DÉVELOPPEMENT
@ L'HARMATTAN
5-7, rue de l'Ecole polytechnique;
2009
75005 Paris
http://www.librairieharmattan.com
[email protected]
harmattan [email protected]
ISBN: 978-2-296-09704-9
EAN : 9782296097049
Rubin POHOR
,
Ecole et Développement
Contribution de l'Église
Protestante de Côte d'Ivoire
L'Harmattan
~ditions UCAO
08 BP 22 ABIDJAN 08 (CÔTE D'IVOIRE);
FP;X: (225) 22 44 1593
- E-mail: [email protected]
Collection EGLISES D'AFRIQUE
Dirigée par François Manga-Akoa
Depuis plus de deux millénaires, le phénomène chrétien s'est
inscrit profondément
dans la réalité socio-culturelle,
économique et politique de l'Occident, au point d'en être le fil
d'Ariane pour qui veut comprendre réellement les fondements
de la civilisation judéo-chrétienne. Grâce aux mouvements
d'explorations scientifiques, suivis d'expansions coloniales et
missionnaires, le christianisme, porté par plusieurs générations
d'hommes et de femmes, s'est répandu, entre autres contrées et
à différentes époques, en Afrique. D'où la naissance de
plusieurs communautés ecclésiales qui ont beaucoup contribué,
grâce à leurs œuvres socio-éducatives et hospitalières, à
l'avènement de plusieurs cadres, hommes et femmes de valeur.
Quel est aujourd'hui, dans les domaines économiques,
politiques et culturels, le rôle de l'Église en Afrique? Face aux
défis de la mondialisation, en quoi les Églises d'Afrique
participeraient-elles d'une dynamique qui leur serait propre?
Autant de questions et de problématiques que la collection
« EGLISES D'AFRIQUE» entend étudier.
Dernières parutions
Armand Alain MBILI, D'une Eglise missionnaire à une
Eglise africaine nationale. L'observatoire du grand
séminaire d'Otélé (1949-1968).
Jean Paulin KI, Michel BELEMGOUABGA, Abraham
ZERBO, Lutter contre la pauvreté en Afrique par
l'Évangile,2009.
Jean-Baptiste SOUROU, Comment être africain et
chrétien? Essai sur l'inculturation du mariage en Afrique,
2009.
Jean-Claude DJEREKE, Les évêques et les évènements
politiques en Côte d'Ivoire (2000-2005), 2009.
DÉDICACE
À la mémoire de mon père,
À mon épouse Eugénie POHOR et à notre fille Arlette Gloria
Kéassemahé POHOR qui ont compris le bien-fondé de ce travail
de recherche et m'ont accompagné et soutenu tout au long de ces
longues années d'absence de la maison.
À Jean-Paul
et Mireille ZURCHER,
en témoignage
d'amitié
Remerciements
Beaucoup de personnes nous ont aidé dans les étapes décisives de cette
recherche. Nous avons bénéficié particulièrement des encouragements constants et des observations critiques des Professeurs Jean-Paul Willaime,
Directeur d'étude à l'Ecole Pratique des Hautes Etudes (EPHE) à Paris N en
Sorbonne et Sébastien Path. Chercheur au CNRS. lis ont contribué hautement
à la publication de ces recherches. Nous leur en savons gré. Merci à M Brou
Koffi Norbert et M Niangui Amani Albert pour avoir participé à la lecture
de notre manuscrit. Merci au Pasteur N'dri Yao Roger pour sa contribution
technique. Merci à l'Abbé Nathanaël Yaovi SOEDE pour ses encouragements
et sa contribution à la réalisation de cette oeuvre.
Notre profonde gratitude à l'Initiative Théologique Africaine (ITA), à
l'Eglise Evangélique AEEO et à la Mision Evangélique de l'Afrique
Occidentale (MEAOO) dont le soutien financier m'a permis de réaliser ce
travail dans les meilleures conditions. Sincère merci à tous nos amis I TIsont
donné d'eux-mêmes pour contribuer à la réalisation de cet ouvrage not~mment
aux familles Poho, Kouadio, Kouamé, Walser, Mille, Youan Bi, Vami Bi,
Kambou, Nefunga, Willerding pour leurs encouragements constants et leur
confiance.
Aux personnes qui, de près ou de loin, m'ont soutenu moralement, matériellement et financièrement, pour lesquelles j'éprouve des sentiments de
respectueuse et chaleureuse gratitude.
Notre profonde gratitude et compassion au Professeur N'Goran Eléazer
qui a accepté sans réserve de préfacer cet ouvrage. Malheureusement, il n'a pas
pu réaliser cette noble intention à cause de la mort tragique de son épouse Yao
Amenan Alice, épouse N'Goran dans le crash de Kenya Airways, le 5 mai
2007.
PRÉSENTATION
La première partie de l'ouvrage est une étude historique de
l'Enseignement protestant. Elle souligne d'abord, le système
d'interactions observables entre Mission-Église-École et fait
ressortir la relation historique existant entre l'émergence et le
développement des Missions et Églises protestantes et la constitution progressive d'un réseau d'établissements scolaires protestants en Côte d'Ivoire. Ensuite elle montre, d'une part comment les Écoles protestantes ont été à la fois un moyen de
reproduction de la mission évangélisatrice de leurs institutions
fondatrices; d'autre part, comme un outil, au cœur même de
celles-ci, comment elles ont permis aux néophytes de confronter et (le connaître le monde de leurs partenaires et adversaires.
Enfin cette première section considère les choix élaborés et mis
en œuvre par les Églises et les Missions protestantes dans la
gestion de leur projet éducatif.
La deuxième partie répond à la question principale au cœur
de la problématique, à savoir celle de la contribution des Églises protestantes au développement de la Côte d'Ivoire à travers
leurs institutions scolaires. Il se dégage quelques contributions
des protestantismes ivoiriens au processus de mutations que le
pays est en train de connaître dont celles relatives à l'expression culturelle de la personnalité ivoirienne, au développement
économique et à la formation du citoyen.
En ce qui concerne la contribution à l'expression culturelle
de la personnalité ivoirienne, l'étude relève les initiatives protestantes innovées par les Écoles s'inscrivant dans le cadre
d'un "ethos" de développement, favorable à la lecture.person-
nelle de la Bible, à l'éducation à la responsabilité de l'individu,
à l'idéologie religieuse du protestantisme.
L'instruction religieuse incluse dans les programmes du
service public de l'enseignement et celle dispensée par les écoles d'Eglises ont certes façonné directement ou indirectement
l'esprit des enfants et influencé le développement de leur personnalité ou du moins façonné de nouvelles personnalités:
changements dans le bien-être matériel (vivre, s 'habiller, se
loger, travailler, chanter, etc. comme les Blancs) ; changements
dans les rapports sociaux (désagrégation de la vie communautaire s'exprimant par le truchement de la famille, des activités
du groupe, de l'entraide, etc.) et changements dans les rapports
à la morale et à la religion (imprégnation dans l'esprit des élèves d'un Dieu moral, qui aime, juge, etc.). Une autre contribution du protestantisme à l'expression culturelle de la personnalité africaine en général et ivoirienne en particulier s'offre
dans le domaine de l'héritage linguistique (apprendre à lire et
à écrire dans les langues locales).
Ainsi, l'analyse a permis de situer, d'une part, la contribution des écoles protestantes au niveau de la formation des
agents de développement des Églises dans une première phase
; d'autre part, dans une seconde phase, une contribution au
projet politique et au développement culturel, social, moral de
la Côte d'Ivoire.
Les Missions et Églises protestantes, à travers leurs ministères scolaires, ont ensuite contribué au développement économique de la Côte d'Ivoire en répondant aux besoins de l'économie ivoirienne (même si cela est de manière relative) ; par
conséquent, elles ont rempli, entre autres, leur fonction économique et sociale, à savoir l'intégration de leurs jeunes par l'accès à un emploi, la mobilité sociale entre générations.
Néanmoins, les réponses apportées à l'équationformation et
emploi ou l'adéquation entre la fonction de production et la
fonction de formation, perçue comme un gage de l'efficacité
économique, ont remis en cause les finalités premières de ces
ministères scolaires des époques missionnaires. Les effets, voulus et non voulus, positifs et négatifs, engendrés par les changements sociaux s'avèrent évidents et révèlent la manière dont
la rentabilisation individuelle, socio-religieuse et socio-économique s'est opérée dans les deux dernières décennies (19701993)~
Enfin, l'enseignement moral et religieux dispensé dans les
écoles protestantes vise le développement de la compétence
éthique, voire morale et civique de bénéficiaires de cette formation. Il véhicule, à travers et par ces derniers, un certain nombre de valeurs, d'idéaux collectifs, de "visions du monde " aux
structures sociales et politiques en Côté d'Ivoire. Le domaine
de la famille, des Églises, quelquefois du champ politique,
constitue les lieux où s'effectuent les mécanismes de la transmission de valeurs; leurs effets sur les individus et sur les
structures sociales et politiques sont évidents.
Le comportement éthique des personnalités protestantes formées dans les écoles protestantes est à la fois de l'ordre du
questionnement et de la recherche en vue de s'ouvrir sur des
choix fondés, sur des valeurs et des actions délibérées qui
visent l'accomplissement de la personne et de la collectivité. Il
s'enracine dans un contexte de mutation sociale inédite: d'abord dans le contexte de décolonisation; ensuite au sein d'un
État indépendant, laïc au sein duquel les conditions sont créées
pour que la foi de chacun soit reconnue et s'épanouisse librement dans le respect des autres convictions, mais imposant le
monopartisme ; enfin, dans un contexte politique et social pluriel.
La formation de la jeunesse ivoirienne à la prise de responsabilité dans l'Église et dans la société demeure bien l'objectif
assigné aux Écoles protestantes. La formation morale, civique
et religieuse dans les écoles protestantes favorisent chez les élèves des aptitudes fondamentales à la recherche et au dialogue,
à la critique et à la créativité, à l'autonomie et à l'engagement
; aptitudes qui leur permettent de se situer et de se définir euxmêmes au cœur de la présente mutation; l'Enseignement protestant a ainsi rempli son double rôle: d'une part, son rôle de
socialisation grâce aux références civiques partagées et d'autre part, celui de solidarisation autour des valeurs communes.
Ces diverses contributions des institutions éducatives protestantes au développement de la Côte d'Ivoire ont suscité une
crise au sein de l'Enseignement protestant; celle-ci est comprise comme étant la prise de conscience de ses acteurs que les
mécanismes de régulation de leur système scolaire et l'identité
des premiers acteurs des écoles protestantes (Églises, personnels enseignants et administratifs) sont soumis à une 'épreuve'
non prévue dont l'issue pour l'instant reste encore incertaine.
Comme les crises de l'École ivoirienne en général dénoncent et représentent les crises de la vie sociale, celles de
l'Enseignement protestant en particulier confirment la précarité protestante, la perte de la culture biblique et l'affaiblissement
d'une formation éthique de ses acteurs conduisant à l'écroulement de tout le projet éducatif protestant. L'une des spécificités
de l'Enseignement confessionnel était l'éducation qui sy
dispensait, laquelle imprimait " durablement sur les individus
qui, même détachés des Églises, continuent à vivre selon l'ethos qu'ils ont reçu ".
Il reste aux Églises et aux Missions de répondre aux questions fondamentales et complexes qui leur sont posées; elles
débordent le champ de l'éducation, à savoir celles "de la transmission de leur héritage dans une conjoncture socio-culturelle
où les canaux de socialisation sont affaiblis " et dans une
société contemporaine au sein de laquelle " les mécanismes de
reproduction des identités collectives ne fonctionnent plus
qu'avec peine: affaiblissement de l'encadrement offert par les
mouvements de jeunesse, incertitude de la génération de
parents, poids de la culture jeune qui valorise l'autonomie du
sujet et ne s'identifie qu'avec réticence à une religion précise,
autant d'évolutions quifragilisent les processus de la transmission ".
Dr. Rubin POHOR
Enseignant-Chercheur à ['Université de Bouaké
E-mail: [email protected] / E-mail: [email protected]
INTRODUCTION
GENERALE
Au cours des trois premières décennies de son indépendance, la
Côte d'Ivoire a fortement investi dans son système éducati£ Étant
un pays en voie de développement, elle est persuadée que son développement est la forme de croissance avec une modification préaJaDlede ses structures, résultant de la satisfaction de certaines
conditions qui tiennent à la mentalité, aux institutions, aux attitudes et relations sociales. Elle fait un choix de développement faisant appel à l'évolution de l'individu et de son environnement sur
le plan économique, social et culturel, lequel s'appuie sur l'École.
L'Ecole a ainsi généré des stratégies d'ascension socio-économique :
l'idéologie de l'école pour tous, critère de distinction sociale et de
bien-être matériel.
L'école, dans ce contexte, représentait un investissement du collectif famili:ll pour préparer l'insertion des jeunes dans la société
en voie de développement, symbolisée par l'accès à un emploi salarié, investie comme une chance de partage des richesses nationales.
L'ensemble de la population ivoirienne y a cru, y a adhéré (reconnaissance sociale de la légitimité de la consécration scolaire et des
privilèges qu'elle confère), a accepté de construire des écoles, d'engager des sommes considérables pour scolariser les siens.
Parallèlement à l'idéologie de l'école productrice d'un statut
sociaJ('1TIent
et économiquement valorisé, le système scolaire devenait de plus ent~électif
et de moins en moins capable de faire
face à la forte
de de scolarisation. Cest donc dans ces cadres social, politique, économique, culturel et religieux ainsi esquissés, que nous essaierons de suivre le développement de l'institution
scolaire protestante avec son cortège de réalisations et de contradictions.
Dans une approche socio-historique, nous essayons de comprendre, peut-être de faire comprendre ce qui s'est passé et ce qui
est en train de se passer en matière d'e2;1Seignementet d'éducation
chrétienne et de montrer ce qu'a pu être la contribution des protestantismes au développement de la société ivoirienne à travers
l'éducation. Nous avons aussi estimé qu'un bilan scientifique des
12
ÉCOLE
ET DÉVELOPPEMENT
soixante-qua.tre années (1929-1993) d'enseignement et d'éducation chrétienne en Côte d'Ivoire s'avérait nécessaire, d'une part, afin
d'aider les Églises protestantes à prendre une décision qui serait
fondée, objective et réaliste dans cette période de questionnement
et de crise de l'École et, d'autre part, afin d'apporter en partie
quelques réponses au problème de recherche socio-historiqueI.
Les contours de cette étude sont à circonscrire, d'une part, dans
un cadre chronologique (1945-1993) et géographique (la Côte
d'Ivoire) et d'autre part, dans des limites d'une partie assez importante des protestantismes ivoiriens @gIise Protestante Méthodiste
de Côte d'Ivoire, Union des Églises Ëvangéliques du Sud-Ouest de
Côte d'Ivoire, Église Évangélique de l'Alliance Missionnaire
Chrétienne de Côte d'Ivoire et Alliance des Églises Évangéliques
de Côte d'Ivoire). En effet, le terme de protestantisme recouvre
toutes les branches de l'Église ivoirienne non-romaine issues de
l'œuvre missionnaire, c'est-à-dire, les Églises de types anglican,
baptiste, presbytérien, méthodiste, luthérien, qui, toutes essaient
de vivre et de propager le message chrétien tel qu'elles le voient.
Mais toutes ces Églises protestantes et les Missions qui les ont
fondées n'ont pas entrepris des actions éducatives, not;:lmment sur
le plan scolaire. C'est pourquoi, nous restreignons notre étude aux
cas des Missions et ~es
protestantes, précédP.l1'1mentcitées, qui
ont fait, soit dès le début, soit au cours de leur installatioDrle choix
de l'École comme moyen d'évangélisation et d'alphabétisation des
populations indigènes dans le souci de les amener à lire la Bible.
n s'est avéré qu'il y ait eu une relation historique entre l'émergence et le développement de ces Églises Protestantes et la constitution
progressive d'un réseau d'étab1issemena scolaires en Côte d'Ivoire.
I
En jetant un regard sur les publications de ces vingt ~
annUs, on est ~
par l'ab-
sence de ttavam: Cl'histotte ou de sociologie du prot:estantisme notmlmmt des ~les protestantes en C&te d'boire. Meme ceux d'entre les missionnaires qui. COJIIII]eentre autres, le pasteur
Andd ROll%,ont ~
les questions scolaires l'ont fait danS le cadre de Ucits de missions, de
timoignages ou danS une pes:spective ~
pratique. La thèse du Pasteur Utzbedji Aka
BertinŒarles (cf. Œarles-Bertin AKA LÉGBEDjI, L'écoleprotestante et sociéti Jans 1aC8te
d'Ivoize colODial.e:le cas de h région ecc:lésiastiquede DabOu, Paris, EHESS, 1986) bien que
constituant une base d'un ttavail de œcherche sur les vingt premières annUs d'e:oseignanent et
d'éducation chœtienne ~odiste
entre
1929 et 1944, par sa dIJimitation spatio-t.empotdle,
laisse entrevoir des pistes de recherches assez considmbles, qu'il devenait urgent d'expforer. TI
existe,en ce qui concerneles
protestantes, quelques ttavaux en langue française Cie caractùe gmétal ou tMologique. écrits par les missionnaires ou des pasteurs ivoiriens sur les protestantismts en C&te d'Ivoire, entre autres : Andd KOUADIO KOUAKOU, Les MiDist:1resthm
les 19Iises ptotestalJtes hmgBiques de l'Afrique francophone,
3~ CJ.~ en Théologie.
Université de Strasboutg. 1980 ; Emmanuel DIRABOU N'DRI, HospitaJitt aâicaine au service de l'Évangile. L'ezempk des tribus Kwa de C8te d'lvoize. Paris, Faculté de Théologie
Protestante, 1992; Charlë&-Daniel MAIRE, Dynamique sociak des mutations reIigi_
:
apansiODS des protest:UJt:isma el] C8te d'lvoize. DipI&me de l'EPHE, Paris, EPHE, 1975.
¥ses
~
INTRODUCTION
GENERALE
13
Par ailleurs, nous circonsaivons l'investissement dam le domaine
de l'École des Missions et Églises concernées par cette étude dans
le cadre chronologique de la fin de la colonisation (1945-1960)
et des trois premières décennies de l'indépendance de la ~te
d~votte(1960-1993}
L'accent est mis sur la notion d'Éducation, entendue au sens où
Émile Durkheim la dé6nit comme " le moyen par lequel la société
prépare dam le cœur de l'enfant les conditions essentief1esde sa propre ezistence2 " et comme "l'action exercée par les générations adultes sur celles qui ne sont pas encore mt1res pour la vie sociale3 ". Cette
Éducation, selon Pierre Emy, est
Il avant tout comme une réalité sociale, un ensemble de moyens
que consciemment ou non une société met en œuvre pour transmettre sa civilisation aux générations montantes et ainsi se survivre à
elle-même"..
En envisageant l'Éducation dans une perspective essentiellement consacrée à la scolarisation de la jeunesse ivottienne, notre
étude peut paraitre restrictive. Mais, en fait, si nous considérons
sociologiquement l'École comme étant" avant tout une institution sociale, c'est-à-dtte, un réseau de positions, qui préexistent
aux acteurs, et sont organisées de telle sorte qu'à travers l'institution scoIatte s'accomplissent des fonctions soCialesplus vastesS ",
notre analyse, particulièrement dans le cas de cette étude, envisagera l'implication des Missions et Églises protestantes dans le
domaine de l'École en termes de respoI1sabiIitéou de " fonction"
; du coup, elle va nécessaœement prendre en compte certaines pratiques éducatives f:amili:aleset ecclésiales: l'action éducative des
Missions et Églises va au-delà de l'instruction. De manière infiniment plus fréquente, plus subtile et peut-être plus prégnante, elle
s'exerce en dehors de tout projet éducatif scoIatte, sans que les
intéressés se rendent compte de l'influence qui émane d'eux ou
qu'ils subissent pour se confondre avec la vie concrète et quotidienne des missionnaœes, des Églises, des familles chrétiennes et
des enseignants chrétiens.
Z
Émile DURKHEIM. Éduat:ion et sociologie.Paris, ~
/ PUF, 1995,p. SI. La dffi-
nition que Durkheim donne de 1anotion d'6katÏon. part des Consic:Urationsdes systèmes Mucatifs aist:mts ; m les rapprocbant, il cUgageles car.act.ùes qui leur sont communs. Cat dam
1a con&onation de ces car.act.ùes qu'il situe 1adffinition ttcherc:h&. cr p. 47.
3 Ibid.,
SI.
. Pirtre P.
1995, P. II. n &oque deux aiERNY, Etlmologie ciel'iJuatioD.. Paris, L'J-I
",H>oQ,
t:m.s de diff&mciat:ion soutmant cette dffinition: le aitè1'e de conscimce et celui de pdtmtion dissociant 1adalid et l'idéal
5 Marie DURU-BEU.AT et AgIres HENRIOT-VAN ZANTEN. Sociologie ciel'école. Paris,
Arman Colin, 1992, p. 2.
14
ÉCOLE
ET DÉVELOPPEMENT
Dans ce cas, étudier sociologiquement les phénomènes scolaires, c'est faire en même temps une sociologie de la socialisation,
dans la mesure où l'étude va intégrer nécessairement d'autres institutiOns,6not2mmeut les Missions, Églises, Famille, État, décelant
du coup les mécanismes par lesquels ces institutions socialisent la
jeunesse en lui transmettant, à travers l'école, une éducation s'intéressant à tous les domaines de sa vie (culture générale et pratique
et culture religieuse).
Le projet éducatif scolaire protestant a de solides connexions
avec la notion de stratégie. CdIe-ci peut s'entendre comme" un
exercice comportant deUx dimensions: une dimension temporelle
de planification à long terme qui explicite les choix essentielSéchelonnés dans le temps et une dimension spatiale qui précise les
choix de l'entreprise en fonction de son environnement. L'une et
l'autre dimension font allusion à des choix élaborés antérieurement, dans la conception du projet bien stir. n va alors sans dire
que la stratégie constitue une phase spécifique dans l'élaboration
d'un projet, phase se situant entre le niveau normatif du projet
(explicitation des valeurs et finalités) et le niveau empirique (analyse de la situation y
".
Par l'expression 'stratégies éducatives,a utilisée dans la présente
étude, l'adjectif éducatif renvoie à la forme d'éducation ayant l'École comme cadre d'accomplissement. n s'agit du projet éducatif
concernant particulièrement les Écoles protestantes et s'ouvrant
volontiers à l'environnement extérieur de ces Écoles, c'est-à-dire
que leurs acteurs centraux restent les élèves issus majoritairement
. La transmission de l'&iucation s'effectue pat la midiation de ces institutions dont c:ertaines
jouent un r&le social croissant. D'où l'inthet particu1ier qui est accorcU au fonctionnement des
institutions et i leur contexte social.
7
MichelMARCHFSNAY,La stntigie : du cliagaosât:
à la décisionindustrielle.Paris,
Olot3rd. 1986, p. 15-17. Cité par Lay TSHIALA. Sauver l'École. StzaUgies lduat:ives clansle
Zûte rural Paris, L'I-I~ftTI~tr.tn,1995', p. 18.
. Dans l'Babomtion de la stratégie, il y a lieu. selon Marchesnay, (op~ cit. p.18) de spEcifier le
"
projet afin de transformer la situation initiale dans le sens des objectifs voulus. La sttatigie
consiste dans ce sens en une certaine &çon de procéder et d'agir afin de transformer une situation pat rapport au projet klbIi et aux circonstmces analySées ". Pour l'économiste Pierre
Massé, défùùr une sttatigie consiste i " klbIir la table de toutes les situations auxquelles on
pourrait être confi:onté et choisir cRs l'origine la décision que l'on prendnit en face de chacune
ii'dles [_] La stratégie constitue alors l'eDsembledes décisions conditionnelles <léfinissantles
actes i accomplir en fonction de
toutes
les circonst:ancessusceptiblesde se présenter dans le
" Les sociologues Michel CROZIER et Erhard FRIEDBERG,
contraintes
ciel'adi.on colledive, Paris, Seuil, 1977, p. 472. Cité pat
fùtur.
P. 19). perçoivent
la stratégie comme " la &çon dont les acteuts-membreS
L~
et le système. les
Lay TSHIALA. Op. dt.,
d'un sysùme
d'action
agencent les potentialités de leurs situations pour tirer parti des opportunités qu'offrent ces
situations. " Selon Lay TSHIALA, (Op. dt., p. 18). " les définitions que donnent Marchesnay,
Crozier et Friedbetg de la notion de stratégie sont davantage orientées vers le versant objecâf
d'un système d'action (niveau de téaIisation). tan&s que celle de Massé vers son versant subjectif (niveau de conception) ".
INTRODUCTION
15
GENERALE
des familles chrétiennes, les parents d'élèves les enseignants et
l'administration scolaire, tous membres des ~1ises protestantes.
En tenant compte des définitions qui précèdent, notamment de
ces deux aspects de la notion de stratégie (versant objectif et versant subjectif), nous donnons à la notion de stra~es éducatives
l'acception suivante que nous jugeons opérationnèIJ.e pour notre
étude: il s'agit de la façon dont, dans le cadre de l'instruction et
de l'éducation religieuse, les Églises, les familles protestantes en
Côte d'Ivoire prennent des décisions, agencent ou mettent en
œuvre leurs ressources et leurs capacités propres, pour tirer parti
des possibilités d'actions qui leur sont oftertes en matière d'éducation scolaire de la jeunesse en Côte d'Ivoire.
Les projets scolaires protestants sont des projets (:amili:ua:.Le
terme de famille renvoie soit aux " unités domestiques", au sens
de Radcliffe-Brown,9 soit à l'église locale, entendue comme une "
famille chrétienne", une commnn:luté rassemblant des " ttères
dans la foi". Les stratégies collectives concerneront l'ensemble de
plusieurs" unités domestiques" d'un village, d'une famille au sens
biologique ou de l'église locale, au sens de " rassemblement de
croyants". Ces différentes familles peuvent prendre en c:har2esoit
tot31ement soit en partie la scolarité de certains membres
Je leur
groupe, au nom des liens biologiques ou des alliancesqui les unissent.
La détermination des actions, des interactions et des comportements spécifiques entre les personnes ou groupes sociaux concernés par les relations (chrétiennes) donnent lieu à l'existence de la
famille. L'existence de ces liens de parenté biologique et/ou religieux détermine les différents comportements et joue un rôle capital dans l'éducation de la jeunesse1o. Les projets scolaires protestants se posent en termes de gestion ou de cogestion comme une
réplique à la centralisation administrative excessive.Parmi les solutions envisagées dans la crise de l'Enseignement Protestant entre
1988 et 1994, fWtte la notion de cogestion, entendue ici comme
la participation des enseignants, sur un pied d'égalité avec l'employeur quant à la prise de décisions à tous les niveaux de
l'Enseignement PrOtestantIl.
. A R.ADCI.JFFE.BROWN,
Struauœ et frmct:ion cl:msh socilti ~
Paris,PUF, 1968.
Le soàologue ~Brown
considm l'uniti doImstique comme premier groupe dffini,
vivant ensemblei un_t
c'est-i-ditt, selon ses propres termes : " un groupe de ~
donné. dans une m&ne habitation, ou un ensembled'habitations, et prenant ceraines disposi10
tions ~conomiques
RADCLIFFE-BROWN.,
II
qui constituent
une ~conomie
domestique
commune.
" et. A
Op. at:.. p. 61.
Otto BRENNER., " Les fondements de la cogestion" in C. LEVINSON, La dE:moa:atie
industrielle" traduit de l'anglais par Dominique Bertin et Dominique Bircke1.Paris, Seuil, 1976.
16
ÉCOLE
ET DÉVELOPPEMENT
" Nous combattons pour une gestion commune des écoles. Par
ce moyen nous voWons assainir les conditions financières de nos
écoles et permettre à tous les acteurs de l'Enseignement Protestant de
prendre part, sur un pied d'égalité, aux décisions pédagogiques, économiques, politiques et adturelles et administratives des écoles protestantes"
12.
La cogestion reste pour chacun des partenaires de
l'Enseignement Protestant comme moyen approprié pour rétablir
la confiance, comme solution aux revendications des syndicats
dénonçant le pouvoir des employeurs à prendre des décisions sans
se soucier des intérêts des enseignants. Inséparable de la coresponsabilité, ~ermet
de structurer les rapports de lutte syndicale
.
eure organisation des Écoles et d'établir un compropour une
mis social dans les intérêts des différents partenaires de
l'Enseignement Protestant.
Cette étude comporte deux grandes parties. Dans la première
partie, nous faisons, d'abord une brève présentation des différentes
mesures, notamment les réformes détetminant les principes fondamentaux régissant le service public de l'enseignement de la Côte
d'Ivoire en montrant comment ces données ont joué sur l'enseignement confessionnd protestant (chap. I). Ensuite, nous analysons la
nature de la codification des relations entre l'État et les Missions
et rdevons les difficultés posées par les conventions (Chap. ll).
Puis vient une présentation des Ecoles protestantes. Nous nous
sommes intéressés au système d'interactions observables entre
Mission-Église-École et nous avons tenté de démontrer la relation
historique existant entre l'émergence et le dévdoppement des
Missions et É2:lisesProtestantes et la constitution progressive d'un
réseau d'établissements scolaires protestants en Côte d'Ivoire
(Chap. IIT). Nous avons essayé de montrer, d'une part, comment
les écoles protestantes ont été à la fois un moyen de reproduction
de la mission évangélisatrice des Missions et des Églises protestantes et, d'autre part, comme un outiL au cœur même de ce système,
comment dIes ont permis aux néophytes de confronter et de
connaitre le monde de leurs partenaires et adversaires. Les choix
élaborés et mis en œuvre par les Églises et les Missions protestantes dans la gestion de leur projet éducatif constituent une phase
spécifique se situant entre le niveau normatif du projet (explication
des valeurs et des finalités
et le niveau empirique
pédag,!~:, . .
(analyse de la situation scolaire et faI
e) (Chap. IV).
12
cr
Il
Compte rendu de la réuniOIi de dglement de conflit tenue à la Préfecture de Man le
26/05/89 ".
INTRODUCTION
GENERALE
17
Dans la deuxièmepartie, nous répondons à notre p!oblématique, à savoir en quoi consiste la contribution des ËgIises et
Missions concernées par la recherche au dévdoppement de la ~te
d'Ivoire à travers leurs institutions scolaires. Dans un premier
temps, nous insistons sur les initiatives protestantes innovées par
les Ecoles s'inscrivant dans le cadre d'un "ethos" de dévdoppement, favorable à la lecture personnelle de la Bible, à l'éducation à
la responsabilité de l'individu, à l'idéologie religieuse du protestantisme. Nous situons, d'une part, la contribution des Écoles protestantes au niveau de la formation des agents de dévdoppement des
églises dans une première phase, et d'autre part, dans une deuxième phase, une contribution au projet politique et au dévdoppement cultureL social et moral de la ~te d'Ivoire (Chap. V). Dans
un deuxième temps, nous avons montré la manière dont les ministères scolaires des Missions et Églises protestantes ont répondu
aux besoins de l'économie ivoirienne (même si cela est de manière
relative), et ont par conséquent, remp~ entre autres, leur fonction
économique et sociale, à savoir l'intégration de leurs jeunes par
l'accès à un emploi, à la mobilité sociale entre générations (Chap.
VI). Dans un troisième temps, notre préoccupation est allée essentiefiement à la formation du citoyen, en particulier dans le domaine de la famille et de la politique, en insistant particulièrement sur
la conception et la mise en œuvre des politiques éducatives à tra-
versles méc;mismesde la traDsmi~ionae valeurset leurs effetssur
certaines personnalités et certaines structures sociales et politiques
(Chap. VII). Dans un quatrième temps, nous évoquons la crise de
l'Enseignement Protestant, comprise comme étant la prise de
conscience de ses acteurs que les mécanismes de régulation de leur
système scolaire et l'identité des premiers acteurs des écoles protestantes (Églises, personnds enseignants et administratifs) sont
soumis à une "épreuve" non prévue, considérée générafement
comme redoutable et dont l'issue pour l'instant, reste encore incertaine (Chap. VIII).
PREMIÈRE PARTIE
ÉCOLES DE L'ÉTAT ET ÉCOLES
DES ÉGLISES:
LE LIEN NÉCESSAIRE ET CONSTRUCTIF
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