N° 3, L`insoutenabilité sociale du développement durable

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Working paper FREE-Cahier FREE n°3-201
Face aux "sacrifices humains",
le développement humainement soutenable.
François Régis MAHIEU
C3ED
sumé : Le développement est humainement soutenable s’il respecte la personne,
tout en tenant compte du contexte social et en préservant la nature. Il existe des coûts
physiques, mentaux et éthiques du développement.qui ne sont pas mis en évidence au niveau
des indicateurs sociaux et de l'état de la société. Soutenabilités sociales et sociétales pouvant
être contradictoires.. Dans cette configuration, la personne est vulnérable, susceptible de
destruction, et donc faillible. Des sacrifices humains sont libérément acceptés.Un principe
de précaution humaine et sociale est nécessaire afin d'éviter des violences insoutenables.
Mots clefs : Soutenabilihumaine, impacts humains, personne, vulnérabilité,
faillibilité, précaution sociale. --------------------------
Un développement socialement durable tente d'améliorer les indicateurs de bien-être
(le social) et la qualité de la société (le sociétal), pour les générations présentes, sans
compromettre les possibilités des générations futures. Ce développement « garantit aux
générations présentes et futures l’amélioration des capacités de bien-être (sociales,
économiques ou écologiques) pour tous, à travers la recherche de l’équité d’une part, dans la
distribution intra-générationnelle de ces capacités et, d’autre part, dans leur transmission
inter-générationnelle ». (Ballet, Dubois, Mahieu, 2005).
Ce même développement peut ne pas être humainement soutenable. En effet ces deux
niveaux, le social et le sociétal1, peuvent être contradictoires et aggraver la détresse humaine.
Une amélioration des indicateurs sociaux est souvent contradictoire à la qualité de la société,
ce que montre l’inégalité liée au développement et les conflits pour en partager les fruits.
L’amélioration des indicateurs sociaux s’accompagne alors d’une dégradation du statut de la
personne au sein d’une société devenue anomique. Cette société multiplie les atteintes à la
personne, même si elle bénéficie d’une plus grande liberté. Par exemple, le salarié en tant que
« travailleur libre » est libre de vendre sa force de travail. Mais le travailleur libéré par un
licenciement économique est le plus souvent détruit dans sa personne. Il a gagné en capaci
de choix (« capability » au sens de Sen, 1987), mais il a perdu dans sa capacité à être digne
1 On distingue les indicateurs sociaux qui désignent les conditions de vie d'un groupe d' individus, le sociétal qui
concerne la société et enfin l'humain considéré par la personne. Cette notion de personne désigne les propriétés
universelles de l'homme :dignité, reconnaissance , responsabilité etc…..Les deux premières dimensions peuvent
caractériser une espèce ( par ex. le chien de chasse ou l'ours blanc), la dernre est propre à l'homme en tant que
personne différenciée et sujet de l'environnement.
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et responsable. Il en est de même d’un paysan qu’un programme de développement a
« libéré » de sa pluriactivimisérable pour lui donner la capacité d'être un artisan sans avenir.
L’amélioration des indicateurs sociaux et sociétaux, alliée à une plus grande liberté
de choix, peut-elle être durable sans que le support de ces capacités, la personne vulnérable,
ne soit prise en compte ? Le développement social en tant que moyen peut être non soutenable
humainement. Traditionnellement la personne a des capacités premières à «s’exprimer » et à
«s’imputer » une responsabilité, elle supporte la responsabilidune capacià choisir.
Autrement, elle peut se détruire et/ou détruire les autres dans une société acceptant les
"sacrifices humains". Le thème de la « pourriture » de l’homme par une éthique économique
immorale est au centre des conflits actuels entre les religions et l’économie. Il est au centre
des conflits de générations entre les personnes qui veulent léguer des valeurs sociétales et
celles qui voient avant tout l'insoutenabilihumaine de telles sociétés.
Partant de l’échec du développement humain et des difficultés à concevoir les coûts
humains, nous reconstruisons une séquence où la personne est le sujet du développement
durable. Cette personne, compte tenu des moyens soutenables, cherche à satisfaire sa
condition. Ce sujet est faillible et vulnérable, un principe de précaution est nécessaire.
1. Les échecs de la dimension humaine du développement
Selon le rapport du PNUD (2005), les indicateurs sociaux révèlent un «échec» du
développement humain concernant plusieurs pays, des plus pauvres aux plus riches. Cette
non-soutenabilité humaine « forte » a trait à des pertes de vie humaine, et donc à des
irréversibilités. Mais cette soutenabilité est plus large, elle concerne la destruction de
l’homme, par exemple la détresse humaine qui accompagne tous les niveaux de
développement, y compris les plus élevés : détresse professionnelle, familiale, sanitaire. Les
indicateurs tendent à montrer que l'amélioration matérielle du niveau de vie s'accompagne
d'une détresse morale2 croissante, manifestée, entre autres, par la drogue, les suicides, les
crimes, la consommation de neuroleptiques et d’alcool3. Elle se révèle également par les
révoltes des personnes qui prennent conscience de leur gradation dans l'ordre social établi.
Du point de vue théorique, l’homme reste indéfini, malgré la nouvelle microéconomie
du développement. Plus généralement, le concept de « libre capacide choix » a pris une
importance cruciale dans la théorie récente d’Amartya Sen, fondée sur une question de
contenu (What ?) et jamais sur la question du support personnel (Who ?). De ce fait, le
développement économique comme libre capacité à réaliser ses projets de vie est un schéma
fonctionnel, sans originaliet sans mention du sujet. Pire, il est interprélargement par les
disciples comme un projet normatif sans précaution sociale.
Si la « libre capacide choix » est une norme, elle a la forme logique d’une
permission ayant trait à une action (un mode de vie, soit M1). Cette permission (P) fait
intervenir deux variables nominales : la personne qui permet (j) et celle qui bénéficie de la
permission (i). Toutes les formes de la permission peuvent être employées : forte, faible, etc..,
mais la variable qui est déterminante est la variable nominale,i, en relation avec j Que va faire
i de cette permission ? Et quels sont ses rapports avec j , celui ou ceux qui autorisent le
choix ?
2 Sinon physique, voir les Troubles Musculosquelettiques des membres Supérieurs.
3 Voir annexes.
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Ainsi le risque que la personne fasse un usage malveillant, pervers, de ses capacités
n’est pas envisagé, faute de considérer non seulement l’anthropologie philosophique (qu'est
ce que l'homme ?), mais aussi la sociologie économique de l’altruisme (comment intégrer
l'Autre ?). De ce fait ce libéralisme devenu planifié devient banal et dangereux s’il ne peut
estimer ses impacts négatifs. Techniquement un certain nombre d’impacts humains négatifs
des politiques de développement restent impossibles à calculer. Par exemple, la déstabilisation
des allocations individuelles du temps suite à une politique de "tradable" ou de haute intensité
en travail, est totalement non-mesurable. De la même façon, les effets d’une politique de
développement sur les transferts inter-vivos et plus généralement les solidarités
communautaires sont hors de portée de l’économiste.
2. L’homme sujet du développement.
Un tel constat amène à s’interroger sur la place de l‘homme dans le développement.
La soutenabilihumaine forte (la préservation de la race humaine) implique l’antérioride
la personne comme sujet concepteur de son environnement. Cela signifie non un anthropo-
centrisme tel que l’homme profiterait impunément de la nature, mais un retour à l’idée simple
que l’homme est le sujet initial du développement.4 Sans oublier que la « satisfaction des
besoins des hommes », actuelle et future, est la finalité du développement durable.5
Le développement débute par l’homme, dans son environnement social6 et naturel. Il
existe une séquence pnoménologique : homme à social à nature7. Elle ne saurait être
renversée. Le social et le naturel n’existent que quand ils nous apparaissent. Cette
phénoménologie du développement humainement soutenable évite le holisme (refus de la
personne) et l’anthropo-centrisme (soumission de la nature). Le développement humainement
soutenable insiste sur le respect de la personne dans sa relation socio-environnementale. Si
la personne subit des coûts au point d’être détruite, l’environnement ne sera pas respecté. Il
existe une conditionnalihumaine à l’environnement. L’absence de prudence dans le
développement humain rend insupportable la sophistication du principe de précaution de
l’environnement naturel.
La personne, sujet en interaction, utilise raisonnablement les moyens économiques, et
financiers, sociaux, naturels dans le but d’un développement humainement soutenable. En
d’autres termes, les soutenabilités financières, économiques, sociales, naturelles conditionnent
les moyens d’une fin conçue par l’homme pour l’homme pour sa satisfaction : le
veloppement humainement soutenable.
Tableau 1. Schéma du développement Humainement Soutenable
Sujet àMoyens àFinali
La personne responsable
veloppement
Economique et Financier
Prise en compte du social
veloppement humainement
Soutenable, intra et
intergénérationnel..
4 Cette optique a été remarquablement traitée par Watsuji Tetsuro.
5 Rapport Bruntland ; 1988.
6 Ayant trait à la société.
7 Ces trois finalités ne se mélangent pas à l’économie comme dans le triangle écologique, l’économie n’est
qu’un moyen.
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Préservation de la nature
RISQUES : Faillibilité Soutenabiliforte et faible Coûts humains
Ce conflit de la préservation de la nature par rapport à la survie de l'homme est devenu
un drame médiatique avec l'instauration des parcs nationaux et leurs l'ethnocides. Drames mis
en valeur par John Turnbull à propos des Iks, ou plus récemment à propos de l'Amazonie ou
de l'Afrique australe. Aucune procédure démocratique ne peut justifier un ethnocide et à un
degré moindre, les "déguerpissements" d'allogènes sur les fronts pionniers, pratiques
courantes de gestion forestière.
3. Un développement humainement soutenable tenant compte du social et de
la nature
L’amélioration du sort de l’homme, dans le respect de sa personne, est le but de la
réflexion économique ; l’économie n’est qu’un moyen pour une finalité, le bonheur des
hommes. Le veloppement humainement soutenable concerne le futur et l’amélioration de
la vie humaine au-dede la coexistence de générations. Il accorde une responsabilité
importante (le futur), à la personne. Au-delà de la mort, il y a une transcendance
environnementale. Il concerne l’ensemble du genre humain et donne une responsabilide
chaque personne pour toute personne qui souffre. Le développement soutenable, améliore la
condition humaine au présent et au futur, en prenant en compte le social, et en préservant
l’environnement naturel.
Le développement «social » a deux significations : il désigne les indicateurs sociaux
du bien- être, qui ont trait au développement humain, et le niveau du «social » ayant trait à la
structure et à la dynamique de la société. Le mal-être est souvent occulté à ces deux niveaux
du social. Le social ainsi défini, n’étant pas bon en lui-même, il dépend de sa configuration
(altruisme/égoïsme, bienveillances/malveillance, efficacité ou non, tolérance, etc.) et de son
respect de la personne. Il faut le prendre en compte, mais il n’est jamais sur qu’il faille le
développer et le transmettre. Développer la nature n’a aucun sens et, sauf compensation de
destructions initiales, crée des risques importants (cf. les manipulations génétiques). La
société et la nature sont des moyens «critiques » au service de l’homme.
Un développement est humainement soutenable s’il respecte la personne, tout en
tenant compte du contexte social et en préservant la nature. L’éthique du développement
humainement soutenable est d’abord positive. Les personnes ont leurs murs, par exemple
leur mode de survie ; il convient d’observer les modes de développement pratiqués par le
genre humain avant de les bouleverser. Face à une situation optimale (pférée par tous),
comment justifier une ingérence sub-optimale ? Compte tenu des ces murs ou éthique, le
développement peut porter atteinte aux personnes ou à leur mode de vie.
Il existe un retard inquiétant du «développement humain » par rapport à la
«préservation » de l’environnement : particulièrement dans l’élaboration de principes de
précaution.. Or, l’homme est le début d’une réflexion sur la nature. Avant lui, il n’y a rien
(Augustin), car la nature ne peut réfléchir sur elle-même. L’homme est au début de son
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environnement. Il est le sujet d’une relation avec une nature qu’il objectivise. Mais son statut
social conditionne sa conscience : à un certain niveau il ne peut que consommer et au-delà il
peut investir.
Cet homme, capable de réflexion sur le rapport entre son existence et lenvironnement,
est une personne. Un développement humainement soutenable respecte la personne dans ce
rapport. Il est aussi dans un environnement social avec lequel il a une relation interactive : ni
individu, ni social. ("La double négation" selon Watsuji). Cette personne perçoit les
phénomènes dans un contexte donné, par exemple le « climat » humain ou social.
L’environnement social n’est pas à développer en soi, ni à préserver s’il est destructeur
de la personne. Le fascisme est un mode de développement durable qui ne saurait être
préservé.
4. Le développement économique est au service de la personne et respecte sa dignité.
La personne ne saurait être réduite à un moyen au service du développement. Toute
personne est responsable, rationnelle, raisonnable. Etre responsable individuellement, c’est
être capable d’assumer sa liberté et les situations correspondantes (Sartre, Cahiers pour une
Morale, Gallimard). Mais la responsabilité se situe surtout par rapport aux autres. C’est les
«assumer» avec leurs demandes. Il existe donc un partage au sein de toute personne entre
responsabilités égoïste et altruiste. Cette responsabilité par rapport aux autres ne peut être
assumée pleinement car elle est infinie, dans l’espace par rapport au visage de l’Autre, dans le
temps par rapport aux générations qui me sont inconnues, dans ses implications en chaîne par
rapport à ceux qui seront atteints par l’un de mes actes et que je ne puis connaître. La
responsabilisignifie obligation, imputation, sanction. Elle se traduit par un calcul préalable
sur les droits et les obligations. Elle a ses limites et peut être coupable.
Comment assumer ? Nous ne pouvons assumer cette responsabiliinfinie. Compte tenu de
nos moyens, nous devons classer, hiérarchiser, en dautres termes calculer ou rationaliser.
Nous pouvons jouer sur nos dotations, par exemple en temps ou en biens, manipuler
l’information, reporter sur d’autres personnes nos droits et obligations. Mais, cette rationalité
calculatrice a ses limites dans notre sociabilité. Nous devons nous assurer que la décision
issue de l’association de la responsabilité et de la rationalité reste raisonnable face à notre
entourage. La personne autonome est universelle et mérite le respect de son universalité. Son
autonomie correspond à la règle d’or. La personne hétéronome est respectable dans sa
diversité. La dignide l’humanicomme finalin’a pas de prix, elle a une valeur
intrinsèque et implique le respect envers tout homme (Kant, Métaphysique des murs).
5. La personne est vulnérable et faillible.
La vulnérabiliou « fragilité » rend compte des risques de destruction de la personne.
Les coûts engendrés par le développement sur l’homme, sont-ils humainement soutenables ?.
Les « coûts de l’homme » à la façon de Perroux sont les niveaux sociaux qu’il faut assurer
pour l’homme.
« Dans un ensemble humain, les coûts de l'homme se répartissent opérationnellement,
en trois groupes. Ce sont :
1° Ceux qui empêchent les êtres humains de mourir (lutte contre la mortalité dans le
travail professionnel et hors de ses limites) ;
1 / 12 100%

N° 3, L`insoutenabilité sociale du développement durable

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