Working paper FREE-Cahier FREE n°3-201 Face aux "sacrifices humains", le développement humainement soutenable. François Régis MAHIEU C3ED Résumé : Le développement est humainement soutenable s’il respecte la personne, tout en tenant compte du contexte social et en préservant la nature. Il existe des coûts physiques, mentaux et éthiques du développement.qui ne sont pas mis en évidence au niveau des indicateurs sociaux et de l'état de la société. Soutenabilités sociales et sociétales pouvant être contradictoires.. Dans cette configuration, la personne est vulnérable, susceptible de destruction, et donc faillible. Des sacrifices humains sont délibérément acceptés.Un principe de précaution humaine et sociale est nécessaire afin d'éviter des violences insoutenables. Mots clefs : Soutenabilité humaine, impacts humains, personne, vulnérabilité, faillibilité, précaution sociale. -------------------------- Un développement socialement durable tente d'améliorer les indicateurs de bien-être (le social) et la qualité de la société (le sociétal), pour les générations présentes, sans compromettre les possibilités des générations futures. Ce développement « garantit aux générations présentes et futures l’amélioration des capacités de bien-être (sociales, économiques ou écologiques) pour tous, à travers la recherche de l’équité d’une part, dans la distribution intra-générationnelle de ces capacités et, d’autre part, dans leur transmission inter-générationnelle ». (Ballet, Dubois, Mahieu, 2005). Ce même développement peut ne pas être humainement soutenable. En effet ces deux niveaux, le social et le sociétal1, peuvent être contradictoires et aggraver la détresse humaine. Une amélioration des indicateurs sociaux est souvent contradictoire à la qualité de la société, ce que montre l’inégalité liée au développement et les conflits pour en partager les fruits. L’amélioration des indicateurs sociaux s’accompagne alors d’une dégradation du statut de la personne au sein d’une société devenue anomique. Cette société multiplie les atteintes à la personne, même si elle bénéficie d’une plus grande liberté. Par exemple, le salarié en tant que « travailleur libre » est libre de vendre sa force de travail. Mais le travailleur libéré par un licenciement économique est le plus souvent détruit dans sa personne. Il a gagné en capacité de choix (« capability » au sens de Sen, 1987), mais il a perdu dans sa capacité à être digne 1 On distingue les indicateurs sociaux qui désignent les conditions de vie d'un groupe d' individus, le sociétal qui concerne la société et enfin l'humain considéré par la personne. Cette notion de personne désigne les propriétés universelles de l'homme :dignité, reconnaissance , responsabilité etc…..Les deux premières dimensions peuvent caractériser une espèce ( par ex. le chien de chasse ou l'ours blanc), la dernière est propre à l'homme en tant que personne différenciée et sujet de l'environnement. 1 et responsable. Il en est de même d’un paysan qu’un programme de développement a « libéré » de sa pluriactivité misérable pour lui donner la capacité d'être un artisan sans avenir. L’amélioration des indicateurs sociaux et sociétaux, alliée à une plus grande liberté de choix, peut-elle être durable sans que le support de ces capacités, la personne vulnérable, ne soit prise en compte ? Le développement social en tant que moyen peut être non soutenable humainement. Traditionnellement la personne a des capacités premières à «s’exprimer » et à «s’imputer » une responsabilité, elle supporte la responsabilité d’une capacité à choisir. Autrement, elle peut se détruire et/ou détruire les autres dans une société acceptant les "sacrifices humains". Le thème de la « pourriture » de l’homme par une éthique économique immorale est au centre des conflits actuels entre les religions et l’économie. Il est au centre des conflits de générations entre les personnes qui veulent léguer des valeurs sociétales et celles qui voient avant tout l'insoutenabilité humaine de telles sociétés. Partant de l’échec du développement humain et des difficultés à concevoir les coûts humains, nous reconstruisons une séquence où la personne est le sujet du développement durable. Cette personne, compte tenu des moyens soutenables, cherche à satisfaire sa condition. Ce sujet est faillible et vulnérable, un principe de précaution est nécessaire. 1. Les échecs de la dimension humaine du développement Selon le rapport du PNUD (2005), les indicateurs sociaux révèlent un «échec» du développement humain concernant plusieurs pays, des plus pauvres aux plus riches. Cette non-soutenabilité humaine « forte » a trait à des pertes de vie humaine, et donc à des irréversibilités. Mais cette soutenabilité est plus large, elle concerne la destruction de l’homme, par exemple la détresse humaine qui accompagne tous les niveaux de développement, y compris les plus élevés : détresse professionnelle, familiale, sanitaire. Les indicateurs tendent à montrer que l'amélioration matérielle du niveau de vie s'accompagne d'une détresse morale2 croissante, manifestée, entre autres, par la drogue, les suicides, les crimes, la consommation de neuroleptiques et d’alcool3. Elle se révèle également par les révoltes des personnes qui prennent conscience de leur dégradation dans l'ordre social établi. Du point de vue théorique, l’homme reste indéfini, malgré la nouvelle microéconomie du développement. Plus généralement, le concept de « libre capacité de choix » a pris une importance cruciale dans la théorie récente d’Amartya Sen, fondée sur une question de contenu (What ?) et jamais sur la question du support personnel (Who ?). De ce fait, le développement économique comme libre capacité à réaliser ses projets de vie est un schéma fonctionnel, sans originalité et sans mention du sujet. Pire, il est interprété largement par les disciples comme un projet normatif sans précaution sociale. Si la « libre capacité de choix » est une norme, elle a la forme logique d’une permission ayant trait à une action (un mode de vie, soit M1). Cette permission (P) fait intervenir deux variables nominales : la personne qui permet (j) et celle qui bénéficie de la permission (i). Toutes les formes de la permission peuvent être employées : forte, faible, etc.., mais la variable qui est déterminante est la variable nominale,i, en relation avec j Que va faire i de cette permission ? Et quels sont ses rapports avec j , celui ou ceux qui autorisent le choix ? 2 3 Sinon physique, voir les Troubles Musculosquelettiques des membres Supérieurs. Voir annexes. 2 Ainsi le risque que la personne fasse un usage malveillant, pervers, de ses capacités n’est pas envisagé, faute de considérer non seulement l’anthropologie philosophique (qu'est ce que l'homme ?), mais aussi la sociologie économique de l’altruisme (comment intégrer l'Autre ?). De ce fait ce libéralisme devenu planifié devient banal et dangereux s’il ne peut estimer ses impacts négatifs. Techniquement un certain nombre d’impacts humains négatifs des politiques de développement restent impossibles à calculer. Par exemple, la déstabilisation des allocations individuelles du temps suite à une politique de "tradable" ou de haute intensité en travail, est totalement non-mesurable. De la même façon, les effets d’une politique de développement sur les transferts inter-vivos et plus généralement les solidarités communautaires sont hors de portée de l’économiste. 2. L’homme sujet du développement. Un tel constat amène à s’interroger sur la place de l‘homme dans le développement. La soutenabilité humaine forte (la préservation de la race humaine) implique l’antériorité de la personne comme sujet concepteur de son environnement. Cela signifie non un anthropocentrisme tel que l’homme profiterait impunément de la nature, mais un retour à l’idée simple que l’homme est le sujet initial du développement.4 Sans oublier que la « satisfaction des besoins des hommes », actuelle et future, est la finalité du développement durable.5 Le développement débute par l’homme, dans son environnement social6 et naturel. Il existe une séquence phénoménologique : homme à social à nature7. Elle ne saurait être renversée. Le social et le naturel n’existent que quand ils nous apparaissent. Cette phénoménologie du développement humainement soutenable évite le holisme (refus de la personne) et l’anthropo-centrisme (soumission de la nature). Le développement humainement soutenable insiste sur le respect de la personne dans sa relation socio-environnementale. Si la personne subit des coûts au point d’être détruite, l’environnement ne sera pas respecté. Il existe une conditionnalité humaine à l’environnement. L’absence de prudence dans le développement humain rend insupportable la sophistication du principe de précaution de l’environnement naturel. La personne, sujet en interaction, utilise raisonnablement les moyens économiques, et financiers, sociaux, naturels dans le but d’un développement humainement soutenable. En d’autres termes, les soutenabilités financières, économiques, sociales, naturelles conditionnent les moyens d’une fin conçue par l’homme pour l’homme pour sa satisfaction : le développement humainement soutenable. Tableau 1. Schéma du développement Humainement Soutenable Sujet à Moyens à Développement Economique et Financier La personne responsable Prise en compte du social Finalité Développement humainement Soutenable, intra et intergénérationnel.. 4 Cette optique a été remarquablement traitée par Watsuji Tetsuro. Rapport Bruntland ; 1988. 6 Ayant trait à la société. 7 Ces trois finalités ne se mélangent pas à l’économie comme dans le triangle écologique, l’économie n’est qu’un moyen. 5 3 Préservation de la nature RISQUES : Faillibilité Soutenabilité forte et faible Coûts humains Ce conflit de la préservation de la nature par rapport à la survie de l'homme est devenu un drame médiatique avec l'instauration des parcs nationaux et leurs l'ethnocides. Drames mis en valeur par John Turnbull à propos des Iks, ou plus récemment à propos de l'Amazonie ou de l'Afrique australe. Aucune procédure démocratique ne peut justifier un ethnocide et à un degré moindre, les "déguerpissements" d'allogènes sur les fronts pionniers, pratiques courantes de gestion forestière. 3. la nature Un développement humainement soutenable tenant compte du social et de L’amélioration du sort de l’homme, dans le respect de sa personne, est le but de la réflexion économique ; l’économie n’est qu’un moyen pour une finalité, le bonheur des hommes. Le développement humainement soutenable concerne le futur et l’amélioration de la vie humaine au-delà de la coexistence de générations. Il accorde une responsabilité importante (le futur), à la personne. Au-delà de la mort, il y a une transcendance environnementale. Il concerne l’ensemble du genre humain et donne une responsabilité de chaque personne pour toute personne qui souffre. Le développement soutenable, améliore la condition humaine au présent et au futur, en prenant en compte le social, et en préservant l’environnement naturel. Le développement «social » a deux significations : il désigne les indicateurs sociaux du bien- être, qui ont trait au développement humain, et le niveau du «social » ayant trait à la structure et à la dynamique de la société. Le mal-être est souvent occulté à ces deux niveaux du social. Le social ainsi défini, n’étant pas bon en lui-même, il dépend de sa configuration (altruisme/égoïsme, bienveillances/malveillance, efficacité ou non, tolérance, etc.) et de son respect de la personne. Il faut le prendre en compte, mais il n’est jamais sur qu’il faille le développer et le transmettre. Développer la nature n’a aucun sens et, sauf compensation de destructions initiales, crée des risques importants (cf. les manipulations génétiques). La société et la nature sont des moyens «critiques » au service de l’homme. Un développement est humainement soutenable s’il respecte la personne, tout en tenant compte du contexte social et en préservant la nature. L’éthique du développement humainement soutenable est d’abord positive. Les personnes ont leurs m urs, par exemple leur mode de survie ; il convient d’observer les modes de développement pratiqués par le genre humain avant de les bouleverser. Face à une situation optimale (préférée par tous), comment justifier une ingérence sub-optimale ? Compte tenu des ces m urs ou éthique, le développement peut porter atteinte aux personnes ou à leur mode de vie. Il existe un retard inquiétant du «développement humain » par rapport à la «préservation » de l’environnement : particulièrement dans l’élaboration de principes de précaution.. Or, l’homme est le début d’une réflexion sur la nature. Avant lui, il n’y a rien (Augustin), car la nature ne peut réfléchir sur elle-même. L’homme est au début de son 4 environnement. Il est le sujet d’une relation avec une nature qu’il objectivise. Mais son statut social conditionne sa conscience : à un certain niveau il ne peut que consommer et au-delà il peut investir. Cet homme, capable de réflexion sur le rapport entre son existence et l’environnement, est une personne. Un développement humainement soutenable respecte la personne dans ce rapport. Il est aussi dans un environnement social avec lequel il a une relation interactive : ni individu, ni social. ("La double négation" selon Watsuji). Cette personne perçoit les phénomènes dans un contexte donné, par exemple le « climat » humain ou social. L’environnement social n’est pas à développer en soi, ni à préserver s’il est destructeur de la personne. Le fascisme est un mode de développement durable qui ne saurait être préservé. 4. Le développement économique est au service de la personne et respecte sa dignité. La personne ne saurait être réduite à un moyen au service du développement. Toute personne est responsable, rationnelle, raisonnable. Etre responsable individuellement, c’est être capable d’assumer sa liberté et les situations correspondantes (Sartre, Cahiers pour une Morale, Gallimard). Mais la responsabilité se situe surtout par rapport aux autres. C’est les «assumer» avec leurs demandes. Il existe donc un partage au sein de toute personne entre responsabilités égoïste et altruiste. Cette responsabilité par rapport aux autres ne peut être assumée pleinement car elle est infinie, dans l’espace par rapport au visage de l’Autre, dans le temps par rapport aux générations qui me sont inconnues, dans ses implications en chaîne par rapport à ceux qui seront atteints par l’un de mes actes et que je ne puis connaître. La responsabilité signifie obligation, imputation, sanction. Elle se traduit par un calcul préalable sur les droits et les obligations. Elle a ses limites et peut être coupable. Comment assumer ? Nous ne pouvons assumer cette responsabilité infinie. Compte tenu de nos moyens, nous devons classer, hiérarchiser, en d’autres termes calculer ou rationaliser. Nous pouvons jouer sur nos dotations, par exemple en temps ou en biens, manipuler l’information, reporter sur d’autres personnes nos droits et obligations. Mais, cette rationalité calculatrice a ses limites dans notre sociabilité. Nous devons nous assurer que la décision issue de l’association de la responsabilité et de la rationalité reste raisonnable face à notre entourage. La personne autonome est universelle et mérite le respect de son universalité. Son autonomie correspond à la règle d’or. La personne hétéronome est respectable dans sa diversité. La dignité de l’humanité comme finalité n’a pas de prix, elle a une valeur intrinsèque et implique le respect envers tout homme (Kant, Métaphysique des m urs). 5. La personne est vulnérable et faillible. La vulnérabilité ou « fragilité » rend compte des risques de destruction de la personne. Les coûts engendrés par le développement sur l’homme, sont-ils humainement soutenables ?. Les « coûts de l’homme » à la façon de Perroux sont les niveaux sociaux qu’il faut assurer pour l’homme. « Dans un ensemble humain, les coûts de l'homme se répartissent opérationnellement, en trois groupes. Ce sont : 1° Ceux qui empêchent les êtres humains de mourir (lutte contre la mortalité dans le travail professionnel et hors de ses limites) ; 5 2° Ceux qui permettent à tous les êtres humains une vie physique et mentale maxima (activités de préventions hygiéniques, de soins médicaux, de secours invalidité, vieillesse, chômage) ; 3° Ceux qui permettent à tous les êtres humains une vie spécifiquement humaine, c’est-à-dire caractérisée par un minimum de loisirs (essentiellement : coûts d'instruction élémentaire, coûts de loisirs minima). » (Perroux 1952, p. 145). Cette problématique est dépassée par la mise au point d’indicateurs synthétiques, en particulier l’Indice de Développement Humain et de grands objectifs séculaires (Millenium Dévelopment Goals, MDGs). Les « coûts humains » sont subis par la personne dans sa dignité, sa santé, son activité professionnelle, sa vie familiale. Ces coûts peuvent être destructeurs de la personne et la rendre faillible. Ces coûts ne sont pas pris en compte dans le développement économique par exemple le développement du marché du travail. Flexiblité et coûts humains ne sont pas mis en rapport. Certains coûts humains sont évaluables : sur la santé (physique et mentale), sur le travail (unemployabilité), sur la famille (dissolutions, abandons), sur les conditions de vie (logement, hygiène). D’autres coûts « éthiques » sont tout aussi importants : en particulier l’estime de soi, la reconnaissance, la dignité, le respect et l’aptitude à réaliser ses devoirs, sont évaluables par les enquêtes qualitatives. Certains coûts politiques ont trait à la mise sous silence, et donc le droit à parler, à se réunir, à l’interdiction d’une libre sociabilité. Le dveloppement économique devient alors sacrificiel en détruisant certaines personnes au profit d'autres. La vulnérabilité de la personne résulte de l'interaction des différentes vulnérabilités par rapport à l'emploi, la famille, la santé, la personnalité. Cette destruction multidimensionnelle est une forme de "crime" quand elle est délibérément assumée. Ainsi les politiques de flexibilité de l'emploi sont réputées créer de l'emploi net en licenciant librement des travailleurs au profit d'autres. Mais ceci signifie qu'il existe un "purgatoire" permanent de chômeurs qui sont vulnérables dans leur personne. Le bilan net doit tenir compte des coûts de la personne et du fait qu'elle alimentera la flexibilité du marché par sa propre vulnérabilité, au point de devenir inemployable. La spirale flexibilité/ vulnérabilité conforte le marché du travail en tant que "marché", mais détruit ses acteurs. De même, le développement est durable dans le cadre d'un régime politique stable sinon fort , mais il développe des coûts politiques qui ne sont pas soutenables. La durabilité politique est insoutenable si elle détruit la conscience des citoyens, les réprime et les infantilise. Le développement humainement soutenable s’interroge sur les impacts humains négatifs face aux avantages d’un programme de développement, sachant que ces coûts sont structurels et intègrent l’environnement sociétal et naturel. La personne, face à ces coûts, est faillible : capable de faute compte tenu de sa vulnérabilité. Ainsi, Max Weber montre que la responsabilité peut aller jusqu’à la faute ; le crime politique est justifié par une responsabilité qui devient monstrueuse. La responsabilité peut conduire à la faute (le sacrifice au nom d’un devoir absolu, cf. le mythe d’Abraham) ou émaner d’elle. Je peux être responsable et non coupable ou aller jusqu’à la culpabilité pour une faute effective. 6 6. Soutenabilité humaine et responsabilité par rapport aux générations La place exceptionnelle de la personne dans le développement est liée à son immense responsabilité par rapport à l’humain, au social et à la nature. La responsabilité de la personne par rapport aux autres est principalement intragénérationnelle, mais sa responsabilité par rapport à la nature est fatalement intergénérationnnelle. La théorie de la justice par équité (J.Rawls, 1971) ou par les capacités (A.Sen, 1987c) ne traite que marginalement de la responsabilité. Elle en ignore les formes extrêmes, intergénérationnelle (H.Jonas) ou intragénérationnnelle (E.Lévinas). Ces principes de responsabilité sont prioritaires par rapport à la liberté, et la responsabilité intragénérationnelle est elle-même prioritaire par rapport à toute ingérence intergénérationnelle. L'intragénérationnel peut susciter un altruisme extrême avec le principe du visage de Lévinas, de la responsabilité vis à vis de tout être qui souffre. On peut encore opposer fortement l'altruisme (en fait égoïste) vis à vis de notre dynastie et l'altruisme universel vis à vis de notre génération. Cet altruisme est possible avec l'hypothèse de l'équiprobabilité de John Harsanyi. Est-il transférable à l’intergénérationnel ? L'intergénérationnel désigne les relations entre « générations » au-delà de cette période intragénérationnelle, en assumant que les arrières grands-parents ont peu de chance de connaître la génération de leurs arrières petits-enfants. De ce fait, la compensation optimale par négociation n'a pas de sens (Hans Jonas).Qui peut incarner les préférences intergénérationnelles ? Elles ont trait à l'altruisme extrême vis à vis des futurs citoyens que nous ne connaîtrons jamais et de leur environnement. L'altruisme de proximité s'oppose à l'altruisme distant. Dans ce cadre de raisonnement, un égoïsme intragénérationnel s'oppose à l’altruisme intergénérationnel. Les perturbations liées à l'intragénérationnel concernent notre dynastie : enfants chômeurs, aînés dépendants. Elles sont principalement sociales (modes de vie, statut social, qualité de la société). Les perturbations intergénérationnelles sont plutôt d'ordre naturel (perpétuation de la race et de l'environnement). Elles sont d'un altruisme très élitiste, soulignant à quel point l'environnement est conçu par les philosophes/ experts, à l'avant garde des populations. 7. La responsabilité par rapport au développement humainement soutenable, est première. Elle pose le problème de l’autorité et de la responsabilité de l’expert sur la situation de personnes elles-mêmes responsables. L’éthique positive de cette dimension, reconnaît la personne comme capable d’une déontologie universelle et qui la fait exister en tant que personne. Les politiques inappropriées ont des conséquences très graves : pertes de capacités, dépendance, migrations, conflits, génocide, pour n’en citer que quelques unes. Un principe de prévention ou de précaution sociale pourrait alors être utilisé quand les analyses sur les conséquences restent insuffisantes. La précaution sociale a trait aux incertitudes sur les événements dans les domaines sociaux : seuils où le social risque d’éclater, de passer par exemple de la coopération efficace à la division interne inefficace. La précaution est non seulement matérielle, mais aussi humaine. Cette incertitude tient aux composantes de l'interaction sociale, le degré d’altruisme par exemple d’une personne ou d’une communauté, l'utilité espérée attachée aux actions et à leurs conséquences humaines. Quels sont les coûts pour l’homme ? Du fait des conséquences des politiques sur l'homme et la société, le principe 7 de précaution humaine et sociale s’impose au politique comme à l’expert. Ainsi, en l’absence de possibilités de calculer toutes les situations probables, la prise en compte de la pire des situations possibles s’impose. Il ne s’agit donc pas de ne rien faire, mais plutôt de faire « comme si » la pire des conséquences pouvait se produire. La décision ne serait alors probablement pas la même dans ce cas et dans le cas où l’on sous-estimerait les conséquences néfastes et notamment la pire d’entre elles. Cela revient alors à adopter un principe de maximin dans les décisions politiques, c’est-à-dire maximiser la situation minimum. Autrement dit, cela revient à choisir la politique qui risque d’induire la moins mauvaise des situations parmi les pires qui puissent arriver. Le principe de précaution humaine et sociale est donc actif : il faut accélérer les recherches sur les incertitudes, évaluer les dommages possibles et les solutions par des scénarii comparatifs. Il ouvre ainsi la voie à la responsabilité des experts et des institutions face à une incertitude sur le milieu social lui-même et ses réactions aux chocs. Par exemple, on sait que les capacités de réaction des personnes pauvres sont fragiles : allocations imbriquées du temps, transferts inter vivos, et dépendent du type d’altruisme pratiqué. Or, ces relations entre les politiques des experts et les destructions des milieux sociaux fragiles ne sont pas connues actuellement. Ce principe implique que si les études concluent à la fragilité des milieux sociaux, l’expert engage sa responsabilité pénale dans le cas où il aurait un pouvoir de décision important. - Le principe de précaution humaine et sociale recherche activement les capacités mises en uvre par les personnes face à la pauvreté, notamment informelles. Il implique que la vulnérabilité de ces capacités soit testée face aux chocs possibles et que les catastrophes humaines (malveillance), économiques (famine) et sociales (guerres civiles, génocides) soient au moins simulées. Ainsi seront posées des soutenabilités sociales faibles (possibilité d'une compensation équitable et d'une réversibilité des dégâts humains/sociaux) et des soutenabilités sociales fortes (destruction irrémédiable). Une gestion dynamique des risques doit évaluer la relativité des connaissances face à un processus de destruction sociale. - Ces éventualités doivent être discutées et évaluées avec les parties prenantes. Une éthique de la discussion entre partenaires sans exclusive, pose le problème d’une acceptabilité des risques par un public dont les préférences sont bornées dans le temps et dans l’espace. Le principe de précaution humaine et sociale n'est pas un principe de préservation : le social n'est pas « bon » en soi. Par exemple, il peut exister un utilitarisme social monstrueux et un capital social pervers (mafia, extrémisme ethnique). L’acceptabilité humaine et sociale ne peut suffire isolément. - Le principe de précaution humaine et sociale implique de la responsabilité, donc des sanctions et des incitations ; une catastrophe sociale ne peut, dans un pays sous expertise, être totalement imputée aux acteurs locaux. Le respect du principe de précaution par l'expert et le degré de liberté des acteurs locaux doivent être appréciés afin de partager la responsabilité. Etablissement des connaissances et de leurs limites, acceptabilité sociale des risques, partage des responsabilités, composent le principe de précaution humaine sociale et esquissent les limites d’une politique anti-pauvreté. . Développer l’humain ou améliorer la soutenabilité humaine n’est pas bon en soi . La constitution physique de l’homme peut être améliorée par des expériences génétiques ou 8 encore l’esprit peut être endoctriné sous le prétexte de développer sa «personne »8. Là encore des précautions et des normes résultant de l’ «engagement » sont indispensables pour éviter un développement «monstrueux ». Par contre, au delà des formes du développement, le respect de la personne reste une exigence première qui ne se confond pas avec la liberté. Bibliographie Ballet J., Dubois J-L. , Mahieu F-R. (2005) : L’Autre développement, le développement socialement soutenable , Paris, l’Harmattan. Ballet J., Dubois J-L., Mahieu F-R. (2003), "Le développement socialement durable : un moyen d’intégrer capacités et durabilité", Colloque From Sustainable Development to Sustainable Freedom, 7-9 septembre 2003, Pavie. Ballet J., Dubois J.L., Mahieu F.R. 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(1977), “Rule Utilitarianism and Decision Theory”, Erkenntnis, 11, pp.25-53. 8 Politiquement, la personne a été opposée à l'individu et à l'Etat, comme ce fut le cas avec « L’Ordre Nouveau » dans les années 1930 et les idéologies communautariennes du fascisme. 9 Harsanyi J.C. (1982), “Morality and the Theory of Rational Behaviour”, in Sen A. et Williams B. (Eds), Utilitarianism and Beyond, Cambridge, Cambridge University Press, pp.39-62. Harsanyi J.C. (1986), “Individual Utilities and Utilitarian Ethics”, in Diekmann A. et Mitter P. (Eds), Paradoxal Effects of Social Behavior, Heidelberg, Physica, pp.1-12. Harsanyi J.C. (1995), “A Theory of Prudential Values and a Rule Utilitarian Theory of Morality”, Social Choice and Welfare, 12, pp.319-333. Jonas H. (1979), Le principe responsabilité : une éthique pour la civilisation technologique, Paris, éd. du Cerf, trad. Fr. J. Greisch, réédition, 1990. Lethonen M. 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Taux de suicide Taux de suicide /100 000 personnes France Finlande Hongrie Russie USA 1846/1855 1960 2000 8,9 4,0 3,2 2,6 5,8 19,4 24,7 44,9 36,0 12,2 17,5 23,8 31,6 40,1 11,3 11 Japon Suède Autriche 6,9 4,9 17,6 19,4 25,7 25,1 14,2 19,0 Source : Chesnay, J.C . Les morts violentes dans le monde, Population et sociétés, bulletin de l'INED, n° 395, novembre 2003, 4 p. 2. Prévalence de la drogue La prévalence de la drogue dans la population adulte de l’Union Européene a doublé au en cours des années 1990, les pays les plus riches dépassant le taux de 20% dans le cas du cannabis ( par ex. France : 26,2% en 2002) et 10 % pour les amphétamines (Royaume-Uni, 2004). Source: European Monitoring Centre for Drugs and Drug Addiction (EMCDDA), Statistical Bulletin, Lisbon, 2004. 3. Recul des indicateurs (Rapport du PNUD, 2005) Avec la libéralisation et le stress, l'alcool et les maladies dérivées en Russie font perdre onze ans d'espérance de vie à la population masculine. Aux USA la mortalité infantile a augmenté depuis 2000 et à 7 pour mille se situe au niveau de la Malaisie. Au Royaume Uni, un enfant sur trois est, en l'an 2000, sous le seuil de pauvreté. Les sacrifices primitifs tel le sang versé en permanence sur les sites sacrés incas, nous paraissent aujourd'hui insoutenables. Pour que les récoltes soient bonnes et que la société soit préservée, un crime organisé est nécessaire, par exemple en arrachant le c ur à une file organisée de prisonniers. Le développement exige ainsi son lot de sacrifiés: pauvres, chomeurs, exclus pour que les objectifs de la société soient réunis. La soutenabilité indique donc les crimes commis contre les hommes et contre la nature que réclame une société pour ses objectifs globaux. Admettre la pauvreté par exemple pour Peter Singer est un équivalent moral du meurtre. 12