Les communautés d'intérêt à l'heure d'Internet
Ou les barbares contre les rentiers
Christine Bitouzet, France Telecom CNET-UCE, & CRG de l’Ecole Polytechnique.
Serge Soudoplatoff, France Telecom Direction de l’Innovation, actuellement en création d’une start-
up.
Introduction ................................................................................................................................ 2
Les communautés d'intérêt : constat........................................................................................... 2
Caractéristiques des communautés d'intérêt........................................................................... 2
Organisation des communautés d'intérêt................................................................................ 3
Typologie des communautés d'intérêt .................................................................................... 4
Les conditions du développement d'Internet .............................................................................. 4
Développement d'Internet : pourquoi, comment ? ................................................................. 5
Les services sur Internet ......................................................................................................... 7
Les communautés : un espace favorable à l'émergence de nouveaux modèles économiques sur
Internet........................................................................................................................................ 9
Evolution des comportements de consommation................................................................... 9
Services en ligne et communautarisme aux Etats-Unis.......................................................... 9
Communautés et création de valeur sur Internet .................................................................. 11
Communautés : un vivier d'informations sur les clients à rentabiliser................................. 12
Les communautés entre une logique barbare et une logique de rentiers .................................. 13
Bibliographie............................................................................................................................ 15
Ressources sur Internet............................................................................................................. 16
Introduction
La création de communautés est un sujet largement débattu par les acteurs d'Internet. Mais que sont
ces communautés ?
Des communautés se créent sur le web. On les dit virtuelles parce qu'elles apparaissent au travers des
échanges électroniques. Par l'intermédiaire des forums de discussion ou de la messagerie, des
personnes se rencontrent autour d'intérêts communs et se regroupent par affinité. Ainsi pour Howard
Rheingold, considéré comme le précurseur des communautés en ligne avec “ The Well ”, des
communautés d'intérêt entre individus sont générées par le lien électronique. En France, ce
phénomène de regroupement communautaire sur Internet est plus lent qu'aux Etats-Unis à cause de la
faiblesse des taux d'équipement et de la timidité des usages.
Cependant, face à ces communautés nouvelles en ligne, des communautés d'intérêt, qui existent
depuis longtemps dans la sphère économique et sociale, sont susceptibles d'utiliser Internet pour
optimiser leurs échanges. Internet apparaît comme le moyen de promouvoir une activité, de réduire les
coûts de diffusion de l'information et de favoriser le développement des échanges. Ces communautés
d’intérêt sont souvent constituées par métier ou par secteur d’activité. Elles ont une tradition
d'échange et de partage d'information. Surtout, elles véhiculent du sens.
Les communautés constituent des segments de marché qualifiés particulièrement attractifs pour les
industries de consommation.
On observe, aux Etats-Unis surtout, l'arrivée de prestataires intermédiaires qui favorisent la création
de communautés virtuelles en proposant des services en ligne gratuits et assoient leur position de
leader sur le marché en augmentant leur audience. Le premier congrès des constructeurs de
communautés ("communities builders") s'est tenu en mai 1999 à San Francisco. A l'exemple du
prestataire Xoom qui héberge des pages personnelles et offre des services attractifs pour l'utilisateur
final afin de gagner la première place en terme d'audience, la valeur ajoutée de ces intermédiaires est
dans le traitement et l'analyse des données référencées sur les préférences et les comportements des
utilisateurs. L'économie des services est fondée sur la publicité mais l'objectif est la
commercialisation des données marketing directement auprès des fabricants et le développement du
commerce en ligne.
A l'inverse, les communautés d'intérêt qui existent depuis des siècles, en particulier en Europe, sont
des lieux privilégiés l'information circule avec confiance, d'individuelle elle devient, grâce aux
réseaux, facilement et rapidement connaissance collective. Les communautés d'intérêt permettraient-
elles de retrouver le sentiment de sécurité nécessaire pour réaliser des transactions sur le web ?
Comment le marketing tient-il compte de ces communautés qui risquent de prendre beaucoup de
valeur sur le web mais qui viennent bousculer la segmentation traditionnelle ?
L'objet de l'article est de décrire les communautés d'intérêt face au développement d'Internet : les
relations de confiance et les échanges au sein de communautés existantes favorisent-elles le
développement des relations électroniques et l'émergence de modèles économiques sur Internet ? En
insistant sur la différence entre communautés d'intérêt et services en ligne, l'objectif est de montrer les
conséquences sur le marketing de l'intégration d'Internet par ces communautés.
Les communautés d'intérêt : constat
Caractéristiques des communautés d'intérêt
Une communauté d’intérêt est un ensemble d’individus qui partagent un intérêt commun. H.
Rheingold1 est le premier à avoir par de communauté d'intérêt dans le monde d'Internet, mais les
communautés d'intérêt existent dans le monde réel depuis longtemps (Rheingold, 1993).
L'Europe a une longue tradition de ligues, de syndicats, d'associations, de dérations, qui toutes
regroupent des individus autour d'un but commun. Aux Etats-Unis aussi, il existe des communautés
locales et des lobbies très puissants.
L'observation de ces communautés permet d'en dégager quatre caractéristiques importantes :
l’existence d’échanges horizontaux à l'intérieur de ces communautés. Les individus s'appellent,
s'écrivent, ont des réunions plus ou moins régulières et des bulletins de liaison interne. Le point
important est la confiance qui supporte ces échanges et qui donne toute sa valeur à l’information
partagée. L’information devient alors connaissance.
l’existence d’un annuaire de la communauté : c'est l'existence d'un annuaire qui permet de définir
les frontières de la communauté et établit la liste des membres. A titre d'exemple, celui qui crée
un logiciel de jeu de bridge accessible au travers du réseau, sans se soucier de qui l'utilise,
raisonne "grand public". A l’inverse, lorsque la Fédération Française de Bridge souhaite organiser
ses tournois via Internet, avec identification, authentification et gestion des résultats via
l’annuaire des membres, il s'agit alors bien d'une communauté.
l’existence de sens : une communauté d’intérêt est d’autant plus forte qu’elle est porteuse de sens.
Alors que le troisième âge ou les ados désignent une catégorie d'individus, les viticulteurs de
l'Aude constituent une communauté d'intérêt. La finition du sens fait l’objet de négociations
entre les membres ou résulte de la décision du fondateur gérant de la communauté.
la pluri-appartenance et l’intercommunautarité : un individu appartient à plusieurs communautés
en fonction des pans de son activité professionnelle, sociale et personnelle.
Il faut noter que de plus en plus d’entreprises commencent à créer des communautés de clients,
souvent dans le but d’alléger leur hot-line, qui sont généralement des centres de coûts élevés. Ces
entreprises, souvent dans le secteur informatique, encouragent leurs clients à aller chercher la solution
à leurs problèmes dans les forums Internet, qu’elles organisent elles-mêmes.
Organisation des communautés d'intérêt
Une communauté d’intérêt est composée d'individus qui sont les membres. Ceux-ci sont la base de la
communauté, mais il y a néanmoins diverses personnes qui jouent des rôles importants pour la gestion
de la communauté.
Le gérant, ou le médiateur. Parmi tous les membres, il en existe un qui joue un rôle fondamental,
c'est le gérant. C'est lui qui anime la communauté, qui en assure le fonctionnement, qui fait
circuler l'information ou s'assure des bonnes conditions de cette circulation, qui est le gardien des
valeurs morales de la communauté, bref qui lui donne du sens. Il est le garant du bon
fonctionnement de la communauté, il organise les relations entre les membres, identifie les
besoins en termes de services et de contenus, et se porte caution si nécessaire des informations
diffusées aux membres.
Le fournisseur de services et / ou de contenu. Une communauté doit être animée pour vivre, ses
membres doivent avoir accès à des services, à du contenu spécifique, à des services marchands,
qui proviennent de fournisseurs externes à la communauté. Pour être consommés, ces services
doivent apporter de la valeur à l’activité principale des membres.
L'opérateur intégrateur. L'animation électronique d'une communauté nécessite la fourniture, à bas
prix, des services souhaités par cette communauté. Deux approches sont actuellement
perceptibles, produit ou service. Dans le cas de l'approche produit, un opérateur propose un
1 Howard Reinghold met à profit son expérience des communautés virtuelles, cf. http://www.rheingold.com/associates/.
logiciel générique de gestion de communauté, à l'exemple de club.voila.fr. A l'inverse l'approche
service est la ponse à un cahier des charges spécifique produit par l'association,. C'est ce que
proposent de nombreuses sociétés de services en informatique.
Typologie des communautés d'intérêt
Selon un travail mené par Michel Tréheux, directeur de l'innovation de France Télécom (Tréheux,
1998), les communautés d'intérêt peuvent être classées en quatre grandes catégories : communautés
dites de filière, communautés de projet, communautés de service et communautés d'affinité.
Une communauté de filière existe lorsque l'intérêt est lié à la pratique d'une activité économique
commune. L'intérêt commun est repéré soit dans le cadre d'une association professionnelle, au sein
d'une même entreprise, les financiers ou les juristes d'un grand groupe par exemple, ou autour de
l'entreprise étendue : partenaires et sous-traitants qui gravitent autour d'un objet commun, un grand
distributeur et ses fournisseurs, le réseau mondial de General Motors et ses équipementiers, etc. Ces
communautés sont généralement très structurées, et souvent hiérarchisées. Les viticulteurs du
Bordelais ne sont pas exactement les mêmes que ceux de Bourgogne, et la fédération des caves
particulières possède un niveau national et des niveaux régionaux. Il y a donc une hiérarchie entre ces
communautés et entre leurs gérants.
Le deuxième type de communauté d'intérêt est la communauté de projet : l'intérêt est la réalisation en
commun par un ensemble de personnes issues d'horizons divers d'un objet dans un espace de temps
limité. C'est la construction du tunnel sous la manche, de la Twingo, d'un ensemble d'immeubles,
l'ouverture du capital de France Télécom, etc. Le chef du projet est le gérant naturel de la
communauté, et, au travers de son rôle d'animateur, il a en charge la bonne circulation de l'information
entre les membres de son projet. Les processus de travail identifiés dans ce type de communauté sont
souvent mis en ligne.
Les communautés de services sont le troisième type de communauté. Elles apparaissent lorsqu'un
ensemble d'individus se retrouvent au travers d'un service, maintenant électronique, qui structure la
communauté par son existence même. Ce modèle a fortement émergé aux Etats-Unis avec les BBS
(Bulletin Board Systems) et en France avec le Minitel, dont on a peu perçu la valeur d'usage
extraordinaire pour créer des communautés virtuelles. Internet regorge maintenant de telles
communautés, dont on pourrait citer à l'infini les exemples. On peut également en trouver les
archétypes dans les newsgroups. Le gérant de la communauté est de facto celui qui crée le service.
Enfin, le quatrième type de communauté d'intérêt est la communauté d'affinité qui existe lorsque des
personnes partagent une caractéristique commune en apparence simple. Ce sont les Chinois en France,
les Suédois sur la Côte d'Azur, etc. La non-existence d'un gérant rend ces communautés difficiles à
aborder. On peut néanmoins affirmer que, tel un nuage de gaz qui devient étoile grâce à l'action d'une
onde gravitationnelle, de telles communautés sont potentiellement des communautés de service, grâce
à l'action d'un entrepreneur qui investirait dans un service électronique.
Une fois précisée la notion de communauté d'intérêt et évoqués les premiers travaux effectués par
France Télécom pour comprendre la structure de ces organisations, nous allons expliquer comment
Internet s'introduit sur ce marché. Alors que les services en ligne se développent rapidement, pourquoi
les communautés d'intérêt apparaissent-elles comme un espace privilégié pour favoriser le
développement du commerce électronique et des services en ligne ?
Les conditions du développement d'Internet
L'économie mondiale est de plus en plus dominée par l'accès au savoir et l'échange d'informations, et
de moins en moins par la possession de matières premières. Ce n'est plus le produit, mais le service
qui fait la différence. Or, un service est une forme de relation entre le fournisseur prestataire et son
client. Comme toute relation, les services reposent sur l'échange d'informations. Mais l’information
surabondante pose le problème de la confiance qu’on lui accorde et qui est particulièrement cruciale
sur Internet.
Développement d'Internet : pourquoi, comment ?
L'Internet des années 60 (date de naissance) à 94 (arrivée à l'adolescence) obéit à des règles très
populaires à cette époque, basées sur l'autogestion. La manière dont les normes ont été créées, ou dont
les forums de discussion sont définis, à savoir un processus de discussion limité dans le temps suivi
d'un vote, en sont des exemples parfaits. Cet esprit originel subsiste encore fortement, même s'il
commence à être dilué dans l'Internet marchand.
Citons deux exemples : l'attitude envers le spamming. Le spamming (Spam est aux Etats-Unis une
boite de corned-beef de mauvaise qualité) se produit lorsqu'un individu, une entreprise, envoie des
courriers électroniques commerciaux non désirés à des individus, dont les adresses sont souvent tirées
par analyse des groupes de discussion. Les réactions sont souvent violentes, et on a vu des cas le
"spammeur" se voyait reti toute connexion Internet. Chaque fournisseur de services sérieux offre
généralement une adresse dont le nom est abuse@… qui permet à chaque individu de se plaindre
lorsqu'il a été victime d'email non désiré. Plusieurs sites Internet sont d'ailleurs consacrés au
spamming, et expliquent en détail les droits des internautes.
Un exemple plus récent est l'affaire Altern. Rappelons brièvement les faits : un internaute scanne dans
une vieille revue des photos de Esthelle Halliday en tenue d'Eve, et les met sur son site web, lequel est
hébergé chez un étudiant plutôt pauvre, qui offre ce service d'hébergement quasiment gratuit par
passion. Esthelle Halliday se retourne contre l'hébergeur, son avocat décide d'en "faire un exemple",
et le pauvre étudiant se voit condamné à verser 400.000 francs, bien au-delà de ses capacités
financières. Les internautes, au travers de leurs diverses associations, se sont ligués pour faire plier
Esthelle Halliday2, avec au final un règlement à l’amiable. Si nous insistons sur cette origine
"libertaire", c'est que ceci a un impact fort sur le modèle économique d'Internet, ou plutôt sur la
difficulté à en trouver un. Le mot gratuit a encore un poids très fort associé à Internet.
En revanche, sur ce mouvement, se sont greffés deux détournements. Le premier est le "venture
capital", qui, pour assurer les revenus des fonds de pensions, a constamment promu des secteurs à
forte croissance potentielle. Il ne faut pas s'étonner si Yahoo, moins de 1000 employés, pèse
maintenant 27 milliards de dollars (en juin 99). Comme beaucoup d'autres services pionniers sur
Internet, Yahoo a été conçu ainsi par le capital risque ! Et comme la Silicon Valley a su créer une
superbe machine à faire de l'innovation, ceci marche très fort. Les quelques chiffres de la Silicon
Valley sont impressionnants : au premier trimestre 1999, ce sont plus de trois milliards de dollars qui
ont été investis, dont une large majorité dans Internet. Chaque projet a reçu en moyenne 8 millions de
dollars au premier trimestre, et 11 millions de dollars au second. Le record de financement est
webvan, une société qui offre un serveur pour faire ses courses sur Internet (l’équivalent de notre
Télémarket), qui vient de lever 275M$ au second tour.
Le deuxième détournement d'Internet est politique, c'est le Vice-Président des Etats-Unis Al Gore qui
y voit le vecteur du nouveau développement Américain, la nouvelle ruée vers le cyber-ouest, en
quelque sorte. D'le célèbre livre blanc de 94, dont l'importance à l'époque n'a été perçue que par
peu de gens en France. La proposition du Président Bill Clinton de faire d'Internet une zone hors taxe
est à considérer avec beaucoup de sérieux, avec le risque de déséquilibrer encore plus les échanges
économiques entre l'Europe et les Etats-Unis.
Ce qui est en train de bouleverser le paysage, c'est surtout qu'Internet est porteur non pas d'une, mais
de quatre ruptures profondes : une rupture technologique, une rupture de modèle d'investissement, une
rupture d'usage, et une rupture de modèle économique.
2 cf. http://altern.org/defense/ pour les événements, et surtout l’historique d’Altern sur http://altern.org/defense/histoire.html,
un excellent serveur pour comprendre le changement de modèle économique.
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