Les communautés d'intérêt à l'heure d'Internet Ou les barbares contre les rentiers Christine Bitouzet, France Telecom CNET-UCE, & CRG de l’Ecole Polytechnique. Serge Soudoplatoff, France Telecom Direction de l’Innovation, actuellement en création d’une startup. Introduction ................................................................................................................................ 2 Les communautés d'intérêt : constat........................................................................................... 2 Caractéristiques des communautés d'intérêt........................................................................... 2 Organisation des communautés d'intérêt ................................................................................ 3 Typologie des communautés d'intérêt .................................................................................... 4 Les conditions du développement d'Internet .............................................................................. 4 Développement d'Internet : pourquoi, comment ? ................................................................. 5 Les services sur Internet ......................................................................................................... 7 Les communautés : un espace favorable à l'émergence de nouveaux modèles économiques sur Internet........................................................................................................................................ 9 Evolution des comportements de consommation................................................................... 9 Services en ligne et communautarisme aux Etats-Unis.......................................................... 9 Communautés et création de valeur sur Internet .................................................................. 11 Communautés : un vivier d'informations sur les clients à rentabiliser................................. 12 Les communautés entre une logique barbare et une logique de rentiers .................................. 13 Bibliographie ............................................................................................................................ 15 Ressources sur Internet............................................................................................................. 16 Introduction La création de communautés est un sujet largement débattu par les acteurs d'Internet. Mais que sont ces communautés ? Des communautés se créent sur le web. On les dit virtuelles parce qu'elles apparaissent au travers des échanges électroniques. Par l'intermédiaire des forums de discussion ou de la messagerie, des personnes se rencontrent autour d'intérêts communs et se regroupent par affinité. Ainsi pour Howard Rheingold, considéré comme le précurseur des communautés en ligne avec “ The Well ”, des communautés d'intérêt entre individus sont générées par le lien électronique. En France, ce phénomène de regroupement communautaire sur Internet est plus lent qu'aux Etats-Unis à cause de la faiblesse des taux d'équipement et de la timidité des usages. Cependant, face à ces communautés nouvelles en ligne, des communautés d'intérêt, qui existent depuis longtemps dans la sphère économique et sociale, sont susceptibles d'utiliser Internet pour optimiser leurs échanges. Internet apparaît comme le moyen de promouvoir une activité, de réduire les coûts de diffusion de l'information et de favoriser le développement des échanges. Ces communautés d’intérêt sont souvent constituées par métier ou par secteur d’activité. Elles ont une tradition d'échange et de partage d'information. Surtout, elles véhiculent du sens. Les communautés constituent des segments de marché qualifiés particulièrement attractifs pour les industries de consommation. On observe, aux Etats-Unis surtout, l'arrivée de prestataires intermédiaires qui favorisent la création de communautés virtuelles en proposant des services en ligne gratuits et assoient leur position de leader sur le marché en augmentant leur audience. Le premier congrès des constructeurs de communautés ("communities builders") s'est tenu en mai 1999 à San Francisco. A l'exemple du prestataire Xoom qui héberge des pages personnelles et offre des services attractifs pour l'utilisateur final afin de gagner la première place en terme d'audience, la valeur ajoutée de ces intermédiaires est dans le traitement et l'analyse des données référencées sur les préférences et les comportements des utilisateurs. L'économie des services est fondée sur la publicité mais l'objectif est la commercialisation des données marketing directement auprès des fabricants et le développement du commerce en ligne. A l'inverse, les communautés d'intérêt qui existent depuis des siècles, en particulier en Europe, sont des lieux privilégiés où l'information circule avec confiance, où d'individuelle elle devient, grâce aux réseaux, facilement et rapidement connaissance collective. Les communautés d'intérêt permettraientelles de retrouver le sentiment de sécurité nécessaire pour réaliser des transactions sur le web ? Comment le marketing tient-il compte de ces communautés qui risquent de prendre beaucoup de valeur sur le web mais qui viennent bousculer la segmentation traditionnelle ? L'objet de l'article est de décrire les communautés d'intérêt face au développement d'Internet : les relations de confiance et les échanges au sein de communautés existantes favorisent-elles le développement des relations électroniques et l'émergence de modèles économiques sur Internet ? En insistant sur la différence entre communautés d'intérêt et services en ligne, l'objectif est de montrer les conséquences sur le marketing de l'intégration d'Internet par ces communautés. Les communautés d'intérêt : constat Caractéristiques des communautés d'intérêt Une communauté d’intérêt est un ensemble d’individus qui partagent un intérêt commun. H. Rheingold1 est le premier à avoir parlé de communauté d'intérêt dans le monde d'Internet, mais les communautés d'intérêt existent dans le monde réel depuis longtemps (Rheingold, 1993). L'Europe a une longue tradition de ligues, de syndicats, d'associations, de fédérations, qui toutes regroupent des individus autour d'un but commun. Aux Etats-Unis aussi, il existe des communautés locales et des lobbies très puissants. L'observation de ces communautés permet d'en dégager quatre caractéristiques importantes : l’existence d’échanges horizontaux à l'intérieur de ces communautés. Les individus s'appellent, s'écrivent, ont des réunions plus ou moins régulières et des bulletins de liaison interne. Le point important est la confiance qui supporte ces échanges et qui donne toute sa valeur à l’information partagée. L’information devient alors connaissance. l’existence d’un annuaire de la communauté : c'est l'existence d'un annuaire qui permet de définir les frontières de la communauté et établit la liste des membres. A titre d'exemple, celui qui crée un logiciel de jeu de bridge accessible au travers du réseau, sans se soucier de qui l'utilise, raisonne "grand public". A l’inverse, lorsque la Fédération Française de Bridge souhaite organiser ses tournois via Internet, avec identification, authentification et gestion des résultats via l’annuaire des membres, il s'agit alors bien d'une communauté. l’existence de sens : une communauté d’intérêt est d’autant plus forte qu’elle est porteuse de sens. Alors que le troisième âge ou les ados désignent une catégorie d'individus, les viticulteurs de l'Aude constituent une communauté d'intérêt. La définition du sens fait l’objet de négociations entre les membres ou résulte de la décision du fondateur gérant de la communauté. la pluri-appartenance et l’intercommunautarité : un individu appartient à plusieurs communautés en fonction des pans de son activité professionnelle, sociale et personnelle. Il faut noter que de plus en plus d’entreprises commencent à créer des communautés de clients, souvent dans le but d’alléger leur hot-line, qui sont généralement des centres de coûts élevés. Ces entreprises, souvent dans le secteur informatique, encouragent leurs clients à aller chercher la solution à leurs problèmes dans les forums Internet, qu’elles organisent elles-mêmes. Organisation des communautés d'intérêt Une communauté d’intérêt est composée d'individus qui sont les membres. Ceux-ci sont la base de la communauté, mais il y a néanmoins diverses personnes qui jouent des rôles importants pour la gestion de la communauté. Le gérant, ou le médiateur. Parmi tous les membres, il en existe un qui joue un rôle fondamental, c'est le gérant. C'est lui qui anime la communauté, qui en assure le fonctionnement, qui fait circuler l'information ou s'assure des bonnes conditions de cette circulation, qui est le gardien des valeurs morales de la communauté, bref qui lui donne du sens. Il est le garant du bon fonctionnement de la communauté, il organise les relations entre les membres, identifie les besoins en termes de services et de contenus, et se porte caution si nécessaire des informations diffusées aux membres. Le fournisseur de services et / ou de contenu. Une communauté doit être animée pour vivre, ses membres doivent avoir accès à des services, à du contenu spécifique, à des services marchands, qui proviennent de fournisseurs externes à la communauté. Pour être consommés, ces services doivent apporter de la valeur à l’activité principale des membres. L'opérateur intégrateur. L'animation électronique d'une communauté nécessite la fourniture, à bas prix, des services souhaités par cette communauté. Deux approches sont actuellement perceptibles, produit ou service. Dans le cas de l'approche produit, un opérateur propose un 1 Howard Reinghold met à profit son expérience des communautés virtuelles, cf. http://www.rheingold.com/associates/. logiciel générique de gestion de communauté, à l'exemple de club.voila.fr. A l'inverse l'approche service est la réponse à un cahier des charges spécifique produit par l'association,. C'est ce que proposent de nombreuses sociétés de services en informatique. Typologie des communautés d'intérêt Selon un travail mené par Michel Tréheux, directeur de l'innovation de France Télécom (Tréheux, 1998), les communautés d'intérêt peuvent être classées en quatre grandes catégories : communautés dites de filière, communautés de projet, communautés de service et communautés d'affinité. Une communauté de filière existe lorsque l'intérêt est lié à la pratique d'une activité économique commune. L'intérêt commun est repéré soit dans le cadre d'une association professionnelle, au sein d'une même entreprise, les financiers ou les juristes d'un grand groupe par exemple, ou autour de l'entreprise étendue : partenaires et sous-traitants qui gravitent autour d'un objet commun, un grand distributeur et ses fournisseurs, le réseau mondial de General Motors et ses équipementiers, etc. Ces communautés sont généralement très structurées, et souvent hiérarchisées. Les viticulteurs du Bordelais ne sont pas exactement les mêmes que ceux de Bourgogne, et la fédération des caves particulières possède un niveau national et des niveaux régionaux. Il y a donc une hiérarchie entre ces communautés et entre leurs gérants. Le deuxième type de communauté d'intérêt est la communauté de projet : l'intérêt est la réalisation en commun par un ensemble de personnes issues d'horizons divers d'un objet dans un espace de temps limité. C'est la construction du tunnel sous la manche, de la Twingo, d'un ensemble d'immeubles, l'ouverture du capital de France Télécom, etc. Le chef du projet est le gérant naturel de la communauté, et, au travers de son rôle d'animateur, il a en charge la bonne circulation de l'information entre les membres de son projet. Les processus de travail identifiés dans ce type de communauté sont souvent mis en ligne. Les communautés de services sont le troisième type de communauté. Elles apparaissent lorsqu'un ensemble d'individus se retrouvent au travers d'un service, maintenant électronique, qui structure la communauté par son existence même. Ce modèle a fortement émergé aux Etats-Unis avec les BBS (Bulletin Board Systems) et en France avec le Minitel, dont on a peu perçu la valeur d'usage extraordinaire pour créer des communautés virtuelles. Internet regorge maintenant de telles communautés, dont on pourrait citer à l'infini les exemples. On peut également en trouver les archétypes dans les newsgroups. Le gérant de la communauté est de facto celui qui crée le service. Enfin, le quatrième type de communauté d'intérêt est la communauté d'affinité qui existe lorsque des personnes partagent une caractéristique commune en apparence simple. Ce sont les Chinois en France, les Suédois sur la Côte d'Azur, etc. La non-existence d'un gérant rend ces communautés difficiles à aborder. On peut néanmoins affirmer que, tel un nuage de gaz qui devient étoile grâce à l'action d'une onde gravitationnelle, de telles communautés sont potentiellement des communautés de service, grâce à l'action d'un entrepreneur qui investirait dans un service électronique. Une fois précisée la notion de communauté d'intérêt et évoqués les premiers travaux effectués par France Télécom pour comprendre la structure de ces organisations, nous allons expliquer comment Internet s'introduit sur ce marché. Alors que les services en ligne se développent rapidement, pourquoi les communautés d'intérêt apparaissent-elles comme un espace privilégié pour favoriser le développement du commerce électronique et des services en ligne ? Les conditions du développement d'Internet L'économie mondiale est de plus en plus dominée par l'accès au savoir et l'échange d'informations, et de moins en moins par la possession de matières premières. Ce n'est plus le produit, mais le service qui fait la différence. Or, un service est une forme de relation entre le fournisseur prestataire et son client. Comme toute relation, les services reposent sur l'échange d'informations. Mais l’information surabondante pose le problème de la confiance qu’on lui accorde et qui est particulièrement cruciale sur Internet. Développement d'Internet : pourquoi, comment ? L'Internet des années 60 (date de naissance) à 94 (arrivée à l'adolescence) obéit à des règles très populaires à cette époque, basées sur l'autogestion. La manière dont les normes ont été créées, ou dont les forums de discussion sont définis, à savoir un processus de discussion limité dans le temps suivi d'un vote, en sont des exemples parfaits. Cet esprit originel subsiste encore fortement, même s'il commence à être dilué dans l'Internet marchand. Citons deux exemples : l'attitude envers le spamming. Le spamming (Spam est aux Etats-Unis une boite de corned-beef de mauvaise qualité) se produit lorsqu'un individu, une entreprise, envoie des courriers électroniques commerciaux non désirés à des individus, dont les adresses sont souvent tirées par analyse des groupes de discussion. Les réactions sont souvent violentes, et on a vu des cas où le "spammeur" se voyait retiré toute connexion Internet. Chaque fournisseur de services sérieux offre généralement une adresse dont le nom est abuse@… qui permet à chaque individu de se plaindre lorsqu'il a été victime d'email non désiré. Plusieurs sites Internet sont d'ailleurs consacrés au spamming, et expliquent en détail les droits des internautes. Un exemple plus récent est l'affaire Altern. Rappelons brièvement les faits : un internaute scanne dans une vieille revue des photos de Esthelle Halliday en tenue d'Eve, et les met sur son site web, lequel est hébergé chez un étudiant plutôt pauvre, qui offre ce service d'hébergement quasiment gratuit par passion. Esthelle Halliday se retourne contre l'hébergeur, son avocat décide d'en "faire un exemple", et le pauvre étudiant se voit condamné à verser 400.000 francs, bien au-delà de ses capacités financières. Les internautes, au travers de leurs diverses associations, se sont ligués pour faire plier Esthelle Halliday2, avec au final un règlement à l’amiable. Si nous insistons sur cette origine "libertaire", c'est que ceci a un impact fort sur le modèle économique d'Internet, ou plutôt sur la difficulté à en trouver un. Le mot gratuit a encore un poids très fort associé à Internet. En revanche, sur ce mouvement, se sont greffés deux détournements. Le premier est le "venture capital", qui, pour assurer les revenus des fonds de pensions, a constamment promu des secteurs à forte croissance potentielle. Il ne faut pas s'étonner si Yahoo, moins de 1000 employés, pèse maintenant 27 milliards de dollars (en juin 99). Comme beaucoup d'autres services pionniers sur Internet, Yahoo a été conçu ainsi par le capital risque ! Et comme la Silicon Valley a su créer une superbe machine à faire de l'innovation, ceci marche très fort. Les quelques chiffres de la Silicon Valley sont impressionnants : au premier trimestre 1999, ce sont plus de trois milliards de dollars qui ont été investis, dont une large majorité dans Internet. Chaque projet a reçu en moyenne 8 millions de dollars au premier trimestre, et 11 millions de dollars au second. Le record de financement est webvan, une société qui offre un serveur pour faire ses courses sur Internet (l’équivalent de notre Télémarket), qui vient de lever 275M$ au second tour. Le deuxième détournement d'Internet est politique, c'est le Vice-Président des Etats-Unis Al Gore qui y voit le vecteur du nouveau développement Américain, la nouvelle ruée vers le cyber-ouest, en quelque sorte. D'où le célèbre livre blanc de 94, dont l'importance à l'époque n'a été perçue que par peu de gens en France. La proposition du Président Bill Clinton de faire d'Internet une zone hors taxe est à considérer avec beaucoup de sérieux, avec le risque de déséquilibrer encore plus les échanges économiques entre l'Europe et les Etats-Unis. Ce qui est en train de bouleverser le paysage, c'est surtout qu'Internet est porteur non pas d'une, mais de quatre ruptures profondes : une rupture technologique, une rupture de modèle d'investissement, une rupture d'usage, et une rupture de modèle économique. 2 cf. http://altern.org/defense/ pour les événements, et surtout l’historique d’Altern sur http://altern.org/defense/histoire.html, un excellent serveur pour comprendre le changement de modèle économique. La rupture technologique. Internet est au téléphone ce que l'autoroute est au train : lorsqu'un TGV est lancé de Paris à Lyon, son trajet est planifié, on peut raisonnablement penser qu'il ne rencontrera pas de feux rouges, d'engorgement, etc. tout comme lorsqu'on appelle quelqu'un, la communication est garantie sans coupure. A l'inverse, les voitures arrivent sur l'autoroute selon des répartitions statistiques aléatoires. Si c'est engorgé, tant pis, sinon tant mieux. Internet fonctionne selon ce schéma : best effort, pas de communication préétablie, pas de réservation à l'avance. La rupture de modèle d'investissement. Le développement des télécommunications s'est effectué selon des schémas très dirigistes, qu'on trouve encore dans les programmes de R&D Européens, basés sur de la pré-allocation de finances par secteur d'activité, et une planification sur cinq ans. A l'inverse, le succès de la Silicon Valley est basé sur l’accompagnement des start-up, depuis la détection des projets, l'incubation, le venture-capital premier round, mezzanine, deuxième round, et une sortie soit au Nasdaq, soit par un rachat3. Ce modèle, très biologique, basé sur des concepts très novateurs d'émergence des formes, qui finance de nombreux projets en "laissant faire la nature" pour voir ceux qui sont efficaces, totalement opposé à l'idée de planification, a fait preuve de sa remarquable efficacité. Pour illustrer ce fait par une image forte, il faut savoir que le temps moyen entre le moment ou le futur patron pose son premier transparent, et la décision d'investir dans la start-up est de vingt minutes dans la Silicon Valley. La rupture d'usages. Là où les moyens de communications habituels (téléphone, télévision, etc.) étaient mono-usage, Internet est porteur d'une multitude d'usages latents dont beaucoup sont à découvrir encore. Il s'agit d'une nouvelle écriture, phénomène analogue à ce qui se passa quelque part entre le Tigre et l'Euphrate il y a plus de six mille ans. Internet bouleverse totalement les rapports entre les individus, et surtout entre les individus et les entreprises. Citons trois exemples : Le premier concerne les malades atteints du SIDA, qui s'échangeaient des informations via un forum spécifique. Cela a totalement changé le rapport entre les malades et les médecins, ces derniers ayant affaire à des gens qui possédaient un niveau d'information et surtout de partage d'expérience très élevé. Le deuxième exemple concerne le bug du Pentium. Lorsqu'un individu Américain a découvert le problème, il a d'abord écrit à Intel, qui lui a répondu que le pentium n'avait pas de problème. Le quidam en question a publié sur Internet son expérience, et des milliers de personnes ont pu voir qu'il y avait effectivement un bug, et surtout réagir et confirmer dans le forum. Intel a été obligé de l'admettre, car en face de lui il avait non pas un individu qui savait, non pas des milliers qui savaient, mais des milliers qui savaient que les autres savaient :une forme d'intelligence collective, selon le titre du livre de Pierre Lévy (Lévy 1994). Le troisième concerne l'offre France Télécom aux internautes, suite au discours d'Hourtin en 1997. L'opérateur offrait avec Primaliste Internet une grande réduction sur les numéros d'accès aux fournisseurs d’accès Internet. En même temps, l'opérateur est passé d'un système simple de tarification à la minute qui distinguait deux zones tarifaires, à un système à la seconde en quatre zones. Un client a fait une étude d'usages très intéressante, et montre que dans le meilleur des cas la nouvelle offre était 20% plus cher pour le client après la réforme qu'avant, et que dans le pire des cas c'était 70% plus cher. Il a publié ce résultat sur ses pages personnelles, et en a communiqué l'adresse Internet dans quelques forums de discussion français sur ce sujet. Le résultat : France Télécom a été bombardé d'email, ses forums ont été bloqués, et un site a recueilli dix mille signatures d'internautes en colère4… 3 Selon Alain Baritault (livre à paraître), le succès de la Silicon Valley s’explique également par une réaction face à Microsoft, accusé de s’être approprié toute l’innovation en informatique. La tournure du procès de Microsoft est alors bien une revanche de l’Internet… 4 Signalons au passage un élément important pour le marketing : lorsque l’on recherche France Telecom sur un annuaire comme Yahoo, on trouve également une catégorie “ Avis des consommateurs ”, qui référence, entre autres, le site de la pétition contre les tarifs de France Telecom. Ceci n’est pas spécifique à notre opérateur, par exemple chercher Walmart Dans tous les trois cas, il y a eu partage d'informations dans une communauté d'intérêt, et cette information est devenue savoir, passion, débats… Dans tous les cas, il est intéressant de voir que le côté marchand, représenté par les médecins, Intel ou France Télécom, était moins bien organisé, partageait moins d'informations, ou était plus lent à réagir, que les communautés de clients. La quatrième rupture est la plus importante, c'est la rupture du modèle économique. Il est vrai que l’économie d’Internet est encore en train de se chercher. Néanmoins, on voit se dessiner des modèles économiques nouveaux, avec des mécanismes d'achat et de revente de services à valeur ajoutée personnalisés, et le reversement d'une quote-part à tous les intervenants sur la chaîne de création de valeur. Ceci se dessine tant pour les services Internet professionnels, que pour les portails5 traditionnels, qui gèrent d'importants réseaux d’affiliés6. Cette nouvelle économie est très maillée, basée sur l’idée de partage de la valeur, et des mécanismes de fixation de prix basés sur des rapprochements offre et demande, une économie en réseau, qui est fortement dynamique (Keenan 1999). Les éléments clés de cette économie se nomment portails, réseaux d’affiliés, intermédiations et communautés d’intérêt (Maître, 1999). Les membres de la communauté, son gérant, les fournisseurs de contenu, les fournisseurs d’applications, la régie publicitaire, l’hébergeur, le fournisseur d’accès, font l’objet de flux monétaires dont la seule chose que l’on puisse dire actuellement est qu’ils seront très variés. Des mécanismes d'achat et de revente de services se mettent en place, le gérant de la communauté fonctionnant alors comme une centrale d'achat. Les modèles économiques sont différents entre l'achat et la revente, celle-ci étant fonction des profils de membres. Le gérant se rémunère au passage, avec en contrepartie une prise de risque. Ceci signifie par exemple la disparition de la quasi-unicité du modèle de tarification des services de télécommunication basé sur la durée et la distance. Ce phénomène a un impact également sur d'autres services, comme les voyages, et même l'achat de biens marchands. On voit ainsi des entreprises commencer à offrir des liens vers des agences de voyage sur leurs Intranet, avec l’intention d’en profiter pour négocier les prix. Les services sur Internet Les services qui intéressent les communautés sont en train de se développer à grande vitesse. Lorsque l'Internet est né, ce sont d'ailleurs ceux-ci qui ont existé en premier. Historiquement, les communautés électroniques sont apparues dans les années 1980, outre-Atlantique grâce à un outil informatique qui se nommait le BBS, ou Bulletin Board System (Babillard en Québécois), qui était un ordinateur que l'on appelait depuis son PC avec un modem. Le problème qui se posait alors était le coup de l'appel téléphonique longue distance, qui réservaient ces BBS à des communautés géographiques locales, jusqu'à ce que deux acteurs décident de mettre en place un réseau privé, permettant à tous les Etats-Unis, puis à toute la planète, d'accéder à l'ensemble du contenu et des outils de coopération de ces BBS. Ces deux acteurs se nommaient Compuserve et AOL. En France, on ne dira jamais assez que le Minitel, que l'on qualifiait un peu facilement de "rose", contenait également des embryons de communautés. Néanmoins, si nous sommes actuellement aveuglés par la puissance du Web, ce “ Minitel multimédia et planétaire ”, il ne faut pas oublier que les services pour les communautés ne sont pas seulement de l’accès à de l’information, mais concernent aussi du travail en commun, des processus professionnels, etc. On peut affirmer que nous ne sommes qu’à l’aube des services sur Internet, et que le nombre de ceux-ci va exploser dans les dix ans à venir. conduit, via la rubrique “ opinion des consommateurs ”, vers le site d’un individu qui raconte comment il a réussi à empêcher l’ouverture d’un magasin dans sa ville. http://www.sprawl-busters.com/ 5 Le portail est un point d’entrée sur Internet, qui offre comme service de base un moteur de recherche et un annuaire. C’est un élément fondamental de la nouvelle intermédiation. Il s’agit de la traduction du mot Anglais “ Portal ”, lequel vient de la société Portal, un ancien fournisseurs de services Internet qui vend maintenant un logiciel de facturation. 6 Yahoo a plus de cent mille affiliés. • Le courrier électronique, qui est l'élément de base de la gestion des relations horizontales entre les membres, permet à deux ou plusieurs individus d'échanger entre eux des messages, et d'y attacher des fichiers. • Le forum de discussion, qui fonctionne un peu à la manière d'un dazibao, permet à un collectif de gens de poser des questions, vues par l'ensemble de la communauté, et d'y répondre. Ce service est aussi ancien que le premier, et en 1964, le forum de discussion qui fonctionnait le mieux était celui consacré à la science-fiction. Les forums consacrés à l'informatique ont explosé, car ils intéressaient des individus qui avaient franchi l'étape de la connexion. Ce sont ces forums qui ont provoqué le tollé contre Intel (cf. supra). • Depuis 1994, des services de travail coopératif ont vu le jour, basés soit sur un partage synchrone (par exemple le “ Chat ” qui est un système de discussion en ligne ; ou les systèmes de conférence avec partage de document) ou asynchrone (accès partagé à une base de documents). • Enfin, il faut mentionner toute la logique d’intermédiation, qui a conduit le développement des portails que nous connaissons actuellement. Ils sont quasiment tous issus des moteurs de recherche sur Internet. Le problème qui se posait alors était “ comment rechercher de l’information dans cette jungle qui croît exponentiellement ”. Très vite, les moteurs de recherche ont attiré les internautes. Les sociétés ont alors compris qu’elles devaient profiter de cette audience pour développer des services annexes, a peu près tous les mêmes d’ailleurs : les cours de la bourse, la météo, les newsgroups. Puis elles se sont développées vers le commerce électronique, les voyages, le email gratuit, la cartographie, et maintenant la vente aux enchères, la gestion des “ hubs and clubs ”. Cette dernière logique de portail commence à adoucir la distinction entre les communautés et le grand public. La liste impressionnante7 des services que propose Yahoo montre qu’une bonne partie concerne les échanges horizontaux entre des membres de communautés. Le développement du concept de portail a un impact fondamental pour le marketing des entreprises, qui cherchent sur Internet à être justement le point d'entrée principal pour leurs clients. Lorsque les portails se multiplient, l’individu, de plus en plus sollicité par ces nombreux points d'entrée, risque d’être une fois de plus perdu, et aura tendance à privilégier une solution neutre lui donnant accès à toutes ses communautés. C’est l'inter-communautarité, autrement dit l'appartenance d'un individu à plusieurs communautés : une même personne fait partie d'une association professionnelle, de l'association des parents d'élèves de l'école de ses enfants, des amateurs de vin, des mélomanes. Des 7 Yahoo est le précurseur en la matière. A côté de http://www.yahoo.com le moteur de recherche, la société offre comme service : • http://mail.yahoo.com/ le courrier électronique dans le réseau • http://weather.yahoo.com/ la météo • http://sports.yahoo.com/ les sports • http://tv.yahoo.com/ les programmes de télévision • http://finance.yahoo.com/ la bourse • http://greetings.yahoo.com/ pour envoyer des cartes de vœux électroniques • http://briefcase.yahoo.com/ pour stocker ses documents dans le réseau • http://mobile.yahoo.com/ pour se connecter via un assistant personnel • http://shopping.yahoo.com/ le shopping • http://radio.yahoo.com/ pour écouter de la radio sur Internet • http://auctions.yahoo.com/ les ventes aux enchères • http://maps.yahoo.com/ le serveur cartographique • http://messenger.yahoo.com/ le “ pager ” • http://calendar.yahoo.com/ la gestion d’agenda partagé • http://travel.yahoo.com/ pour acheter des billets d’avion, réserver des hôtel, des voitures de location, etc.. • http://classifieds.yahoo.com/ les petites annonces • http://personals.yahoo.com/ la mise en relation interpersonnelle • http://games.yahoo.com/ les jeux en ligne • http://clubs.yahoo.com/ la gestion des communautés • http://chat.yahoo.com/ les discussions en ligne Yahoo est en train d’assembler tous ces services via l’annuaire des membres. En même temps que Yahoo, Digital avait lancé son propre moteur de recherche Altavista. Ce dernier n’est pas rentré dans la logique des services associés. La sanction a été sévère, Altavista a été valorisé pour zéro dollar lors du rachat de Digital par Compaq. logiciels permettant de gérer cette inter-communautarité voient tout juste le jour actuellement (Intercommunauté de Lotus, egroups et sa version française le club voilà, DigitalMe de Novell). Les communautés : un espace favorable à l'émergence de nouveaux modèles économiques sur Internet Sur la base des observations de Hagel et Armstrong, qui constatent que l'organisation en communauté correspond à un comportement générique des consommateurs sur Internet, l'objectif de cette partie est de montrer que la notion de communauté s'intègre dans une stratégie de création de valeur sur Internet (Armstrong et Hagel, 1996). Evolution des comportements de consommation Depuis le début des années 1960, les comportements des consommateurs occidentaux se sont modifiés, diversifiés, voire complexifiés. Selon Maffesoli, le nouveau consommateur est à la fois une individualité et une part d'un être collectif. Il entretient une multitude de liens intenses mais éphémères avec différentes tribus et papillonne de l'une à l'autre. Son comportement est plus particulier que collectif. Il revendique, dans un total éclectisme, des comportements à la fois raisonnés et affectifs, voire ludiques (Maffesoli, 1997). Cependant, la délocalisation croissante des échanges et la distanciation des relations interindividuelles renforcent le besoin de contacts et expliquent la montée d'une demande affective. Ainsi, comme l'explique Laut, la notion de proximité n'est pas uniquement spatiale. Elle désigne également une dimension plus diffuse et plus abstraite de contiguïté, faite de parenté, d'analogie, de liens, de ressemblance. Elle ressort d'une appartenance commune, d'une territorialité partagée, d'une communauté relationnelle qui traduirait de façon imprécise des nouveaux besoins d'affiliation et d'attraction consistant à partager tant des valeurs et des codes que des émotions (Laut, 1998). De telles modifications dans les comportements des consommateurs ont conduit les professionnels du marketing et les chercheurs à s'interroger sur les conséquences de ces contraintes sur la pratique du marketing des produits de grande consommation. Selon Badot et Cova, les propositions pour développer de nouvelles approches marketing diffèrent en fonction d'une sorte de segmentation géoculturelle (Badot et Cova, 1995). Les Américains et les anglo-saxons semblent s'orienter vers la prise en compte du consommateur comme individualité (on parle de one-to-one marketing ou de micro-marketing). L'approche dite latine parie plutôt sur des consommateurs exprimant leur singularité en papillonnant d'une communauté de consommation à une autre, d'une tribu à une autre. L'action marketing est conçue comme un vecteur de lien communautaire, par exemple en mettant sur le marché des produits et symboles destinés à favoriser les multiples appartenances tribales de chaque consommateur. Services en ligne et communautarisme aux Etats-Unis Arthur Armstrong et John Hagel ont tenté en 96 de spécifier quatre comportements génériques des consommateurs qui s'inscrivaient bien au sein de communautés électroniques sur Internet : la réalisation d'une transaction, l'identification à des objectifs communs, la création d'environnements imaginaires ou nouveaux, et le partage d'expériences communes. Le premier type de comportement se focalise sur l'achat et la vente de produits et services et vise la réalisation d'une transaction. Les partenaires sont encouragés à interagir les uns avec les autres pour échanger des informations et générer des transactions, et à ce titre ils créent une communauté. Les visiteurs occasionnels de ces communautés peuvent acheter par exemple une voiture d'occasion sur le conseil des membres de la communauté. Ainsi, la communauté génère de l'information sur les transactions elles-mêmes. Mais elle n'est pas une communauté au sens traditionnel car les membres n'ont pas entre eux des relations naturelles. Le gérant d'une telle communauté n'est pas nécessairement un vendeur. Il peut être l'organisateur du marché en permettant à un grand nombre d'offreurs et de clients de se rencontrer et en facilitant les transactions. Le deuxième type de comportement identifié par Armstrong et Hagel est le besoin des consommateurs de se retrouver au sein de communautés d'intérêt qui rassemblent des personnes qui interagissent de manière intensive sur des sujets précis. Les communautés d'intérêt supposent plus de communication interpersonnelle que les communautés de transaction. Un troisième type de comportement est repéré au sein des communautés de jeux qui créent des environnements nouveaux, des personnalités ou des histoires extraordinaires. Enfin, le quatrième type de comportement est celui que l'on observe dans les communautés d'affinité où les gens se retrouvent autour de certaines expériences de vie qui sont parfois très intenses et peuvent créer des relations fortes entre les personnes. Armstrong et Hagel ne conçoivent pas ces autres formes de communautés de manière exclusive. En effet, un internaute peut être à la fois intéressé par réaliser des transactions, impliqué dans des relations interpersonnelles très fortes via le réseau électronique, amusé par les environnements nouveaux et les jeux à plusieurs dimensions, et curieux de rencontrer des inconnus en partageant sur le web un centre d'intérêt commun. Pour Armstrong et Hagel, les communautés virtuelles sont un espace privilégié pour que se développe un marketing relationnel nécessaire à l’optimisation des projets de commerce électronique. Ils préconisent depuis 1995 d'encourager le développement des relations entre les clients des prestataires de services en ligne qui constituent ainsi des communautés. Amazon par exemple invite ses clients à donner sur chaque livre leur avis critique qui est publié en ligne et peut être consulté par tous les visiteurs du site. Des relations de confiance entre clients peuvent se développer comme dans la communauté créée par eBay, un service d'enchères en ligne. Dans cette communauté, les membres sont à la fois clients et offreurs de produits mis à prix pour la vente aux enchères. Les produits sont évalués et mis en vente en ligne selon le système bien connu chez nous de vente aux enchères à la bougie, c’est-à-dire avec une date limite. Les acheteurs potentiels ont ainsi la possibilité d'exprimer leur offre en direct. Le site garde la trace des ventes effectuées, ce qui permet aussi d'alimenter la confiance entre les membres qui est nécessaire à la réalisation des transactions. Surtout, les clients se notent les uns les autres, en fonction de critères tels que la conformité du produit à l'annonce, le respect des délais de livraison et la rapidité du paiement. Cependant ces relations transversales entre clients restent limitées. En cas de mécontentement, un client n'hésite pas à s'exprimer violemment, mais le fait de publier un tel message n'engendre pas véritablement d'échange ni de discussion comme dans un forum ou encore dans la communauté The Well, fondée sur l'existence d'affinités entre les membres. Comme le montre le rapport Rubric (Rubric, 1999) qui a précisément étudié les relations clients des plus grands sites de commerce en ligne, les préconisations de Hagel et Armstrong sont rarement suivies d'effets : • les sites de commerce électroniques ne sont pas pro-actifs dans la promotion et la vente croisée de produits : 47% ne demandent pas aux acheteurs s’ils souhaitent de l'information sur des marchandises en relation avec leurs achats, seulement 16% des sites envoient un courrier électronique à leurs clients dans les 30 jours qui suivent l'acte d'achat. Au contraire, les acheteurs indiquent que la personnalisation et le marketing croisé pourraient influencer leur propension à acheter ; • les sites de commerce électronique ne personnalisent pas leurs offres afin de fidéliser les clients ; • ils n'essaient pas de construire des relations durables avec leurs clients. Un quart seulement des sites reconnaissent un client qui a déjà acheté sur le site ; • les sites de commerce électronique ne communiquent pas réellement avec les clients. Alors que 57% des sites fournissent en libre service un moyen à leurs clients de vérifier la commande en cours sur le site web, 40% des sites ne répondent pas aux demandes par courrier électronique. Il n'est donc pas si facile de créer un sentiment communautaire et de développer des échanges transversaux à partir des seuls liens électroniques ! Communautés et création de valeur sur Internet La section précédente a montré que l'organisation en communauté correspond aux comportements des consommateurs observés sur Internet. Mais comment l'existence de ces communautés s'intègre-t-elle dans une stratégie de création de valeur pour l'entreprise ? Selon Richard A. Segal Jr., président de l'agence de publicité Hensley, sans une stratégie de création de valeur, les projets de commerce électronique vont seulement accélérer la standardisation des produits et services (Segal 1999). Le développement des échanges électroniques permet en effet de comparer les produits en ligne de manière plus efficace et d’automatiser la négociation ; il entraîne la disparition de certains intermédiaires et la réduction des coûts de livraison et encourage les consommateurs à exiger une baisse des prix. Pour que le commerce électronique se développe pleinement, il faut rentabiliser davantage l’investissement réalisé sur les clients et les prospects, et aller plus loin que des prix minima et des spécifications correctes en offrant des services innovants et adaptés au profil de ses clients, avant d'en chercher de nouveaux. Dans cette perspective, Richard A. Segal Jr. préconise de commencer par valoriser chaque client en identifiant la plus-value réalisée par rapport à l'investissement humain, technique et financier. L'objectif est ensuite d'augmenter la valeur de chaque client. L'existence de communautés de clients permet de travailler sur la valeur de chaque segment, délimité par la communauté, ce qui est plus facile. Néanmoins, le débat marketing fondamental est de savoir comment naissent et évoluent ces communautés de clients. L'analyse marketing nous invite à distinguer les communautés d'acheteurs constituées autour de services en ligne et les communautés d'intérêt organisées off line. L'approche marketing traditionnelle conduit à délimiter des segments qui ne sont en fait que des groupes de consommateurs sans relation particulière les uns avec les autres. Dans la même ligne, la méthode présentée dans Netgain, vise à favoriser la création de liens entre des clients qui, a priori, ne se connaissaient pas (Armstrong et Hagel, 1997). A cause de ces liens, une communauté n’est plus assimilable à du marketing sectoriel. Dans un premier temps, les entreprises présentes sur Internet créent une communauté virtuelle entre leurs clients en permettant aux consommateurs potentiels d’échanger de l’information sur le prix et la qualité d’un produit. Il s'agit d'encourager les relations transversales sans intervention du marchand. Pour cela, il faut donner la priorité aux intérêts de l’acheteur en lui donnant des informations sur les produits concurrents, faciliter les discussions entre consommateurs sur un produit ou un service. Ainsi, les vendeurs eux-mêmes n’ont rapidement pas d’autre choix que de participer à ces communautés ; et les clients n'ont d'autre choix que celui d'accepter les vendeurs dans leur communauté. La création de liens électroniques avec les clients permet de gagner de l’audience et de la notoriété sur Internet, il faut ensuite pérenniser ces liens en fidélisant les clients. Gene Koprowski indique dans Marketing Tools que la fidélisation est basée sur la relation développée par une entreprise avec ses clients, dans un environnement suffisamment personnalisé pour que l’individu se sente mieux considéré qu’un consommateur perdu dans un marché de masse (Koprokowski 1998). Les membres d’une communauté virtuelle sont d’autant plus enclins à être fidèles au sponsor du site qu’ils ont un double moyen de partager l’information sur leurs besoins et leurs expériences des produits et services, avec les autres clients membres de la communauté et au travers d'une relation personnalisée avec le marchand. Les communautés électroniques nouvelles se développent rapidement, surtout aux Etats-Unis, grâce à la facilité d'adhésion (il suffit dans bien des cas de s'enregistrer en ligne, et la vérification des informations est faible, parfois inexistante) et à la dynamique du marché qui crée un effet d'entraînement. Yahoo, Xoom, Excite, Lycos, en sont des exemples classiques, tous construits autour de l’idée primitive du moteur de recherche. Cependant, les membres de ces communautés ne sont pas tenus par une relation de fidélité et de confiance comme dans les communautés d'intérêt traditionnelles. Celles-ci constituent en effet un espace privilégié, leurs membres se rencontrent régulièrement et entretiennent des relations de confiance durables. Les échanges sont nombreux et multilatéraux. La problématique de ces communautés est bien différente de celles des services en ligne qui cherchent à produire un sentiment d'appartenance symbolique. Plus ou moins bien équipées en matériel informatique et en moyens de télécommunications performants, les communautés d'intérêt traditionnelles manquent d'expérience, ou d'assistance, pour imaginer de quelles manières exploiter leur patrimoine en termes de savoir et savoir-faire partagés. Quel est l'impact de l'introduction de nouveaux outils Internet sur ces organisations, sur les relations humaines et sur les processus de travail ? Est-ce que les communautés d’intérêt favorisent le développement des échanges sous forme électronique et/ou l'émergence de modèles économiques rentables sur Internet ? Malgré la permanence des relations entre les membres et leur fidélité à la communauté liée à un sentiment d’appartenance fort, les communautés réagissent à l'expérimentation et à la mise en œuvre des moyens d'échanges électroniques en particulier sur Internet : difficultés de mise en œuvre, transformation des liens réels en liens virtuels, dissolution du lien communautaire, intensification des échanges… Communautés : un vivier d'informations sur les clients à rentabiliser Dans la section précédente, nous avons montré que l'existence de liens communautaires forts génère de la valeur grâce au climat de confiance entre les membres, qui est favorable au développement des échanges. Nous allons voir maintenant que toute communauté qui possède des informations sur ses membres constitue un vivier exploitable facilement dans un monde électronique interconnecté. L’intensité des échanges au sein d’une communauté constitue un capital d’informations très intéressant sur le profil des membres de la communauté. C'est là que se rejoignent les différentes approches anglo-saxonnes et latines du lien communautaire. L’hébergeur d’une communauté en ligne, quelle qu'elle soit, peut traiter et capitaliser l'information sur chacun de ses clients afin de lui offrir des produits et services sur mesure adaptés à ses attentes spécifiques, ou révélant parfois de manière artificielle des besoins non exprimés. Pour cela, l'opérateur doit construire un système d'information apprenant, c'est-à-dire une base de données susceptible de s'enrichir tous les jours en fonction de nouvelles informations, ou bien des résultats du data-mining. Ainsi la structure de la base est amenée à être modifiée pour permettre des interrogations différentes et nouvelles. La question que se pose en permanence un marchand sur Internet à partir des bases d'informations dont ils disposent sur ses clients est : quel produit vais-je pouvoir vendre à ce client précis ? Ce processus est original car le plus souvent le marchand sur Internet n'est pas le producteur. Il ne gère pas non plus de stock, mais se contente de jouer le rôle d'intermédiaire entre l'offre et la demande. Toute sa valeur ajoutée se situe dans l'organisation et le traitement de sa base de donnés clients qu'il peut aussi croiser avec d'autres bases qui existent depuis longtemps pour le marketing direct hors Internet. Par exemple Xoom se définit comme une plate-forme tendant vers le "0 gravity", c’est-à-dire gardant un contact vers le client via Internet, mais envoyant des ordres d’achat électronique vers les systèmes d’informations des sociétés fournisseurs de biens, charges à elles d’en assurer les aspects logistiques. Hébergeant gratuitement des pages personnelles en 95, Xoom a progressivement enrichi son offre de services en ligne gratuits afin d'augmenter son audience mondiale sur Internet, d'améliorer sa connaissance des clients en définissant le profil de chacun d'entre eux, d'affiner ses méthodes d'interrogation des bases d'informations afin de pouvoir en définitive provoquer des achats non planifiés, “ à la manière des têtes de gondole dans les supermarchés ” (expression utilisée par Laurent Massa, PDG de Xoom). Cette forme de marketing direct par le courrier électronique a des taux de retour très impressionnants par rapport aux techniques classiques. En définitive le marketing direct vers les membres d’une communauté contribue à augmenter la valeur de chaque client. Il s'agit de combiner la personnalisation des offres avec le marketing de masse et la définition a priori de segments cibles pour accroître la marge. A ce stade, les entreprises cherchent aussi à transformer les visiteurs de leur site web en clients actifs en croisant leurs profils avec des données externes et en leur adressant en mode push des arguments de vente personnalisés. La communauté constitue en définitive une base de données clients très bien renseignée où le bouche à oreille fonctionne d'autant mieux que les relations transversales entre clients sont intenses. On voit bien ainsi la valeur ajoutée des communautés d'intérêt pour développer les transactions. En amont de la chaîne côté fournisseurs, la création de communautés virtuelles permet de définir d'un commun accord une répartition de la valeur créée. Les communautés d'affiliés à un site marchand sont un exemple de communauté virtuelle professionnelle : les affiliés sont des partenaires commerciaux associés sur le site au moyen d'une bannière, d'un lien, ou d'un espace réservé. La gestion des sites affiliés à un site marchand consiste à définir le mode de présence de chaque partenaire (bannière, logo, lien, ..) et le calcul de sa rémunération (forfait, pourcentage par rapport au nombre de visites ou au chiffre d'affaires généré, …) et à élaborer un programme d'affiliation pour encourager les rapporteurs d'affaires à investir dans la promotion et la vente des produits de leur partenaire et organiser des événements communs (promotions, ventes groupées...). Les sites affiliés sont choisis en général pour la proximité de leur cible avec celle du site leader, ou l'intérêt stratégique que présente le développement d'un nouveau segment de marchés. Dans cet exemple, la constitution d'une communauté virtuelle par l'entreprise leader permet de gérer de manière électronique des relations de partenariat qui se déploient autant dans l'espace virtuel (définition des espaces promotionnels, place des bannières sur le site, …) que dans le monde réel : les flux financiers qui concernent la publicité et la promotion en ligne sont déjà très importants, alors que la vente en ligne se heurte encore à de nombreux problèmes organisationnels (sécurité des échanges, moyens de paiement, facturation…). Là encore lorsqu'une communauté d'intérêt existe déjà entre des entreprises qui font des affaires ensemble, la gestion de leurs relations de partenariat sur Internet permet d'automatiser les processus et d'organiser davantage d'événements conjoints. Ainsi, l'existence de liens communautaires forts, fondés sur un intérêt commun et qui créent entre les membres la confiance et un sentiment d'appartenance, favorise le développement des échanges électroniques. Les communautés constituent un environnement propice à la recherche de rentabilité et à l'émergence de nouveaux modèles économiques sur Internet. Les communautés entre une logique barbare et une logique de rentiers Un combat est en train se mener autour des communautés d'intérêt, entre les offreurs de solution vers les communautés traditionnelles, riches de passé, mais avec des difficultés plus ou moins marquées à se transformer, et les nouveaux offreurs de services sur Internet, qu'ils soient portails généralistes comme Yahoo, Excite, ou Xoom, ou bien services spécifiques comme Ebay, Delphi, le Club Voilà, etc. Xoom s'intéresse aux "hubs and clubs", communautés professionnelles des avocats, médecins, agriculteurs, qui commencent à se voir offrir des services spécifiques sur ces portails. AOL possède 18 millions d'abonnés enregistrés, dont probablement 200 000 à 300 000 médecins qui ont déjà leurs propres services. Face à cela, France Telecom propose des services bientôt accessibles à toutes les catégories de professionnels : médecins, spécialistes, infirmières, pharmacien. Il s’agit des offres de raccordements (Liberalis), des services accessibles via le portail Egora, et de la possibilité d’envoyer et recevoir des feuilles de soins électroniques avec un logiciel éditeur agréé par la Caisse Nationale d’Assurance Maladie intégré dans l’offre Wanadoo Santé. France Télécom travaille avec les représentants des différentes professions du secteur pour définir et mettre en place ces services qui se greffent sur le Réseau Santé Social (RSS). Quel est le paysage qui se dessine actuellement ? On voit bien émerger deux extrêmes de modèles communautaires. Le premier est celui des communautés construites à partir d’un portail. Le sens en est donné par l’augmentation du commerce électronique, via l’amélioration de la connaissance du client grâce au suivi de ses usages, facilité par l’électronique (et surtout aux Etats-Unis par la législation qui permet de croiser tout et n’importe quoi ; par exemple le croisement avec la base de données sur les accidents de voiture…). Les membres sont attirés par la convivialité et des services gratuits, mais la communication entre les membres est plutôt pauvre. Il s’agit bien d’une logique de barbares, sans passé, qui vise l’audience via la captation de clients avec des méthodes marketing parfois agressives. L’exemple le plus sauvage est buy.com, dont la valeur créée se traduit par le mot d'ordre : “ tout au prix le plus bas ”. Si on trouve moins cher dans les sept jours, buy.com propose ce prix moins 10%. Le deuxième modèle est celui de la mise sur Internet des communautés déjà constituées, dans une vision plus professionnelle. Le sens en est la fidélisation des membres de la communauté, par l’apport de services permettant à chacun d’améliorer son travail au quotidien, au travers de la facilitation du partage d’informations, de la mise à disposition d’outils sous-tendant les processus de travail. Un exemple typique est les associations de viticulteurs, dont un des soucis est de mieux résister au “ harcèlement textuel ” de la Commission Européenne, en permettant aux membres de mieux comprendre les impacts des textes et règlements pour leur activité ; et, pourquoi pas, à terme, de pouvoir échanger avec les fonctionnaires au niveau du processus de fabrication de ces règlements. Il s’agit bien d’une logique de rentier, qui consiste à continuer de capitaliser sur les acquis d’un passé lointain, qui a permis de réaliser dans le temps un climat de confiance. Logique de barbare Logique de rentier Promoteur au centre Multiples acteurs Ticket d’entrée technologique faible (ce sont déjà Coût d’entrée élevé (apprendre à se servir d’un des internautes) ordinateur et à se connecter) Economie basée sur l’audience Economie basée sur la répartition de la valeur ajoutée Services gratuits et généralistes Services professionnels et payants Entrée facile, mais fidélisation faible Entrée sélective, fidélisation forte But : commerce électronique But : fidélisation des membres Tableau 1 : comparaison entre les logiques de barbares et les logiques de rentier Des modes d'organisation de communautés apparaissent aussi qui combinent la logique barbare qui consiste à offrir des services en ligne simples à utiliser par tous, et la constitution d'espaces réservés à des communautés d'intérêt avec des services ad hoc. C'est une manière d'utiliser la dynamique des barbares et de valoriser le patrimoine des rentiers. Par exemple Business-Village.com et B2B.fr, qui se présentent comme des sites de référence pour les professionnels. Les visiteurs doivent s'identifier, c'est-à-dire enregistrer leurs coordonnées dans l'annuaire du site, pour accéder à des services génériques, informations thématiques avec possibilité de construire un journal personnalisé, consultation d'appels d'offres et traduction de document. Ces services sont parfois payants. Ils peuvent aussi reposer sur des partenariats comme Télépost de La Poste qui permet d'envoyer au choix un courrier sous format papier, électronique, fax ou messages EDI. Les partenariats supposent que l’organisateur de la communauté s’entende avec le fournisseur de services sur un mode de calcul et de reversement d'une quote-part du chiffre d'affaires généré. Business-Village et B2B hébergent aussi des services destinés à des communautés spécifiques, dont l'accès peut être totalement protégé et réservé aux membres de la communauté, ceux-ci décidant de l'adhésion de nouveaux membres. Il peut s'agir aussi de communautés ouvertes fédérées autour d'un thème transversal à plusieurs professions et accessibles à tous les clients du site sur simple déclaration de leur centre d'intérêt, comme on visite un salon professionnel. Ainsi, les professionnels membres de la “ communauté-mère ”, Business-Village ou B2B, peuvent aussi adhérer à une ou plusieurs souscommunautés. L’utilisation croissante des services en ligne génériques est susceptible de révéler une demande pour des prestations sur-mesure sur un espace réservé, et donc la création de souscommunautés. Un autre mode de convergence entre logique de barbares et logique de rentiers est l'évolution constatée aux Etats-Unis des portails B to B vers des portails verticaux dits de communautés. Structurés par secteur d'activité ou par métier, ces portails proposent une documentation très complète sur les produits de la branche et offrent des services gratuits d'échange d'informations et de communication au sein de la communauté. Par rapport aux portails généralistes, leur avantage est de constituer des cibles marketing plus étroites, plus pérennes du fait de l'existence de liens interentreprises, et donc plus faciles à fidéliser par le commerce électronique. Les trois points fondamentaux sur lesquels s’appuie le développement des communautés d’intérêt sur Internet sont l’annuaire qui permet de gérer différents niveaux d’accès et qui est le point de départ d’une base de données qualifiée de clients membres de la communauté ; le service client (gestion des membres, valorisation des services, gestion comptable et facturation) qui est assuré en partie par le représentant ou le gérant de la communauté d’intérêt, et en partie par l’hébergeur ; l’organisation des relations entre les acteurs de la chaîne de valeur et le calcul de la répartition de la valeur ajoutée. Les gagnants du combat entre les barbares et les rentiers seront les premiers à maîtriser ces trois fonctions. L’enjeu est de taille : pour les uns, être un distributeur au niveau planétaire ; pour les autres, fidéliser une population autour d’intérêts communs. L’outil Internet est fantastique, et son potentiel est à peine révélé, et surtout, il est porteur à la fois d’une nouvelle économie, basée sur une répartition de la valeur ajoutée puissante, mais aussi d’une nouvelle société, basée sur une plus grande richesse dans les rapports humains. Le terrain de jeu est mondial, le jeu est très rapide, les acteurs sont nombreux, et les petits ont leur chance. C’est un débat passionnant qui se profile. Bibliographie Badot O. et Cova B.(1995), Communauté et consommation : prospective pour un marketing tribal, in Revue Française du Marketing, ADETEM, n°151, pp. 5-17. Cova B. (1995), Au-delà du marché : quand le lien importe plus que le bien, Coll. Dynamiques d'entreprises, L'Harmattan, Paris Goldfinger C. (1998), Travail et Hors-travail. Editions Odile Jacob Hagel III J. et Armstrong A. (1996), The Real Value of On-Line Communities, in Harvard Business Review (May-June), pp.134-141. Hagel III J. et Armstrong A. 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