Les inégalités existantes entre pays riches et pays pauvres ont donné jusqu’aux
années 1980 au libéralisme une marge d’action suffisante pour prospérer. Mais
depuis, la mondialisation de l’économie remet en cause les équilibres sur lesquels la
croissance était fondée jusque-là : la croissance faiblit à l’échelon mondial. Or, bien
qu’il y ait aujourd’hui moins de croissance, moins de richesses produites, le gaspillage
libéral se poursuit et on assiste à cet invraisemblable paradoxe que, dans un
contexte économique pourtant difficile, les plus riches continuent de s’enrichir tandis
que les plus pauvres continuent de s’appauvrir ! Ainsi, entre 2004 et 2012, le taux de
pauvreté est passé de 12,6 % à 14 % (pour un seuil de pauvreté à 60 % du niveau
de vie médian, INSEE). Et entre 2011 et 2012, les 40 % des personnes les plus
modestes ont vu leur niveau de vie diminuer entre - 0,2 % et - 0,8 %, alors qu’à
l’inverse, les 40 % des plus riches ont vu le leur augmenter entre + 0,1 % et + 0,8 %.
Bref, on assiste aujourd’hui à une surconcentration aussi bien des richesses que de
la pauvreté. Avec moins de richesses produites, le libéralisme ne peut cependant
empêcher que croissent les inégalités.
Par ailleurs, le processus de « destruction créatrice » engendré par la mondialisation,
qui met en danger la classe ouvrière comme la classe moyenne, et la perte de
pouvoir économique de l’Occident, appellent une transformation de l’économie, mais
aussi de la société. Or, c’est précisément dans ce contexte que la mutation
néolibérale anglo-saxonne a rompu dès le début des années 1980 avec le
keynésianisme et les expériences sociale-démocrates, basées sur la négociation
entre les acteurs sociaux. Fondé sur la lutte contre l’inflation et la confiance accordée
au « dynamisme économique » de la finance, ce radicalisme libéral fortement
idéologisé a renforcé tant les inégalités que la souffrance sociale, revenant sur
toutes les conquêtes sociales du XXe siècle.
Actuellement, la crise survenue en 2008 amène une fois de plus les dirigeants
politiques à réfléchir à l’aménagement du libéralisme, comme cela avait été le cas à
l’âge de la révolution industrielle au XIXe siècle ou dans la suite de la crise de 1929.
Une fois de plus, ils pensent à de petites concessions sociales ou à un renforcement
de la concurrence et des droits du consommateur. Mais finalement, devant la montée
de la tension sociale, la droite libérale aura-t-elle d’autre choix que de remettre en
cause les fondements républicains, voire démocratiques, de la nation française ? Le
rapprochement en cours d’une partie de droite avec le Front national semble
confirmer cette crainte.
Il nous semble nécessaire, au moment de réfléchir à des propositions propres à
soutenir un socialisme au service du développement humain, de bien mesurer les
dégâts provoqués par le libéralisme dans le monde d’aujourd’hui, afin d’apprécier,
voire de calculer, le véritable coût du régime économique entretenu par les
gouvernements libéraux. Si de nombreux acteurs commencent à établir une
évaluation du coût environnemental, nous voudrions ici mettre l’accent sur le coût
social du mode de développement libéral. Il faut rester prudent pour juger de
l’évolution du lien social, un lien qui n’a cessé de se transformer au cours des siècles,
mais à côté de la maladie entendue comme lésion des organes, il semble en effet
important de considérer la santé dans un sens plus large, celui de la « santé sociale
», en observant la présence envahissante de ces troubles qui minent l’individu et la
société dans son ensemble et témoignent d’une véritable « maladie sociale ».
C’est d’abord la souffrance au travail, la perte du sens au travail qui l’accompagne,
les dépressions qui s’ensuivent avec leur cortège d’arrêts de travail, de
médicalisation, de licenciements ou de démissions forcées. C’est la mobilité/flexibilité
non consentie, tant géographique que professionnelle. C’est l’exigence de résultats
individuels au-delà de ce qui est possible qui plonge le travailleur dans un permanent
sentiment d’échec et d’intranquillité, et induit une compétition perpétuelle et malsaine
avec ses collègues. Et pour incarner ces contraintes, ce sont l’évaluation individuelle
et les autres audits, les protocoles et la « démarche qualité ». L’usage de l’outil
informatique, qui participe également à la standardisation du travail, permet enfin un