dans les rues en juin 2012 et l’ont forcé à faire marche arrière.
“Un sentiment de honte”
Le voile prend-il de plus en plus de place dans l’espace public ?
L’AKP fait la promotion du voile dès l’école primaire, et au sein des institutions gouvernementales. Le
gouvernement est déterminé à multiplier dans l’espace public le nombre d’avocates, de juges ou de
physiciennes voilées, en signe de victoire de l’islam politique. J’ai peur qu’un nombre grandissant de
femmes comme moi, qui aiment s’habiller, ne le fassent désormais avec un sentiment de honte. J’ai
demandé l’été dernier à une femme voilée des pieds à la tête si elle n’avait pas trop chaud. Elle m’a
répliqué que je brûlerais en enfer, pendant qu’elle, rirait bien de moi… J’ai peur que cette mentalité
progresse. Car s’il existe un grand nombre d’intellectuelles, d’artistes ou de femmes d’entreprise turques
influentes qui combattent la vision de la femme selon l’AKP, elles sont peu mises en avant, car les médias
de masse sont aux mains des gouvernants.
« Ils souhaitent rendre la féminité invisible »
Il y a quelques semaines, Turkish Airlines interdisait le rouge à lèvres vif pour ses hôtesses,
avant de se rétracter. Qu’est-ce que cela signifie selon vous ?
Les tenants de cet islam politique sont obsédés par le corps des femmes. Ils souhaitent rendre la féminité
invisible. Ils veulent créer des modèles féminins dépourvus de sexualité. Le corps des femmes, leur
capacité à faire des enfants, tout cela doit être sous leur contrôle. L’interdiction du rouge à lèvres, c’est
un début. Le rouge à lèvres vif et ses connotations érotiques, c’est une menace, pour leurs mentalités
misogynes. Alors, oui, ils ont finalement plié… Mais là encore, c’est une stratégie. Ils ont essayé et se sont
rendu compte que la société turque n’était pas encore prête pour ça. Mais je suis persuadée qu’ils
recommenceront.
“Une tension entre les sexes”
La violence contre les femmes a explosé ces dernières années en Turquie. Comment l’expliquer
?
Selon les statistiques de la plateforme « We will stop the murders of women », les meurtres de femmes
ont augmenté de 1 400 % depuis 2003. Près de 42 % des Turques, selon des chiffres de 2009, ont déjà été
agressées, sexuellement ou physiquement. Elles se sentent aujourd’hui plus légitimes à se lever pour leurs
droits, pour gagner de l’argent, le dépenser comme bon leur semble sans le contrôle de leur mari,
demander le divorce si elles ne sont plus heureuses... Mais dans le même temps, les rôles traditionnels,
dans les manuels scolaires, par exemple, ont été renforcés depuis que l’AKP est au pouvoir. Un grand
nombre d’hommes vivent donc sous la menace de perdre leur autorité sur leurs femmes. Cette situation
créé une tension entre les sexes. Les statistiques de la plateforme montrent que sur la première moitié de
2012, 34 % des femmes qui ont été tuées l’ont été par des maris ou des ex-maris parce qu’elles avaient
demandé le divorce ; 92 % des femmes qui ont été confrontées à cette violence domestique n’ont pas
appelé les institutions à l’aide.
« Les meurtres de femmes ont augmenté de 1 400 % depuis 2003 »
Certaines ont été assassinées alors même qu’elles avaient quitté le domicile conjugal et que leur mari
avait été jugé. Cela donne l’impression aux femmes qu’elles ne peuvent pas échapper à la violence d’un