Le dollar US, progressivement devenu monnaie commune de facto des USA et de la Chine, devrait fortement remonter vis-à-vis des autres monnaies dans la mesure où sa cogestion officieuse par le G2 vient de se concrétiser. Par Pierre Leconte, président du Forum monétaire de Genève, gérant de fortune auprès de Fuchs & Associés Finance (Suisse) SA, site : www.forummonetaire.com/ De la confrontation à la coopération forcée américano-chinoise La dernière réunion des chefs d’Etat et de gouvernement du G20 les 11 et 12 novembre 2010 en Corée du Sud a pris place dans une ambiance tendue dominée par l’affrontement monétaire et commercial américano-chinois et la décision de la Federal Reserve, combattue par les Etats émergents et européens, de poursuivre sa monétisation des dettes publiques et privées US pour des centaines milliards de dollars US supplémentaires. Nonobstant la défaite électorale d’Obama et du parti démocrate aux élections législatives US qui se traduira, au mieux, par la mise en place du programme républicain et, au pire, par un complet blocage institutionnel aux USA. Mais plusieurs orientations importantes en sont sorties qui étaient déjà prévisibles depuis quelques temps. D’une part, les USA viennent d’échouer à faire accepter leur ultime manœuvre dirigiste -incompatible avec une « économie mondiale de marché » ainsi que l’a stigmatisée le ministre allemand de l’économie- consistant à fixer une norme internationale limitant autoritairement le montant des excédents de commerce extérieur (et donc, en conséquence, des réserves de change) par pays. Echec qui revient à ouvrir désormais définitivement la voie à la prépondérance monétaire de la Chine, dont lesdites réserves ne pourront que s’accroître dans l’avenir au fur et à mesure de la montée des excédents commerciaux de l’Empire du Milieu. D’autre part, les BRIC et autres pays émergents ont été réellement admis à la direction du FMI que les USA et les pays européens devront dorénavant mieux partager avec eux. FMI qui sera, toutefois, le grand perdant de ce que nous analysons comme la mise en place de la cogestion américano-chinoise du dollar US dans la mesure où la dollarisation renforcée du monde qui en sortira mettra heureusement un terme à toute émission supplémentaire de DTS par cette institution, laquelle entendait en faire l’embryon de la monnaie mondiale dirigée, dont la production inflationniste -parce que sans limite- lui aurait été confiée selon les idées socialistes keynésiennes qui semblaient redevenir d’actualité. Ensuite, les pays de la zone euro et l’Union européenne ont été exclus du véritable directoire du monde qui s’exercera désormais à 2 entre les USA et la 1 Chine, ce qui clôt toute perspective pour l’euro de se hisser comme monnaie de réserve internationale à l’égal, ou à la place du dollar US, dont le statut évident de monnaie commune des USA et de la Chine a été en pratique confirmé. Sur ce troisième point, alors que les pays de la zone euro avaient commis l’erreur d’instituer entre eux une monnaie unique remplaçant leurs monnaies nationales, au lieu de créer une monnaie commune se superposant à leurs monnaies nationales qui auraient continué d’exister (cette deuxième solution ayant permis la flexibilité indispensable à leur union monétaire dont la rigidité est à terme destructrice) ; les USA et la Chine conserveront leurs monnaies nationales, le dollar US et le yuan, sauf que le dollar US (dans lequel la Chine importe, exporte comme détient l’essentiel de ses réserves de change), leur monnaie commune et non pas unique, sera -évidemment sans le reconnaître officiellement- désormais cogérée par les deux pays. Le jour où la Chine a sauvé le dollar US Ce qui éloigne à court et moyen termes le risque de chute finale du dollar US, que les USA commençaient à redouter parce que lui faisant progressivement perdre son statut de monnaie de réserve internationale, avec le risque de ne plus pouvoir trouver de financement étranger de leurs déficits ; tout en arrangeant la Chine, dont les réserves de change en dollars US ne se déprécieront plus et qui pourra accepter, à la satisfaction des USA et du reste du monde, de conserver voire d’augmenter ses obligations américaines en dollars US, comme une réévaluation progressive de son yuan qu’elle n’aura toutefois pas à rendre convertible puisqu’il restera sa monnaie à usage domestique. Les USA n’auront donc pas besoin de recourir à un second « Quantitative Easing » aussi massif, lourd de risques inflationnistes, qu’ils avaient annoncé. Quant à la Chine, elle pourra continuer de monter ses taux d’intérêt à court terme pour limiter son inflation intérieure, ce qui fera monter les taux d’intérêt d’abord à long terme puis à court terme tant US qu’européens par effet de contagion. Ce qui éloigne, aussi, du fait de la hausse du dollar US qui devrait en résulter, le risque de généralisation de « guerre des monnaies » comme de « dévaluations compétitives » à répétition tant américaine que chinoise. Tout en permettant d’alléger le poids négatif pesant sur de nombreux pays, émergents en particulier, dont l’appréciation supplémentaire des monnaies risquait de casser la croissance économique comme de provoquer le retour des contrôles de change nationaux de nature à affaiblir le commerce international. Ce qui éloigne, enfin, pour un temps les discussions sur la réforme du Système monétaire international que la Chine et autres pays émergents, à la satisfaction des USA, ne réclameront plus puisque le G2 le contrôlera étroitement ; les 2 Japonais comme les Européens ayant pour longtemps perdu toute voix au chapitre en la matière (à moins qu’un jour l’Allemagne sorte de l’euro et reconstitue -sous une forme ou sous une autre- son ancien deutschemark auquel cas le G2 deviendrait un G3 compte tenu de la situation allemande de second ou troisième exportateur mondial). En attendant, c’est à nouveau la zone euro et sa monnaie unique qui feront l’objet de toutes les spéculations puisque sa crise d’endettement interne s’aggrave, alors qu’elle est dépourvue de tout mécanisme de gouvernance et de solidarité commune lui permettant d’en finir avec la même politique monétaire inadaptée aux situations différentes de ses Etats-membres, comme de faire payer par ses Etats les plus riches la note de la gabegie financière de ses Etats les plus pauvres. L’histoire montre que plusieurs Etats ayant conservé leur souveraineté ne peuvent pas gérer ensemble une même monnaie unique alors qu’ils peuvent gérer ensemble une monnaie commune (ce que fut l’étalon-or), de telle sorte que les Européens ne sauveront l’euro que si leurs Etats-nations se dissolvent dans un même Etat unitaire de type fédéral, ce que leurs peuples refusent. La perpétuation d’un Système monétaire international asymétrique dans lequel le lien entre la monnaie et les pouvoirs publics n’est hélas pas brisé Evidemment, le double mécanisme d’émission des monnaies fiduciaires de papier ex nihilo par les Etats et/ou les banques centrales comme de création du crédit à l’infini à partir des réserves bancaires fractionnaires, dont l’instabilité structurelle -directement à l’origine de la crise actuelle- ne sera pas réglée par la cogestion américano-chinoise du dollar US, n’est pas remis en question comme cela aurait pu se produire si la Chine était allée tout de suite vers le rétablissement de l’étalon-or pour le yuan. Et que la Russie, puis d’autres pays détenant des réserves de change importantes, avaient suivi. Solution de bon sens récemment proposée par le président de la Banque mondiale, qui voulait l’étendre aux DTS du FMI voire aux monnaies des principaux Etats, ce que les USA refuseront toujours tant qu’ils le pourront. A terme, il est, en outre, à craindre que le G2 accroisse encore sa domination asymétrique sur le reste du monde qui pourrait devoir adopter la monnaie de facto commune américano-chinoise -avec le coût de seigneuriage dont ces pays devront s’acquitter- et renoncer aux différentes monnaies nationales, lesquelles n’auront plus aucun poids par rapport au nouveau mastodonte. A moins que cette expérience de cogestion du dollar américano-chinois se révèle très conflictuelle entre les deux partenaires qui, compte tenu de leurs statuts de super-puissances opposées en permanence, auront nécessairement d’autres sujets de discordes qui perturberaient leur coopération monétaire. Auquel cas, la Chine pourrait alors instituer unilatéralement l’étalon-or au plan de la dite monnaie commune, dont elle sera nécessairement devenue le détenteur quasi 3 monopolistique, sans l’avis des USA qu’elle aura finalement installés dans une relation du même type satellitaire à son égard que celle s’étant développée entre les USA et la Grande Bretagne, des années 1920 jusqu’après la Seconde Guerre Mondiale lorsque le dollar US a pris le pas sur la livre sterling et les USA ont alors pris le contrôle des stocks d’or britanniques puis mondiaux. Quand le plus grand débiteur et le plus grand créditeur du monde gèrent ensemble (de façon informelle) la même monnaie commune émise par le premier d’entre eux, tout indique que c’est le second qui finira par contrôler l’ensemble. La conséquence au niveau des marchés financiers : l’éclatement des bulles Le changement géopolitique résultant de cette nouvelle configuration monétaire internationale est évident : c’est la perte de puissance des USA (et plus généralement de l’Occident) avec l’installation de la Chine comme leur alter ego. Mais c’est au niveau des marchés d’actions, comme des matières premières, que les plus fortes conséquences devraient se faire rapidement sentir. Dans la mesure où ces derniers sont surtout montés du fait de la chute déjà effective comme additionnelle supposée à venir- du dollar US, par suite de l’anticipation d’une création ex nihilo sans fin de nouvelles et massives liquidités aux USA, ce qui n’arrivera pas autant que prévu. L’on se dirige donc vraisemblablement vers le dégonflement plus ou moins violent de ces bulles en liaison avec une forte appréciation du dollar US et une diminution drastique des anticipations inflationnistes à court terme, en clair vers des krachs boursiers en Occident. Les métaux précieux n’auront pas à en souffrir autant que les autres marchés financiers -même s’ils baissent initialement-, puisque les réserves de change provenant des excédents de commerce extérieur de Chine et autres pays émergents continueront de s’y placer à titre de diversification ce qui entretiendra leur tendance haussière. Pour nous résumer, les USA et la Chine n’avaient pas d’autre choix que d’aboutir à une cogestion de leur monnaie commune le dollar US qui, dans un premier temps, pourrait être apparemment favorable aux USA en terme de réduction de leurs déficits commerciaux et de leur endettement. Quoi que l’on puisse en douter, puisque ces évolutions sont sans doute allées trop loin pour être corrigées parce que les USA ne sont plus capables de fabriquer la plupart des produits de consommation qu’ils importent de Chine et que la pyramide de dettes domestiques -en particulier immobilières- qu’ils ont construite n’est plus remboursable, ce qui place leur système bancaire intérieur en véritable faillite. Tout cela, à terme, signifiera la perte de contrôle de leur monnaie au profit de la Chine, laquelle l’absorbera comme le buvard boit l’encre, sans pour autant renoncer à la sienne propre qu’elle conservera prudemment à usage domestique au lieu de l’internationaliser pour éviter qu’elle devienne l’objet incontrôlé de toutes les spéculations. Quant à la valeur de la plupart des actifs financiers, 4 jusqu’ici gonflés à l’hélium du laxisme monétaire des USA, elle devrait maintenant se réduire en faisant pas mal de dégâts. 5