Approche relationnelle de l`image inconsciente du corps en

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Approche relationnelle de lʼimage inconsciente du corps en kinésithérapie respiratoire.
Résumé
La kinésithérapie respiratoire intéresse une fonction vitale, et tend à favoriser le développement dʼune relation
patient-kinésithérapeute intense. En fonction du type de pathologie et du type de technique employée, elle
permet au kinésithérapeute une écoute du vécu psychologique du patient. Elle peut devenir au cours des
séances un véritable outil qui produit une modification de lʼimage inconsciente du corps. Nous proposons ici
dʼaccompagner le kinésithérapeute dans cette modification car cette approche complémentaire est parfois
indispensable à la réussite thérapeutique. Deux types de pathologies sont évoqués : les atteintes chroniques
(BPCO 1) et les lésions séquellaires (suites de traitement anti-cancéreux).
Article
Les patients reçus pour rééducation respiratoire sont fragilisés par une maladie qui touche une de leurs fonctions
vitales. Leur vécu psychologique est teinté dʼangoisse et de dépression. Les soins que leur prodigue le
kinésithérapeute produiront le plus souvent une nette amélioration, objectivable ou subjective. La relation qui
sʼinstalle lors de ces séances est très intense car elle :
– naît dans un contexte somatique et psychologique de détresse ;
– se tisse dans le temps ;
– imbrique amélioration somatique et amélioration psychologique.
Le kinésithérapeute se trouve ainsi placé dans une position très particulière de pouvoir et de savoir sur un corps à
lʼorigine dʼémotions négatives. Ces malades ont plus ou moins brutalement perdu le souffle, et le rééducateur va
leur apprendre à le retrouver. Leur participation est activement guidée, en synergie avec les techniques
manuelles.
Un binôme patient-kiné va se former et, parfois, un certain sentiment de « dépendance » accompagnera
transitoirement ce processus. La relation va ainsi évoluer au cours des séances. Elle offre au kinésithérapeute la
possibilité dʼaccompagner ses patients sans sortir des limites de son domaine de compétences, car il sʼagit avant
tout dʼécouter. En effet, lʼécoute manuelle – qui permet dʼajuster à chaque séance la technique kinésithérapique –
peut se doubler dʼune écoute attentive de ce que le patient traverse.
La réélaboration de lʼimage inconsciente du corps est permise par la relation patient-kinésithérapeute.
Comment délimiter “la relation patient-kinésithérapeute” ?
La relation qui sʼétablit dans une situation de soins est souvent appelée “soignant-soigné”. “Cʼest avec son corps,
sa parole et son affectivité quʼon entre en relation”. Cet échange est cependant “cadré” par la situation, il ne sʼagit
pas dʼamitié mais de communication personnalisée. On peut aussi rapprocher cette relation dʼune négociation
devant aboutir à un terrain dʼentente entre le soignant et le soigné.
Dans le cas de séances de kinésithépraie, elle représente la partie intersubjective du traitement, tout ce qui ne
concerne pas purement la technique kinésithérapique. Ce qui ne serait pas identique entre deux autres
personnes dans la même pathologie : les adaptations individuelles, les encouragments ou conseils
personnalisés, la tonalité des échanges, lʼimplication du thérapeute et du patient. La relation sʼétablit à chaque
fois singulièrement, patient et kinésithérapeute forment un binôme qui évolue au cours des séances. La relation
peut permettre de dire ou entendre des éléments difficiles, intimes ou frustrants. Selon quʼelle est empathique ou
strictement professionnelle, elle supportera lʼévolution de lʼimage inconsciente du corps ou pas. En effet, pour que
cet accompagnement fonctionne, lʼécoute du kinésithérapeute est nécessaire mais pas suffisante. Seul le patient
peut sʼengager dans une évocation subjective de sa pathologie. Cʼest cette partie subjective qui permettra de
repenser lʼimage inconsciente du corps.
Lʼinteraction psychologique patient-kinésithérapeute ne peut donc pas être imposée car elle repose sur des
facteurs subjectifs et non purement objectifs. Dans certains cas, la travail relationnel ne sera pas possible, ou pas
souhaitable. Certains patients psychologiquement fragiles peuvent trouver dans une pathologie somatique un
équilibre qui pourrait se décompenser.
Le plus souvent, lʼamélioration de la fonction respiratoire produit des effets psychologiques positifs sur le patient.
Ce résultat favorise une relation de confiance du patient pour son thérapeute. Sʼil lʼaccepte, le kinésithérapeute
sera investi comme agent de lʼévolution psychosomatique. Il pourra écouter ce que le patient dit de son vécu
1 BPCO : broncho-pneumopathie chronique obstructive.
corporel en rapport avec ce qui se passe au niveau somatique, permettant au patient de sʼapproprier ce
changement de lʼimage inconsciente de son corps.
Comment définir “lʼimage inconsciente du corps » ?
Le concept dʼimage inconsciente du corps a été développé par Françoise Dolto. On peut retenir que lʼimage
inconsciente du corps est la « synthèse vivante de nos expériences émotionnelles », « portée par » le schéma
corporel. Dans les cas présentés ici, il sʼagit donc des émotions ressenties par le patient quʼil a enregistrées de
manière inconsciente dans son schéma corporel. Dolto explique la façon dont se construit ensuite le rapport dʼun
sujet au monde à partir de ses vécus somatiques : cette image inconsciente que le patient a de son corps
conditionne la façon dont il va habiter son corps et le faire fonctionner en relation avec son environnement.
Sans nécessairement approfondir la théorie, le kinésithérapeute peut utiliser ce concept pour penser ce que
traverse le patient et lʼaccompagner. Il écoute ce qui lui est dit verbalement en rapport avec ce quʼil “entend” dans
lʼévolution du traitement. Le concept dʼimage inconsciente du corps permet au kinésithérapeute de réunir ses
impressions psychologiques et somatiques concernant le patient, de se les représenter. Il peut alors devenir le
suport du travail psychosomatique quʼeffectue le patient. Cet étayage ne peut être décidé unilatéralement par le
kinésithérpeute : cʼest subjectivment que le patient développera, ou pas, une relation permettant au
kinésithérapeute cet accompagnement. Faute de quoi, lʼaction du kinésithérapeute sera vécue comme
interprétative et intrusive.
En retraçant des traitements, nous illustrerons cette évolution psychologique. On verra que chaque patient
invente un cadre psychosomatique singulier dans lequel le soignant du corps est aussi, et parfois plus, investi
imaginairement. Être sensible à cette dimension ne fait pas du kinésithérapeute un psychothérapeute mais peut
compléter utilement le traitement du patient dans sa globalité. Cet aspect psychologique, exacerbé par la nature
vitale de la respiration, est partiellement généralisable aux situations rencontrées dans dʼautres pathologies.
Les trois premiers cas présentés illustrent la notion de relation patient-kinésithérapeute; les deux derniers
approfondissent le concept dʼimage inconsciente du corps développé par Françoise Dolto.
Monsieur N.
Éléments de diagnostic pneumologique : cancer du thymus traité par chirurgie puis radiothérapie. Spirométrie
montrant une restriction post-chirurgicale et une obstruction liée au tabagisme. Dyspnéique à la marche lente.
Anamnèse : il consulte son généraliste pour une « légère fatigue » et lʼexamen radiologique montrera une
« tache » pulmonaire. Lʼablation dʼun lobe pulmonaire, du péricarde et dʼune partie du nerf phrénique est
pratiquée très rapidement, suivie dʼune radiothérapie quand un carcinome est mis en évidence. Il effectue une
première rééducation fonctionnelle respiratoire en centre spécialisé. Durant toutes ces semaines, il « cogite dur »
et ressent une « forte pression ». Il sʼapercevra plus tard quʼil est « un peu hermétique » aux explications fournies
par les soignants sur les conséquences de son traitement.
Kinésithérapie respiratoire : elle est mise en place pour traiter une dyspnée apparaissant dès lʼeffort léger.
Lors de la première séance, il prend conscience de la mobilité partielle de son diaphragme quʼil croyait totalement
paralysé. Il nʼest pas très convaincu de lʼutilité de ces séances mais il les poursuit, car il a une bonne relation
avec le kinésithérapeute. Objectivement, ses amplitudes respiratoires sʼaméliorent, ce qui justifie les séances.
Il traverse plus tard un épisode de bronchite qui nécessite des séances de drainage bronchique. Il prend alors
conscience de lʼutilité de la kinésithérapie grâce à lʼamélioration de son état.
Aspects psychologiques : pour la première fois depuis le début de sa maladie, il a « le sentiment dʼavoir une
réponse » à son inquiétude et interroge beaucoup le kinésithérapeute. Avec cet épisode de bronchite, les
angoisses liées à son cancer se répètent mais avec une intensité bien moindre. Il dira après coup avoir alors
considéré le kinésithérapeute comme « le seul représentant du monde médical », car il était celui qui apportait
une technique dont il éprouvait lʼefficacité. Il « oublie » donc inconsciemment le traitement médicochirurgical et
son bénéfice vital car ils sont associés au traumatisme de sa maladie. La confiance ainsi établie renforce la
relation soignant-soigné, tant du point de vue psychologique que somatique.
La relation patient-kinésithérapeute: au cours de la maladie, le kinésithérapeute est investi de manière très
différente selon les étapes et selon le contexte, ce qui lui permet dʼaborder avec le patient un travail relationnel
différent.
– Lors de la phase de convalescence, il est perçu comme un « technicien », ce qui indique une mise à distance
du soignant. Il sʼagit dʼun mécanisme de défense contre lʼanxiété expliquant pourquoi monsieur N. a du mal à
comprendre ce que lui dit le kinésithérapeute.
– Plus tard, lors de la rééducation en ville, il devient « seul représentant du corps médical » car, au fil du temps,
lʼangoisse diminuant, le patient comprend sa maladie. La relation peut se développer au profit dʼun
accompagnement psychologique.
Lʼépisode de bronchite, moins anxiogène et objectivement moins dangereux pour lui, permet au patient de
repenser ce quʼil a traversé. Ainsi, lorsquʼil interroge le kinésithérapeute sur son encombrement pulmonaire, cela
fait écho à une angoisse plus ancienne et plus traumatisante pour lui. Le kinésithérapeute doit répondre
patiemment car lʼenjeu de cette écoute ne concerne pas simplement un bilan actuel ; il sʼagit aujourdʼhui de
rassurer le patient sur une inquiétude quʼil a emmagasinée dans lʼimage inconsciente de son corps au cours des
mois précédents.
Le vécu corporel traumatique peut alors se réélaborer dans le cadre de la relation intersubjective : il est
« réparé » tant par les techniques de soin que par le dialogue instauré avec le kinésithérapeute.
Bilan pneumologique : eupnéique à la marche soutenue. Données spirométriques normales compte tenu des
antécédents.
Madame R.
Éléments de diagnostic pneumologique : emphysème avec bronchite chronique et exacerbations fréquentes.
Spirométrie montrant un déficit ventilatoire obstructif. Dyspnéique et désaturante à la marche lente.
Anamnèse : a « pratiquement toujours eu la notion dʼune gêne respiratoire ». Elle fume très jeune et jusquʼà trois
paquets par jour. Elle a pris conscience que son tabagisme recouvrait une problématique psychologique
importante, teintée dʼangoisse, de tristesse et de révolte. Kinésithérapie respiratoire : elle présente une respiration cervico-scapulaire avec tirage quasi permanent et des
amplitudes respiratoires très limitées. Compte tenu des éléments de lʼanamnèse, ces deux critères peuvent indiquer : – une angoisse (sentiment dʼoppression respiratoire et tension cervico-scapulaire permanente) ;
– une tristesse (diminution des amplitudes respiratoires, perte de lʼélan vital).
Les techniques proposées consistent en : – des massages décontracturants visant le relâchement des muscles inspirateurs accessoires, accompagnés
dʼune écoute manuelle (avec feed-back verbal) ;
– un réveil puis un renforcement de la respiration diaphragmatique.
Ces techniques sont expliquées et justifiées. Les exercices indiqués sont rapidement acquis, réalisés
régulièrement et bientôt automatisés.
Aspects psychologiques : il nʼest pas nécessaire dʼassocier les émotions du patient à lʼécoute manuelle lors des
premières séances car cette interprétation pourrait être vécue comme intrusive : la patiente vient pour une plainte
somatique et non psychologique. La pensée du kinésithérapeute doit rester néanmoins vigilante. Ses conseils et
ses indications peuvent transmettre une réponse aux émotions que le corps semble exprimer : encouragements,
prise de conscience, mesures objectives favorisent lʼévolution pneumologique dʼune part et le désinvestissement
psychologique de la maladie pulmonaire dʼautre part. Une spirométrie qui sʼaméliore est en effet moins triste et
angoissante pour le patient.
La relation patient-kinésithérapeute : lʼévolution du rapport de la patiente avec sa pathologie respiratoire est
soutenue par la relation au kinésithérapeute : elle lui permet de reprendre confiance dans sa fonction respiratoire.
Lʼanxiété peut ainsi se « détacher » du poumon et se travailler psychiquement. Lʼinquiétude quʼelle avait pour sa
respiration était la représentation somatique dʼune problématique anxieuse. La patiente retrouve à son rythme les
émotions qui sʼétaient traduites en automatismes corporels. Lʼimage inconsciente du corps se modifie, les
émotions liées au vécu passé peuvent se réélaborer, voire se dire. Elle se rendra ainsi compte que son
emphysème « lui a permis de prendre enfin soin dʼelle ». Ces techniques peuvent sʼintégrer dans une pratique de
type yoga ou sophrologie sans kinésithérapeute. Le rééducateur doit « prévoir » la fin de cette relation pour ne
pas créer de dépendance. Lʼautonomisation psychologique est ainsi recherchée dès le début du traitement,
quand elle est somatiquement possible. Il est parfois complémentaire dʼadresser le patient à un professionnel de
lʼécoute si lʼévolution psychologique nʼest pas favorable.
Bilan pneumologique : stabilisation de lʼévolution de lʼemphysème avec une amélioration du VEMS2 qui passe de
1,14 à 1,22 en deux ans. Eupnéique à la marche soutenue.
Madame V.
Éléments de diagnostic pneumologique : bronchectasie et dilatation des bronches dʼétiologies non élucidées avec
épisodes dʼexacerbation infectieuse.
Anamnèse : est longtemps sans symptôme respiratoire, une toux non productive ne se révélant que vers la
trentaine. Antécédent dʼhémoptysie après une grossesse, et épisodes dʼinfections.
Kinésithérapie respiratoire : elle est mise en place pour un drainage bronchique et lʼamélioration des amplitudes
respiratoires : AFE3 , apprentissage de lʼauto-drainage, renforcement des amplitudes respiratoires par guidance et
résistance manuelles.
Aspects psychologiques : contexte de fatigue et de stress professionnel intenses. Les séances de kinésithérapie
sont « épuisantes, pas naturelles, mais mʼobligent à mʼobserver ». Elle « oublie » ses exercices, ce qui entraîne
souvent un épisode dʼexacerbation. Au cours de ce travail, la patiente se rend compte que « le stress bloque la
respiration ». Les rendez-vous ont donc pour objectif de maintenir la vigilance de la patiente sur sa respiration
pour prévenir les infections et favoriser lʼautomatisation dʼune respiration dʼamplitude suffisante.
La relation patient-kinésithérapeute : a porté principalement sur le soutien et la motivation de lʼinvestissement de
la fonction respiratoire.
La confiance initiale sʼétablit sur le constat suivant : lorsque la patiente réalise régulièrement ses exercices
respiratoires, elle ne fait pas dʼépisode de surinfection.
À chaque séance, un cycle dʼAFE est réalisé avec aide et contrôle. Le bilan communiqué par le kinésithérapeute
peut être un satisfecit avec un prochain rendez-vous à cinq semaines ou un constat de dégradation et une
nouvelle séance quelques jours plus tard. Ce diagnostic partagé rend le contrôle motivant, car il complète lʼautoévaluation. Il permet à madame V. de distinguer son inquiétude « psychologique » et une éventuelle dégradation
pulmonaire. Car malgré sa bonne volonté, la patiente tendra à oublier les contraintes que lui impose sa maladie.
Ce désinvestissement peut sʼamplifier dans un contexte de stress. Cʼest dans la durée et grâce à la solidité de la relation que le rééducateur peut renforcer progressivement
lʼinvestissement respiratoire. Il doit adapter ses conseils au mode de vie de la patiente en sʼinterrogeant avec elle
afin quʼelle sʼapproprie « sa » façon de bien se traiter. Dans le cas de madame V., cʼest finalement la natation à
lʼheure de la pause déjeuner qui représente le meilleur ratio bénéfice/contrainte pour entretenir sa capacité
respiratoire.
Le kinésithérapeute intervient ici comme interprète du symptôme somatique pour le différencier dʼune
composante psychologique : il sʼagit pour lui de distinguer ce qui relèverait dʼun investissement un peu dépressif
de lʼimage inconsciente du corps ou dʼune composante dépressive évoluant pour son propre compte. Une fois
cette distinction faite, le patient a la possibilité de se tourner, sʼil le souhaite, vers un professionnel de lʼécoute.
Bilan pneumologique : sevrage complet du traitement intrapulmonnaire.
Madame C.
Éléments de diagnostic pneumologique : fibrose pulmonaire localisée post-radique avec épisodes dʼexacerbation.
Spirométrie normale compte tenu de lʼobstruction distale, mais discordante avec la gêne fonctionnelle.
Anamnèse : après chimiothérapie et radiothérapie dʼun cancer du sein, une capsulite rétractile de lʼépaule
sʼinstalle. La fonction respiratoire ne semble pas touchée. La gêne fonctionnelle reste discrète pendant 17 ans
avant la survenue dʼépisodes dʼexacerbation avec dyspnée majeure. Cʼest seulement 28 ans après la
radiothérapie que la patiente demande des séances de kinésithérapie. Elle ne connaissait que le « clapping », ce
qui lui faisait peur.
2 VEMS : volume expiré maximal par seconde.
3 AFE : accélérations du flux expiratoire.
Kinésithérapie respiratoire : à lʼexamen, sa respiration spontanée est presque exclusivement abdominale, avec
une très faible participation du thorax. Une vidéo est réalisée pour lui en faire prendre conscience. Elle décrit des
douleurs, apparues après la radiothérapie, situées autour du plastron sternal qui inhibent sa respiration
thoracique.
Par guidance manuelle, le kinésithérapeute lʼincite à essayer de développer les différents niveaux inspiratoires.
Cette ancienne orthophoniste « découvre la différence entre la respiration thoracique et abdominale ». Deux
séances sont consacrées à cette prise de conscience, et déclenchent une augmentation des douleurs
thoraciques. À sa demande, nous espaçons les séances dʼune à deux semaines. Progressivement, la mobilité
thoracique sʼaméliore et les douleurs diminuent.
Aspects psychologiques : interrogée sur ses douleurs, madame C. raconte sa peur dʼêtre bousculée dans les
transports en commun, ce qui explique sa posture cyphotique de protection. Elle associe également ses douleurs
au « contexte personnel apocalyptique » de déclenchement de son cancer. Le soignant essaie de se représenter
comment ce contexte sʼest inscrit au niveau musculo-squelettique, quelles douleurs il a pu exacerber et quelles
peurs il a pu déclencher. Cette représentation sʼappuie sur lʼévolution de la mobilité respiratoire, écoutée
manuellement. Il sʼagit pour le soignant de prêter attention à ce qui sʼopère sous ses mains, sans nécessairement
poser de questions : ce que le kinésithérapeute « interroge » nʼest pas encore verbalisable par le patient. Lʼimage inconsciente du corps : emmagasine les émotions qui lʼinfluencent mais ne sont pas toutes accessibles
immédiatement. Le vécu psychologique de la maladie est ici la somme des expériences traumatiques subies par
le corps et des émotions de même nature qui ont pu renforcer les conséquences de ces expériences
traumatiques. Dans ce cas, une période de difficultés majeures vient accentuer la détresse créée par le cancer ;
la douleur augmente avec la crainte, renforce une posture qui sʼinstalle et aboutit à la décompensation
respiratoire. Lʼévolution physiopathologique ne relève pas uniquement de la dimension psychologique, mais le
sujet intègre ces différents aspects dans son vécu corporel.
La relation patient-kinésithérapeute : le kinésithérapeute prend en main le corps malade sur lequel il a un savoir.
La patiente va prendre conscience de ce savoir par lʼécoute manuelle : guidance, résistance ou massage seront
soutenus par des explications aussi précises que possible, la parole préparant et accompagnant le toucher.
Raideur/mobilité, hypo/hypertonie, compensations, dysynergies sont lʼinscription somatique de lʼhistoire de la
malade. Ce diagnostic partagé installe une relation de confiance. Sans véritable interrogatoire mais en
sʼinterrogeant à voix haute, le kinésithérapeute peut amener la patiente à réfléchir sur sa maladie par une
question ouverte du type : « Quel souvenir avez-vous de lʼinstallation de cette rigidité ? »
Il propose ainsi dʼassocier son vécu corporel à celui de la maladie et donc de faire évoluer en parallèle la
rééducation respiratoire et la réélaboration psychologique. Lorsque le kinésithérapeute entreprend de
rééduquer la respiration, il va bousculer tout un « équilibre » psychosomatique qui sʼest établi dans le temps, de
manière plus ou moins inconsciente. Les douleurs thoraciques et la peur dont fait part madame C. font écho aux
différents événements attachés à cette région du corps, au contexte de leur survenue et aux aménagements
psychiques quʼelle a été amenée à faire. On comprend pourquoi faire bouger son thorax pouvait lui demander du
temps… Ainsi, madame C. peut mobiliser son thorax au bout de quelques mois, après avoir compris pourquoi lʼamplitude
de ses mouvements sʼest progressivement altérée. Le renforcement de sa respiration ne rentre plus en conflit
avec les émotions liées à la maladie. En effet, en voulant « oublier » ce qui sʼest passé, elle a fixé des habitudes
corporelles. Et lorsquʼelle a voulu modifier ces habitudes, les souvenirs douloureux associés ont été à lʼorigine
dʼune résistance de lʼimage inconsciente du corps.
Bilan pneumologique : concordance de la gêne fonctionnelle avec les données spirométriques.
Monsieur C.
Éléments de diagnostic pneumologique : BPCO (bronchectasie) non améliorée par augmentation du traitement
intrapulmonnaire. VEMS à 2,87.
Anamnèse : installation progressive dʼune BPCO chez un fumeur précoce puis usager de diverses drogues
« douces » inhalées. Reçu en kinésithérapie après sevrage complet depuis 8 ans.
Kinésithérapie respiratoire : apprentissage et contrôle des accélérations de flux expiratoire chez un patient
productif. Lorsquʼil commence sa rééducation respiratoire, il pratique un auto-drainage très intensif, provoquant
dʼimportantes quintes de toux sans expectoration, avec accentuation du bronchospasme et des sibilants. Un long
travail de changement de ses habitudes sʼengage. La fréquence des séances diminue progressivement : dʼune
séance hebdomadaire, il passe à une séance mensuelle, en dehors des périodes de surinfection. À chaque
rendez-vous, le patient fait part de son ressenti respiratoire, et sa technique est contrôlée. Lʼécoute pulmonaire
est confrontée à lʼintensité de lʼauto-drainage et au vécu de la maladie. Cette écoute est reformulée dans une
perspective dʼéducation thérapeutique : explications physiopathologiques sur la maladie et sur son traitement,
conseils personnalisés.
Aspects psychologiques : la pratique iatrogène de lʼauto-drainage bronchique trouve son explication dans
lʼhistoire de monsieur C. : la particularité respiratoire de son addiction sʼexplique par « une sorte de pratique
toxique de la respiration pour lutter contre un sentiment dʼétouffement ». Lʼimage inconsciente du corps : le patient avait modifié ses habitudes respiratoires ; des comportements liés à
lʼaddiction sʼétaient déplacés sur sa pratique dʼun désencombrement trop intensif : il « gardait la fumée, le plus
possible, pour ne pas rendre le souffle ». Par ses manœuvres dyspnéisantes, il maîtrisait un souffle qui, sans
cela, lui échappait. Avec le recul, il associe cette pratique à un mal-être recouvrant vraisemblablement un
syndrome anxio-dépressif.
La relation patient-kinésithérapeute : elle prend ici un aspect très formel car le patient a besoin dʼêtre encadré. Il
dira plus tard quʼil sʼagissait de « rendez-vous avec lui-même pour se garantir de ne pas – ou mal – se soigner ».
En écoutant et en interprétant par ses connaissances ce que dit le patient sur sa maladie, le kinésithérapeute
fabrique des arguments subjectifs qui permettront lʼappropriation du bon traitement. Ses conseils seront dʼautant
plus suivis quʼils proviennent dʼun thérapeute ayant permis une amélioration objective.
Au fur et à mesure des séances, ce patient dit quʼil ressent un « profond sentiment de sécurité », ce qui situe la
relation à un niveau psychosomatique inconscient ; il ne sait pas pourquoi mais cette relation le soutient et
modifie progressivement ses habitudes de soin. Lʼécoute attentive et active du kinésithérapeute participe dʼune
confiance qui accompagne et favorise la modification. Le dialogue nʼapporte pas uniquement au patient des
réponses techniques mais lʼinvite aussi à se questionner sur son mode de traitement. La réponse du
kinésithérapeute sur le versant somatique permet dʼouvrir un doute pour le patient sur le versant psychologique :
si le kinésithérapeute a un savoir sur le corps, il sʼinterroge néanmoins avec neutralité sur ce qui relève de la
psychologie.
Ainsi, en quelques mois, le patient acquiert « de lui-même », mais avec lʼaccompagnement du kinésithérapeute,
des habitudes de drainage nettement moins iatrogènes.
Bilan pneumologique : amélioration du VEMS à 3,02 et sevrage du traitement par Sérétide.
Conclusion
La kinésithérapie respiratoire est une approche possible des atteintes de lʼimage inconsciente du corps car une
relation patient-kinésithérapeute privilégiée sʼy établit.
Elle est proposée et non imposée car, dans le cas contraire, elle sera vécue comme ingérente. Elle respecte les
mécanismes de défense, notamment contre lʼangoisse. Son objet nʼest pas de proposer au patient une
interprétation de ses symptômes mais de lui permettre de repenser lʼimage inconsciente de son corps, à son
rythme et de manière subjective. Elle favorise ainsi des réélaborations psychologiques déterminantes pour
lʼévolution de la maladie.
Elle contribue à la réparation des traumatismes en permettant leur répétition à une échelle moindre. Les émotions
inconsciemment emmagasinées dans le corps peuvent sʼy exprimer dans un cadre sécurisé et rassurant. Ce
cadre favorise le réinvestissement de la fonction respiratoire, ce qui motive le patient à se prendre en charge.
Cette approche relationnelle favorise donc la compliance du patient à son traitement. Elle participe ainsi dʼune
démarche dʼéducation thérapeutique : par une évaluation partagée elle permet lʼapprentissage du traitement et
lʼacceptation de la maladie. Lʼacquisition des compétences du patient est évaluée et les résultats lui sont
communiqués. Lʼévolution de lʼimage inconsciente du corps améliore lʼacceptation de la maladie et la relation de
confiance entretient la motivation.
Lʼécoute attentive, tant verbale que somatique, accompagne et soutient donc le patient. Le kinésithérapeute
« donne la parole » au somatique, et le patient prend conscience des effets de sa maladie sur son corps. Cette
pratique ne remplace pas un travail psychothérapeutique parfois nécessaire, mais donne lʼopportunité au
kinésithérapeute, devenu interlocuteur privilégié du patient, de le suggérer.
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