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alternative, inscrivant ainsi leur démarche en faveur d’un pluralisme méthodologique leur
faisant cruellement défaut pour appréhender la société dans laquelle chacun de nous vit.
Quel que soit le regard que l’on porte sur ces questionnements, le crédit qu’on leur
accorde, ils sont illustratifs du doute qui s’est emparé des apprentis économistes comme de
bon nombre de spécialistes, même si chez ces derniers ce doute est souvent ressenti in petto,
vis-à-vis d’une discipline qui, à force de postuler qu’il existe des lois naturelles en économie,
éprouve de sérieuses difficultés à rendre compte de manière réaliste des grands problèmes de
notre temps économique, et à agir sur eux. L’écart se creuse entre la multitude des recherches
suivies de publications, l’impressionnante énergie intellectuelle mobilisée pour rendre visibles
les résultats de ces recherches, et une vie économique dont l’organisation et l’intelligibilité
semblent encore totalement échapper à la profession. La scientificité de l’économie, tant
recherchée, suscitant sans doute beaucoup de fierté et conduisant à la détention d’un pouvoir
au sein même de l’institution universitaire, tombe aujourd’hui, et nécessairement, sous le
regard du philosophe E. Husserl (1859-1938).
Pourquoi Husserl ? Qu’est-ce qui pourrait justifier que la philosophie husserlienne, si peu
voire pas du tout investie par les économistes, s’introduise dans des controverses réservées à
des chercheurs qui ont tant œuvré pour justement expulser comme un corps étranger tout
discours philosophique ? Le sort qui fut réservé à K. Marx, ou même, après lui, aux
sociologues et à leur prétention de construire une alternative à la naturalisation des
phénomènes économiques, aurait dû pourtant nous inciter à considérer que les livres de
philosophie sont, en économie, des livres à brûler. Querelle d’un autre âge dira-t-on au regard
des progrès accomplis en économie. Sauf qu’elle semble corroborer le message que
Schumpeter livra dans son History of Economic Analysis de 1954, selon lequel l’économie
peut elle-même se défaire des opinions philosophiques, justifiées dans le seul cas d’un
système pré-analytique qui devra ensuite rester forcément indépendant du travail scientifique
(la célèbre thèse schumpetérienne du « voile philosophique », jumelle en quelque sorte du
« voile de la monnaie » des théoriciens néo-classiques, monétaristes en particulier).
D’ailleurs, le tome III de cette History s’intitula L’âge de la science, comme pour indiquer
d’emblée aux lecteurs qu’ils allaient devoir s’imprégner du saut qualitatif que venait
d’accomplir l’économie. Et justement, dans la période actuelle, il semble bien qu’à mesure
que l’économie accède au statut de science, s’amenuise la part des fondements philosophiques
contenus dans une pensée pré-analytique (ce sera d’ailleurs l’un des thèmes fédérateurs du
Cercle de Vienne au début du vingtième siècle (Ouelbani, [2006])).