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MOHAMED
TALBI
ouvre la voie à
la
montée de l'intolérance. C'
est
de cette
mont
ée de l'intolérance,
au se
in
de l'islam, que nous allons
tenter
d'esquis
ser
la
courbe,
en
privilégi
an
t
en particulier l'espace
maghrébin
médiéval.
Mais d'abord,
pour
ne
pas
fausser
indûment
les perspectives,
nou
s devons
rappeler
qu
e l'intolérance ne fut
pas
toujours
et
partout
de règle. Ce n
'est
p
as
sa
ns raison
qu
e l'islam s'
était
acquis
une
solide ré
putation
de toléra
nc
e.
L'ex
pr
ession al-is
ldm
din
al-tasdmul:t (l'islam, religion de la tolérance)
est
deve
nu
e
un
slogan qui
revient
sans
cesse
dan
s le discours
ju
squ'à
no
s jours.
Multiracial
e, multi-lingue
et
multi-confessionnelle,
l'air
e is
lamiqu
e, à
so
n
apogée, était
condamn
ée à ê
tr
e
une
aire
de tolérance. Ni la philosophie, ni le
kald
m, c'est-à-
dir
e
la
th
éologie à fortes compos
ant
es helléniques et rationali-
sa
ntes, ni les sciences n'
aur
aie
nt
pu
se développer s
ans
un
e libe
rt
é rée
ll
e de
ré
fl
exion, de pensée et d'
expr
ession.
Sans
libe
rté
et s
an
s t
ol
érance, il n'y a pas
de civili
sa
tion possible. Or, la civilisation
musulmane
est
une
r
éa
lit
é,
un
e
gra
nd
e et ra
yonnant
e
réalité
.
Une
réalit
é
suffisamment
connue pour nous
limit
er ici à
un
seul exemple qui
illustr
e bien l'ambiance de franc-parler et de
tolérance qui
avait
pr
évalu à Bagdad
dans
la
seconde moitié
du
Ive/xe siè
cl
e,
un
e
ambiance
qu
e tous les pays de l'aire islamique s
an
s exception,
en
ce
tt
e fin de
XX
" siècle,
pourraient
lui envier.
V
ers
le de
rnier
quart
du Iv
e/
xe siè
cl
e, un faqih
malikit
e andalou, Abu,
'Umar
~m
a
d
b.
Mu~ammad
b.
Sa'dï,
entreprit
, comme il é
tait
al
or
s de
co
utume
,
un
e ri
l:tla
,
un
voyage d'é
tude
qui le me
na
à Bagdad, où il
ass
i
st
a,
par
deux
foi
s,
aux
majalis
ahl
al
-
kaldm
,
aux
cercles de controverses
th
é
ol
ogiques. A
son
re
tour
, de passage
par
Kairouan, il en fait,
pour
Abu
Mu~
a
mm
a
d
I
bn
Abï
Zayd
(3
10-386/922-996
),
le
tr
ès célèbre
juri
s
te
et
théologien ka
irou
anais,
la
desc
rip
tion suiv
ant
e:
«Au
pr
emier cercle
auquel
j'ai
as
s
ist
é, j'ai vu ré
un
ies
tout
es
l
es
fo
rm
ations
religieuses (firaq ) :
mu
s
ulmane
s s
unnites
et
innovate
ur
s (bid'a ); toutes sort
es
d'infidèles (
kuff
dr) :
paï
ens (
mdjü
s),
ma
térialist
es
(
cf:a
hr
iyya), manichéens (za-
nd
diqa
),
jui
fs
,
chr
étiens, et toutes les formes d'in
fid
é
lit
é. Cha
qu
e fois
qu
'
ar
rive
un préside
nt
, quel que soit s
on
groupe, tous les
ass
is
tant
s se lève
nt
co
mme le
se
ul
homme po
ur
l'accueillir, et a
ttend
e
nt
qu'
il
s
oi
t
ass
is
pour
s'asseoir à leur
tour.
Lorsque l'auditoire est
pl
ein à
craqu
er,
et
qu
'
on
n'atte
nd
plus pers
onn
e,
un porte-parole des infidèles
proclame:
«
Vou
s
êt
es
réunis pour la c
ontr
overse et
l'arg
um
en
ta
tion. Que les
musulmans
ne
tirent
p
as
a
rgum
ent
co
ntr
e nous de
le
ur
Livre, ni des paroles de
leur
Prophèt
e. Nous n'y croyons
tout
simpl
eme
nt
p
as
et
nou
s n'y a
joutons
aucune
foi.
Limitons donc
no
s
co
ntrovers
es
aux
arg
um
e
nt
s ra
tionn
els à ce qui pe
ut
faire l'objet d'examen et de sy
ll
ogisme » .
Tous l
es
assista
nt
s ré
pondent
: «Très bien ! Nous vous a
cc
ordons cela ». Abu
'U ma
l'
po
ur
s
uit:
lors
qu
e j'ai
entendu
cela, je ne suis plus reto
urné
à ce cercle.
Puis on me
dit
: «Il y a
un
a
utre
cercle de controverses
th
éo
lo
gi
ques » .
Je
m'y
suis re
ndu
. J'y ai re
trou
vé exa
ct
eme
nt
la
même démarch
e.
J
'ai
donc i
nt
e
rr
ompu
la fréque
nt
ation des
ce
rcles
th
éologiques,
et
je n'y suis plus r
et
ourn
é. Abu
Muh
a
mm
ad b. Abï Zaid s'exclama : «
Et
les
mu
sulman
s!
Ils a
cc
e
pt
ent de tels