© Les Éditions de la Chenelière inc., 2006,
Savoir plus: outils et méthodes de travail intellectuel
, 2
e
éd.
(Raymond Robert Tremblay et Yvan Perrier) 2
du démantèlement du secteur public, de la libéralisation des échanges, d’une limitation des
dépenses de l’État, etc. Bref, il s’agit ici de déréglementation publique, de privatisation des
services publics et de libéralisation du commerce avec le moins de présence et de contrôle
étatique possible pour l’ensemble des sphères de la vie en société (économique, politique, sociale,
socio-sanitaire et culturelle).
Nous ne nions pas qu’il puisse exister un «Consensus de Washington» visant à la mise en place
d’une nouvelle gouvernance de la chose publique. Cependant, s’imaginer que le projet
d’instaurer un monde conforme aux aspirations des tenants du néolibéralisme a trouvé les
éléments de sa synthèse durant les années 1980 et 1990 ne tient pas compte de certains faits
historiques. C’est plutôt dans les années 1940 que se met en place la Conférence de Mont-Pélerin,
en Suisse, «pour discuter des principes d’un ordre libéral et des moyens de le préserver » (Dostaler,
2001, p. 20). À cet événement annuel participent des intellectuels prestigieux dont les figures de
proue de la pensée rétrolibérale: Friedrich Hayek et Milton Friedman. De plus, c’est au lendemain
de l’élection de Margaret Tatcher en Grande-Bretagne (en 1979) et avec l’élection de Ronald
Reagan à la présidence des États-Unis (en 1980) que commencent à se déployer des politiques
néoconservatrices dans les pays développés. Il nous semble aussi que c’est à l’occasion de la crise
du pétrole de 1973 et de la flambée inflationniste qui l’a suivie que plusieurs gouvernements
occidentaux ont commencé à adopter des politiques visant l’austérité budgétaire, remettant en
question les politiques issues du keynésianisme ou associées au
Welfare State
. Manifestement,
certains de ces faits se produisent un peu ou bien avant les années 1980.
Le nouvel ordre mondial et le recours à la force
Ce nouvel ordre ne s’impose pas d’emblée à la totalité des populations de la planète. La secrétaire
d’État (sous le président Clinton), Madeleine Albright disait:
Pour que la mondialisation fonctionne, l’Amérique ne doit pas craindre d’agir comme la
superpuissance invincible qu’elle est en réalité. [...] La main invisible du marché ne
fonctionnera jamais sans un poing visible. McDonald’s ne peut s’étendre sans McDonald
Douglas, le fabriquant [
sic
] du F-15. Et le poing invisible qui assure la sécurité mondiale de
la technologie de la Silicon Valley s’appelle l’armée, l’aviation, la force navale et le corps
des marines des États-Unis (p. 44-45).
Ici il serait difficile de contester le rôle que Ziegler accorde à l’empire américain, qui se définit
comme le gendarme de la planète. Il nous semble que c’est depuis le lendemain de la Deuxième
Guerre mondiale que les États-Unis imposent leur
pax America
à l’échelle de la planète. Bien sûr,
durant la guerre froide (de 1947 à 1991), l’arsenal militaire visait à endiguer le communisme mais,
comme l’a démontré Claude Julien dans le livre
L’empire américain
(1968), les forces de frappe
américaines sont aussi intervenues dans d’autres pays pour appuyer leurs intérêts en matière de
politique étrangère ou pour renverser des gouvernements qui voulaient adopter des mesures
jugées contraires aux intérêts américains. Bref, ici aussi nous ne sommes pas devant une aussi
grande rupture ou coupure que Ziegler peut le suggérer.
L’économie du monde et l’économie d’archipel
Les nouveaux maîtres du monde qui mettent en place et définissent les règles du jeu du
commerce mondial sont en train non pas de «mondialiser le monde », mais bien plutôt de créer
une «économie d’archipel » comportant ici des centres d’affaires riches et prospères et là des
économies exsangues et moribondes. C’est du moins de cette façon que Ziegler analyse les effets
de certaines pratiques des prédateurs (banquiers et hauts dirigeants des firmes transnationales)
qui accumulent des profits mirobolants en surexploitant des populations démunies du tiers-
monde. Ces prédateurs sont présentés ici comme n’ayant aucun scrupule ou aucune morale. Ils
prônent, exigent et obtiennent la privatisation de plusieurs activités de l’État. En ayant la
possibilité de délocaliser leurs entreprises, ils sont en mesure d’introduire une concurrence
forcenée entre les différentes catégories de salariés. En détruisant les forêts, ils dévastent la
nature. Pour s’ouvrir de nouveaux marchés, ils s’adonnent à la corruption et, pour se soustraire à