L`insuffisance cardiaque (partie 2): pronostic et traitement

IC à fraction d’éjection réduite – IC à fraction d’éjection préservée
Linsufsance cardiaque (partie 2):
pronostic et traitement
Cette deuxième partie de l'article sur l'insuffisance cardiaque
présente le pronostic et les différents moyens thérapeutiques
en cas d'IC à fraction d'éjection réduite et à fraction d'éjection
préservée avec l'accent sur la prise en charge du sujet âgé.
Pronostic
Deux constatations simposent :
l Le pronostic de l’IC à fraction déjection préservée (ICFEP)
napparaît pas meilleur que celui de l’IC à fraction déjection ré-
duite (ICFER) (1).
l Les médicaments inhibiteurs du système rénine-angiotensine-
aldostérone (SRAA) réduisent la morbi-mortalité de l’ICFER
sans modier celle de l’ICFEP (2, 3).
Lexplication est double elle aussi :
l
Les patients atteints d’ICFEP sont plus âgés et sourent de plus
de comorbidités (HTA, coronaropathie, FA, diabète, insusance
rénale, encéphalopathie vasculaire).
l Les anomalies structurelles et fonctionnelles des deux types de
dysfonction ventriculaire sont diérentes. L’ICFEP apparaît prin-
cipalement lorsquun facteur déclenchant déséquilibre un myo-
carde ventriculaire certes altéré mais à même dexercer sa fonction
en conditions normales. Cette diérence permet de comprendre
que les résultats des études consacrées à laction des médicaments
inhibiteurs du SRAA dans l’ICFEP soient négatifs et noccupent
quune demi-page sur la cinquantaine que comptent les guide-
lines 2012 de la Société européenne de cardiologie consacrées au
diagnostic et au traitement de l’IC (2).
Traitement : les médicaments disponibles
La gure 1 résume la physiopathologie de l'IC et les lieux daction
des diérents médicaments.
Certains médicaments (inhibiteurs du SRAA, bêta-bloquants)
améliorent la symptomatologie et ralentissent la détérioration de
la fonction ventriculaire, diminuant ainsi la morbi-mortalité de
lICFER (4).
D’autres (diurétiques de lanse, thiazidiques, dérivés nitrés)
traitent les symptômes sans eet sur lévolution de la maladie.
La digoxine occupe une place particulière par sa double action
cardiotonique et anti-arythmique.
Les inhibiteurs du SRAA sont : les inhibiteurs de lenzyme de
conversion de langiotensine ou IEC, les inhibiteurs des récepteurs
AT1 à langiotensine II ou ARA, les antagonistes des récepteurs de
laldostérone ou ARM (M pour minéralocorticoïdes) et les inhibi-
teurs directs de la rénine ou IDR.
Les IEC s’opposent à la vasoconstriction induite par langioten-
sine II ainsi qu’à la rétention hydro-sodée et à la brose provoquées
par laldostérone. Ils n’empêchent cependant pas lapparition à long
terme dune certaine concentration plasmatique daldostérone par
un phénomène déchappement qu’on peut contrer en leur associant
un ARM (spironolactone) (5, 6). Une élévation modeste et transitoire
de la créatinine s’observe souvent au début du traitement qu’elle ne
contre-indique pas contrairement à une insusance rénale sévère.
Le principal eet secondaire des IEC est une toux sèche chronique,
une irritation du fond de la gorge (15–20% quelle que soit la molé-
cule) due à une diminution du catabolisme de la bradykinine qui sti-
mule les bres C pulmonaires responsables de la toux.
Les ARA inhibent le SRAA une étape après les IEC en blo-
quant les récepteurs AT1 à langiotensine II, laissant libre la pro-
duction de cette dernière. Leur ecacité apparaît identique à celle
des IEC qu’ils peuvent remplacer en cas de toux bien que cette der-
nière s’observe aussi avec les ARA, plus rarement, pour une raison
peu claire (7).
Les ARM (spironolactone, éplérénone, canrénoate de K
soluble) bloquent la dernière étape du SRAA, favorisent lélimi-
nation hydro-sodée, contrecarrent la déplétion en K et Mg induite
par les autres diurétiques et modèrent la brose tissulaire. Ils sont
utilement associés à un IEC ou à un diurétique de lanse (8). Chez
les patients âgés dont la fonction rénale est diminuée, on prescrira
une dose quotidienne de 12.5 mg au lieu de 25 mg. Si la kaliémie
dépasse 5 mmol/l ou si la ltration glomérulaire est inférieure à
30 ml/min, il vaut mieux renoncer aux ARM. L’éplérénone, anta-
goniste sélectif de laldostérone, a lavantage de ne pas exercer
dactivité progestative et anti-androgénique (risque moindre de
gycomastie ou de mastodynie).
Les IDR, derniers en date, bloquent la première étape du SRAA
en empêchant la transformation de langiotensinogène en angio-
tensine I par la rénine. Reconnus dans le traitement de lHTA, ils
ne sont actuellement pas recommandés dans celui de l’IC et seules
les combinaisons IEC – ARM ou ARA – ARM sont conseillées (2).
Les bêta-bloquants s’opposent à la stimulation du système
sympathique présente dans lIC et exercent deux eets opposés en
fonction du temps. Au début du traitement, ils péjorent la fonc-
tion cardiaque : eet cardio-dépresseur hémodynamique négatif.
Après environ un mois, ils diminuent les symptômes et améliorent
la fonction cardiaque et la tolérance à leort : eet neuro-hor-
monal positif. Seuls le bisoprolol, le métoprolol, le cardilol et le
nébivolol ont fait lobjet d’études (2, 9).
Pr Jean-Jacques Perrenoud
Genève
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20 01
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Les diurétiques soulagent
le malade en le libérant de la
rétention hydro-sodée. La dose
est individuelle sous contrôle
de la kaliémie, de la natrémie
et de la fonction rénale. Les
diurétiques de lanse (furosé-
mide, torasémide) réalisent
le premier choix, surtout en
situation aig. Parce qu’ils
stimulent le SRAA, les diu-
tiques devraient être associés à
un IEC ou à un ARA. La pres-
cription conjointe d’un diuré-
tique et d’un ARM (lui aussi
diurétique) réalise une syner-
gie ecace.
Les dérivés nits (nitro-
glycérine, demi-vie 2 min et
dinitrate disosorbide, demi-
vie 4 h), par leur eet veino- et
artério-dilatateur, diminuent
la précharge ventriculaire. Un
intervalle libre est nécessaire
pour éviter la tolérance due à un
taux constant dans lorganisme.
Chez le patient âgé astreint à de
nombreux compris, la voie
transdermique est préférée sous
la forme dun patch de 5 ou 10 mg
de nitroglycérine à appli
quer plu-
tôt du soir au matin pour évi-
ter lorthopnée ou la dyspnée
paroxystique nocturne en dimi-
nuant le risque dhypotension
orthostatique diurne.
La digoxine, par son eet direct, augmente la force de contrac-
tion du myocarde. Agoniste des récepteurs muscariniques para-
sympathiques, elle exerce un eet indirect vagal qui diminue la
fréquence cardiaque aussi bien en rythme sinusal qu’en FA. Elle
améliore la fonction ventriculaire et la symptomatologie et dimi-
nue les hospitalisations. L’indication « classique » de la digoxine est
la FA, élargie cependant au rythme sinusal avec une FE < 40% et
des signes de décompensation cardiaque (2).
Traitement de l’ICEFR
Lobjectif est triple : vider les œdèmes, retarder la détérioration
ventriculaire et ralentir la fquence cardiaque en rythme sinu-
sal, en FA ou en utter auriculaire. Il conduit logiquement à la
pre-scription conjointe dun diurétique, dun IEC ou dun ARA
et de la digoxine ou dun bêta-bloquant. La composition du trai-
tement s’établit selon le degré de sévérité de lIC et le carac-
tère aigu ou chronique de laection. La dose et lassociation
des diérentes substances varient donc au cours du temps. Le
traitement s’adresse également aux éventuelles arythmies ven-
triculaires. Les comorbidités et la polymédication propres à la
population gériatrique rendent souvent impossibles les combi-
naisons thérapeutiques souhaitées ou imposent une diminution
des doses assortie d'une baisse decacité. Toujours le traite-
ment s’établit sur mesure. Ainsi, à lexception de la digoxine,
tous les médicaments utilis sont anti-hypertenseurs voire
hypotenseurs ce qui peut rendre leur prescription délicate chez
les patients âgés sujets à lhypotension orthostatique (déplétion
volémique, moindre sensation de soif, maladie de Parkinson,
diabète, psychotropes) ainsi que chez ceux sourant dune sté-
nose aortique sévère.
Il convient dêtre attentif aux points suivants dans la popula-
tion gériatrique :
l La prescription d’un diurétique doit éviter une trop forte dé-
plétion volémique propre à induire une insusance pré-
rénale. Mieux vaut se satisfaire de quelques râles pulmonaires ou
œdèmes malléolaires que vouloir assécher un malade au risque
de compromettre sa fonction rénale.
l Lauscultation de râles crépitants sous traitement diurétique ne
traduit pas forcément la persistance d’une stase pulmonaire mais
peut– être un certain degré de brose.
l Les hautes doses de diurétiques parfois nécessaires à la phase ini-
tiale du traitement peuvent abaisser la TA systolique au point de
faire renoncer à l’introduction d’un IEC qui peut se faire dans un
deuxième temps.
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FIG. 1 Schéma du traitement médicamenteux de l’insuffisance cardiaque
la gazette médicale _ info@gériatrie _ 01 _ 2016 21
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l A l’inverse, si un patient sous IEC ne présente plus de signes
de rétention hydro-sodée, le diurétique doit être diminué voire
même temporairement interrompu de façon à éviter une déshy-
dratation (particulièrement en période estivale) ou une hypo-
natrémie, source potentielle d’un état confusionnel.
l Le traitement dune anasarque fait appel, comme celui d’un
œdème pulmonaire, à la voie d’administration intraveineuse an
d’éviter une absorption aléatoire des médicaments liée à une stase
splanchnique.
l Les bêta-bloquants seront prescrits avec prudence, à faibles doses
lentement progressives (par ex. carvédilol 3.125–6.5 mg deux
fois/j ou métoprolol 12.5–25 mg/j. S’il est supporté, un bêta-blo-
quant a sur la digoxine l’avantage de contrôler la fréquence car-
diaque tout en traitant une HTA pour autant qu’il naltère pas le
chronotropisme à leort d’un patient mobile.
l Si la FA reste l’indication première de la digoxine, cette dernière
est très ecace pour une tachycardie sinusale, des râles de stase
pulmonaire et un galop protodiastolique (B3).
l Les IEC et les ARA sont contre-indiqués par une sténose aortique
sévère.
Une arythmie ventriculaire peut être à lorigine dune décom-
pensation cardiaque brutale se manifestant par une dyspnée aig
et nécessitant le recours à lamiodarone.
La FA et le utter auriculaire souvent provoquent, aggravent
ou pérennisent une IC. La digoxine ne sut pas toujours à contrô-
ler la fréquence ventriculaire doù l’utilité du bêta-bloquant en plus
ou à la place de cette dernière. Lorsque plusieurs essais médica-
menteux échouent à ralentir la fréquence cardiaque, lablation du
nœud atrio-ventriculaire par radio-fréquence précédée de l’im-
plantation dun stimulateur devient nécessaire.
Un tiers des patients en IC présentent un élargissement du
complexe QRS, le plus souvent un bloc de branche gauche (BBG)
à lorigine dun asynchronisme de la contraction ventriculaire qui
altère le fonctionnement de la pompe cardiaque. La stimulation
bi-ventriculaire au moyen dune sonde dans le VD et dune autre
dans une veine du sinus coronaire pour le VG vise à corriger ce
désordre électro-mécanique par lactivation simultanée des deux
ventricules, synchronisée aux oreillettes par une troisième sonde
dans loreillette droite.
Cette thérapie de resynchronisation cardiaque (CRT) amé-
liore la qualité de vie et la tolérance à leort et diminue la morta-
lité chez des patients bien sélectionnés. L’indication à la CRT est :
une IC de stade II-IV, une FE égale ou inférieure à 35% et un QRS
> 120 ms (le plus souvent un BBG). En cas de FA permanente, il est
essentiel de ralentir assez le passage dans le nœud atrio-ventricu-
laire pour assurer la permanence de l’électrostimulation bi-ventri-
culaire par médicament (digoxine, bêta-bloquant, diltiazem) ou en
cas déchec, de linterrompre par lablation de ce nœud (10).
Un nouveau médicament prometteur pour le traitement de
l'ICFER est disponible depuis peu en Suisse (Entresto®). Il asso-
cie le valsartan (ARA) au sacubitril. Ce dernier inhibe la néprily-
sine qui elle-même hydrolyse le peptide naturel natriurétique de
type B (BNP = brain natriuretic peptide). L'inhibition de la népri-
lysine par le sacubitril augmente l'eet natriurétique et vasodilata-
teur du BNP (11, 12).
Traitement de l’ICFEP
Le traitement de base consiste à prévenir les principaux facteurs
déclenchants que sont la FA, un pic hypertensif ou une isché-
mie myocardique par les médicaments appropriés. En phase de
décompensation, lessentiel est de ralentir assez la fréquence car-
diaque pour allonger la durée des diastoles et permettre au VG
dont la souplesse est amoindrie un remplissage adéquat. Les bêta-
bloquants ou le diltiazem sont les médicaments de choix avec le
double avantage dêtre anti-hypertenseurs et anti-ischémiques. La
digoxine n’a dindication qu’en cas de FA pour ralentir la réponse
ventriculaire mais les bêta-bloquants ou le diltiazem se révèlent
souvent plus ecaces. La rétention hydrosodée fait appel à un diu-
rétique ou à une combinaison de diurétiques. Les dérivés nitrés
agissent favorablement sur la dyspnée. En labsence dHTA, il n’y a
pas dindication aux IEC ou aux ARA. Il est évidemment impor-
tant de traiter les éventuelles comorbidités (anémie, insusance
rénale chronique, diabète, BPCO) (13).
Pr Jean-Jacques Perrenoud
Chemin Thury 12, 1206 Genève
B Conflit d’intérêts : L’auteur ne déclare aucun conflit d’intérêt en
relation avec cet article
Messages à retenir
Le traitement de l’ICFR et celui de l’ICFEP ne sont pas identiques
Le traitement électrique de l’ICFER peut compléter utilement les
médicaments
Chez le sujet âgé, il faut tenir compte des comorbidités et souvent
adapter le traitement « sur mesure » avec une posologie parfois
moindre
Références :
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