L`insuffisance cardiaque (partie 2): pronostic et traitement

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IC à fraction d’éjection réduite – IC à fraction d’éjection préservée
L’insuffisance cardiaque (partie 2):
pronostic et traitement
Cette deuxième partie de l'article sur l'insuffisance cardiaque
présente le pronostic et les différents moyens thérapeutiques
en cas d'IC à fraction d'éjection réduite et à fraction d'éjection
préservée avec l'accent sur la prise en charge du sujet âgé.
Pr Jean-Jacques Perrenoud
Genève
Pronostic
Deux constatations s’imposent :
llLe pronostic de l’IC à fraction d’éjection préservée (ICFEP)
n’apparaît pas meilleur que celui de l’IC à fraction d’éjection réduite (ICFER) (1).
llLes médicaments inhibiteurs du système rénine-angiotensinealdostérone (SRAA) réduisent la morbi-mortalité de l’ICFER
sans modifier celle de l’ICFEP (2, 3).
L’explication est double elle aussi :
llLes patients atteints d’ICFEP sont plus âgés et souffrent de plus
de comorbidités (HTA, coronaropathie, FA, diabète, insuffisance
rénale, encéphalopathie vasculaire).
llLes anomalies structurelles et fonctionnelles des deux types de
dysfonction ventriculaire sont différentes. L’ICFEP apparaît principalement lorsqu’un facteur déclenchant déséquilibre un myocarde ventriculaire certes altéré mais à même d’exercer sa fonction
en conditions normales. Cette différence permet de comprendre
que les résultats des études consacrées à l’action des médicaments
inhibiteurs du SRAA dans l’ICFEP soient négatifs et n’occupent
qu’une demi-page sur la cinquantaine que comptent les guidelines 2012 de la Société européenne de cardiologie consacrées au
diagnostic et au traitement de l’IC (2).
Traitement : les médicaments disponibles
La figure 1 résume la physiopathologie de l'IC et les lieux d’action
des différents médicaments.
Certains médicaments (inhibiteurs du SRAA, bêta-bloquants)
améliorent la symptomatologie et ralentissent la détérioration de
la fonction ventriculaire, diminuant ainsi la morbi-mortalité de
l’ICFER (4).
D’autres (diurétiques de l’anse, thiazidiques, dérivés nitrés)
traitent les symptômes sans effet sur l’évolution de la maladie.
La digoxine occupe une place particulière par sa double action
cardiotonique et anti-arythmique.
Les inhibiteurs du SRAA sont : les inhibiteurs de l’enzyme de
conversion de l’angiotensine ou IEC, les inhibiteurs des récepteurs
AT1 à l’angiotensine II ou ARA, les antagonistes des récepteurs de
l’aldostérone ou ARM (M pour minéralocorticoïdes) et les inhibiteurs directs de la rénine ou IDR.
Les IEC s’opposent à la vasoconstriction induite par l’angiotensine II ainsi qu’à la rétention hydro-sodée et à la fibrose provoquées
par l’aldostérone. Ils n’empêchent cependant pas l’apparition à long
terme d’une certaine concentration plasmatique d’aldostérone par
un phénomène d’échappement qu’on peut contrer en leur associant
un ARM (spironolactone) (5, 6). Une élévation modeste et transitoire
de la créatinine s’observe souvent au début du traitement qu’elle ne
contre-indique pas contrairement à une insuffisance rénale sévère.
Le principal effet secondaire des IEC est une toux sèche chronique,
une irritation du fond de la gorge (15–20% quelle que soit la molécule) due à une diminution du catabolisme de la bradykinine qui stimule les fibres C pulmonaires responsables de la toux.
Les ARA inhibent le SRAA une étape après les IEC en bloquant les récepteurs AT1 à l’angiotensine II, laissant libre la production de cette dernière. Leur efficacité apparaît identique à celle
des IEC qu’ils peuvent remplacer en cas de toux bien que cette dernière s’observe aussi avec les ARA, plus rarement, pour une raison
peu claire (7).
Les ARM (spironolactone, éplérénone, canrénoate de K
soluble) bloquent la dernière étape du SRAA, favorisent l’élimination hydro-sodée, contrecarrent la déplétion en K et Mg induite
par les autres diurétiques et modèrent la fibrose tissulaire. Ils sont
utilement associés à un IEC ou à un diurétique de l’anse (8). Chez
les patients âgés dont la fonction rénale est diminuée, on prescrira
une dose quotidienne de 12.5 mg au lieu de 25 mg. Si la kaliémie
dépasse 5 mmol/l ou si la filtration glomérulaire est inférieure à
30 ml/min, il vaut mieux renoncer aux ARM. L’éplérénone, antagoniste sélectif de l’aldostérone, a l’avantage de ne pas exercer
d’activité progestative et anti-androgénique (risque moindre de
gynécomastie ou de mastodynie).
Les IDR, derniers en date, bloquent la première étape du SRAA
en empêchant la transformation de l’angiotensinogène en angiotensine I par la rénine. Reconnus dans le traitement de l’HTA, ils
ne sont actuellement pas recommandés dans celui de l’IC et seules
les combinaisons IEC – ARM ou ARA – ARM sont conseillées (2).
Les bêta-bloquants s’opposent à la stimulation du système
sympathique présente dans l’IC et exercent deux effets opposés en
fonction du temps. Au début du traitement, ils péjorent la fonction cardiaque : effet cardio-dépresseur hémodynamique négatif.
Après environ un mois, ils diminuent les symptômes et améliorent
la fonction cardiaque et la tolérance à l’effort : effet neuro-hormonal positif. Seuls le bisoprolol, le métoprolol, le carvédilol et le
nébivolol ont fait l’objet d’études (2, 9).
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Les diurétiques soulagent
le malade en le libérant de la
FIG. 1
Schéma du traitement médicamenteux de l’insuffisance cardiaque
rétention hydro-sodée. La dose
est individuelle sous contrôle
de la kaliémie, de la natrémie
et de la fonction rénale. Les
diurétiques de l’anse (furosémide, torasémide) réalisent
le premier choix, surtout en
situation aiguë. Parce qu’ils
stimulent le SRAA, les diurétiques devraient être associés à
un IEC ou à un ARA. La prescription conjointe d’un diurétique et d’un ARM (lui aussi
diurétique) réalise une synergie efficace.
Les dérivés nitrés (nitroglycérine, demi-vie 2 min et
dinitrate d’isosorbide, demivie 4 h), par leur effet veino- et
artério-dilatateur, diminuent
la précharge ventriculaire. Un
intervalle libre est nécessaire
pour éviter la tolérance due à un
taux constant dans l’organisme.
Chez le patient âgé astreint à de
nombreux comprimés, la voie
transdermique est préférée sous
la forme d’un patch de 5 ou 10 mg
de nitroglycérine à appliquer plutôt du soir au matin pour éviter l’orthopnée ou la dyspnée
paroxystique nocturne en diminuant le risque d’hypotension
orthostatique diurne.
La digoxine, par son effet direct, augmente la force de contrac- des doses assortie d'une baisse d’efficacité. Toujours le traitetion du myocarde. Agoniste des récepteurs muscariniques para- ment s’établit sur mesure. Ainsi, à l’exception de la digoxine,
sympathiques, elle exerce un effet indirect vagal qui diminue la
tous les médicaments utilisés sont anti-hypertenseurs voire
fréquence cardiaque aussi bien en rythme sinusal qu’en FA. Elle hypotenseurs ce qui peut rendre leur prescription délicate chez
améliore la fonction ventriculaire et la symptomatologie et dimi- les patients âgés sujets à l’hypotension orthostatique (déplétion
nue les hospitalisations. L’indication « classique » de la digoxine est volémique, moindre sensation de soif, maladie de Parkinson,
la FA, élargie cependant au rythme sinusal avec une FE < 40% et diabète, psychotropes) ainsi que chez ceux souffrant d’une stédes signes de décompensation cardiaque (2).
nose aortique sévère.
Il convient d’être attentif aux points suivants dans la populaTraitement de l’ICEFR
tion gériatrique :
L’objectif est triple : vider les œdèmes, retarder la détérioration llLa prescription d’un diurétique doit éviter une trop forte déventriculaire et ralentir la fréquence cardiaque en rythme sinuplétion volémique propre à induire une insuffisance présal, en FA ou en flutter auriculaire. Il conduit logiquement à la
rénale. Mieux vaut se satisfaire de quelques râles pulmonaires ou
pre-scription conjointe d’un diurétique, d’un IEC ou d’un ARA
œdèmes malléolaires que vouloir assécher un malade au risque
et de la digoxine ou d’un bêta-bloquant. La composition du traide compromettre sa fonction rénale.
tement s’établit selon le degré de sévérité de l’IC et le carac- llL’auscultation de râles crépitants sous traitement diurétique ne
traduit pas forcément la persistance d’une stase pulmonaire mais
tère aigu ou chronique de l’affection. La dose et l’association
peut– être un certain degré de fibrose.
des différentes substances varient donc au cours du temps. Le
traitement s’adresse également aux éventuelles arythmies ven- llLes hautes doses de diurétiques parfois nécessaires à la phase initiale du traitement peuvent abaisser la TA systolique au point de
triculaires. Les comorbidités et la polymédication propres à la
faire renoncer à l’introduction d’un IEC qui peut se faire dans un
population gériatrique rendent souvent impossibles les combideuxième temps.
naisons thérapeutiques souhaitées ou imposent une diminution
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llA l’inverse, si un patient sous IEC ne présente plus de signes
de rétention hydro-sodée, le diurétique doit être diminué voire
même temporairement interrompu de façon à éviter une déshydratation (particulièrement en période estivale) ou une hyponatrémie, source potentielle d’un état confusionnel.
Le traitement d’une anasarque fait appel, comme celui d’un
ll
œdème pulmonaire, à la voie d’administration intraveineuse afin
d’éviter une absorption aléatoire des médicaments liée à une stase
splanchnique.
llLes bêta-bloquants seront prescrits avec prudence, à faibles doses
lentement progressives (par ex. carvédilol 3.125–6.5 mg deux
fois/j ou métoprolol 12.5–25 mg/j. S’il est supporté, un bêta-bloquant a sur la digoxine l’avantage de contrôler la fréquence cardiaque tout en traitant une HTA pour autant qu’il n’altère pas le
chronotropisme à l’effort d’un patient mobile.
llSi la FA reste l’indication première de la digoxine, cette dernière
est très efficace pour une tachycardie sinusale, des râles de stase
pulmonaire et un galop protodiastolique (B3).
llLes IEC et les ARA sont contre-indiqués par une sténose aortique
sévère.
Une arythmie ventriculaire peut être à l’origine d’une décompensation cardiaque brutale se manifestant par une dyspnée aiguë
et nécessitant le recours à l’amiodarone.
La FA et le flutter auriculaire souvent provoquent, aggravent
ou pérennisent une IC. La digoxine ne suffit pas toujours à contrôler la fréquence ventriculaire d’où l’utilité du bêta-bloquant en plus
ou à la place de cette dernière. Lorsque plusieurs essais médicamenteux échouent à ralentir la fréquence cardiaque, l’ablation du
nœud atrio-ventriculaire par radio-fréquence précédée de l’implantation d’un stimulateur devient nécessaire.
Un tiers des patients en IC présentent un élargissement du
complexe QRS, le plus souvent un bloc de branche gauche (BBG)
à l’origine d’un asynchronisme de la contraction ventriculaire qui
altère le fonctionnement de la pompe cardiaque. La stimulation
bi-ventriculaire au moyen d’une sonde dans le VD et d’une autre
dans une veine du sinus coronaire pour le VG vise à corriger ce
désordre électro-mécanique par l’activation simultanée des deux
ventricules, synchronisée aux oreillettes par une troisième sonde
dans l’oreillette droite.
Cette thérapie de resynchronisation cardiaque (CRT) améliore la qualité de vie et la tolérance à l’effort et diminue la mortalité chez des patients bien sélectionnés. L’indication à la CRT est :
une IC de stade II-IV, une FE égale ou inférieure à 35% et un QRS
> 120 ms (le plus souvent un BBG). En cas de FA permanente, il est
essentiel de ralentir assez le passage dans le nœud atrio-ventricuRéférences :
laire pour assurer la permanence de l’électrostimulation bi-ventriculaire par médicament (digoxine, bêta-bloquant, diltiazem) ou en
cas d’échec, de l’interrompre par l’ablation de ce nœud (10).
Un nouveau médicament prometteur pour le traitement de
l'ICFER est disponible depuis peu en Suisse (Entresto®). Il associe le valsartan (ARA) au sacubitril. Ce dernier inhibe la néprilysine qui elle-même hydrolyse le peptide naturel natriurétique de
type B (BNP = brain natriuretic peptide). L'inhibition de la néprilysine par le sacubitril augmente l'effet natriurétique et vasodilatateur du BNP (11, 12).
Traitement de l’ICFEP
Le traitement de base consiste à prévenir les principaux facteurs
déclenchants que sont la FA, un pic hypertensif ou une ischémie myocardique par les médicaments appropriés. En phase de
décompensation, l’essentiel est de ralentir assez la fréquence cardiaque pour allonger la durée des diastoles et permettre au VG
dont la souplesse est amoindrie un remplissage adéquat. Les bêtabloquants ou le diltiazem sont les médicaments de choix avec le
double avantage d’être anti-hypertenseurs et anti-ischémiques. La
digoxine n’a d’indication qu’en cas de FA pour ralentir la réponse
ventriculaire mais les bêta-bloquants ou le diltiazem se révèlent
souvent plus efficaces. La rétention hydrosodée fait appel à un diurétique ou à une combinaison de diurétiques. Les dérivés nitrés
agissent favorablement sur la dyspnée. En l’absence d’HTA, il n’y a
pas d’indication aux IEC ou aux ARA. Il est évidemment important de traiter les éventuelles comorbidités (anémie, insuffisance
rénale chronique, diabète, BPCO) (13).
Pr Jean-Jacques Perrenoud
Chemin Thury 12, 1206 Genève
[email protected]
B Conflit d’intérêts : L’auteur ne déclare aucun conflit d’intérêt en
relation avec cet article
Messages à retenir
◆ Le traitement de l’ICFR et celui de l’ICFEP ne sont pas identiques
◆ Le traitement électrique de l’ICFER peut compléter utilement les
médicaments
◆ Chez le sujet âgé, il faut tenir compte des comorbidités et souvent
adapter le traitement « sur mesure » avec une posologie parfois
moindre
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