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expérimentale, pragmatique et interactionniste,
mais aussi comportementaliste. Elle est marquée
par une conception dynamique et externaliste des
capacités mentales et pratiques du sujet humain,
une dynamo-genèse, plutôt que par une vison
statique internaliste et anatomique des facultés, ou
par une introspection de la conscience. De ces
conceptions, sur le plan psychopédagogique, les
représentants les plus marquants en Europe seront
E. Claparède, O. Decroly, H. Piéron, A. Binet,
avant J. Piaget et H. Wallon. C’est de telles
conceptions que sont issus les modèles d’abord
évolutionnistes et fonctionnalistes, puis
constructivistes et interactionnels de la pédagogie.
Piaget en résumera succinctement les orientations
en affirmant qu’un élève n’apprend que s’il en
ressent le besoin, y a intérêt ou que cela répond à
une question qu’il se pose 2.
L’histoire pédagogique de la notion est donc
complexe parce qu’elle fait se croiser plusieurs
influences théoriques qui convergent le plus
souvent dans leurs applications expérimentales,
bien qu’on puisse soutenir qu’elles ne sont pas
tout à fait identiques sur le plan conceptuel.
Toutes ont cependant en commun de se situer du
côté de l’apprentissage plutôt que de l’instruction,
et de poser le premier comme une conduite du
sujet apprenant dans le réel, observable, mesurable
et objectivement finalisée par des besoins et
intérêts vitaux. Pour en retracer brièvement les
étapes les plus significatives, disons qu’elle
commence aux USA avec le pragmatisme de J.
Dewey, par les notions d’intérêt, d’enquête et de
résolution de problèmes, se propage aux USA à
travers la pédagogie de projet promue par W.H.
Kilpatrick, donne lieu au plan Dalton en 1920,
celui d’un enseignement programmé ou
apprentissage en autonomie par fichiers-
directeurs et auto-correcteurs, puis se trouve
relayée par l’apparition en 1935 avec R. Tyler
d’une première pédagogie par objectifs, c’est-à-
dire par l’idée de systématiser le processus
d’enseignement en distinguant formellement :
contenus visés, actions menées, conditions de
réalisation et modes d’évaluation. Une seconde
étape s’ouvre avec l’évolution du béhaviorisme
nord-américain vers une analyse des mouvements
internes de pensée, avec E. Tolman, puis avec la
naissance durant les années soixante d’une
psychologie de l’éducation cognitiviste et post-
béhavioriste, qui donnera lieu à la pédagogie de la
maîtrise, avec B.S. Bloom et R.M. Gagné. Il s’agit
cette fois de modéliser de façon procédurale, plus
2 Jean Piaget. (1935) Psychologie et pédagogie. Denoël, 1969.
ou moins séquentielle, et de hiérarchiser les
différentes fonctions cognitives qui s’exercent et
s’organisent dans l’apprentissage selon les types
d’objets visés. D’où l’apparition à la fin des années
soixante de ces taxonomies d’objectifs cognitifs qui
sont en quelque sorte les prototypes de nos actuels
référentiels de compétences3. L’enjeu est de décrire
explicitement processus et procédures
d’apprentissage en les référençant et en les
présentant dans des contextes d’abord opératoires,
pour permettre de contractualiser, moduler et
évaluer objectivement les apprentissages visés avec
les élèves, selon leurs besoins et rythmes propres.
Dans la lignée, en 1962, R. Mager reprend et
formalise le concept de pédagogie par objectifs
selon l’axe désormais bien connu : définition
d’objectifs comportementaux, évaluation du degré
de réalisation, puis modification des stratégies
adoptées si défaut 4.
Cette configuration programmatique,
relativement convergente, qui doit valoir comme
modèle des méthodes pédagogiques, se répand
dans l’espace culturel de langue française vers
1965-75 avec les travaux de psychopédagogues
comme A. de Perreti, L. d’Hainaut, D.Hameline,
V. et G. de Lansheere5. Il donnera lieu à
différentes applications institutionnelles en
Belgique, Suisse et, en France avec L. Legrand, à
la pédagogie différenciée. Elles vont transformer
peu à peu les programmes scolaires, d’abord dans
l’enseignement professionnel, puis général, en
introduisant la notion de compétence dans la
définition des contenus disciplinaires6. Observons
qu’à ce même moment, ces théories deviennent un
modèle directeur pour les praticiens des
pédagogies nouvelles, prenant ici peu à peu le
relais de la méthode naturelle de C. Freinet, du
constructivisme de J. Piaget et de l’interaction
sociale de H. Wallon qui donnèrent lieu
conjointement aux théories justifiant les méthodes
actives.
3 Benjamin S. Bloom. (1969) Taxonomie des objectifs pédagogiques,
I. Domaine cognitif. Éducation nouvelle.
4 Robert F. Mager. (1962). Comment définir des objectifs
pédagogiques. Dunod, 1994.
5 Viviane et Gilbert De Landsheere. (1975). Définir les objectifs de
l’éducation. PUF.
6 Pour l’histoire de ce processus, voir : Françoise Ropé et Lucie
Tanguy. (1994). Savoirs et compétences. De l’usage de ces notions
dans l’école et l’entreprise. L’Harmattan.